Improbable rencontre... quoi que... [NDLR].
Bonsoir à toutes et à tous,
Je croyais qu'il n'y avait que moi d'assez dingue pour entreprendre la ressaisie complète d'un bouquin, et c'est avec un certain soulagement que j'ai appris l'autre jour qu'il n'en était rien. Maintenant, j'ignore comment s'y prend Bertrand mais en ce qui me concerne, comme le but de la manœuvre est de pouvoir profiter autant que possible de l'aspect gouteux d'un original que je ne posséderai jamais, je fais ça dans InDesign, avec une police aussi proche que possible de l'authentique et bien munie de s initiaux qui font zozoter et de ligatures variées. Du coup, j'obtiens des pages remplies à l'identique, jusqu'aux coupures de mots (même s'il faut ruser un peu avec le logiciel pour obtenir jusqu'à parfois cinq lignes successives avec coupures…).
Bref, j'ai commencé à m'attaquer au Livre premier des Essais de Montaigne, avec comme référence l'édition S. (S. pour Simon, il faut le savoir) Millanges à Bourdeaux, 1580, téléchargée sur Gallica 2. Mais cet exemplaire ne comporte pas les pages 1 et 2. Je me suis donc procuré lesdits Essais en… Poche, et j'ai constaté d'infimes variations entre le texte de l'exemplaire de la BnF et celui édité par GF Flammarion, qui se réfère pourtant à la même édition de 1580.
Usant de mon droit de béotien à poser des questions stupides, je me suis donc enquis de cette bizarrerie auprès de Bertrand. Et il m'a appris qu'on comptait en fait plusieurs états de cette édition. Ah, que j'ai aimé cette réponse! Parce que voyez-vous, sans être moi-même imprimeur, je sais ce que c'est que de devoir expliquer à un client que pour faire l'indispensable modification de dernière minute dont il vient de s'apercevoir qu'il a absolument besoin, il ne suffit pas de modifier le Cromalin…
Et je les imagine si bien, tous les deux. Michel, l'estomac noué de fierté et de trouille à l'idée que ce qu'il a écrit, et dont il affecte, sans succès, de faire si peu de cas, va finalement être imprimé. Penché sur la presse, maculant sa fraise d'encre, il vérifie chaque feuille. Et à un Simon qui s'arrache les cheveux, il n'hésite pas à dire :
« Eh non, non. Poinct ne peus laisser passer cela!»
Aujourd'hui, ça nous donnerait :
«Simon! T'as pas eu mon mail?
– Mais enfin, Michel, est-ce que tu t'imagines que je vais tout chambouler alors que je viens de finir le calage, juste parce que tu t'avises au dernier moment de vouloir remplacer fier par orgueilleux? Ça chasse pas pareil, figure-toi. C'est deux pages que tu me fous en l'air!
– Mais, Simon, c'est terriblement important!
– Bon, ok, je vais voir ce que je peux faire. Toi, alors…»
Il y a bien de la magie et du merveilleux à ce qu'un livre ait traversé quelques siècles pour arriver jusqu'à nous. Et il a bien des façons de nous émouvoir. Une des moindres n'est sans doute pas que tous ceux qui l'ont aimé avant nous, pour quelque raison que ce soit, nous sont finalement si proches. Si proches…
Bonne soirée,
Pascal M.
Je croyais qu'il n'y avait que moi d'assez dingue pour entreprendre la ressaisie complète d'un bouquin, et c'est avec un certain soulagement que j'ai appris l'autre jour qu'il n'en était rien. Maintenant, j'ignore comment s'y prend Bertrand mais en ce qui me concerne, comme le but de la manœuvre est de pouvoir profiter autant que possible de l'aspect gouteux d'un original que je ne posséderai jamais, je fais ça dans InDesign, avec une police aussi proche que possible de l'authentique et bien munie de s initiaux qui font zozoter et de ligatures variées. Du coup, j'obtiens des pages remplies à l'identique, jusqu'aux coupures de mots (même s'il faut ruser un peu avec le logiciel pour obtenir jusqu'à parfois cinq lignes successives avec coupures…).
Bref, j'ai commencé à m'attaquer au Livre premier des Essais de Montaigne, avec comme référence l'édition S. (S. pour Simon, il faut le savoir) Millanges à Bourdeaux, 1580, téléchargée sur Gallica 2. Mais cet exemplaire ne comporte pas les pages 1 et 2. Je me suis donc procuré lesdits Essais en… Poche, et j'ai constaté d'infimes variations entre le texte de l'exemplaire de la BnF et celui édité par GF Flammarion, qui se réfère pourtant à la même édition de 1580.
Usant de mon droit de béotien à poser des questions stupides, je me suis donc enquis de cette bizarrerie auprès de Bertrand. Et il m'a appris qu'on comptait en fait plusieurs états de cette édition. Ah, que j'ai aimé cette réponse! Parce que voyez-vous, sans être moi-même imprimeur, je sais ce que c'est que de devoir expliquer à un client que pour faire l'indispensable modification de dernière minute dont il vient de s'apercevoir qu'il a absolument besoin, il ne suffit pas de modifier le Cromalin…
Et je les imagine si bien, tous les deux. Michel, l'estomac noué de fierté et de trouille à l'idée que ce qu'il a écrit, et dont il affecte, sans succès, de faire si peu de cas, va finalement être imprimé. Penché sur la presse, maculant sa fraise d'encre, il vérifie chaque feuille. Et à un Simon qui s'arrache les cheveux, il n'hésite pas à dire :
« Eh non, non. Poinct ne peus laisser passer cela!»
Aujourd'hui, ça nous donnerait :
«Simon! T'as pas eu mon mail?
– Mais enfin, Michel, est-ce que tu t'imagines que je vais tout chambouler alors que je viens de finir le calage, juste parce que tu t'avises au dernier moment de vouloir remplacer fier par orgueilleux? Ça chasse pas pareil, figure-toi. C'est deux pages que tu me fous en l'air!
– Mais, Simon, c'est terriblement important!
– Bon, ok, je vais voir ce que je peux faire. Toi, alors…»
Il y a bien de la magie et du merveilleux à ce qu'un livre ait traversé quelques siècles pour arriver jusqu'à nous. Et il a bien des façons de nous émouvoir. Une des moindres n'est sans doute pas que tous ceux qui l'ont aimé avant nous, pour quelque raison que ce soit, nous sont finalement si proches. Si proches…
Bonne soirée,
Pascal M.