jeudi 30 avril 2009

Quérard : un nom synonyme du travail le plus opiniâtre et le plus persévérant, du dévouement le plus absolu à la science des livres au XIXe siècle.



Encore une fois (mais on ne s'en lasse jamais), Xavier nous fait partager son plaisir des lectures de ses bibliophiles, éditeurs et bibliographes préférés. Ne sont-ils pas tous très attachants ? Et surtout très passionnants par la passion même qui transpire par tous les pores de leurs peau pour l'amour du livre avec un grand A ou un grand L, au choix.

"Ce nom est synonyme du travail le plus opiniâtre et le plus persévérant, du dévouement le plus absolu à la science des livres. Nous n'avons pas besoin de retracer ici une vie qui n'offre, d'ailleurs, aucun incident fort remarquable.

Quérard naquit à Rennes en 1796 ; ses parents n'avaient aucune fortune. Dès sa première enfance, un goût irrésistible le poussait vers le papier imprimé ; il se fit commis libraire, et après avoir exercé quelque temps cette profession en province d'abord, à Paris ensuite, il se rendit à Vienne, comme employé dans une des plus importantes maisons de cette capitale. Il eut maintes fois l'occasion de se convaincre à quel point étaient imparfaits et défectueux les ouvrages de bibliographie qu'il était sans cesse dans l'obligation de consulter ; ce fut alors qu'il conçut l'idée de dresser le catalogue complet et raisonné de tous les ouvrages écrits en langue française. La confiance, qui est le plus bel apanage de la jeunesse, et sa tenacité bretonne, lui firent regarder comme possible cette gigantesque entreprise. Il revint à Paris, et seul, inconnu, sans ressources, logeant dans quelque mansarde du pays latin, vivant avec une sobriété qui eût effrayé le plus mortifié des brahmines, enseveli dans les livres et dans les journaux littéraires, il se mit à l’œuvre.

Il avait compris, d'ailleurs, qu'il fallait partager en divers tronçons l'œuvre colossale dont il se chargeait. Il se borna d'abord aux ouvrages français publiés de 1700 à 1820 ; la fortune qui assiste parfois les audacieux lui procura un éditeur. Une des plus anciennes, des plus honorables maisons de Paris, un de ces noms qui rappellent toutes les brillantes traditions de savoir et de dévouement des Manuce et des Estienne, la maison Didot se chargea de cette publication. La France littéraire mit huit années environ à paraître, et forma dix volumes d'une impression compacte. Tous les travailleurs ont apprécié l'utilité de ce vaste répertoire qu'ils consultent sans cesse. Sans doute on pourrait y relever des lacunes et des erreurs, qu'une seconde édition aurait fait disparaître (1), mais ces tâches légères ne diminuent point le mérite de cette œuvre, qui en son genre n'avait point de modèle, et qui ne trouvera peut-être jamais d'imitateurs. Le quinzième siècle, le seizième, le dix-septième devaient venir apporter leur contingent à la France littéraire ; des notes innombrables avaient été réunies dans ce but, mais Quérard se laissa entraîner ailleurs ; il formait sans cesse des projets nouveaux, donnant toujours la préférence à ceux qui exigeaient le plus de temps et de résolution ; se livrant à de généreuses illusions, il se taillait une besogne qui eût exigé quatre siècles de persévérance et qui eût lassé une congrégation de bénédictins.

On lui fit comprendre que tout n'est pas ; fait lorsque le manuscrit d'un ouvrage des plus importants est terminé : il faut imprimer, il faut vendre. Ces considérations, qui sont assez justes, déterminèrent Quérard à entreprendre la France littéraire contemporaine, l'inventaire des écrivains vivants et de leurs productions en tout genre. A mesure qu'il travaillait, son plan devenait plus large, et bientôt des notices biographiques très, étendues se succédèrent.

Le terrain était brûlant; ajoutons que Quérard n'était pas d'humeur à éviter les difficultés que présente une semblable discussion. Les révélations indiscrètes peut-être, les petits méfaits dont certaines existences littéraires ne sont pas toujours exemptes, les palinodies devenues assez fréquentes de nos jours, les honneurs, les distinctions qui sont parfois le prix de l'intrigue et de la souplesse, tandis que le mérite est dédaigneusement laissé à l'écart : tout cela excitait sa bile d'honnête homme et d'écrivain indépendant. Il révéla, il rappela des faits qu'on aurait voulu laisser dans l'oubli le plus complet; il se permit des médisances sans jamais, sciemment du aldins, tomber dans la calomnie ; il s'attira des ennemis nombreux et acharnés. Il eut des procès, il se trouva engagé dans de tristes contestations judiciaires avec les nouveaux éditeurs de la France littéraire contemporaine (ce n'étaient plus MM. Didot) ; nous croyons même nous souvenir qu'il fut incarcéré, mais ces tribulations ne lassaient nullement le caractère de fer du bibliographe breton; il se consolait des soucis, des persécutions que lui attirait un de ses ouvrages, en mettant aussitôt sous presse deux ou trois œuvres plus considérables. C'est ainsi qu'il entreprit et qu'il acheva (ce qui ne lui arrivait pas toujours) les Supercheries littéraires dévoilées, cinq gros volumes qui dévoilent tant de plagiats, tant d'auteurs n'ayant pas toujours lu les livres qu'ils ont signés, et qui nomment les véritables pères d'une multitude d'œuvres écrites par des individus ayant pour se couvrir d'un masque des motifs plus ou moins fondés. Pour oser de pareilles révélations, il fallait l'énergie de Quérard et son inflexible amour de la vérité ; il fallait surtout cette connaissance intime et profonde des secrets de la littérature de nos jours, secrets que lui révélaient ses relations avec de nombreux écrivains et avec les libraires, sa vaste correspondance, son attention toujours éveillée, son instinct de fureteur, son habitude de prendre sans cesse des notes classées immédiatement avec un soin intelligent et minutieux. Des divers écrits de Quérard, les Supercheries dévoilées est celui qui a obtenu le plus de succès ; l'édition est épuisée ; ce livre ne se rencontre pas facilement, il se paye cher. L'auteur avait entrepris une édition nouvelle à laquelle il voulait donner des développements fort étendus ; un premier fascicule seul a paru : la mort a fait tomber la plume des mains de Quérard ; mais a les matériaux aussi nombreux qu'intéressants qu'il avait rassemblés ne seront point perdus ; nous avons tout lieu de croire que cette seconde édition est en ce moment l'objet de soins assidus et que sa publication sera prochainement entreprise.

Il n'a pas été donné à Quérard (et il n'y a point lieu d'en être surpris) de pouvoir mener à bonne fin quelques-uns des ouvrages qu'il avait commencés sans se demander s'il était humainement possible de les terminer. Un grand travail sur les anonymes et les polyonymes est demeuré au milieu de la première lettre de l'alphabet et n'a pas dépassé le mot almanach ; une publication gigantesque, l'Encyclopédie du bibliothécaire, est demeurée inédite et inachevée ; il n'en a paru que le prospectus ; dans la pensée de l'auteur, ce devait être un répertoire universel consacré à tous les hommes célèbres, à tous les pays ou villes du globe, à tous les objets dont s'occupe l'intelligence humaine. On comprend qu'un ouvrage de ce genre formerait à lui seul une bibliothèque considérable. En faisant l'acquisition des papiers de Quérard, nous avons trouvé de nombreuses et vastes caisses remplies de matériaux imprimés ou manuscrits qu'il avait rassemblés.

L'Encyclopédie ne saurait être publiée, mais on pourrait en détacher quelques chapitres spéciaux, quelques monographies que les amis des bonnes études accueilleraient sans doute avec plaisir. C'est d'ailleurs ce que l'infatigable bibliographe avait compris, et il a inséré quelques extraits de son travail (notamment ce qui est relatif à l'infortunée Marie-Antoinette) dans un journal qu'il avait voulu créer et auquel, se conformant à un usage anglais peu admis en France, il avait donné son nom.

Moins heureux que le Frazer et que le Blackwood, le Quérard n'eut qu'une existence éphémère ; mais les bibliophiles conservent avec soin et ne consultent jamais sans utilité les deux volumes dont il se compose.

Nous avons souvent (et bien d'autres aussi) visité Quérard dans les domiciles successifs qu'il occupa : passage Dauphine, quai Saint-Michel, rue des Grands-Augustins ; il ne s'éloignait jamais du quartier qui est le centre de la typographie et de la librairie parisienne. Son logement modeste, son cabinet de travail étaient encombrés de livres (2), remplis de brochures, inondés de journaux, tapissés de cartons renfermant les innombrables feuilles de papier sur lesquelles l'opiniâtre travailleur accumulait ses notes. Il accueillait volontiers tous ceux dont il connaissait le goût pour les études bibliographiques ; bientôt la conversation s'animait ; les anecdotes arrivaient en foule ; un nom prononcé en amenait un autre, et chaque nom provoquait des détails piquants, des révélations qui n'étaient pas toujours flatteuses pour les individus mis en cause. Quérard connaissait à fond l'histoire intime, l'histoire qui ne s'écrit pas, de quiconque depuis quarante ans a tenu une plume en France ; son humeur caustique s'épanchait librement, et la malice pétillait sur ses traits. Que de choses il disait sur les hommes en place, sur les membres de l'Institut, sur les journalistes, sur nos poètes, petits ou grands, sur les femmes auteurs ! Nous aimons à croire que dans toutes ces assertions il y avait bien des inexactitudes, et nous avons, dans l'intérêt de notre repos, chassé de notre mémoire ce que nous lui avons entendu raconter. Même en admettant que ce fût vrai, nous savons que le vrai blesse.

Dépourvu de toute souplesse, étranger à toute idée d'intrigue, usant ou abusant du franc-parler qui était pour lui un impérieux besoin, une habitude invétérée, Quérard ne fit rien pour capter les bonnes grâces des divers gouvernements qui se sont succédé. La Restauration, la monarchie de Juillet, la République, le second Empire, s'accordèrent sur un point, celui de ne l'appeler à aucune place, de ne lui confier aucun emploi. Il eût été au comble de ses vœux s'il avait été admis dans l'administration de quelque grande bibliothèque ; et, certes, il eut été difficile de faire un choix plus rationnel ; mais ce choix ne tomba jamais sur lui. Il vécut pauvre et mécontent, tourmenté de l'idée que son mérite était méconnu. Irascible et passablement aigri, il attaqua parfois avec peu de ménagement ses confrères en bibliographie. Le gant fut relevé ; des polémiques s'engagèrent. Les querelles littéraires ne déplaisaient nullement au révélateur des Supercheries. Devenu septuagénaire, Quérard jouissait d'une santé des plus robustes et semblait pouvoir compter encore sur une longue existence qu'il était bien résolu de consacrer aux plus rudes travaux. Une attaque de choléra vint le foudroyer à la fin de 1865. Il mourut la plume à la main, s'affaissant sur son bureau encombré d'épreuves et de pages manuscrites. Peu de temps avant sa mort, une distinction, émanant du pouvoir, était venue lui prouver que son mérite n'était pas ignoré dans les régions supérieures.

Il reçut la décoration de la Légion d'honneur. Les souscriptions de quelques-uns de ses amis, les offrandes de divers bibliophiles, provoquées par l'initiative d'un libraire intelligent (M. Aubry), ont fourni les moyens de lui faire ériger un modeste tombeau. On sait du moins où reposent les cendres du plus laborieux !des bibliographes français, nous dirions volontiers de tous les bibliographes du monde.

La mémoire de Quérard ne périra point, et le temps fera de plus en plus apprécier l'utilité de ses travaux. Malheureusement on ne connaîtra jamais tout ce qu'il a commencé, tout ce qu'il a accompli, tout ce qu'il a laissé inachevé ; mais, indépendamment des volumes si nombreux et si forts de choses qu'il a mis au jour, nous espérons réussir à livrer à l'impression les résultats, sur certains points, de ses immenses recherches. Possesseur de ses papiers, nous avons voulu empêcher qu'ils ne fussent détruits peut-être, enfouis dans quelque asile obscur ou ignoré, transportés à l'étranger, en un mot perdus pour la science des livres, pour l'histoire littéraire. Les hommes de la trempe de Quérard sont bien rares ; cette abnégation, ce dévouement absolu à un travail de tous les instants, sans distraction, sans interruption, sans aucun souci de profit personnel, voilà un phénomène qu'on ne reverra pas de longtemps. (1) Nous possédons l'exemplaire de la France littéraire sur lequel l'auteur a introduit bien des additions, bien des rectifications; il méditait une seconde édition Mais paraîtra t-elle jamais? Nous avouons nos incertitudes à cet égard. (2) Quérard possédait beaucoup de livres, de journaux littéraires ; il avait réuni une masse d'opuscules intéressants au point de vue qu'ils traitaient ; mais c'était tous volumes de travail, consultés, ouverts, feuilletés, annotés sans cesse. Condition en général fort médiocre, reliures des plus modestes lorsque l'ouvrage était relié. Rien au monde ne ressemblait moins à la riche collection d'un autre bibliographe célèbre pour lequel la fortune avait eu des sourires qu'elle avait refusés à Quérard, et dont les livres viennent, il y a quelques jours, de s'élever, sous le feu des enchères, à des prix qui dépassent tout ce qu'ont présenté encore les fastes de la bibliomanie en France."

GUSTAVE BRUNET
in Le Bibliophile Français, Gazette illustrée des Amateurs de Livres, d'Estampes et de haute curiosité, T1.

Xavier pour le Bibliomane moderne,
Bertrand (mise en ligne)

mercredi 29 avril 2009

Auguste Poulet-Malassis, un éditeur engagé au XIXe siècle.



L'article suivant sur le célèbre éditeur m'a été inspiré par un article du comte Guy de Contades, et puisé dans la revue le Livre dirigée par Octave Uzanne.

Depuis trois siècles les Malassis imprimaient à Alençon, à Brest et à Rouen des livres de religion, de philosophie et d'amour. Le 16 mars 1825, Auguste Poulet-Malassis vint au monde à Alençon, il naquit imprimeur, comme l'on naît poète. Le père Malassis, endormi dans la routine de l'imprimerie héréditaire, avait pour plus grand labeur de préparer paresseusement chaque semaine la composition du Journal de l'Orne. Dans la feuille qui frappa la première ses regards, l'enfant ne trouva donc rien de cette littérature délicate, de cette élégance typographique, qui devaient être un jour sa passion et sa vie.

Poulet-Malassis fut mis au lycée d'Alençon comme son père l'avait été. Lauréat du collège d'Alençon et imprimeur de la préfecture, tel avait été le père ; tel devait être le fils. Comme on le verra, iI n'en fut pourtant rien l'art et la fantaisie dérangèrent tout cela. L'amour des livres et des lettres se ; déclara en Malassis dès qu'il eut quitté le collège. Presque, aussitôt il écrivit son premier article et édita sa première réimpression. Tout alors, en France, était à la renaissance. Le premier article de Malassis fut donc renaissance et eut pour objet Bonaventure Despériers, le valet de chambre de Marguerite d'Angoulême. Sa première réimpression fut aussi dans le goût du temps ; c'était celle de l'épître adressée à la même Marguerite par les rossignols du parc d'Alençon, le parc ombreux aux amoureuses aventure. Les travaux de ce genre suffirent d'abord à ce que l'esprit de Malassis avait d'actif et de chercheur; mais sa cervelle contenait quelque chose d'utopique et de paradoxal, qui réclama bien vite un autre aliment. Des idées démesurément vastes s'agitaient déjà tumultueusement dans sa tête.



Inquiets d'une semblable exubérance de pensée, les amis de Malassis tentèrent alors de diriger sainement ses travaux et l'attachèrent à une importante publication, convenant à merveille à ses goûts artistiques. C'était celle de l'Orne archéologique, beau volume auquel il collabora avec M. de la Sicotière. Il atteignit ainsi, occupé de travaux locaux, l'époque à laquelle il fut admis à l'École des chartes. L'École des chartes, c'était encore le travail, mais c'était aussi Paris avec tout ce qu'il avait de séduisant et de dangereux pour une nature exaltée comme celle de Malassis. Curieux et sensuel, il devait fatalement donner dans tous les excès du corps et de l'esprit, aller, dès le premier jour et sans s'arrêter, aux exagérations politiques et littéraires. Vint la révolution de 1848. Sous Louis-Philippe, Malassis n'était que républicain ; sous la République, il se déclara socialiste. Ce fut alors qu'il fonda l'Aimable faubourien, avec Alfred Delvau et quelques autres cerveaux en feu. L'Aimable faubourien, journal de la canaille, parut le ter juin 1848. Sa rédaction incendiaire excita le courroux d'une certaine Mme de Chéret qui lui donnait gîte dans un de ses immeubles ; l'Aimable, mais redouté Faubourien reçut, en conséquence, sur-le-champ son congé. Il trouva alors asile chez un Figaro révolutionnaire de la rue Mazarine, qui lui loua sa boutique à la condition « qu'il ferait la barbe aux aristocrates ». La sinistre petite feuille n'eut plus, au reste, qu'un numéro. La fusillade de l'émeute éclata quelques jours après et, au lieu de faire la barbe aux aristocrates, l'on jugea à propos de leur tirer dessus. Poulet-Malassis fut arrêté les armes à la main et allait être fusillé, quand un peintre de ses amis, M. Oudinot de la Faverie, parvint à lui sauver la vie. Transporté au fort d'Ivry, puis sur les pontons de Brest, il ne fut mis-en liberté que le 23 décembre 1848, à la requête de M. Druet des Vaux, député de l'Orne.

Le martyr, sain et sauf, mais non converti, fut enfin réintégré à l'École des chartes qu'il ne quitta plus que pour revenir au pays.

Il se remit à l'imprimerie et reprit le Journal d'Alençon ; mais, sous cette direction nouvelle et jeune, imprimerie et journal cessèrent d'être les mêmes. Au bas de la feuille départementale parurent de petits chefs-d’œuvre d'érudition et de style, signés Louis Lacour et Charles Asselineau. De l'imprimerie de la place d'Armes, où des amis connaisseurs adressaient des manuscrits de choix, "sortit alors tout un bataillon de livres qui feront toujours honneur à la littérature contemporaine et à la typographie française ". C'est à Alençon, en 1854, que fut imprimé entre autres, le premier opuscule de Charles Baudelaire, la Philosophie de l'ameublement.

La résignation de l'imprimeur alençonnais à l'existence de province, régulière et monotone, était, en effet, plus apparente que réelle. Il souffrait de vivre dans une petite ville, loin de ses artistes et loin de ses poètes, loin des marchés d'esprit dont les productions ne lui parvenaient que vieillies. Bientôt il n'y tint plus, et, s'associant à. M. de Broise, son beau-frère, il s'en fut à Paris tenter la fortune, comptant bien que la foule allait accourir chez lui pour échanger son or contre des livres modèles, remplis de beaux poèmes et de fines vignettes, plaisir de l'esprit et plaisir des yeux.

En 1857, la librairie Poulet-Malassis et de Broise s'ouvrit à Paris, au 4 rue de Buci. L'imprimerie devait rester toujours à Alençon ; à Paris l'on se bornerait à guetter et à obtenir les manuscrits des maîtres les plus hardis. Envoyés à Alençon, ils en reviendraient magnifiquement parés, et, de la vitrine de la rue de Buci, attireraient le passant par leurs beaux atours et par leurs titres effrontés. L'important, pour Malassis, était de bien commencer ; son coup d'essai fut, par bonheur, un coup de maître. Le premier livre qu'il édita, un chef-d’œuvre, eut, en outre, la réclame d'une retentissante
condamnation. Il avait pour titre : les Fleurs du mal ; pour auteur, Charles Baudelaire. Les lettres échangées, à cette occasion, entre l'auteur et l'imprimeur sont particulièrement curieuses. Elles nous montrent Baudelaire, l'audacieux penseur, se laissant arrêter comme un écolier par des minuties de versification et peinant pour donner à son œuvre une forme accomplie : "Je m'escrime, écrit-il à Malassis, le 14 mai 1857, contre une trentaine de vers, insuffisants, désagréables, mal faits, mal rimant. Croyez-vous donc que j'aie la souplesse de Banville ! "

L'exécution typographique des Fleurs du mal était parfaite, et auteur et imprimeur se félicitaient de leur ouvrage, quand le nouveau volume, à peine publié, fut saisi : Ce fut, pour Baudelaire et pour Malassis, une réclame énorme de scandale, dont Baudelaire, que l'on s'étonne toujours de trouver timoré, n'apprécia point tout d'abord la valeur. Il ne songea, dans un premier moment d'affolement, qu'à mettre à l'abri la précieuse édition : " Vite, cachez, mais cachez vite toute l'édition; vous devez avoir 900 exemplaires en feuilles. Il y en avait encore 100 chez L...; ces messieurs ont paru tout étonnés que je voulusse en sauver 50. Je les ai mis en lieu sûr et j'ai signé reçu. Restent donc 50 pour nourrir le cerbère Justice. ...Je viens de voir L... et V...; ils ont poussé la platitude jusqu'à faire la remise de la librairie à "M. l'inspecteur général de la presse ", pour le séduire ! ! !, Bien à vous. Charles Baudelaire "

Poulet-Malassis flétrit sans doute, comme Baudelaire, la platitude de MM. L... et V...; mais il pensa peut-être que l'auteur des Fleurs du mal n'avait guère le droit de s'en plaindre, lui qui employait ses exemplaires de choix à tenter d'apitoyer d'impitoyables patrons : J'aurai le regret, écrivait Malassis à Charles Monselet, de ne pouvoir vous donner qu'un exemplaire sur papier ordinaire des Fleurs du mal. Au moment de la saisie, Baudelaire a mis la main sur tous les exemplaires papier fort et les a adressés comme moyens de corruption à des personnages plus ou moins influents. Puisqu'ils ne l'ont pas tiré d'affaire, je crois qu'il ferait bien de les leur redemander !

On le sait, les Fleurs du mal furent, en effet, condamnées le jeudi 20 août 1857. Cette condamnation mit en évidence ce grand et beau livre ; elle poussa Baudelaire dans le chemin de la célébrité, et il y tira quelque peu son imprimeur après lui.

Après un scandale de vers, vint un scandale d'histoire. La librairie Malassis était alors installée rue des Beaux-arts, 9. Louis Lacour, publia chez Malassis le texte intégral des Mémoires du duc de Lauzun. Ce fut pour Poulet-Malassis l'occasion d'une seconde et bruyante condamnation. Elle ne fit qu'accroître encore sa renommée, mais elle lui imposa pour l'avenir le devoir d'être prudent.

Il n'en continua pas moins à rechercher la clientèle des auteurs frondeurs et militants, mais il se fit désormais une loi de modérer par de sages conseils et de pallier par d'utiles coups de ciseaux ce que leur hardiesse pourrait avoir de trop téméraire.

En parcourant le catalogue répandu par Malassis à cette époque, l'on voit que le bagage littéraire renfermé dans sa boutique était plus riche que celui de toute autre librairie parisienne. Au mois d'octobre 1859, son catalogue annonce en effet : les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire ; les Poésies complètes, de Théodore de Banville ; les Émaux et camées, de Théophile Gautier ; les Oubliés et les dédaignés, la Lorgnette littéraire et les Tréteaux, de Charles Monselet, sans compter des ouvrages triés sur le volet, de Champfleury, Asselineau et Aurélien Scholl.

Poulet-Malassis éditait, en un mot, tout ce que la fleur des poètes et des humoristes écrivait de délicat et d'original. Pour une semblable clientèle, il comprit qu'il fallait un local nouveau. Une boutique de la rue Richelieu se trouvait justement libre. Elle fut louée de suite, et Malassis s'adressa, pour la décorer, aux artistes qu'il savait si bien associer, dans ses livres, aux écrivains dont le talent était parent du leur. Au-dessus d'élégantes bibliothèques de chêne, se détachait une suite de médaillons peints à la fresque sur fond brun, représentant une partie des auteurs édités par la maison, Monselet, Hugo, Théophile Gautier, Champfleury, Théodore de Banville, Baudelaire, Babou, Asselineau. Dans la boiserie qui surplombait le comptoir s'enchâssait un cartouche émaillé, représentant le blason de titre de la maison, un caducée tenu par deux mains dans un ovale, avec la devise CONCORDIÆ FRUCTUS.

(Le Rabelais de poche à Alençon chez Poulet-Malassis et de Broise, 1860, in-12)

Il fallait un moniteur à cette petite académie : ce fut la Revue anecdotique. Poulet-Malassis la dirigea en 1862. Tous les mots du boulevard y étaient consignés, et souvent, entre deux boutades, l'on y émettait sur les hommes et les choses d'art les jugements les plus neufs et les plus courageux.

Quand, le soir, la boutique était fermée ; quand la toile était tombée sur les causeurs, rue Richelieu, elle se relevait, rue des Martyrs, sur les buveurs de la célèbre brasserie. Il aimait la société de ces jeunes qui voulaient conquérir Paris avec leur crayon ou leur plume, de ces arrivés qui se rengorgeaient plaisamment dans leur boursouflure vaniteuse, de ces ratés eux-mêmes qui, parfois et sans dire gare, savaient encore vaillamment faire feu.

L'un de ses compagnons préférés était Albert Glatigny (1). Il pansait chaque soir les plaies saignantes de l'histrion, en appliquant au rimeur de légitimes louanges. Aujourd'hui Glatigny est mort (1839-1873), Malassis l'est comme lui, et de ces buveurs sensuels et païens de la rue des Martyrs il ne reste plus que quelques survivants. Encore vont-ils s'éclaircissant chaque jour, et l'on pourra bientôt dire des habitués de la Grand' Brasserie ce que Châtillon, l'un de ses fidèles, chantait jadis de ceux de la Grand' Pinte :

L'un mort, il en restera trois,
Puis deux, puis un, et puis, je crois,
Après .........Personne!

(1) de Galtigny, on lira utilement : Antres malsains ; Joyeusetés galantes et autres du Vidame Bonaventure de la Braguette, 1866 ; Scapin maquereau (où un passage au bordel est indispensable pour que Lucinde, avant d'épouser Pignouflard, apprenne à se laver...) ; la Sultane Rozréa, 1870, " La Sultane Rozréa, ballade traduite de lord Byron par Exupère Pinemol, élève du petit séminaire de la Fère-en-Tardenois (Oise) ".

Le magasin si artistique de la rue Richelieu, le temple de la littérature neuve et hardie, mal défendu par une avant-garde d'écrivains dont l'audace jetait l'effroi dans les bourgeoisies intellectuelles, fut fermé un beau matin comme la plus vulgaire boutique.

L'éditeur de livres invendus alors, qui se vendent à présent fort cher, dut quitter ce Paris où il avait conquis sa noblesse artistique, noblesse, hélas! du royaume de Bohème, déjà ruinée avant d'être ancienne.

Malassis fut emprisonné pour dettes durant 5 mois…et en automne 1863, à 38 ans, il part pour Bruxelles. Durant sa période Bruxelloise il publia sous le manteau environ 80 titres : propagande anti-impérialiste, curiosa, textes pornographiques des auteurs anciens et modernes, littérature de combat… on se reportera à l’ouvrage de G.Oberlé, voir en fin de l’article.

Auguste Poulet-Malassis à Bruxelles, Septembre 1863-Mai 1871. Le désastre fut tel qu'il fallut se rendre à Bruxelles. La Belgique avait alors, comme elle l'a encore aujourd'hui, la spécialité de livres ultra galants, où le cru du texte n'a d'égal que le nu des figures. Ces livres, généralement tirés à petit nombre, ont une clientèle assurée de jeunes et de vieux lecteurs, débutants ou bien retraités d'amour. Souvent brûlés à la veille d'un mariage ou au lendemain d'un décès, ils deviennent de suite rares et sont bientôt introuvables. Il fallait d'ailleurs avoir de l'argent pour vivre, et, à Bruxelles, ce n'était que dans cette littérature trouble et troublante que l'éditeur ruiné croyait pouvoir en pêcher. 1l n'hésita donc pas et se mit sans vergogne à l'œuvre. A la boutique, dans un instant de dévergondage ; à la brasserie dans le dévergondage de tous les instants. Toujours l'oreille au guet et la plume prête, Malassis avait tout copié ou tout retenu. Il apportait donc, au fond de son sac, en arrivant à Bruxelles, une cargaison de pièces libres provenant des meilleurs crus, avec laquelle il était certain de battre bientôt monnaie. Il trouva marchand pour elle. Un connaisseur émérite en productions de ce genre, M. Jules Gay, se trouvait alors en Belgique. M. Gay avait fait le tour extérieur de la France, transportant successivement, et quelquefois hâtivement, ses presses clandestines de Turin à Genève et de Genève à Bruxelles. Il connaissait à fond la littérature galante de tous les pays et de tous les temps, et pouvait apprécier, mieux que tout autre, la valeur des matériaux apportés par Malassis. Il conçut l'idée d'en former un recueil, le Parnasse satyrique des contemporains les plus célèbres. Il était entendu avec M. Gay que le Parnasse satyrique du XIXe siècle ne, serait tiré qu'à cinq cents exemplaires. Malassis, pressentant un succès, fit dépasser le tirage convenu. M. Gay s'en offensa et n'eut plus d'autres relations avec lui que de se charger de la vente de quelques-uns de ses livres. Poulet-Malassis fit alors rencontre, à Bruxelles, d'un homme conduit en Belgique par des revers semblables aux siens, ayant aussi le goût des publications licencieuses, mais sans avoir autant que lui l'excuse de l'amour de l'art. C'était M. Alphonse Lécrivain. Malassis s'associa à lui pour l'incessante publication d'ouvrages d'une nature clandestine, et ils allèrent à cet effet s'installer à Ixelles. Malassis publiait, Lécrivain débitait ses livres. Citons, entre autres, la réimpression des Œuvres satyriques de Corneille Blessebois. Poulet-Malassis avait, depuis sa jeunesse, un véritable culte pour le fantaisiste Alençonnais, son compatriote. Il rêvait, en Belgique, de rééditer ses œuvres complètes, sûr de trouver des acheteurs pour elles dans sa clientèle d'amateurs de livres galants. Dès son arrivée à Bruxelles, il fut heureusement servi par les circonstances. Le 15 mars 1863, quatre des plus rares ouvrages de Corneille Blessebois étaient inscrits sur le catalogue d'une vente. L'eau en vint aussitôt à la bouche de Malassis ; mais l'argent n'en vint pas pour cela dans sa poche. Il eut recours alors aux ruses de son pays, et, ne pouvant conquérir les volumes convoités au feu des enchères, il corrompit le commis de librairie préposé à la garde des précieux opuscules. En une nuit le texte qu'il voulait reproduire fut copié. Est-ce châtiment de cette supercherie ? Est-ce simplement mauvaise fortune ? Il ne put jamais découvrir l'exemplaire unique d'une comédie de Blessebois, la Corneille de Mlle de Scay, qu'il demanda vainement aux échos des bibliothèques publiques et privées.

([Anonyme] l'Art priapique. parodie des deux premiers chants de l'art poétique par un octogénaire Namur, à l'enseigne de Boileau Dindonné [Bruxelles, Poulet-Malassis]
MDCCCLXIV, in-12, couverture grise muette)

(Voisenon (abbé) Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor par feu l'abbé de Voisenon de joyeuse mémoire et de son vivant membre de l'académie française
ed. revue et corrigée sur l'édition originale, sans lieu, ni date et sur l'édition de Vaucluse, 1786
Amsterdam, aux dépens de la compagnie [Bruxelles, Poulet-Malassis, 1864], in-12)

Malassis eut pour compagnons, en Belgique, deux de ses amis des bons jours passés, Charles Baudelaire et Albert Glatigny. Baudelaire et lui étaient inséparables. Deux ans après, le poète qui avait associé le nom de Malassis à la gloire des Fleurs du mal, qui avait été la plus sincère et la plus grande admiration de l'imprimeur alençonnais, Charles Baudelaire, mourait à Paris, le 31 août 1867.

Après Baudelaire, le premier dans les admirations de Malassis était peut-être Albert Glatigny, le cabotin-poète. Malassis l'avait connu sur les planches en Normandie ; il le retrouva sur les planches à Bruxelles.

Malassis, donnait asile chez lui à tout ce qui se publiait contre l'empire et contre l'empereur ; il l'annonçait et le prônait dans le Bulletin trimestriel des publications interdites en France, adressé à Paris à un certain nombre de libraires. Ce qui était commandé par eux arrivait à destination par des voies mystérieuses ; vendu cher à Bruxelles, il l'était hors de prix à Paris. L'amnistie du 16 août 1869 rouvrit la France à Poulet-Malassis ; la révolution de 1870 y laissa entrer à flots les livres jadis prohibés. Le genre de commerce dont Malassis vivait depuis six années ne pouvait donc plus être exercé avec autant de fruit. Après avoir hésité, être allé et venu de Belgique en France et de France en Belgique, Poulet-Malassis quitta pour de bon Bruxelles et se décida à revenir à Paris.

Retour sur Paris. La guerre chassa bientôt Poulet-Malassis de Paris et il revint à Alençon, où son beau-frère, M. de Broise, dirigeait l'imprimerie héréditaire et le traditionnel journal départemental. Malassis revit alors la vieille maison de la place d'Armes d'où étaient partis ces jolis volumes qui avaient établi sa réputation typographique ; il eut le chagrin de voir des employés de la préfecture y apporter des manuscrits en langue allemande dont il fallait imprimer sur papier blanc la sinistre traduction. Enfin le siège fini et la Commune domptée, il reprit le chemin de son cher Paris.

Là, Malassis dut songer au moyen de gagner sa vie. Il n'avait pas les fonds nécessaires pour ouvrir, une nouvelle librairie, M. Daffis le chargea de diriger littérairement les travaux de sa librairie, d'y prendre la place de Paul Jannet, mort pendant le siège, et d'assister M. Olivier Barbier dans sa nouvelle édition du Dictionnaire des ouvrages anonymes. M. Liseux lui commanda, un peu plus tard, un travail qui lui procura plus d'honneur et de plaisir. Ce fut de rédiger des notices liminaires pour des réimpressions d'ouvrages curieux et pour toute une, petite collection moliéresque. Malassis était enfin chargé de préparer pour M. Lemerre une édition des Œuvres de Le Sage, quand, après la publication du second volume, la mort vint interrompre ce dernier labeur. Quand le travail manquait, Malassis demandait des ressources au bouquinage, "Dans ses derniers temps, non pas de détresse, mais de vie au jour le jour, nous disait récemment un de ses amis, il sortait le matin, toussant dans la brume et humant la mort, et remontait du pont Royal au pont Saint-Michel, fouillant les cases des boîtiers comme un vrai biffin en livres. Il crochetait de l'œil et du doigt avec tant de flair et d'adresse qu'un jour il mit la main sur une certaine plaquette de Sainte-Beuve, rarissime et compromettante, qui s'encanaillait avec des bouquins à dix sols et qui valait des centaines de francs.



Un jour Malassis, en quête d'ex-libris, bouleversait les livres d'une boutique du quai. "C'est la collection à la mode, lui dit le marchand. Malassis ne la crut point ; mais comme il aimait les ex-libris aux larges armoiries, comme il savait que nul n'en avait parlé encore, il leur consacra une courte brochure. Quinze jours après, la brochure était épuisée. Le succès de la seconde édition des Exlibris français, égal à celui qu'avait obtenu la première, acheva bientôt de vérifier la prophétie du bouquiniste. Les années d'exil comptent double, et les tracas d'argent usent vite. Malassis avait donné trop de sa vie au travail et surtout trop au plaisir pour qu'elle pût être bien longue. Il mourut à Paris, âgé de cinquante trois ans, le 11 février 1878. Que restera-t-il de lui ? Ses derniers travaux littéraires, avant-propos prestement enlevés et notices finement tracées, prouvent que, comme écrivain, il avait une valeur réelle ; mais, disons-le tout de suite, c'est surtout comme éditeur qu'il ne sera point oublié. S'il eut la chance d'éditer des ouvrages de maîtres d'élite, il eut le talent de les éditer d'une façon digne d'eux. Ces maîtres ont obtenu la célébrité, et plusieurs d'entre eux ont été jusqu'à la gloire. N'est-il point juste qu'un peu de leur célébrité rejaillisse sur leur pauvre faiseur de livres ? Il le mérite assurément, et ses éditions, véritables chefs-d'œuvre de typographie, resteront chaque jour plus recherchées des bibliophiles. Le nom de Poulet-Malassis durera aussi longtemps qu'elles, tout fier, au bas des titres, dans ses belles lettres rouges, de marquer des livres de choix, bons et bien faits, beau corps et belle robe, PAUCI, BONI, NITIDI (Légende du premier ex-libris de Malassis).

Cte G. DE CONTADES.

Les photos sont extraites de l’ouvrage de Gérard Oberlé (que l’on consultera utilement) : Auguste Poulet-Malassis (1825-1878). Un imprimeur sur le Parnasse. Ses ancêtres, ses auteurs, ses amis, ses écrits. http://gerardoberle.over-blog.com/

Bonne journée,
Xavier

mardi 28 avril 2009

Le culte des livres. Paul Eudel (1882).



Cet article peut être lu en complément de celui-ci publié dernièrement.

"Le krack n'a pas touché les bibliophiles, me disait l'autre jour l'un des grands libraires de Paris ; les beaux livres sont plus que jamais recherchés et les recettes se font aussi bien que précédemment."

Les bibliophiles, en effet, flânent du côté du quai Voltaire ou dans les rues adjacentes. Ils vont aussi dans le passage des Panoramas, et, s'ils s'aventurent rue Vivienne, c'est pour aller à la Bibliothèque et non pour s'arrêter place de la Bourse.

Ils trouvent, dans leur douce et chère passion, toutes les émotions du jeu sans en craindre les terribles effets. Ils ont, à tout âge, les satisfactions de l'amour sans en ressentir toutes les amertumes. Ils éprouvent les âpres plaisirs de la chasse sans avoir à en subir les fatigues et les dangers. Leurs amis ne changent jamais. Ce sont des gens sages, je les aime, et comme je suis un peu des leurs, je vais leur consacrer ce chapitre.

Colbert, le comte d'Hoym, le duc de La Vallière, Gaignat, nous ont légué d'impérissables catalogues qui provoquent notre envie et forcent notre estime. Ils ne sont plus aussi, ces Brunet, ces Gabriel Peignot, ces Yemeniz, ces Pixérécourt, ces de La Bedoyère, ces Armand Bertin qui, par leurs ventes récentes, nous ont fait juger les objets de leur culte et de leurs études. Mais, dans ce livre, je ne parlerai que de ceux qui vivent encore, et qui tiennent le premier rang parmi les érudits et les délicats.

A tout seigneur, tout honneur. Le duc d'Aumale possède bien certainement le plus beau musée bibliographique du monde entier. Il a des trésors que la Bibliothèque nationale lui envie, malgré ses richesses. Pendez-vous, amateurs du charmant XVIIIe siècle C'est à Chantilly que se trouvent les Chansons de Laborde, premier valet de chambre du roi, gouverneur du Louvre, exemplaire unique ! Tiré sur peau de vélin, relié, avec les dessins de Moreau, de Lebouteux et de Le Barbier, acheté en 1865, 7050 francs, à la vente Radziwill.

C'est aussi le duc d'Aumale qui est devenu propriétaire de cette admirable bibliothèque d'Armand Cigongne, achetée sous l'empire, pendant son exil à Twickenham. Jules Janin a raconté qu'à leur arrivée en Angleterre, les caisses ne furent point souillées par les mains profanes des gabelous. "Entrez librement, dit le directeur de la douane de Londres, c'est l'usage en Angleterre de saluer les belles choses au passage."

Il faut placer ensuite le maître des maîtres, le baron Jérôme Pichon, l'auteur du Ménagier de Paris, le président de la Société des bibliophiles français, qui vient de publier un travail très remarquable sur le comte d'Hoym. Malgré une vente importante, la bibliothèque du quai d'Anjou renferme encore des richesses sans pareilles et les documents les plus précieux sur le siècle passé.

Le baron Pichon possède dans la chambre où couchait Lauzun, une certaine armoire en ébène qui contient de véritables trésors. Elle est là, près de son lit. Bien souvent il m'a dit : "Je veux mourir en jetant un dernier regard vers mes livres bien-aimés."

M. Dutuit, le Rouennais, à qui est arrivée cette étrange aventure : Il avait porté et laissé au Cabinet des estampes des eaux-fortes de Rembrandt dont il doutait. On devait les comparer avec les originaux. Par la force de l'habitude, un employé, dans un excès de zèle, sans se douter de rien, apposa dessus le timbre administratif. Savez-vous ce qu'il advint ? Lorsque M. Dutuit réclama son bien, il fut impossible de reconnaître les pièces fausses des épreuves vraies !

M. Bocher, le sénateur, a les exemplaires les plus beaux des livres du XVIIIe siècle. Tous reliés en maroquin ! Il n'en veut pas d'autres. Tâchez, vous qui me lisez, de vous procurer un exemplaire de son livre sur les dentelles, reproduction étourdissante qui va paraître et dont quelques volumes, tirés sur du papier arraché aux gardes des anciens ouvrages, tromperaient les Vénitiens du temps, s'ils revenaient ici-bas.

M. Ruggieri, l'artificier, a réuni des planches, des albums, des dessins, des in-folio sur les fêtes populaires nautiques ou autres des temps passés, puis, M. La Roche-Lacarelle et M. le comte de Lignerolles, les plus rares éditions de nos classiques. M. Guyot de Villeneuve et M. Quentin-Bauchard ont toutes les impossibilités possibles à trouver ; M. le comte de Mosbourg, les plus belles choses du siècle présent ; sans compter les millionnaires qui étaient en train de tout accaparer : Louis Rœderer, de Reims, et le baron James de Rothschild, disparus prématurément et dont la famille conserve les bibliothèques comme des mausolées élevés à leur mémoire.

Disons maintenant quelques mots de ces libraires qui ont vécu ou vivent encore côte à côte de tous ces érudits, sans oublier M. L. Pottier, mort le 9 février de l'année dernière et qui, au physique, ressemblait à Sainte-Beuve, l'un de ses meilleurs clients. Au moral, "c'était le type du grand bibliophile, de l'éminent bibliographe et de l'honnête libraire." Élève de J. Techener et de Crozet, successeur de Nozeran, au bout de cinquante ans d'un travail opiniâtre, il était arrivé à la fortune par la grande route de la probité et du savoir. C'était un chercheur persévérant qui savait, avec précision, dresser la notice raisonnée d'une bibliothèque. Ses catalogues passent pour des modèles. Ils sont encore aujourd'hui le catéchisme des bibliophiles. Aussi eut-il l'insigne honneur d'être choisi comme expert pour faire les ventes de Louis-Philippe, les 8 mars et 6 décembre 1852 ; de Sauvageot, le 3 décembre 1860 ; du comte de La Bedoyère, le 3 février 1862 ; du prince Radziwill, le 22 janvier et le 19 février 1866 ; du baron Pichon, le 19 avril 1869 ; de Huillard, le 14 février 1870 ; de Sainte-Beuve, le 21 mars 1870. Brunet le chargea, par un testament, de présider à sa vente.

Frappé dans ses plus chères espérances par la perte de son fils, il se retira des affaires en 1872 ; mais il dut, pour satisfaire à des engagements pris, rédiger les notices de la bibliothèque de J. Taschereau, administrateur général de la Bibliothèque nationale, composée d'ouvrages tourangeaux qui se vendirent 120000 francs, de celle de Lebœuf de Montgermont, 27 mars 1876, 575000 fr. et de celle de Rob. E. Turner, 12 mars 1878, qui comprenait un grand nombre de maroquins et qui atteignit 320000 francs.

Son ami, M. Labitte, dut faire ses dernières ventes par les catalogues qu'il avait préparés. Celui-là est aujourd'hui le Ch. Mannheim des curiosités bibliografiliques.

Depuis 1863, succédant à son père, Henri Labitte, il fait des ventes. Il est habile et obligeant. Je le vois sans cesse à l'hôtel Drouot, sur la petite table réservée pour l'expert, au bas de la tribune du commissaire-priseur, coter le prix des livres qu'adjuge Me Maurice Delestre, son fidèle acolyte, depuis la retraite de M. Delbergue-Cormont.

Je n'additionnerai pas le nombre incalculable d'exemplaires, in-folio gigantesques ou in-32 minuscules, qu'il a vendus. Ce serait une tâche ingrate et difficile ; mais je crois bien ne rien exagérer en disant qu'il lui est bien passé dans les mains pour une dizaine de millions de francs de bouquins, à l'hôtel Drouot ou à la rue des Bons-Enfants. Ce sont de belles campagnes! La vente de l'académicien de Sacy, bibliothèque austère comme l'homme, des bibles, des ouvrages de philosophie ou de théologie ; De Marescot, amateur très passionné des classiques bien habillés, 85000 francs ; Scbeffer, où se trouvaient un Télémaque, dans une reliure à l'oiseau de Derome, qui valut 15000 francs, et un Métastase in-4, avec les 35 figures des vignettistes les plus célèbres, qui fut payé 12000 fr. Cette bibliothèque fit 150000 francs. Martineau des Chesnets, 60000 fr. Elle contenait le Télémaque, avec les eaux-fortes, payé 3000, et un exemplaire des Métamorphoses d'Ovide, traduction de l'abbé de Banier, avec les gravures avant la lettre, adjugé aussi 3000 fr. Renard, 180000 fr. De Ganay qui, avec 255 numéros, arrive à 355000 fr. Jules Janin, 80000 francs. Bibliophile enragé, qui courait les fabriques, lui-même, afin de choisir les papiers sur lesquels il faisait tirer un exemplaire unique des livres modernes en souscription.

Depuis le commencement de l'année, M. Labitte, et un nouveau venu, M. Durel, se sont partagé la besogne, en attendant que M. Porquet arrive sur le lieu ordinaire du combat avec la bibliothèque de M. Gosseford, de Londres, qu'il vendra pour le compte du libraire Toovey ; ce qui pourrait bien être, avec les Maioli, les Groliers qu'elle renferme, le grand événement de la saison, comme le furent, en 1880, les deux ventes de M. de Bebague, qui produisirent la modeste somme de 675000 fr.

M. Porquet, expert, ne se dérange pas pour peu. Ego nominor Porquet. Il n'aime à frapper que les grands coups.

Suivons maintenant l'ordre chronologique des ventes dirigées par M. Labitte :

D'abord, du 12 au 14 janvier, petite vente anonyme dans laquelle les Chansons populaires de France reliées en maroquin citron, avec leurs couvertures, valent 505 francs.

Le 30 janvier, vente Peigné-Delacour, essentiellement archéologique. Trop de science! Passons et allons droit au résultat : 23000 francs.

Du 6 au 24 février, deuxième vente Sinety, 20000 fr. Livres lus et fatigués. Ouvrages sur la Provence. N'en disons pas davantage et faisons comme le rédacteur de la préface du catalogue, qui trouve le moyen d'alléger considérablement sa tâche, en laissant au lecteur le soin de découvrir dans le catalogue les raretés qu'il pourrait par hasard renfermer. Dans le cabinet D. (Van den Broeck), se trouvait le célèbre Voltaire de Beuchot, en grand papier vélin, enrichi de plus de onze mille huit cents pièces. 72 volumes en 89 ! Véritable monument élevé à la mémoire de Voltaire, comme les Pyramides aux Ptolémées d'Égypte.

M. Victor de Saint-Maurice s'était imposé cette tâche. Il avait fallu toute une existence de bibliophile pour faire ce travail colossal : œuvre de patience et de persévérance, s’il n’en fut jamais. Rien n'y manquait : plans, vues, sites, paysages, gravures. Les portraits seuls étaient au nombre de cinq cent trente et formaient un seul volume. Des titres anciens avaient été imprimés exprès. Acheté 5900 francs par M. Roblin, le marchand d'estampes du quai Voltaire, sans doute pour
casser les reins à tous ces gros billots et les détailler ensuite pièce par pièce dans sa clientèle.

Les livres ont leurs fluctuations comme la mode. Ils en subissent tous les caprices. Habent sua fata libelli. Rien n'est changeant comme leur destinée. Au commencement du siècle, vers 1810, apparaissent avec l'école de David, les amis de Didot qui recueillent tous les classiques En 1830 éclate la hausse des incunables ; on sauva de la destruction tout ce qui pouvait rester des romans de chevalerie.

En 1840, époque de la splendeur de Victor Hugo et de Lamartine, le vent souffle du côté de la poésie. On s'arrache Clément Marot et Ronsard, Mellin de Saint-Gelais et Bonaventure Desperriers.

De 1850 à 1860 paraît une génération nouvelle qui se tourne avec passion vers ces petits in-douze sortis des presses elzéviriennes, charmants petits volumes, spécimens parfaits de l'art typographique, vendus dans le temps un florin, souvent même beaucoup moins, on les recherches dans tous les coins, même dans les boîtes des quais où ils dormaient oubliés. Voici 1860, et une autre épidémie se propage. C'est l'époque du XVIIIe siècle. L'impératrice donne la note, et le concert commence. Tout est à la Marie-Antoinette. Plus de ces grandes bibliothèques, remplies d'in-folio. Elles tiennent trop de place ! Le Trianon n'était pas jadis si encombré. Il ne faut plus sur les tablettes qu'une cinquantaine de volumes charmants, reliés avec un goût exquis, racontant les galanteries de ce siècle de l'amour.

Le vrai bibliophile montre avec orgueil cinquante volumes, pas plus, tous ses livres ; mais ils valent cinquante mille francs.

Où irons-nous? Depuis quelques années, sans attendre que le siècle soit révolu, les éditions originales des romantiques de 1830 et des publications illustrées de Béranger, de Grandville et de Daumier font fureur lorsqu'elles sont brochées, intactes, avec leur couverture souvent illustrée. Si le livre n'a jamais été lu, s'il n'a pas été coupé, s'il a conservé sa virginité contre les brutalités du couteau à papier, alors il est sans prix.

Dernièrement, une édition princeps des Orientales a valu jusqu'à deux mille francs en vente publique!

La Société des Amis des livres a largement accentué ce mouvement. Les Minores, comme on les appelle, par opposition à leurs aînés les Majores, de la Société des Bibliophiles français, ont pour président M. Eugène Paillet, conseiller à la cour, fils du célèbre avocat. Ils comptent parmi leurs membres : M. Tual, le commissaire-priseur; M. Brivois, dont la bibliographie de l'œuvre de Béranger n'a pas peu contribué à l'élan actuel, et Mme Adam, Juliette Lamber, l'auteur de Grecque et la fondatrice de la Nouvelle Revue. Ils sont une cinquantaine. Leur intention est d'éditer, à nombre restreint, dans l'époque romantique, tout ce qui leur paraîtra intéressant. Ils ont commencé leur tâche. M. Eugène Paillet a été chargé de diriger l'impression de la Chronique de Charles IX, par Prosper Mérimée, avec 31 dessins pleins d'esprit et de mouvement, d'Édouard Morin, imprimée en 1876, chez Chamerot. Ce charmant bouquin a valu déjà 650 francs, dans une vente. Le second ouvrage, surveillé par M. Cherrier : Scènes de la vie de Bohème, de Murger, avec douze eaux-fortes très gracieuses et très fines d'Adolphe Richard, imprimé à 118 exemplaires, par Jouaust, a obtenu 250 francs, et le troisième, Fortunio, de Théophile Gautier, composé par les soins de M. Billard, chez Motteroz, avec des eaux-fortes de Milius, vient de se vendre, à l'hôtel Drouot, 285 francs.

M. Lucien Clément, l'un des fondateurs bien connu de cette société, a voulu, l'un des premiers, interroger le public sur le goût des livres du XVIIIe siècle. Il a fait vendre, par Adolphe Labitte, une collection à peu près complète des romantiques, qui a produit 27000 francs. C'est une passion nouvelle. Il n'y a plus à le nier.

Victor Hugo. Notre-Dame de Paris, la première édition, avec les bois de Tony Johannot : 311 fr., acheté par le libraire Rouquette.

Cet ouvrage humoristique : Scènes de la vie privée des animaux, paru en 1842, chez Hetzel, sous la direction de cet homme d'esprit, Stahl. Premier tirage, avec le prospectus de la publication et une notice sur J.-J. Grandville, par Ch. Blanc : 710 francs.

Les œuvres de Béranger, publiées par Perrotin, en 1834, avec le supplément et les figures sur chine : 635 francs. Les figures de Lemud„ sur chine, avant la lettre : 800 francs.

Les Chants et chansons populaires de la France, 1843, reliés sur brochure et non rognés, ont été vendus 640 francs. Les Français peints par eux-mêmes, de Curmer, 1840, ont été disputés jusqu'à 480 francs.

Monsieur, Madame et Bébé, ces charmants articles de Gustave Droz, parus dans la Vie Parisienne et réunis en un volume, chez Havard, en 1876, avec des illustrations d'Ed. Morin, un des rares exemplaires sur chine, 200 francs. Que vaudra donc un jour la collection de la Vie Moderne avec ses illustrations de premier ordre !

Les Français peints par eux-mêmes, de Curmer, 1840. Un exemplaire hors ligne, rarissime, le seul connu en cet état. Songez donc ! Les neuf premiers volumes brochés avec le Prisme, le précieux coloris des planches et les couvertures, sans taches dans leurs illustrations dorées, ont été disputés jusqu'à 480 francs.

La Peau de chagrin, de Balzac, qui se vendait. ordinairement 60 à 80 francs : 180 francs. Le Théâtre et la troupe de Molière, publié par Scheuring, de Lyon, 1864-1870, avec les charmantes vignettes de Hillemacher, exemplaire tiré sur chine, et, en outre, une petite plaquette in-8°, la Cérémonie du malade imaginaire, signée : Fred. Hillemacher editionnavit et bonhommarit, Lugduni, Perrin, 1870. 1600 francs, à MM. Morgand et Raton.

Fouillez tous dans les rayons de votre bibliothèque, et surtout dans les greniers de vos vieux parents de province, et retirez-en ces petits volumes publiés de 1840 à 1843, sous le titre de Physiologie, la Lorette, rehaussée des dessins de Gavarni ; le Bourgeois, par Henri Monnier ; la Parisienne, par T. Delord, le Bas-bleu, par Frédéric Soulié : Créanciers et débiteurs, illustré par Janet Lange ; Robert Macaire, par Daumier ; l'Homme marié, de Paul de Kock ; les Étudiants, avec les dessins de Trimolet ; Foyers et coulisses, par Jacques Arago, charmants livres édités par Charpentier, Aubert, de La Chapelle et beaucoup d'autres. Il y a ainsi une centaine d'opuscules charmants de verve et d'esprit. Cette histoire complète des mœurs du temps, groupée par M. Lucien Clément, a valu 345 francs. Les 27 et 28 février, même recherche et même entrain dans la vente de M. Lesorre, arbitre du tribunal de commerce, dirigée par M. Durel. Cette bibliothèque, faite avec les seules ressources du XIXe siècle, appartenait aussi à l'un des fondateurs de la Société des Amis des livres. Succès complet : 780 francs ! les Contes Rémois, édition de 1858, parue chez Michel Lévy, la première illustrée par Meissonier, papier de Hollande et figures sur chine : 230 francs ! l'édition originale de la Dame aux Camélias, d'Alexandre Dumas fils, parue en 1848. 2 volumes in-8 brochés avec leurs couvertures : 199 francs ! la première édition de Madame Bovary, Michel Lévy, 1857, en grand papier. Et toute la série des éditions originales de Victor Hugo, cartonnées, mais non rognées : Odes et poésies diverses, 1822, chez Pélicier, 240 francs. Han d'Islande, 1823, chez Person, 230 francs. Odes et Ballades, 1826, 200 francs. Bug Jargal, par l'auteur d'Han d'Islande, 30 francs. Cromwell, chez Dupont, 50 francs. Les Orientales, 1829, 210 francs. Hernani, 1830, 64 francs. Notre-Dame de Paris, chez Gosselin, 800 francs. Le même, chez Renduel, 1836 : 195 francs. Les Feuilles d'automne, 1832, 205 fr. Le Roi s'amuse, 1832, 125 francs. Lucrèce Borgia, 1833, 205 francs.

Et nunc erudimini. Cherchez et vous trouverez, bibliophiles en grain et en herbe !

Du 6 au 12 février, vente de M. P. G.-P., le banquier Gui Pellion, associé de la maison Bouvier frères et qui n'achetait que depuis quelques années. Le catalogue renfermait toute une série de bois très curieux, reproduction exacte de la première page de tous nos classiques : La série complète des douze pièces de Racine a été vendue 6120 francs, bien que les Plaideurs et plusieurs autres pièces fussent rognés. Racine changeait souvent d'éditeur. Très curieuses, ces éditions princeps! Elles se vendaient tantôt chez Gabriel Quinet, au Palais, dans la grande salle des Prisonniers ; tantôt chez Théodore Girard, du côté de la cour des Ayde, à l'Ennui (singulière enseigne de librairie !) ; ou chez Claude Barbin, au Palais, sur le second perron de la Sainte-Chapelle.

Les pièces originales de Molière, reliées par Trautz, étaient au nombre de quinze ou vingt. Deux ont été enlevées de 1000 à 1200 francs, malgré leur assez mauvais état de conservation. Le Tartufe, imprimé aux dépens de l'auteur chez Jean Ribov, au Palais, vis-à-vis de la porte de l'église de la Sainte-Chapelle, à l'image de Saint-Louis, été payé 2205 francs. Il valait dix sols à l'époque !
Toujours en honneur le XVIIIe siècle ! 3880 francs les chansons de Laborde reliées en maroquin, achetées par MM. Morgand et Fatout 3000 francs les Fables de Dorat, en 2 volumes, en grand papier et vêtues de vieux maroquin rouge : car si l'habit ne fait pas le moine, il donne une grande valeur aux livres. En tout, 115000 francs.

Allons, les bibliomanes ne sont pas encore en grève ! Si l'on présentait sur table des livres comme ceux de Didot, il se trouverait certainement des acquéreurs pour payer, comme en 1878, les Chroniques de Normandie, 51000 francs et, en 1879, le Missel de Charles VI, 76000 francs (1). Deux beaux coups de marteau !

Ce sont, du reste, les deux plus belles adjudications connues de mémoire de commissaire-priseur. On en parle encore dans les couloirs de l'hôtel Drouot.

(1) Ce dernier manuscrit, acheté par MM. Morgand et Fatout, a, depuis, été revendu deux fois. Il appartient actuellement au comte de Zoustain.

in Paul Eudel, L'hôtel Drouot en 1882

Pour évocation conforme,
Xavier

lundi 27 avril 2009

Des titres de livres par Octave Uzanne (encore lui...)


Tout est dans le titre !

Combien ne voit-on pas de gens, dit Peignot dans son Manuel du bibliophile, dupes du titre imposant d'un livre nouveau souvent très médiocre, ou du Charlatanisme de ces prospectus séduisants dont on nous inonde tous les jours, apprendre à leurs dépens, mais trop tard, à s'en méfier.

Le titre est la physionomie extérieure du livre ; c'est son affiche, sa profession de foi, son langage, c'est lui qui attire l'amateur, qui retient ses regards, qui le séduit tout d'abord ; c'est un ensorceleur et trop fréquemment un dupeur éhonté.

Le titre, c'est l'état civil d'un ouvrage, c'est presque l'ouvrage lui-même, c'est assez souvent la fortune d'une production littéraire, et quelquefois sa mise à l'index. On frémit en pensant à tout ce que peut évoquer un titre seul !
" Les titres des livres, écrit Voltaire dans ses Mélanges historiques (titre sérieux) sont comme ceux des hommes aux yeux du philosophe qui ne juge de rien par les titres. "

Tout lecteur est juge du livre qu'il lit, autrement il serait indigne de lire, mais lorsqu'un ouvrage est nouveau, il faut le juger sur sa bonne mine, l'acheter par flair et par on-dit, quitte à le condamner après lecture. Les écrivains romanciers, philologues, publicistes de toutes classes n'ignorent pas que le titre est l'amorce d'un- volume, aussi passent-ils des nuits blanches à chercher, à passer en revue, à soupeser par la pensée, à alambiquer les différents titres que leur suggère une imagination fiévreuse. Trouver un bon titre! Voilà le grand problème, le grand art de tous les temps et chez tous les peuples.

Les latins selon Pline tombèrent bientôt eux-mêmes dans ces extravagances et nos latinistes du moyen âge les imitèrent à qui mieux mieux, ce ne fut pendant un certain temps que titres prétentieux, de Thrésors des antiquités, Thrésor de la belle latinité, de Sucs des sciences, Moëlles de la philosophie, Miroir de Sapience, Pensées ingénieuses. etc., etc.; les Lullistes ou disciples du savant chimiste Raymond Lulle ont porté la folie des titres plus loin que qui que ce soit. Dans le catalogue de leurs ouvrages on trouve des : Art des Arts, Art universel, Art de ne rien ignorer, d'écrire et de parler de tout, L'Œuvre des œuvres, le Phare des sciences., la Voie Roiale pour toutes les Sciences et pour tous les Arts, et mille autres titres semblables, mais le plus curieux de tous, le plus singulier peut-être, le plus abracadabrant, pour employer le terme juste, est celui annoncé par Savonarola, qui promet de le remplir. Ce titre est ainsi rédigé : " L'Univers littéraire, où l'on trouve un abrégé de tous les livres et l'Histoire de tous les Auteurs dans toutes sortes de Sciences, d'Arts et de Langues depuis la naissance des Belles Lettres jusqu'à ce jour: avec l'Année, le Lieu et la Forme des Editions, les Commentaires, les Notes, etc. Extrait des Principales Bibliothèques du Monde rangé par ordre alphabétique et en forme de Table Générale des Matières; enrichi de Caractères Hébraïques, Cadaïques, Syriaques, Grecs, Arabes, Persans, Arméniens, Allemands, Ethtiopiens, Egyptiens quelquefois Italiens, Espagnols, François, Bohémiens, Hongrois, Anglais, Flamans et de ceux des autres Nations le plus souvent en Latin et' quelquefois en Langue Vulgaire, par. P. D. Raphael, Savonarola de Padoue, de l'ordre des Clercs Réguliers appelez Théatrins et professeurs en Théologie.

Au XVI et XVIIème siècle, les titres pompeux étaient fort à la mode dit Ludovic Lalane dans ses Curiosités Bibliographiques, on ne voyait alors que Boucliers, Châteaux, Palais, Trésors ou Théatres du monde, de l'honneur; du plaisir, de la vie humaine, etc. D'autres ouvrages portaient les noms plus modestes de Tableaux, de Jardins, etc. Guillaumet, Chirurgien de Henri IV a publié : Le Miroir des apothicaires en forme de dialogue (1607) la Ballade des Plantes ; la Ballade des Drogues tandis qu'il est des titres comme le Coupe-cul de la mélancolie de Béroalde ou le Cri d'un honnête homme qui se croit fondé à répudier sa femme (1768).

Quel nombre prodigieux de Cléz d'or ne trouvons nous pas à cette époque ! que de Méthodes Royales, d'Echelles du Parnasse, de Répertoires des Sciences, d'Inventaires du cerveau humain. Baillet, dans les Jugements des Savants (tom. 1. pp. 534 à fin) a consacré tout un chapitre aux Préjugés des titres des livres, on y trouve les plus plaisantes citations de titres incroyables avec les imitations qu'ils nous ont procurés ; Gabriel Peignot dans son Livre des singularités à également cité un grand nombre de livres remarquables par leurs titres.

Les ouvrages de dévotion au dix-septième siècle peuvent être distingués par l'originalité de leurs titres extravagants.

Il y a : La Porte Royale du Paradis, très-utile à chacun pour heureusement s'y rendre (1635) Le Pain cuit sous la cendre, apporté par un ange au prophète Elie pour reconforter le moribond." (1631) La Lampe de Saint Augustin et mouchettes de cette lampe ; Le fusil de la Pénitence avec l'allumette de l'amour de Dieu ; Les mèches allumées au feu divin ; Agrafes et Œillets pour les culottes des croyants ; Souliers à hauts talons pour ceux qui ne sont que des nains, dans la sainteté ; la seringue spirituelle pour les âmes constipées en dévotion (ce titre me réjoui !), etc. Il est curieux de consulter pour les titres d'ouvrages, le catalogue qui se trouve à la fin de chaque volume de la Bibliothèque française de l'Abbé Gouget.

Au XVIIIe siècle, les titres d'ouvrages sont prétentieux, pommadés ; ils se ridiculisent à force de quémander la singularité ; ils offrent le plus souvent une apparence libertine, un mystère plein de révélations ; c'est la science fallacieuse du titre dans tout son éclat. Si nous jetons un regard furtif sur les petites œuvres obscures de cette époque, nous lisons : Ah que c'est bête ! Sirop au cul ou l'Heureuse délivrance ; Mes bagatelles, ou les Torts de ma jeunesse ; Ma tante Geneviève, ou je l'ai échappé belle ; Honorine ou mes 22 ans ; l'Encyclopédie perruquière ; les Devirgineurs et Combabus ; les Bijoux des neuf sœurs ; l'Art de plumer la poule sans crier ; l'Amusette des grasses et des maigres ; le Je ne sais quoi, etc.

C'est surtout dans la Petite Bibliographie bibliographicoromancière de Pigoreau qu'il nous est loisible de parcourir la série des titres romanesques la plus curieuse ; il y a des romans de lettres, des romans pastoraux, des romans noirs à faire trembler l'ombre d'Anne Radcliffe, sous l'influence de leurs titres pompeux, Tous ces contes de brigands, de cavernes, de souterrains, tous ces mystères, ces ombres sanglantes, ces spectres funèbres portent des titres aussi grotesques que possible.

Un titre peut faire vendre un livre, mais il le ressuscite bien rarement.

On ferait un gros et intéressant volume de tous les exemples que l'on pourrait rapporter de la folie singulière des titres des Livres. Tous les jours la collection s'enrichit et il serait bon d'en dresser un nomenclature anecdotique et amusante.

Le Bibliophile le plus sage se laisse encore aller de temps à autre à acquérir des ouvrages dont le titre seul excite en lui une vague curiosité. Il y a là matière à un livre du plus vif intérêt, qu'on intitulerait : Histoire des titres de livres, singuliers, piquants, spécieux, curieux, particuliers, galants, extravagants, ridicules, etc.

Ne l'entreprendra-t-on pas ?

Octave Uzanne in Miscellanées bibliographiques.

Bonne journée,
Xavier (et Bertrand de plus loin)

dimanche 26 avril 2009

Portrait de bibliophile-libraire : Adolphe Labitte (1832-1882)



Un portrait de l'éminent bibliophile-libraire dont on peut lire encore aujourd'hui les catalogues érudits.

Fils et petit-lils de libraire, Adolphe Labitte naquit à Paris, le 1er janvier 1832. Son grand-père, Jérôme, avait été forcé, en 1792, d'abandonner ses fonctions de professeur d'humanités au collège Louis-le-Grand, fermé par ordre de l'autorité, et avait fondé une librairie classique, qu'il laissa en mourant, en 1844, à son fils Henri, qui la céda à son tour, en 1864, à son fils Adolphe.

Ce dernier avait suivi les cours du collège Saint-Louis, où il eut pour condisciples le bibliophile bordelais Reinhold Dezeimeris, Georges Duplessis, qui devint directeur du Cabinet des estampes, Léon Techener et Eugène Potier, ces derniers, comme lui, fils de libraires. En 1853, il fut envoyé à Londres et entra comme employé chez Barthes et Lowell. Puis il revint auprès de son père et s'appliqua à rédiger des catalogues de ventes aux enchères. Sa première grande vente fut celle de J.-Ch. Brunet, l'illustre bibliographe, qu'il dirigea, en 1868, avec L. Potier, le grand libraire du second Empire. Ce dernier, en se retirant des affaires, recommanda à sa nombreuse clientèle celui qui avait été l'ami intime de son fils, celui qu'il avait guidé de ses conseils et de son expérience, et qui, en échange, lui portait un attachement et un respect presque filial. Adolphe Labitte remplaça donc Potier au point de vue de l'importance des ventes publiques, de même qu'il lui succéda en qualité de Libraire de la Bibliothèque Nationale. En moins de vingt ans il dirigea environ 400 ventes aux enchères. Parmi les plus marquantes nous citerons celles de L. Potier, Sainte-Beuve, marquis de Laborde, Ruggieri, Guizot, Taschereau, A. de Musset, Th. Gautier, Marescot, Tross, Lebeuf de Monlgermont, Jules Janin, A.-S. Turner, Desbarreaux-Bernard, de Sacy, Reiset, Viollet-le-Duc, Quenlin-Bauchart, J. Renard, Bancel, etc. Il eut surtout la gloire d'attacher son nom à la vente la plus célèbre du dix-neuvième siècle, celle de la bibliothèque d'Ambroise Firmin-Didot.

Adolphe Labitte, avec ses favoris et ses lunettes d'or, avait l'aspect d'un notaire, mais loin d'avoir la gravité d'un officier ministériel il était toujours trépidant. Il ne reculait devant aucune fatigue, bravant les intempéries des saisons et déployant une ardeur et une activité fébriles. C'est ainsi qu'il montait sur les voitures de l'Hôtel Drouot lorsqu'elles venaient enlever les livres destinés aux enchères, aidait les commissionnaires à déballer les paniers, procédait au rangement des volumes, harcelant et gourmandant de sa voix de fausset l'employé qu'il avait emmené pour l'aider. L'après-midi à l'Hôtel, le soir aux Salles Silvestre, il était partout sur la brèche, ne ménageant ni son temps, ni sa peine. Mais c'est ainsi, qu'oubliant la limite des forces humaines, il usa rapidement son corps.

Un soir d'hiver, en 1880, sortant de la rue des Bons-Enfants, il prit froid en traversant la Seine, et depuis cette date les maladies ne cessèrent de l'assaillir. Il leur tint tête avec un courage poussé jusqu'à la témérité, et lui, si bienveillant pour tout le monde, fut d'une rare dureté pour lui-même, afin de ne point alarmer les siens. Quoique brisé par la souffrance, il voulut néanmoins assister à la quatrième vente de la bibliothèque Didot, mais il dut y renoncer après les deux premières séances et se faire remplacer par son fidèle collaborateur Em. Paul. Il succomba le lendemain de la dernière vacation, le 19 juin 1882, à l'âge de cinquante ans. On peut dire qu'il mourut avec honneur sur le champ de bataille même, laissant un grand vide dans sa profession et, comme le dit devant sa tombe Gustave Pavlowski, « léguant à sa veuve et à ses enfants le plus précieux des biens, un nom sans tache, entouré de l'estime universelle ».

in Le Bulletin du bibliophile, 1939

Bonne journée,
Xavier

samedi 25 avril 2009

La voix de son maître... ou petite correspondance d'un bibliophile à son relieur (1908).


Cher(e)s ami(e)s vous savez ma tendresse et mon admiration pour cet homme sans qui la bibliophilie fin de siècle (entre 1880 et 1890 environ) n'aurait sans aucun doute pas eu le même visage d'innovation et de réjouissances bibliomaniaques.

Je n'aurai pas eu à batailler bien ferme pour obtenir cette sympathique carte, à croire qu'Uzanne ne passionne plus les foules. Eh bien tant mieux ! (pour moi et pour vous).


Voici la transcription du texte :

62 bd de Versailles.
St-Cloud-Montretout
(S & O)

St-Cloud. 11. X 08.

Cher Monsieur Prouté,
je suis de retour à St-Cloud. J'espère que vous pourrez m'y apporter ou envoyer, au plus tôt, mon petit lot de livres, remis en août, de façon à ce que je puisse vous donner un nouveau stock d'ouvrages qui seraient à livrer avant le 20 novembre, date de mon départ pour le midi.
Mes bons souvenirs et bien à vous,
Octave Uzanne

J'étais persuadé, de ce que j'avais lu et ressentis, que le brave Octave Uzanne avait un peu mis en veilleuse sa lubie bibliophile après sa vente de livres. Je m'étais trompé visiblement, en 1908, Uzanne continue à s'intéresser aux livres, à leur faire donner de beaux habits.

Je n'ai encore jamais rencontré de reliures signées Prouté de la bibliothèque d'Octave Uzanne. Il ne faut pas désespérer...

Bonne journée,
Bertrand (depuis le sud de la France)

vendredi 24 avril 2009

Un ex libris bibliomaniaque du XVIIIe siècle ?


Chers ami(e)s,
je vous offre ce bel ex libris découvert ce matin dans un volume imprimé en 1660 à Liège. C'est un in-4. La reliure en vélin blanc semble plutôt du XVIIIe siècle et l'ex libris également à ce que je crois. L'ex libris est signé et on peut lire deux initiales dans la gravure sur un livre LB.


Mais quel est cet ecclésiastique érudit au milieu des livres de sa bibliothèque, très richement fournie ? On lit en bas la devise latine IN TALI NUMQUAM LASSAT VENATIO SYLVA

Nos amis de l'AFCEL pourront peut-être nous aider à le découvrir. Je relaye ce message sur leur blog.

En même temps je crois bien qu'en cherchant un peu... mais l'image était trop belle pour ne pas vous en faire partager la découverte.

Bonne nuit,
Bertrand

jeudi 23 avril 2009

Identification d'un atelier de fabrication d'un papier décoré du XVIIIe siècle : Est-ce possible ?


Changeons de sujet, après avoir essayé d'identifier un atelier de fabrication de reliure estampée du XVIe siècle outre manche (les investigations restent en cours grâce au courage et à la curiosité de Martin), passons aux papiers décorés.

Chaque nouvelle arrivée sur mes rayons est prétexte à vous livrer un petit billet. Aujourd'hui, c'est un volume imprimé en 1781, relié en maroquin vert, qui a retenu mon attention. En effet, les doublures et les gardes volantes sont faites d'un très joli papier parsemé d'étoiles d'or. On rencontre à vrai dire ce type de papier dans de nombreux volumes bien reliés entre 1760 et 1780, notamment pour les exemplaires reliés en maroquin.

Ce qui a attiré mon attention sur ce papier précisément dans cet exemplaire, c'est une chose que je n'avais encore jamais rencontré pour ce type de papier, à savoir, en bordure de papier (marge extérieure), on peut lire en décor et en lettres capitales également en or, quatre mots espacés. Malheureusement, comme le bord de la feuille a été légèrement rogné à cet endroit, on a bien du mal à lire...

Je vous montre la page en entier, puis en dessous, le détail de chaque mot.


Vues de détail des mots en bordure de la feuille de papier décoré.






Évidemment ces inscriptions indiquent l'atelier de fabrication du papier.

J'avoue ne rien lire de probant, même si pour le dernier mot on serait tenté de lire IOHANN.

Et vous, que lisez-vous ? Avez-vous une idée sur le lieu de fabrication de ce type de papier étoilé ?

PS : le lieu d'impression ne nous renseigne guère car c'est une impression de "BRUXELLES" sans nom d'éditeur, et il s'avère que l'impression doit en fait être parisienne (recherches en cours).

Bonne nuit,
Bertrand

mercredi 22 avril 2009

Du prix des reliures éditeur (suite et fin). Cartonnages de la collection Nelumbo.



Sur une idée de Valérie, fidèle lectrice, et pour rester sur le prix des reliures éditeurs à la fin du XIXe siècle, faisant suite à nos deux billets précédents, voici ce qu'on pouvait lire dans le très intéressant catalogue de la collection Nelumbo, petite collection très esthétique fin de siècle et qui fut publiée par les soins de E. Dentu.

Ce catalogue, que l'on ne rencontre pas souvent pour ne pas dire jamais a été reproduit en entier par les soins de la BM de Lisieux dont beaucoup je pense ici connaissent déjà le site que je rappelle pour mémoire :

Site de la BM de Lisieux

Page consacrée au catalogue Nélumbo (E. Dentu)

Que lit-on dans ce catalogue qui peut nous intéresser ici concernant les reliures (ici cartonnages) ?

"Les volumes de la «Petite Collection Guillaume», in-8° nelumbo, sont illustrés par Conconi, Fournier (Grand Prix de Rome), Gambard, Marold, Mittis, Rossi, etc., et imprimés sur papier de luxe, des fabriques de MM. Outhenin-Chalandre. Les caractères elzéviriens sont gravés spécialement pour cette Collection.
Couverture en trois tirages, illustrée d'une sanguine.

Broché. Prix.......... Fr. 2
Cartonné. Prix.......... Fr. 2 50

Il est tiré, de chaque ouvrage, quelques exemplaires sur les incomparables vélins de cuve des papeteries du Marais. Le papier contient dans sa pâte, en filigrane, les mots : Petite Collection Guillaume.

Vélin, broché. Prix.......... Fr. 3
*
CES VOLUMES
ont été imprimés, gravés, brochés et reliés
dans les ateliers de Edouard Guillaume
Editeur-Imprimeur de la Collection Guillaume
105, boulevard Brune, 105
PARIS

Notre "Cartonnage"
NELUMBO

Nous avons hésité longtemps à offrir, autrement que brochés, les volumes de la Petite Collection Nelumbo.

De nombreuses lettres de nos abonnés nous ont signalé les inconvénients du brochage pour des livres aussi fragiles. Il est de fait que ces petits volumes, frais et gracieux au sortir de nos ateliers, ne sont plus que des chiffons sales et informes quand ils arrivent, après bien des péripéties, aux mains de l'acheteur, qui leur donne le coup de grâce en en coupant quelquefois les feuillets avec son doigt ou un bout d'allumette.

D'autre part, les Bibliophiles aimant à faire relier eux-mêmes leur exemplaire, le problème se posait donc ainsi pour satisfaire tout le monde :
1° A côté des exemplaires brochés, créer un cartonnage de protection, solide, résistant aux chocs, aux ficelles de l'empaqueteur, aux bousculades de l'étalage
2° Dorer la tête du livre pour éviter au lecteur de couper les pages.
3° Coudre assez solidement pour ouvrir le livre sans le casser.
4° Cependant ne pas ébarber ni rogner, et laisser l'exemplaire à l'état de livre broché, en attendant la reliure définitive que fera faire, par la suite, le propriétaire du volume.
5° Sur le plat, comme motif décoratif, un Nelumbo d'or, (fer dessiné par Mittis).

Les amis du livre préfèreront bien vite se procurer leur exemplaire ainsi protégé : ils pourront attendre, aussi longtemps qu'ils le voudront, le moment de le mettre entre les mains de l'artiste chargé de faire sa dernière et définitive toilette sans craindre l'eau, la poussière, le soleil, tous les subtils ennemis du livre.

Nous inspirant de ces nécessités, nous avons créé le cartonnage Nelumbo, que nous mettons à la disposition des acheteurs de la Petite Collection au prix de 0 fr. 50 en plus du prix fort, soit 2 fr. 50 l'exemplaire."

Nous sommes plus proche ici de la reliure industrielle que de la reliure de bibliophile, unique, faite pour un amateur précis, mais tout de même, on sent une préoccupation pour le bibliophile, c'était le temps ou "industrialisation" ne rimait pas forcément avec "déshumanisation"... Les temps changent.

Votre avis sur la question ? Connaissiez-vous ces petits cartonnages ? Cette collection pour dames (sourire) ?

Bonne journée,
Bertrand

mardi 21 avril 2009

Du prix des reliures éditeur (suite).


Quand un sujet est lancé... il faut savoir le laisser sur le pavé... et le battre (le pavé).


L'ami Raphaël m'envoie les tarifs ci-dessous, et qui se trouvent à la fin du volume :

"Illustrations photographiques pour Horace. Traduction de M. Jules Janin. Paris, L. Curmer. 1861."

Je vous laisse regarder.


Cliquez sur l'image pour l'agrandir

Pour le confort visuel de tous, voici ces informations recopiées :

RELIURES

La Librairie L. Curmer se charge de faire relier le volume de la traduction d'Horace, par M. Jules Janin, aux prix suivants :

Demi-reliure à coins, dos orné, ébarbé, doré en tête..... 5 fr.
Reliure pleine janséniste, maroquin écrasé, doré sur tranche, gardes en papier.... 10 fr.
La même reliure, avec dorure au dos, filets or sur les plats.... 15 fr.
La même, avec dentelle ornée sur les plats, dorure au dos très-ornée, tranche marbrée et dorée.... 20 fr.

EN HUIT JOURS
-------

RELIURES DE LUXE

FAITES PAR M. HARDY ET SIGNÉES

Demi-reliure à coins, dos orné, ébarbée, dorée en tête.... 8 fr.
Reliure janséniste, maroquin écrasé, doré sur tranche, gardes de papier.... 20 fr.
Reliure dos orné, avec filets en or sur les plats.... 25 fr.
Reliure avec dentelle ornée sur les plats, dorure au dos, très ornée, tranche marbrée et dorée.... 40 fr.

EN TROIS MOIS

On en déduirait presque (hâtivement) que pour une même reliure (le plus luxueux modèle), non signée et signée de Hardy, le prix varie du simple au double, à savoir 20 fr. pour une reliure de qualité mais non signée et 40 fr. pour la même mais portant la griffe de Hardy. La qualité dans les deux cas est-elle si différente ?

En tous les cas, pour une reliure signée le délai est de 3 mois contre 8 jours seulement pour une reliure non signée. Mais qui pouvait bien réaliser les reliures non signées ? Atelier semi-industriel ? Petites-mains ?

Si vous détenez d'autres tarifs de ce genre, il serait intéressant de les mettre en ligne.

Bonne nuit,
Bertrand

lundi 20 avril 2009

Du prix des reliures éditeur. Librairie L. Borel, 1902.



Cher(s) ami(e)s,

Le hasard me met entre les mains un volume édité par la maison de librairie L. Borel sise à Paris, au 21 du quai Malaquais, en 1902.

On trouve à la fin du volume un prospectus intéressant qui indique les nouveaux ouvrages parus à cette librairie, mais également, et c'est ce qui nous intéressera aujourd'hui, un "Prix des reliures", comme suit :


Un exemplaire relié à la bradel (cartonnage ?), tête dorée à 6 francs, une demi-reliure à coins, filets dorés, tête dorée à 8,50 francs (mais quel cuir ?), enfin un maroquin plein, fer spécial sur le plat à 13,50 francs.

Tandis que les volumes de la collection étaient vendus à 3 francs 50 centimes brochés sur papier ordinaire. Un tirage spécial à 10 exemplaires sur Chine et à 10 exemplaires sur Japon se vendait 25 francs.

Sans grand intérêt me direz-vous... si ce n'est qu'il est toujours intéressant , à mon sens, de faire le rapport entre les choses.

Ces petites informations disséminées dans les prospectus de librairie, étudiés de plus près et collectés en grand nombre, nous permettraient de faire une étude intéressante sur le sujet.

Bonne semaine,
Bertrand

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