mercredi 29 avril 2009

Auguste Poulet-Malassis, un éditeur engagé au XIXe siècle.



L'article suivant sur le célèbre éditeur m'a été inspiré par un article du comte Guy de Contades, et puisé dans la revue le Livre dirigée par Octave Uzanne.

Depuis trois siècles les Malassis imprimaient à Alençon, à Brest et à Rouen des livres de religion, de philosophie et d'amour. Le 16 mars 1825, Auguste Poulet-Malassis vint au monde à Alençon, il naquit imprimeur, comme l'on naît poète. Le père Malassis, endormi dans la routine de l'imprimerie héréditaire, avait pour plus grand labeur de préparer paresseusement chaque semaine la composition du Journal de l'Orne. Dans la feuille qui frappa la première ses regards, l'enfant ne trouva donc rien de cette littérature délicate, de cette élégance typographique, qui devaient être un jour sa passion et sa vie.

Poulet-Malassis fut mis au lycée d'Alençon comme son père l'avait été. Lauréat du collège d'Alençon et imprimeur de la préfecture, tel avait été le père ; tel devait être le fils. Comme on le verra, iI n'en fut pourtant rien l'art et la fantaisie dérangèrent tout cela. L'amour des livres et des lettres se ; déclara en Malassis dès qu'il eut quitté le collège. Presque, aussitôt il écrivit son premier article et édita sa première réimpression. Tout alors, en France, était à la renaissance. Le premier article de Malassis fut donc renaissance et eut pour objet Bonaventure Despériers, le valet de chambre de Marguerite d'Angoulême. Sa première réimpression fut aussi dans le goût du temps ; c'était celle de l'épître adressée à la même Marguerite par les rossignols du parc d'Alençon, le parc ombreux aux amoureuses aventure. Les travaux de ce genre suffirent d'abord à ce que l'esprit de Malassis avait d'actif et de chercheur; mais sa cervelle contenait quelque chose d'utopique et de paradoxal, qui réclama bien vite un autre aliment. Des idées démesurément vastes s'agitaient déjà tumultueusement dans sa tête.



Inquiets d'une semblable exubérance de pensée, les amis de Malassis tentèrent alors de diriger sainement ses travaux et l'attachèrent à une importante publication, convenant à merveille à ses goûts artistiques. C'était celle de l'Orne archéologique, beau volume auquel il collabora avec M. de la Sicotière. Il atteignit ainsi, occupé de travaux locaux, l'époque à laquelle il fut admis à l'École des chartes. L'École des chartes, c'était encore le travail, mais c'était aussi Paris avec tout ce qu'il avait de séduisant et de dangereux pour une nature exaltée comme celle de Malassis. Curieux et sensuel, il devait fatalement donner dans tous les excès du corps et de l'esprit, aller, dès le premier jour et sans s'arrêter, aux exagérations politiques et littéraires. Vint la révolution de 1848. Sous Louis-Philippe, Malassis n'était que républicain ; sous la République, il se déclara socialiste. Ce fut alors qu'il fonda l'Aimable faubourien, avec Alfred Delvau et quelques autres cerveaux en feu. L'Aimable faubourien, journal de la canaille, parut le ter juin 1848. Sa rédaction incendiaire excita le courroux d'une certaine Mme de Chéret qui lui donnait gîte dans un de ses immeubles ; l'Aimable, mais redouté Faubourien reçut, en conséquence, sur-le-champ son congé. Il trouva alors asile chez un Figaro révolutionnaire de la rue Mazarine, qui lui loua sa boutique à la condition « qu'il ferait la barbe aux aristocrates ». La sinistre petite feuille n'eut plus, au reste, qu'un numéro. La fusillade de l'émeute éclata quelques jours après et, au lieu de faire la barbe aux aristocrates, l'on jugea à propos de leur tirer dessus. Poulet-Malassis fut arrêté les armes à la main et allait être fusillé, quand un peintre de ses amis, M. Oudinot de la Faverie, parvint à lui sauver la vie. Transporté au fort d'Ivry, puis sur les pontons de Brest, il ne fut mis-en liberté que le 23 décembre 1848, à la requête de M. Druet des Vaux, député de l'Orne.

Le martyr, sain et sauf, mais non converti, fut enfin réintégré à l'École des chartes qu'il ne quitta plus que pour revenir au pays.

Il se remit à l'imprimerie et reprit le Journal d'Alençon ; mais, sous cette direction nouvelle et jeune, imprimerie et journal cessèrent d'être les mêmes. Au bas de la feuille départementale parurent de petits chefs-d’œuvre d'érudition et de style, signés Louis Lacour et Charles Asselineau. De l'imprimerie de la place d'Armes, où des amis connaisseurs adressaient des manuscrits de choix, "sortit alors tout un bataillon de livres qui feront toujours honneur à la littérature contemporaine et à la typographie française ". C'est à Alençon, en 1854, que fut imprimé entre autres, le premier opuscule de Charles Baudelaire, la Philosophie de l'ameublement.

La résignation de l'imprimeur alençonnais à l'existence de province, régulière et monotone, était, en effet, plus apparente que réelle. Il souffrait de vivre dans une petite ville, loin de ses artistes et loin de ses poètes, loin des marchés d'esprit dont les productions ne lui parvenaient que vieillies. Bientôt il n'y tint plus, et, s'associant à. M. de Broise, son beau-frère, il s'en fut à Paris tenter la fortune, comptant bien que la foule allait accourir chez lui pour échanger son or contre des livres modèles, remplis de beaux poèmes et de fines vignettes, plaisir de l'esprit et plaisir des yeux.

En 1857, la librairie Poulet-Malassis et de Broise s'ouvrit à Paris, au 4 rue de Buci. L'imprimerie devait rester toujours à Alençon ; à Paris l'on se bornerait à guetter et à obtenir les manuscrits des maîtres les plus hardis. Envoyés à Alençon, ils en reviendraient magnifiquement parés, et, de la vitrine de la rue de Buci, attireraient le passant par leurs beaux atours et par leurs titres effrontés. L'important, pour Malassis, était de bien commencer ; son coup d'essai fut, par bonheur, un coup de maître. Le premier livre qu'il édita, un chef-d’œuvre, eut, en outre, la réclame d'une retentissante
condamnation. Il avait pour titre : les Fleurs du mal ; pour auteur, Charles Baudelaire. Les lettres échangées, à cette occasion, entre l'auteur et l'imprimeur sont particulièrement curieuses. Elles nous montrent Baudelaire, l'audacieux penseur, se laissant arrêter comme un écolier par des minuties de versification et peinant pour donner à son œuvre une forme accomplie : "Je m'escrime, écrit-il à Malassis, le 14 mai 1857, contre une trentaine de vers, insuffisants, désagréables, mal faits, mal rimant. Croyez-vous donc que j'aie la souplesse de Banville ! "

L'exécution typographique des Fleurs du mal était parfaite, et auteur et imprimeur se félicitaient de leur ouvrage, quand le nouveau volume, à peine publié, fut saisi : Ce fut, pour Baudelaire et pour Malassis, une réclame énorme de scandale, dont Baudelaire, que l'on s'étonne toujours de trouver timoré, n'apprécia point tout d'abord la valeur. Il ne songea, dans un premier moment d'affolement, qu'à mettre à l'abri la précieuse édition : " Vite, cachez, mais cachez vite toute l'édition; vous devez avoir 900 exemplaires en feuilles. Il y en avait encore 100 chez L...; ces messieurs ont paru tout étonnés que je voulusse en sauver 50. Je les ai mis en lieu sûr et j'ai signé reçu. Restent donc 50 pour nourrir le cerbère Justice. ...Je viens de voir L... et V...; ils ont poussé la platitude jusqu'à faire la remise de la librairie à "M. l'inspecteur général de la presse ", pour le séduire ! ! !, Bien à vous. Charles Baudelaire "

Poulet-Malassis flétrit sans doute, comme Baudelaire, la platitude de MM. L... et V...; mais il pensa peut-être que l'auteur des Fleurs du mal n'avait guère le droit de s'en plaindre, lui qui employait ses exemplaires de choix à tenter d'apitoyer d'impitoyables patrons : J'aurai le regret, écrivait Malassis à Charles Monselet, de ne pouvoir vous donner qu'un exemplaire sur papier ordinaire des Fleurs du mal. Au moment de la saisie, Baudelaire a mis la main sur tous les exemplaires papier fort et les a adressés comme moyens de corruption à des personnages plus ou moins influents. Puisqu'ils ne l'ont pas tiré d'affaire, je crois qu'il ferait bien de les leur redemander !

On le sait, les Fleurs du mal furent, en effet, condamnées le jeudi 20 août 1857. Cette condamnation mit en évidence ce grand et beau livre ; elle poussa Baudelaire dans le chemin de la célébrité, et il y tira quelque peu son imprimeur après lui.

Après un scandale de vers, vint un scandale d'histoire. La librairie Malassis était alors installée rue des Beaux-arts, 9. Louis Lacour, publia chez Malassis le texte intégral des Mémoires du duc de Lauzun. Ce fut pour Poulet-Malassis l'occasion d'une seconde et bruyante condamnation. Elle ne fit qu'accroître encore sa renommée, mais elle lui imposa pour l'avenir le devoir d'être prudent.

Il n'en continua pas moins à rechercher la clientèle des auteurs frondeurs et militants, mais il se fit désormais une loi de modérer par de sages conseils et de pallier par d'utiles coups de ciseaux ce que leur hardiesse pourrait avoir de trop téméraire.

En parcourant le catalogue répandu par Malassis à cette époque, l'on voit que le bagage littéraire renfermé dans sa boutique était plus riche que celui de toute autre librairie parisienne. Au mois d'octobre 1859, son catalogue annonce en effet : les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire ; les Poésies complètes, de Théodore de Banville ; les Émaux et camées, de Théophile Gautier ; les Oubliés et les dédaignés, la Lorgnette littéraire et les Tréteaux, de Charles Monselet, sans compter des ouvrages triés sur le volet, de Champfleury, Asselineau et Aurélien Scholl.

Poulet-Malassis éditait, en un mot, tout ce que la fleur des poètes et des humoristes écrivait de délicat et d'original. Pour une semblable clientèle, il comprit qu'il fallait un local nouveau. Une boutique de la rue Richelieu se trouvait justement libre. Elle fut louée de suite, et Malassis s'adressa, pour la décorer, aux artistes qu'il savait si bien associer, dans ses livres, aux écrivains dont le talent était parent du leur. Au-dessus d'élégantes bibliothèques de chêne, se détachait une suite de médaillons peints à la fresque sur fond brun, représentant une partie des auteurs édités par la maison, Monselet, Hugo, Théophile Gautier, Champfleury, Théodore de Banville, Baudelaire, Babou, Asselineau. Dans la boiserie qui surplombait le comptoir s'enchâssait un cartouche émaillé, représentant le blason de titre de la maison, un caducée tenu par deux mains dans un ovale, avec la devise CONCORDIÆ FRUCTUS.

(Le Rabelais de poche à Alençon chez Poulet-Malassis et de Broise, 1860, in-12)

Il fallait un moniteur à cette petite académie : ce fut la Revue anecdotique. Poulet-Malassis la dirigea en 1862. Tous les mots du boulevard y étaient consignés, et souvent, entre deux boutades, l'on y émettait sur les hommes et les choses d'art les jugements les plus neufs et les plus courageux.

Quand, le soir, la boutique était fermée ; quand la toile était tombée sur les causeurs, rue Richelieu, elle se relevait, rue des Martyrs, sur les buveurs de la célèbre brasserie. Il aimait la société de ces jeunes qui voulaient conquérir Paris avec leur crayon ou leur plume, de ces arrivés qui se rengorgeaient plaisamment dans leur boursouflure vaniteuse, de ces ratés eux-mêmes qui, parfois et sans dire gare, savaient encore vaillamment faire feu.

L'un de ses compagnons préférés était Albert Glatigny (1). Il pansait chaque soir les plaies saignantes de l'histrion, en appliquant au rimeur de légitimes louanges. Aujourd'hui Glatigny est mort (1839-1873), Malassis l'est comme lui, et de ces buveurs sensuels et païens de la rue des Martyrs il ne reste plus que quelques survivants. Encore vont-ils s'éclaircissant chaque jour, et l'on pourra bientôt dire des habitués de la Grand' Brasserie ce que Châtillon, l'un de ses fidèles, chantait jadis de ceux de la Grand' Pinte :

L'un mort, il en restera trois,
Puis deux, puis un, et puis, je crois,
Après .........Personne!

(1) de Galtigny, on lira utilement : Antres malsains ; Joyeusetés galantes et autres du Vidame Bonaventure de la Braguette, 1866 ; Scapin maquereau (où un passage au bordel est indispensable pour que Lucinde, avant d'épouser Pignouflard, apprenne à se laver...) ; la Sultane Rozréa, 1870, " La Sultane Rozréa, ballade traduite de lord Byron par Exupère Pinemol, élève du petit séminaire de la Fère-en-Tardenois (Oise) ".

Le magasin si artistique de la rue Richelieu, le temple de la littérature neuve et hardie, mal défendu par une avant-garde d'écrivains dont l'audace jetait l'effroi dans les bourgeoisies intellectuelles, fut fermé un beau matin comme la plus vulgaire boutique.

L'éditeur de livres invendus alors, qui se vendent à présent fort cher, dut quitter ce Paris où il avait conquis sa noblesse artistique, noblesse, hélas! du royaume de Bohème, déjà ruinée avant d'être ancienne.

Malassis fut emprisonné pour dettes durant 5 mois…et en automne 1863, à 38 ans, il part pour Bruxelles. Durant sa période Bruxelloise il publia sous le manteau environ 80 titres : propagande anti-impérialiste, curiosa, textes pornographiques des auteurs anciens et modernes, littérature de combat… on se reportera à l’ouvrage de G.Oberlé, voir en fin de l’article.

Auguste Poulet-Malassis à Bruxelles, Septembre 1863-Mai 1871. Le désastre fut tel qu'il fallut se rendre à Bruxelles. La Belgique avait alors, comme elle l'a encore aujourd'hui, la spécialité de livres ultra galants, où le cru du texte n'a d'égal que le nu des figures. Ces livres, généralement tirés à petit nombre, ont une clientèle assurée de jeunes et de vieux lecteurs, débutants ou bien retraités d'amour. Souvent brûlés à la veille d'un mariage ou au lendemain d'un décès, ils deviennent de suite rares et sont bientôt introuvables. Il fallait d'ailleurs avoir de l'argent pour vivre, et, à Bruxelles, ce n'était que dans cette littérature trouble et troublante que l'éditeur ruiné croyait pouvoir en pêcher. 1l n'hésita donc pas et se mit sans vergogne à l'œuvre. A la boutique, dans un instant de dévergondage ; à la brasserie dans le dévergondage de tous les instants. Toujours l'oreille au guet et la plume prête, Malassis avait tout copié ou tout retenu. Il apportait donc, au fond de son sac, en arrivant à Bruxelles, une cargaison de pièces libres provenant des meilleurs crus, avec laquelle il était certain de battre bientôt monnaie. Il trouva marchand pour elle. Un connaisseur émérite en productions de ce genre, M. Jules Gay, se trouvait alors en Belgique. M. Gay avait fait le tour extérieur de la France, transportant successivement, et quelquefois hâtivement, ses presses clandestines de Turin à Genève et de Genève à Bruxelles. Il connaissait à fond la littérature galante de tous les pays et de tous les temps, et pouvait apprécier, mieux que tout autre, la valeur des matériaux apportés par Malassis. Il conçut l'idée d'en former un recueil, le Parnasse satyrique des contemporains les plus célèbres. Il était entendu avec M. Gay que le Parnasse satyrique du XIXe siècle ne, serait tiré qu'à cinq cents exemplaires. Malassis, pressentant un succès, fit dépasser le tirage convenu. M. Gay s'en offensa et n'eut plus d'autres relations avec lui que de se charger de la vente de quelques-uns de ses livres. Poulet-Malassis fit alors rencontre, à Bruxelles, d'un homme conduit en Belgique par des revers semblables aux siens, ayant aussi le goût des publications licencieuses, mais sans avoir autant que lui l'excuse de l'amour de l'art. C'était M. Alphonse Lécrivain. Malassis s'associa à lui pour l'incessante publication d'ouvrages d'une nature clandestine, et ils allèrent à cet effet s'installer à Ixelles. Malassis publiait, Lécrivain débitait ses livres. Citons, entre autres, la réimpression des Œuvres satyriques de Corneille Blessebois. Poulet-Malassis avait, depuis sa jeunesse, un véritable culte pour le fantaisiste Alençonnais, son compatriote. Il rêvait, en Belgique, de rééditer ses œuvres complètes, sûr de trouver des acheteurs pour elles dans sa clientèle d'amateurs de livres galants. Dès son arrivée à Bruxelles, il fut heureusement servi par les circonstances. Le 15 mars 1863, quatre des plus rares ouvrages de Corneille Blessebois étaient inscrits sur le catalogue d'une vente. L'eau en vint aussitôt à la bouche de Malassis ; mais l'argent n'en vint pas pour cela dans sa poche. Il eut recours alors aux ruses de son pays, et, ne pouvant conquérir les volumes convoités au feu des enchères, il corrompit le commis de librairie préposé à la garde des précieux opuscules. En une nuit le texte qu'il voulait reproduire fut copié. Est-ce châtiment de cette supercherie ? Est-ce simplement mauvaise fortune ? Il ne put jamais découvrir l'exemplaire unique d'une comédie de Blessebois, la Corneille de Mlle de Scay, qu'il demanda vainement aux échos des bibliothèques publiques et privées.

([Anonyme] l'Art priapique. parodie des deux premiers chants de l'art poétique par un octogénaire Namur, à l'enseigne de Boileau Dindonné [Bruxelles, Poulet-Malassis]
MDCCCLXIV, in-12, couverture grise muette)

(Voisenon (abbé) Exercices de dévotion de M. Henri Roch avec Mme la duchesse de Condor par feu l'abbé de Voisenon de joyeuse mémoire et de son vivant membre de l'académie française
ed. revue et corrigée sur l'édition originale, sans lieu, ni date et sur l'édition de Vaucluse, 1786
Amsterdam, aux dépens de la compagnie [Bruxelles, Poulet-Malassis, 1864], in-12)

Malassis eut pour compagnons, en Belgique, deux de ses amis des bons jours passés, Charles Baudelaire et Albert Glatigny. Baudelaire et lui étaient inséparables. Deux ans après, le poète qui avait associé le nom de Malassis à la gloire des Fleurs du mal, qui avait été la plus sincère et la plus grande admiration de l'imprimeur alençonnais, Charles Baudelaire, mourait à Paris, le 31 août 1867.

Après Baudelaire, le premier dans les admirations de Malassis était peut-être Albert Glatigny, le cabotin-poète. Malassis l'avait connu sur les planches en Normandie ; il le retrouva sur les planches à Bruxelles.

Malassis, donnait asile chez lui à tout ce qui se publiait contre l'empire et contre l'empereur ; il l'annonçait et le prônait dans le Bulletin trimestriel des publications interdites en France, adressé à Paris à un certain nombre de libraires. Ce qui était commandé par eux arrivait à destination par des voies mystérieuses ; vendu cher à Bruxelles, il l'était hors de prix à Paris. L'amnistie du 16 août 1869 rouvrit la France à Poulet-Malassis ; la révolution de 1870 y laissa entrer à flots les livres jadis prohibés. Le genre de commerce dont Malassis vivait depuis six années ne pouvait donc plus être exercé avec autant de fruit. Après avoir hésité, être allé et venu de Belgique en France et de France en Belgique, Poulet-Malassis quitta pour de bon Bruxelles et se décida à revenir à Paris.

Retour sur Paris. La guerre chassa bientôt Poulet-Malassis de Paris et il revint à Alençon, où son beau-frère, M. de Broise, dirigeait l'imprimerie héréditaire et le traditionnel journal départemental. Malassis revit alors la vieille maison de la place d'Armes d'où étaient partis ces jolis volumes qui avaient établi sa réputation typographique ; il eut le chagrin de voir des employés de la préfecture y apporter des manuscrits en langue allemande dont il fallait imprimer sur papier blanc la sinistre traduction. Enfin le siège fini et la Commune domptée, il reprit le chemin de son cher Paris.

Là, Malassis dut songer au moyen de gagner sa vie. Il n'avait pas les fonds nécessaires pour ouvrir, une nouvelle librairie, M. Daffis le chargea de diriger littérairement les travaux de sa librairie, d'y prendre la place de Paul Jannet, mort pendant le siège, et d'assister M. Olivier Barbier dans sa nouvelle édition du Dictionnaire des ouvrages anonymes. M. Liseux lui commanda, un peu plus tard, un travail qui lui procura plus d'honneur et de plaisir. Ce fut de rédiger des notices liminaires pour des réimpressions d'ouvrages curieux et pour toute une, petite collection moliéresque. Malassis était enfin chargé de préparer pour M. Lemerre une édition des Œuvres de Le Sage, quand, après la publication du second volume, la mort vint interrompre ce dernier labeur. Quand le travail manquait, Malassis demandait des ressources au bouquinage, "Dans ses derniers temps, non pas de détresse, mais de vie au jour le jour, nous disait récemment un de ses amis, il sortait le matin, toussant dans la brume et humant la mort, et remontait du pont Royal au pont Saint-Michel, fouillant les cases des boîtiers comme un vrai biffin en livres. Il crochetait de l'œil et du doigt avec tant de flair et d'adresse qu'un jour il mit la main sur une certaine plaquette de Sainte-Beuve, rarissime et compromettante, qui s'encanaillait avec des bouquins à dix sols et qui valait des centaines de francs.



Un jour Malassis, en quête d'ex-libris, bouleversait les livres d'une boutique du quai. "C'est la collection à la mode, lui dit le marchand. Malassis ne la crut point ; mais comme il aimait les ex-libris aux larges armoiries, comme il savait que nul n'en avait parlé encore, il leur consacra une courte brochure. Quinze jours après, la brochure était épuisée. Le succès de la seconde édition des Exlibris français, égal à celui qu'avait obtenu la première, acheva bientôt de vérifier la prophétie du bouquiniste. Les années d'exil comptent double, et les tracas d'argent usent vite. Malassis avait donné trop de sa vie au travail et surtout trop au plaisir pour qu'elle pût être bien longue. Il mourut à Paris, âgé de cinquante trois ans, le 11 février 1878. Que restera-t-il de lui ? Ses derniers travaux littéraires, avant-propos prestement enlevés et notices finement tracées, prouvent que, comme écrivain, il avait une valeur réelle ; mais, disons-le tout de suite, c'est surtout comme éditeur qu'il ne sera point oublié. S'il eut la chance d'éditer des ouvrages de maîtres d'élite, il eut le talent de les éditer d'une façon digne d'eux. Ces maîtres ont obtenu la célébrité, et plusieurs d'entre eux ont été jusqu'à la gloire. N'est-il point juste qu'un peu de leur célébrité rejaillisse sur leur pauvre faiseur de livres ? Il le mérite assurément, et ses éditions, véritables chefs-d'œuvre de typographie, resteront chaque jour plus recherchées des bibliophiles. Le nom de Poulet-Malassis durera aussi longtemps qu'elles, tout fier, au bas des titres, dans ses belles lettres rouges, de marquer des livres de choix, bons et bien faits, beau corps et belle robe, PAUCI, BONI, NITIDI (Légende du premier ex-libris de Malassis).

Cte G. DE CONTADES.

Les photos sont extraites de l’ouvrage de Gérard Oberlé (que l’on consultera utilement) : Auguste Poulet-Malassis (1825-1878). Un imprimeur sur le Parnasse. Ses ancêtres, ses auteurs, ses amis, ses écrits. http://gerardoberle.over-blog.com/

Bonne journée,
Xavier

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