lundi 27 avril 2009

Des titres de livres par Octave Uzanne (encore lui...)


Tout est dans le titre !

Combien ne voit-on pas de gens, dit Peignot dans son Manuel du bibliophile, dupes du titre imposant d'un livre nouveau souvent très médiocre, ou du Charlatanisme de ces prospectus séduisants dont on nous inonde tous les jours, apprendre à leurs dépens, mais trop tard, à s'en méfier.

Le titre est la physionomie extérieure du livre ; c'est son affiche, sa profession de foi, son langage, c'est lui qui attire l'amateur, qui retient ses regards, qui le séduit tout d'abord ; c'est un ensorceleur et trop fréquemment un dupeur éhonté.

Le titre, c'est l'état civil d'un ouvrage, c'est presque l'ouvrage lui-même, c'est assez souvent la fortune d'une production littéraire, et quelquefois sa mise à l'index. On frémit en pensant à tout ce que peut évoquer un titre seul !
" Les titres des livres, écrit Voltaire dans ses Mélanges historiques (titre sérieux) sont comme ceux des hommes aux yeux du philosophe qui ne juge de rien par les titres. "

Tout lecteur est juge du livre qu'il lit, autrement il serait indigne de lire, mais lorsqu'un ouvrage est nouveau, il faut le juger sur sa bonne mine, l'acheter par flair et par on-dit, quitte à le condamner après lecture. Les écrivains romanciers, philologues, publicistes de toutes classes n'ignorent pas que le titre est l'amorce d'un- volume, aussi passent-ils des nuits blanches à chercher, à passer en revue, à soupeser par la pensée, à alambiquer les différents titres que leur suggère une imagination fiévreuse. Trouver un bon titre! Voilà le grand problème, le grand art de tous les temps et chez tous les peuples.

Les latins selon Pline tombèrent bientôt eux-mêmes dans ces extravagances et nos latinistes du moyen âge les imitèrent à qui mieux mieux, ce ne fut pendant un certain temps que titres prétentieux, de Thrésors des antiquités, Thrésor de la belle latinité, de Sucs des sciences, Moëlles de la philosophie, Miroir de Sapience, Pensées ingénieuses. etc., etc.; les Lullistes ou disciples du savant chimiste Raymond Lulle ont porté la folie des titres plus loin que qui que ce soit. Dans le catalogue de leurs ouvrages on trouve des : Art des Arts, Art universel, Art de ne rien ignorer, d'écrire et de parler de tout, L'Œuvre des œuvres, le Phare des sciences., la Voie Roiale pour toutes les Sciences et pour tous les Arts, et mille autres titres semblables, mais le plus curieux de tous, le plus singulier peut-être, le plus abracadabrant, pour employer le terme juste, est celui annoncé par Savonarola, qui promet de le remplir. Ce titre est ainsi rédigé : " L'Univers littéraire, où l'on trouve un abrégé de tous les livres et l'Histoire de tous les Auteurs dans toutes sortes de Sciences, d'Arts et de Langues depuis la naissance des Belles Lettres jusqu'à ce jour: avec l'Année, le Lieu et la Forme des Editions, les Commentaires, les Notes, etc. Extrait des Principales Bibliothèques du Monde rangé par ordre alphabétique et en forme de Table Générale des Matières; enrichi de Caractères Hébraïques, Cadaïques, Syriaques, Grecs, Arabes, Persans, Arméniens, Allemands, Ethtiopiens, Egyptiens quelquefois Italiens, Espagnols, François, Bohémiens, Hongrois, Anglais, Flamans et de ceux des autres Nations le plus souvent en Latin et' quelquefois en Langue Vulgaire, par. P. D. Raphael, Savonarola de Padoue, de l'ordre des Clercs Réguliers appelez Théatrins et professeurs en Théologie.

Au XVI et XVIIème siècle, les titres pompeux étaient fort à la mode dit Ludovic Lalane dans ses Curiosités Bibliographiques, on ne voyait alors que Boucliers, Châteaux, Palais, Trésors ou Théatres du monde, de l'honneur; du plaisir, de la vie humaine, etc. D'autres ouvrages portaient les noms plus modestes de Tableaux, de Jardins, etc. Guillaumet, Chirurgien de Henri IV a publié : Le Miroir des apothicaires en forme de dialogue (1607) la Ballade des Plantes ; la Ballade des Drogues tandis qu'il est des titres comme le Coupe-cul de la mélancolie de Béroalde ou le Cri d'un honnête homme qui se croit fondé à répudier sa femme (1768).

Quel nombre prodigieux de Cléz d'or ne trouvons nous pas à cette époque ! que de Méthodes Royales, d'Echelles du Parnasse, de Répertoires des Sciences, d'Inventaires du cerveau humain. Baillet, dans les Jugements des Savants (tom. 1. pp. 534 à fin) a consacré tout un chapitre aux Préjugés des titres des livres, on y trouve les plus plaisantes citations de titres incroyables avec les imitations qu'ils nous ont procurés ; Gabriel Peignot dans son Livre des singularités à également cité un grand nombre de livres remarquables par leurs titres.

Les ouvrages de dévotion au dix-septième siècle peuvent être distingués par l'originalité de leurs titres extravagants.

Il y a : La Porte Royale du Paradis, très-utile à chacun pour heureusement s'y rendre (1635) Le Pain cuit sous la cendre, apporté par un ange au prophète Elie pour reconforter le moribond." (1631) La Lampe de Saint Augustin et mouchettes de cette lampe ; Le fusil de la Pénitence avec l'allumette de l'amour de Dieu ; Les mèches allumées au feu divin ; Agrafes et Œillets pour les culottes des croyants ; Souliers à hauts talons pour ceux qui ne sont que des nains, dans la sainteté ; la seringue spirituelle pour les âmes constipées en dévotion (ce titre me réjoui !), etc. Il est curieux de consulter pour les titres d'ouvrages, le catalogue qui se trouve à la fin de chaque volume de la Bibliothèque française de l'Abbé Gouget.

Au XVIIIe siècle, les titres d'ouvrages sont prétentieux, pommadés ; ils se ridiculisent à force de quémander la singularité ; ils offrent le plus souvent une apparence libertine, un mystère plein de révélations ; c'est la science fallacieuse du titre dans tout son éclat. Si nous jetons un regard furtif sur les petites œuvres obscures de cette époque, nous lisons : Ah que c'est bête ! Sirop au cul ou l'Heureuse délivrance ; Mes bagatelles, ou les Torts de ma jeunesse ; Ma tante Geneviève, ou je l'ai échappé belle ; Honorine ou mes 22 ans ; l'Encyclopédie perruquière ; les Devirgineurs et Combabus ; les Bijoux des neuf sœurs ; l'Art de plumer la poule sans crier ; l'Amusette des grasses et des maigres ; le Je ne sais quoi, etc.

C'est surtout dans la Petite Bibliographie bibliographicoromancière de Pigoreau qu'il nous est loisible de parcourir la série des titres romanesques la plus curieuse ; il y a des romans de lettres, des romans pastoraux, des romans noirs à faire trembler l'ombre d'Anne Radcliffe, sous l'influence de leurs titres pompeux, Tous ces contes de brigands, de cavernes, de souterrains, tous ces mystères, ces ombres sanglantes, ces spectres funèbres portent des titres aussi grotesques que possible.

Un titre peut faire vendre un livre, mais il le ressuscite bien rarement.

On ferait un gros et intéressant volume de tous les exemples que l'on pourrait rapporter de la folie singulière des titres des Livres. Tous les jours la collection s'enrichit et il serait bon d'en dresser un nomenclature anecdotique et amusante.

Le Bibliophile le plus sage se laisse encore aller de temps à autre à acquérir des ouvrages dont le titre seul excite en lui une vague curiosité. Il y a là matière à un livre du plus vif intérêt, qu'on intitulerait : Histoire des titres de livres, singuliers, piquants, spécieux, curieux, particuliers, galants, extravagants, ridicules, etc.

Ne l'entreprendra-t-on pas ?

Octave Uzanne in Miscellanées bibliographiques.

Bonne journée,
Xavier (et Bertrand de plus loin)

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