dimanche 13 novembre 2011

Portrait d'un grand relieur du XXe siècle : Henri Mercher (1912-1976)


Henri Mercher (1912-1976)
Relieur d'art
A travaillé de 1930 à 1976 dans son atelier situé 18 rue Visconti à Paris.

Henri Mercher est né à Paris en 1912. Il fit ses études primaires à l'école communale de l'avenue de Choisy. Il a raconté lui-même comment il était devenu élève à l'école Estienne - un des plus mauvais se plaisait-il à dire - à l'âge de treize ans et, de 1925 à 1929, il avait suivi les cours du relieur Charles Chanat et du doreur Marcel Bailly : "Mon père connaissait Maximilien Vox et un jour, lui parlant de moi, lui dit que j'avais fais un livre qui avait été exposé. C'était en réalité, une couverture en papier blanc sur laquelle j'avais dessiné un décor stylisé, dans le cadre d'un devoir du cours de dessin de l'école primaire et qui fut exposé aux Arts Décoratifs dans le pavillon de la ville de Paris. Vox, sans chercher davantage, lui répondit : "Mettez-le à l'Ecole Estienne, c'est l'école du livre." Et c'est ainsi qu'après avoir subi l'examen d'entrée, j'ai passé quatre années dans cette école, principalement dans l'atelier de dorure, spécialité qui m'avait plu dès le moment où, comme tous les élèves à cette époque, j'effectuais mon "circulus". "A vrai dire, je crois que c'était surtout à cause de l'odeur de la peau mouillée que je m'y suis intéressé. En poussant des fers sur cette peau mouillée pour obtenir une trace, il se dégageait de la peau une odeur particulière que je trouvais très agréable. Par la suite, voyant que la dorure s'exécutait sur une reliure, il ne me semblait pas possible de travailler sur un objet dont j'ignorais la fabrication ; je décidai, alors, de suivre les cours du soir pour apprendre la reliure, en plus des cours de la journée, où en dehors de l'atelier de dorure nous suivions des cours d'histoire de l'art, du dessin de la lettre, de la composition décorative, etc. A dix-sept ans, je suis entré comme jeune ouvrier doreur dans un atelier de reliure - chez Blanchetière - et l'année suivante chez Georges Canape où je participais également aux travaux de reliure. Cette maison avait été fondée vers 1840 et était restée sous l'influence décorative du début du siècle, si bien qu'elle ne m'apportait rien sur le plan de la création. En 1932, je trouvai un emploi chez un relieur de la rue Bonaparte (Benoit) où je composais les décors moi-même." En 1935, à l'âge de vingt-trois ans, Henri Mercher créa son premier atelier de dorure rue Bonaparte, dans une chambre au 5e étage, et en 1937 reprit l'atelier de son ancien patron Canape, 18 rue Visconti. Mobilisé en 1939, libéré en 1944, Henri Mercher travailla, alors, à façon, surtout pour des décorateurs de reliures. A partir de 1948, il créa ses premières reliures et se libéra progressivement de sa clientèle de décorateurs. C'est à ce moment qu'il inventa un procédé de montage de la couverture qui lui permettait d'utiliser pour les plats n'importe quelle matière, mais c'est surtout le plexiglas, poncé, taillé, poli, qui eut sa préférence. Il fit sa première exposition personnelle avec ces nouveaux matériaux en 1950 (*). Parallèlement, il se lança dans les reliures en maroquin à grand décor, et ses créations firent de lui l'un des meilleurs relieurs de son époque, en même temps qu'un novateur. Atteint, depuis plusieurs années, d'une affection cardiaque, Henri Mercher est décédé le 30 mars 1976, à l'âge de soixante-trois ans. Son fils, Daniel Mercher, lui a alors succédé. Né à Paris en 1944, ancien élève de l'Ecole Estienne dans la classe de Raymond Mondange, Daniel Mercher était entré dans l'atelier de son père en 1964 et a travaillé pendant plus de 8 ans sous sa direction. (Notice extraite du Dictionnaire des relieurs français ayant exercé de 1800 à nos jours par Julien Fléty, éditions Technorama, 1988, p. 126)

Voici ci-dessous quelques reliures signées Henri Mercher.


PONGE (Francis). Le Verre d'eau. Lithographies de E. de Kermadec. Paris, Galerie Louise Leiris, 1949. In-4, bradel demi-maroquin havane, plats de plexiglas transparent laissant apparaître chacun une composition de lignes horizontales noires plus ou moins régulières entourant un verre suggéré par quelques traits verts, exécutée par Henri Mercher à l'encre sur un papier crème et se prolongeant sur le dos portant le titre de l'ouvrage en capitales poussées à l'oeser brun foncé sur une pièce de box havane; rappel du décor sur la première garde qui apparaît en partie à travers une fenêtre laissée en réserve sur le premier plat; première doublure et seconde garde de papier aquarellé en bleu, seconde doublure de papier vert, tête lisse, non rogné, couverture imprimée. Etui (Mercher, 1958). Edition illustrée par Eugène Nestor de Kermadec de 40 lithographies originales, dont 18 en couleurs (2 hors-texte et 16 in-texte) et 22 in-texte en noir. Tirage limité à 112 exemplaires numérotés, signés par l'auteur et l'artiste. Un des 90 exemplaires sur papier d'Arches. Etonnante reliure décorée avec des plats en plexiglas montés en bradel selon un brevet d'invention déposé par le relieur Henri Mercher (1912-1976) qui occupe une place singulière dans la génération qui a marqué l'art de la reliure après 1945. Ses rivaux étaient uniquement des artistes décorateurs et, même s'ils étaient à l'origine artisans relieurs comme Pierre-Lucien Martin, ils confiaient l'exécution à des praticiens confirmés. Mercher, relieur de formation, continua toujours à exécuter entièrement reliures et décors dans son atelier personnel. Il fut un créateur de reliures à décor particulièrement inventif. Cette qualification lui permit de concevoir et mettre en œuvre en 1950 un modèle de reliure à plats de plexiglas montés sur un dos distinct. Ce modèle fut ressenti comme moderne par le matériau, par la facture en rupture avec la tradition et par un décor moins assujetti à la mosaïque de peaux. De ce point de vue, notamment par la technique des plats rapportés, Henri Mercher peut être considéré comme l'initiateur lointain et mal reconnu du grand changement qui a donné un nouvel élan créatif à la reliure d'art durant ces trente dernières années. (Librairie Auguste Blaizot, Paris. Prix marqué : 5.500 euros)



NERVAL (Gérard de). Aurélia. Illustrations de Léonor Fini gravées à l'eau-forte. Monaco, Club International de Bibliophilie, 1960. In-4, box tête-de-nègre, plats ornés d’un filet poussé à froid passant en volutes sur un décor géométrique de plaques de plexiglas laissant apparaître par transparence des motifs abstraits peints à l’aquarelle dans des couleurs jaunes, vertes, rouges, bleues ou ocre, dos sans nerfs ; doublures bord à bord et gardes de papier métallisé havane et argenté, tête lisse, non rogné, couverture illustrée. Chemise, étui incrusté d’un cuivre original (Henri Mercher). 34 illustrations originales gravées à l’eau-forte par Léonor Fini, dont une pour la couverture, un frontispice et 9 hors-texte. Tirage limité à 300 exemplaires numérotés. Un des 20 premiers exemplaires sur papier d’Auvergne comportant une aquarelle originale en couleurs de Léonor Fini et une suite des gravures en couleurs sur auvergne. Exemplaire enrichi d’un cuivre original encré de Léonor Fini ayant servi à l’impression d’une des illustrations. (Librairie Auguste Blaizot, Paris. Prix marqué : 8.000 euros)




REVERDY (Pierre). Sable mouvant. Pablo Picasso. Paris, Louis Broder, 1966. In-folio, maroquin blanc orné sur chaque plat de morceaux de miroir gravés à l'acide et disposés selon trois bandes verticales sur lesquelles viennent s'appliquer trois colonnes en relief traitées en ardoise réunies dans la partie supérieure par des bandes horizontales de lamelles de plexiglas bleu; dos sans nerfs portant une pièce de plexiglas bleu avec le titre de l'ouvrage gravé en capitales blanches; doublures de box crème amovibles permettant d'accéder à un système d'éclairage, gardes de box crème, non rogné, couverture illustrée. Etui (Henri Mercher, 1975). Edition originale du dernier poème de Reverdy, illustrée par Pablo Picasso de 10 aquatintes originales hors texte. L'un des plus importants livres illustrés par Picasso et l'une des meilleures publications de Louis Broder. Tirage unique limité à 255 exemplaires numérotés sur vélin de Rives, signés par l'artiste. Importante reliure d'Henri Mercher, comportant un système électrique permettant d'éclairer les colonnes à partir des lamelles bleues. (Librairie Auguste Blaizot, Paris. Prix marqué : 27.500 euros)



FARGUE (Léon-Paul). Illuminations nouvelles. Lithographies et dessins de Raoul Dufy. Paris, Textes Prétextes, 1953. In-4 bradel, plats de plexiglas transparent laissant apparaître un décor représentant une fleur stylisée multicolore peinte à l'aquarelle ; le décor se prolonge sur le dos de maroquin bleu par des filets poussés à l'oeser rouge et jaune sur les gardes de papier; léger rappel du décor sur dos portant les noms de l'auteur et de l'artiste ainsi que le titre de l'ouvrage poussés à l'oeser blanc; doublures de papier orange et gardes de papier rouge, tête lisse teintée bleu, non rogné, couverture imprimée. Etui (Henri Mercher, 1967). Edition originale, illustrée par Raoul Dufy de 15 lithographies originales sur double page, dont 6 en noir et 9 en couleurs, et de 40 dessins reproduits in texte. Tirage limité à 277 exemplaires numérotés sur vélin d'Arches. Un des 200 exemplaires. (Librairie Auguste Blaizot, Paris. Prix marqué : 8.000 euros)

Pour terminer cet article je vous propose d'écouter un extrait de la célèbre émission radiophonique des années 70 "Radioscopie", émission animée par Jacques Chancel. Jacques Chancel recevait ce jour là (12 juillet 1975) Henri Mercher, relieur d'art. L'émission dure plus de 57 minutes et est accessible sur le site de l'INA à cette adresse http://www.ina.fr/art-et-culture/beaux-arts/video/PHD99226292/henri-merchier-relieur-d-art.fr.html (**)

L'extrait que je vous propose d'écouter comprend les dix premières minutes de l'émission. Bonne écoute.

Bon dimanche,
Bertrand Bibliomane moderne


(*) Il y eut également une exposition de reliures d'Henri Mercher organisée du 24 novembre au 9 décembre 1961 par la Librairie Auguste Blaizot. Il participa également aux expositions de la Société de la Reliure Originale (Paris, Bibliothèque Nationale, 1965, 1969, notamment).

(**) Références de l'émission radiophonique. http://www.ina.fr/art-et-culture/beaux-arts/video/PHD99226292/henri-merchier-relieur-d-art.fr.html - HENRI MERCHER, RELIEUR D'ART - Henri MERCHER, invité pour parler de son métier de relieur d'art : ce qu'était la reliure et ce qu'elle est devenue. Comment il a appris la reliure à l’École Estienne. Les techniques et les outils de reliure. La situation de la reliure en France : jadis florissante, la reliure tend à disparaître aujourd'hui. La création des reliures, l'influence des illustrateurs. L'amour qu'il a de son métier. Suggestions pour la survie du métier. (Entretien avec Jacques CHANCEL -57'43''). L'émission intégrale vous en coûtera 2,99 euros si vous souhaitez la télécharger sur le site de l'INA.

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