Ce n’est pas mon habitude de faire sortir les cancans des poubelles, mais là, c’est encore une étonnante coïncidence qui m’amène à vous en parler ici.
Il y a de cela quelques temps j’écoutais une émission radiophonique attrapée totalement par hasard sur une chaîne au dessus de tout soupçon qui appartient, encore pour un temps au moins, au giron des radios dites nationales. Bref, les participants étaient de qualité et le sujet qui était traité m’a fait tendre l’oreille. Il y était question d’un grand homme d’état, homme de lettres aussi et décrit comme un grand bibliophile : Louis Barthou.
Louis Barthou est évidemment bien connu des bibliophiles chasseurs de beaux catalogues de vente de livres. En effet, les livres de sa bibliothèque furent vendus aux enchères à Paris en 1934-1935 (Paris, Auguste Blaizot).
Grand amateur de littérature, grand amateur de reliures aussi, Barthou collectait les illustrés modernes, les livres avec envoi, etc. Les éditions rares se sont succédé au marteau (2.143 numéros) durant quatre vacations d’exception.
De mon côté, je ne m’étais encore jamais penché sur la personnalité de Louis Barthou. Cette émission radiophonique allait donner un éclairage entièrement neuf à ce portrait flou de bibliophile opulent et distingué.
De quoi était-il question ?
Il y était question des habitudes sexuelles du Monsieur. Le journaliste-historien (dont je n’ai malheureusement pas retenu le nom) expliquait les us et coutumes libidinales du sieur Barthou, plusieurs fois ministre, Président du Conseil (premier ministre), placé à droite à l’assemblée nationale, homme de lettres auteur de quelques écrits de critique littéraire (Lettres inédites d’Alfred de Vigny à Victor Hugo, 1925 – La vie amoureuse de Richard Wagner, 1925, dont le manuscrit autographe est actuellement à vendre chez un libraire américain – Les amours d’un poète, 1933 – etc.).
Pour ne pas être accusé de diffamation par les éventuels descendants de Monsieur Louis Barthou, je me contenterai dans ce billet d’évoquer ce qui a été écrit à ce sujet par de plus autorisés que moi.
Pour des raisons purement politiques, Louis Barthou avait au moins deux farouches ennemis. Léon Daudet et Charles Maurras. Deux critiqueurs acides qu’il fallait mieux avoir pour ami que pour ennemi. Deux livres accompagnent cette haine et sont intéressants à lire, car entièrement consacrés à Louis Barthou. En 1929, Charles Maurras publie aux éditions du Capitole un brûlot anti-Barthou intitulé : « Le Bibliophile Barthou » (édition bibliophilique illustrée). Jamais livre n’a si mal porté son titre ! Charles Maurras dénonce un Barthou profiteur, corrompu, et c’est pour se moquer qu’il le nomme à de très nombreuses reprises « le bibliophile Barthou ». Nous y reviendrons bientôt.
De son côté, Léon Daudet publie en 1930 un sévère pamphlet intitulé « Le garde des sceaux, Louis Barthou » (je n’ai pas lu ce livre). Dans le même temps, le Canard enchaîné de l’époque affuble Louis Barthou du joli sobriquet de « Bartoutou » !! C’est que Louis Barthou aurait ses habitudes dans les Petites Maisons de la capitale. Monsieur aimerait le fouet et les maîtresses cravacheuses…
Diantre ! Quel bibliophile nous avons là !
Ce n’est pas ici le lieu pour faire l’histoire de Léon Daudet, la mort de son fils, son séjour en prison en 1927. Charles Maurras avait lui aussi ses raisons pour haïr le ministre, l’homme d’état. Tous deux s’en sont pris à l’homme d’état mais aussi à l’homme de lettres et à sa personne privée même. En avaient-ils le droit ? Laissons les historiens débattre, nous sommes ici pour évoquer un bibliophile aux habitudes pour le moins secrètes. Ne cherchez pas cette facette de Louis Barthou dans les biographies officielles, vous n’y trouveriez rien.
De ce que je me rappelle de cette émission radiophonique, il était dit que Louis Barthou avait un appétit sexuel pour le moins débridé, ses habitudes dans le domaine semblent avoir été connues des grands hommes de la capitale. Grand amateur du fouet, des menottes et autres ficelages…
Que nous dit Charles Maurras à ce sujet ?
Maurras dénonce tout d’abord un Barthou « Homme des petites rapines » : « (…) M. Louis Barthou est parfaitement connu pour abuser de ses fonctions et de ses pouvoirs dans l’Etat, quand il obtient, sans bourse délier, telle rareté qu’il convoite, se bornant à payer au bailleur une place dans quelque administration ! Tout Paris se rappelle (pour n’en citer qu’une aujourd’hui) l’aventure de cet autographe de « poète maudit » désiré par M. Barthou. C’était cher. Mais il l’eut pour rien, et l’ex-propriétaire fut nommé percepteur. (…) il s’est contenté de recommencé. »
Quant à ses mœurs : « Je ne mets pas en cause les mœurs de M. Barthou : l’infamie en est bien connue. (…) » écrit Maurras. Et Maurras de poursuivre : « Les gens auxquels il montrera sa collection (de livres et d’autographes notamment), les eût-il fait venir de départements lointains ou d’étranges pays, auront été avertis par nous que ce sont des biens mal acquis ; qu’il a trafiqué de son autorité publique pour les ôter aux particuliers, qu’il se les est fait offrir quand il ne les a pas extorqués (…) Cet illustre chasseur de manuscrits rares et d’inédits somptueux s’est surtout distingué par la piraterie (…). »
Maurras insiste aussi sur l’usage intensif de nègres par Barthou. Barthou n’aurait pas même écrit ses livres ! : « Il a certainement fait écrire plusieurs d’entre eux, et les noms de certains « nègres » qu’il y a occupés sont dans toutes les bouches. » écrit Maurras.
Médisances, racontards et autres balivernes diront certains. Peut-être.
Je ne sais qui du Canard enchaîné ou de Charles Maurras a commencé le premier à affubler Louis Barthou de sobriquets canins, mais le Canard avec son « Bartoutou » et Charles Maurras avec son « Médor Barthou » (expression reprise de Léon Daudet semble-t-il) rivalisèrent d’ingéniosités lexicales envers le ministre.
Cela ne serait pas juste de terminer ce billet sans évoquer la fin tragique de M. Louis Barthou. Non, il n’est pas mort en action comme son confrère en politique le Président de la République Félix Faure, mort pour la France d’épectase… c'est-à-dire dans les bras d’une jolie dame. Finalement la bibliophilie est un sport bien tranquille comparé à tout ceci. Mais quand on cumule…
Louis Barthou fut assassiné le 9 octobre 1934 … enfin presque. Il apparait aujourd’hui, à la lumière d’expertises balistiques, qu’il s’agit de la balle du policier qui aurait mortellement blessé le ministre. Qui saura ? Louis Barthou était âgé de 72 ans.
Que penser de tout cela ? Quelqu’un ici avait-il déjà entendu parler de tout ceci ?
Un bibliophile aux fantasmes extravagants. Est-ce possible ? On aimerait des preuves tangibles, des photographies par exemple à défaut d’enregistrements sonores…
Après tout, chacun a droit à son jardin secret, fut-il rempli de fouets et autres instruments d’usage sado-masochiste.
Je préfère conclure en disant comme ce brave Megadeth : « Rust in peace ».
Bonne journée,
Bertrand
Il y a de cela quelques temps j’écoutais une émission radiophonique attrapée totalement par hasard sur une chaîne au dessus de tout soupçon qui appartient, encore pour un temps au moins, au giron des radios dites nationales. Bref, les participants étaient de qualité et le sujet qui était traité m’a fait tendre l’oreille. Il y était question d’un grand homme d’état, homme de lettres aussi et décrit comme un grand bibliophile : Louis Barthou.
Louis Barthou est évidemment bien connu des bibliophiles chasseurs de beaux catalogues de vente de livres. En effet, les livres de sa bibliothèque furent vendus aux enchères à Paris en 1934-1935 (Paris, Auguste Blaizot).
Grand amateur de littérature, grand amateur de reliures aussi, Barthou collectait les illustrés modernes, les livres avec envoi, etc. Les éditions rares se sont succédé au marteau (2.143 numéros) durant quatre vacations d’exception.
De mon côté, je ne m’étais encore jamais penché sur la personnalité de Louis Barthou. Cette émission radiophonique allait donner un éclairage entièrement neuf à ce portrait flou de bibliophile opulent et distingué.
De quoi était-il question ?
Il y était question des habitudes sexuelles du Monsieur. Le journaliste-historien (dont je n’ai malheureusement pas retenu le nom) expliquait les us et coutumes libidinales du sieur Barthou, plusieurs fois ministre, Président du Conseil (premier ministre), placé à droite à l’assemblée nationale, homme de lettres auteur de quelques écrits de critique littéraire (Lettres inédites d’Alfred de Vigny à Victor Hugo, 1925 – La vie amoureuse de Richard Wagner, 1925, dont le manuscrit autographe est actuellement à vendre chez un libraire américain – Les amours d’un poète, 1933 – etc.).
Pour ne pas être accusé de diffamation par les éventuels descendants de Monsieur Louis Barthou, je me contenterai dans ce billet d’évoquer ce qui a été écrit à ce sujet par de plus autorisés que moi.
Pour des raisons purement politiques, Louis Barthou avait au moins deux farouches ennemis. Léon Daudet et Charles Maurras. Deux critiqueurs acides qu’il fallait mieux avoir pour ami que pour ennemi. Deux livres accompagnent cette haine et sont intéressants à lire, car entièrement consacrés à Louis Barthou. En 1929, Charles Maurras publie aux éditions du Capitole un brûlot anti-Barthou intitulé : « Le Bibliophile Barthou » (édition bibliophilique illustrée). Jamais livre n’a si mal porté son titre ! Charles Maurras dénonce un Barthou profiteur, corrompu, et c’est pour se moquer qu’il le nomme à de très nombreuses reprises « le bibliophile Barthou ». Nous y reviendrons bientôt.
De son côté, Léon Daudet publie en 1930 un sévère pamphlet intitulé « Le garde des sceaux, Louis Barthou » (je n’ai pas lu ce livre). Dans le même temps, le Canard enchaîné de l’époque affuble Louis Barthou du joli sobriquet de « Bartoutou » !! C’est que Louis Barthou aurait ses habitudes dans les Petites Maisons de la capitale. Monsieur aimerait le fouet et les maîtresses cravacheuses…
Diantre ! Quel bibliophile nous avons là !
Ce n’est pas ici le lieu pour faire l’histoire de Léon Daudet, la mort de son fils, son séjour en prison en 1927. Charles Maurras avait lui aussi ses raisons pour haïr le ministre, l’homme d’état. Tous deux s’en sont pris à l’homme d’état mais aussi à l’homme de lettres et à sa personne privée même. En avaient-ils le droit ? Laissons les historiens débattre, nous sommes ici pour évoquer un bibliophile aux habitudes pour le moins secrètes. Ne cherchez pas cette facette de Louis Barthou dans les biographies officielles, vous n’y trouveriez rien.
De ce que je me rappelle de cette émission radiophonique, il était dit que Louis Barthou avait un appétit sexuel pour le moins débridé, ses habitudes dans le domaine semblent avoir été connues des grands hommes de la capitale. Grand amateur du fouet, des menottes et autres ficelages…
Illustration de Goor pour le Bibliophile Barthou de Charles Maurras.
Symbolique des rapines livresques du ministre.
Symbolique des rapines livresques du ministre.
Que nous dit Charles Maurras à ce sujet ?
Maurras dénonce tout d’abord un Barthou « Homme des petites rapines » : « (…) M. Louis Barthou est parfaitement connu pour abuser de ses fonctions et de ses pouvoirs dans l’Etat, quand il obtient, sans bourse délier, telle rareté qu’il convoite, se bornant à payer au bailleur une place dans quelque administration ! Tout Paris se rappelle (pour n’en citer qu’une aujourd’hui) l’aventure de cet autographe de « poète maudit » désiré par M. Barthou. C’était cher. Mais il l’eut pour rien, et l’ex-propriétaire fut nommé percepteur. (…) il s’est contenté de recommencé. »
Quant à ses mœurs : « Je ne mets pas en cause les mœurs de M. Barthou : l’infamie en est bien connue. (…) » écrit Maurras. Et Maurras de poursuivre : « Les gens auxquels il montrera sa collection (de livres et d’autographes notamment), les eût-il fait venir de départements lointains ou d’étranges pays, auront été avertis par nous que ce sont des biens mal acquis ; qu’il a trafiqué de son autorité publique pour les ôter aux particuliers, qu’il se les est fait offrir quand il ne les a pas extorqués (…) Cet illustre chasseur de manuscrits rares et d’inédits somptueux s’est surtout distingué par la piraterie (…). »
Maurras insiste aussi sur l’usage intensif de nègres par Barthou. Barthou n’aurait pas même écrit ses livres ! : « Il a certainement fait écrire plusieurs d’entre eux, et les noms de certains « nègres » qu’il y a occupés sont dans toutes les bouches. » écrit Maurras.
Médisances, racontards et autres balivernes diront certains. Peut-être.
Je ne sais qui du Canard enchaîné ou de Charles Maurras a commencé le premier à affubler Louis Barthou de sobriquets canins, mais le Canard avec son « Bartoutou » et Charles Maurras avec son « Médor Barthou » (expression reprise de Léon Daudet semble-t-il) rivalisèrent d’ingéniosités lexicales envers le ministre.
Cela ne serait pas juste de terminer ce billet sans évoquer la fin tragique de M. Louis Barthou. Non, il n’est pas mort en action comme son confrère en politique le Président de la République Félix Faure, mort pour la France d’épectase… c'est-à-dire dans les bras d’une jolie dame. Finalement la bibliophilie est un sport bien tranquille comparé à tout ceci. Mais quand on cumule…
Louis Barthou fut assassiné le 9 octobre 1934 … enfin presque. Il apparait aujourd’hui, à la lumière d’expertises balistiques, qu’il s’agit de la balle du policier qui aurait mortellement blessé le ministre. Qui saura ? Louis Barthou était âgé de 72 ans.
Que penser de tout cela ? Quelqu’un ici avait-il déjà entendu parler de tout ceci ?
Un bibliophile aux fantasmes extravagants. Est-ce possible ? On aimerait des preuves tangibles, des photographies par exemple à défaut d’enregistrements sonores…
Après tout, chacun a droit à son jardin secret, fut-il rempli de fouets et autres instruments d’usage sado-masochiste.
Je préfère conclure en disant comme ce brave Megadeth : « Rust in peace ».
Bonne journée,
Bertrand