Le hasard : "La seule divinité raisonnable" écrivait Albert Camus. A croire que les autres ne le sont pas. Pour s'en convaincre il suffirait de s'appesantir sur l'ordre du monde. Et pourtant, comme l'écrivait Sébastien Faure à un de ses jeunes amis et disciples : "Pour le moment, je me permets de vous donner un conseil, un seul, mais qui entraine à sa suite tous les autres : Ne vous rebutez jamais ; ne vous découragez jamais." Évidemment, commencer un billet en citant à brûle-pourpoint Sébastien Faure... ça sent le soufre ! Passons donc au hasard, plus œcuménique que les combats libertaires.
L'idée de ce billet m'est venue à la lecture du dernier catalogue de vente de livres reçu il y a deux jours. "Livres anciens et modernes, Paris, Pierre Bergé, jeudi 1er octobre 2009". Joli catalogue, bien imprimé et bien rédigé, comme tous les catalogues Pierre Bergé. Outre quelques très beaux livres que je vous laisse découvrir ICI, mon regard a été arrêté net sur le numéro 32. Beau numéro me direz-vous !
En voici le titre :
MANUSCRIT / RONSARD (Pierre de) - Généalogie de la maison de Sanzay en Poitou.
Paris, mars 1569, in-folio, 364 x 272 mm ; Reliure moderne en velours vert. Estimation : 35.000 / 38.000 euros.
La messe est dite ! Du grandiose ! De l'exceptionnel ! En un mot : Unica !
Je vous laisse lire le descriptif complet reproduit ci-dessous :
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Si je me suis fixé sur ce manuscrit exceptionnel c'est surtout parce que, lors de lectures attentives de catalogues de librairies et autres ventes de livres, j'avais souvenir d'avoir déjà vu ce manuscrit ou quelque chose d'approchant. Mais où ? Un manuscrit de cette importance laisse des traces dans la mémoire des hommes !
C'était dans un des très beaux catalogues de la Librairie Sourget à Chartres. Lequel ? Il m'aura suffit d'en ouvrir deux pour tomber sur le bon catalogue, celui qui contenait un manuscrit époustouflant de l'ami Ronsard.
Librairie Sourget, Catalogue XXXIII, 2006, numéro 30 :
"Manuscrit calligraphié sur peau de vélin en 1560 contenant une élégie de Ronsard qui ne sera publiée que trois ans plus tard et cinquante pages de poèmes originaux de Jodelle, l'un des sept membres de la Pleiade, totalement inédits et donc connus par ce seul manuscrit. Manuscrit ayant fait l'objet d'une étude du C.N.R.S. et de l'École des Chartes."
Description matérielle :
In-folio, 235 x 168 mm. Paris, 1560. Reliure de l'époque en velours de soie bleu-vert, tranches dorées.
Je reprends les grandes lignes de la notice :
"Manuscrit conçu et rédigé de concert par Ronsard et Étienne Jodelle. (...) Le titre, en lettres d'or, est suivi des armoiries des quatre "auteurs" : Petrus Ronsard, Stephan Iodeil, Iohann Ferone & Iohann Aymery. Lutetia Parisiorum, 1560. (...) Le manuscrit s'ouvre par une élégie de Pierre de Ronsard, gentilhomme vendosmoys. (...) Cette première version d'un poème, long de trois pages, que Ronsard ne publiera que trois ans plus tard dans son Recueil des Nouvelles Poésies, est écrite avec une extrême élégance, en noir et or, et porte la souscription finale, en lettres d'or. (...)"
Un peu d'histoire sur le manuscrit "Sourget" :
"Les titres et chartes de la maison de Sanzay ayant été volés et dispersés durant les troubles des guerres de religion du Poitou en 1567, le manuscrit contenant ce poème de Ronsard a été recopié à deux reprises en 1569 par Marc Fagot, commissaire de Charles IX à qui le comte de Sanzay avait demandé la permission de recopier ce manuscrit chez les héritiers de Le Féron. Cette copie par Fagot, datée de 1569, se trouve à la Bibliothèque Nationale et une autre, postérieure à 1574, à la Bibliothèque de l'Arsenal."
Je vous laisse lire la notice complète reproduite ci-dessous :
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Prix de l'exemplaire proposé par la Librairie Sourget* en 2006 : 195.000 euros.
Un tel trésor doit-il avoir un prix ? Je vous laisse en débattre.
Qu'en est-il du manuscrit qui va être vendu à Paris le 1er octobre prochain ?
Beaucoup de similitudes. Beaucoup de différences aussi.
On lit dans la notice rédigée par Jacques Benelli, expert :
"On en connait deux exemplaires, le nôtre et un autre manuscrit, conservé à la B.N.F. (n.a.fr.3430). Anne de Sanzay, fils du commanditaire, le conserva puis il fut récupéré par les enfants issus du premier mariage de Marie de Tromelin, son épouse, le couple n'ayant pas eu de descendance : "ce présent livre appartient à haut et puissant messire Vincent de Penmarch seigneur et baron dudict lieu" (note ms. du XVIe siècle f. 25 v.)."
Hasards et coïncidences vous disais-je !
Comment deux manuscrits aussi importants ont pu se retrouver sous mes yeux - par catalogue de librairie et de vente aux enchères interposés soit - en l'espace de trois ans à peine ! L'un n'aurait-il pas fait sortir l'autre du bois ? Combien de temps nous faudra-t-il attendre pour en voir un troisième ?
Il y a fort à parier que les 35.000/38.000 euros estimatifs seront pulvérisés le 1er octobre prochain ! Ou alors ce serait ne plus rien comprendre à la bibliophilie.
Qu'en pensez-vous ?
Ce billet ne se voulait qu'une évocation des hasards bibliophiles, bien loin des contingences sévères des hommes pressés, grand disciple de Claude Lelouch* que je suis.
Amitiés bibliophiles,
Bertrand
* l'exemplaire Sourget provient de la librairie Pierre Berès (1995). Lire les commentaires.
** Hasards et coïncidences, 1998. Réalisateur, Claude Lelouch.