En attendant l’incontournable salon du livre ancien de Redon, 23e du nom, l’évènement bibliomaniaque du Grand Ouest, le mois de novembre est l’occasion de faire les derniers vide-greniers et de glaner quelques opuscules sous les feuilles mortes, pour compléter ses rayons. Ma dernière trouvaille ? Un petit ouvrage recouvert d’un curieux vélin, intitulé l’Andini Poematum Libri Quatuor(1), d’un certain Bellaii, injustement oublié (pas le poète, mais l’ouvrage qui ne fut jamais réimprimé).
Premier recueil poétique en langue latine publié par Joachim du Bellay, les Poemata paraissent en 1558 à Paris, chez Frédéric Morel. La plupart des pièces qui constituent ce recueil ont été rédigées entre 1553 et 1557, lors du séjour romain de du Bellay. Ces quatre années furent importantes pour l’œuvre du poète puisqu’il en tira une double source d’inspiration, la description des antiquités de Rome, et l’éloignement de sa patrie, que l’on retrouve déclinées dans les poésies françaises (Les Antiquitez de Rome, les Regretz et les Divers Jeux rustiques) toutes publiées en 1558, chez le même éditeur.
Les Poemata comprennent 162 pièces inédites divisées en quatre parties : Elegiae, Epigrammata, Amores et Tumuli.
Trahison ! Me direz-vous. Comment l’auteur de « Défense et illustration de la langue françoise » a–t-il pu se déjuger au point de produire des vers latins, alors qu’il avait critiqué neuf ans plus tôt ces poètes néo-latins, pâles imitateurs de Cicéron ? Scandale !
Ce paradoxe n’est qu’apparent. La Défense opposait déjà l’imitation servile et improductive des anciens à l’imitation inspirée et créatrice des poètes de l’antiquité. Son séjour a Rome lui ayant permis de côtoyer des poètes néo-latins italiens, tels Janus Vitali ou Lelio Capilupi qui furent ses amis, c’est tout naturellement et par osmose que le recueil des Poemata est rédigé en latin, né de la pratique de formes poétiques latines que le poète n’avait jusqu’alors pas expérimentées, qui entraine en retour la production d’une poésie dont la richesse et la variété n’ont pas d’équivalent dans les recueils en langue française de la même période.
Le choix de la langue est inséparable de l’écriture de l’exil (Comme pour Milan Kundera). Dans l’élégie I, du Bellay justifie ce retour au latin, comme il le fera aussi dans le poème X des Regretz :
Ce n'est le fleuve tusque au superbe rivage,
Ce n'est l'air des Latins, ni le mont Palatin,
Qui ores, mon Ronsard, me fait parler latin,
Changeant à l'étranger mon naturel langage.
C'est l'ennui de me voir trois ans et davantage,
Ainsi qu'un Prométhée, cloué sur l'Aventin,
Où l'espoir misérable et mon cruel destin,
Non le joug amoureux, me détient en servage.
La raison de ce choix doit donc être recherchée dans la situation de du Bellay, exilé loin de sa patrie et pas heureux comme Ulysse.
Mais il y a une autre raison : l’expression latine lui permet de trouver des accents ovidiens. Comme lui, Ovide a passé la première partie de sa vie à célébrer l’amour (L’Art d ‘Aimer, etc.) avant d’être exilé de Rome par Auguste. De l’exil naît la série de poèmes élégiaques recueillie dans Tristesse, écrite en sarmate, langue de l’exil.
Plusieurs élégies des Poemata sont des références appuyées à Ovide, comme le poème Patria Desiderium (le Regret de la Patrie) Felix, qui mores multorum vidit, et urbes, sedibus et potuit consenuisse suis.
La forme élégiaque latine est adaptée à l’expression de sentiments paradoxaux. Nous savons que l’élégie permet de signifier un déséquilibre puisqu’elle est composées de distiques formés d’un hexamètre dactylique (à 6 pieds) et d’un pentamètre ( à 5 pieds) alternant des passages sombres, marqués par le mal du pays et de passages célébrants la terre d’accueil italienne…. Entre désir et regret.
Le recueil contient bien d’autres poèmes qui sont des plus variés. On trouve, dans une épigramme à son ami Gordes (f. 24), l’évocation de son âge et de sa vieillesse anticipée : 35 ans, qui ne serait pas historiquement exact mais donnée pour la rime. Dans deux autres épigrammes, du Bellay implore Ronsard d’écrire des poèmes épiques plutôt que de la poésie d’amour. Ce qui n’empêche pas du Bellay de donner dans la section suivante de brûlants poèmes amoureux, inspirés, dit-on, par une jeune femme romaine prénommée Faustina (Qui fut peut-être une courtisane).
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, à bientôt !
Textor
(1) Poemata - . In-4 de 62 f. – 16 cahiers signés A-P4, Q2 ; caractères italiques, marque de Morel au titre. Vélin ancien à recouvrement orné de fers et roulettes dorés passant par le dos lisse. Reliure moderne exécutée dans un parchemin hollandais du XVIIe siècle, orné d’un large fleuron central et d’écoinçons dorés, placé à l’horizontale. Index aureliensis, n° 156.404 – Tchemerzine, III, 51c – Dumoulin, n° 18 – Cioranesco, 8343 – J.-P. Barbier, III, n° 16