Que peut souhaiter de mieux un bibliophile amateur d'incunables que de les découvrir dans leur première reliure en veau estampé à froid sur ais de bois ?
Que peut souhaiter de mieux un bibliophile amateur de livres imprimés sous le règne de Louis XIV que de les découvrir dans leur première reliure en maroquin doublé ?
Que peut souhaiter de mieux un bibliophile amateur de livres imprimés pendant le XVIIIe siècle que de les découvrir dans leur première reliure en maroquin décoré aux petits fers dorés ou parée de mosaïques florales ?
Que peut souhaiter de mieux un bibliophile amateur de livres romantiques du XIXe siècle que de les découvrir dans leur première reliure orné de fers rocailles et lettres gothiques qui font tout le charme de cette période ?
Pour s'arrêter un instant sur cette dernière période, il est intéressant de constater que le titrage au dos des volumes, un temps, a privilégié le Gothique. Sorte d'écriture qui va si bien au romantisme, parfois malaisée à lire, mais souvent très esthétique lorsque les lettres ainsi poussées or s'harmonisent pour former un tout proche de la perfection.
Mon chemin vient de croiser un exemplaire que l'on pourrait pratiquement dire parfait de La peau de chagrin de Balzac (Paris, Delloye et Lecou, 1838, gr. in-8, 101 illustrations par Gavarni, Baron, Janet Lange, etc.). Exemplaire cas d'école pourrait-on dire tant il représente tout de son temps : reliure, typographie, illustration.
C'est au titrage de la reliure que je m'attacherai ici. BALZAC titré en lettres capitales au trois-quart haut, "La Peau de Chagrin" titré en lettres gothiques juste au dessous, le tout placé dans un cartouche composé du jeu habile et harmonieux d'une douzaine de fers rocailles formant encadrement. Avec filets gras et maigres dorés en tête et en queue du dos. Harmonie parfaite ! Je ne me lasse pas de regarder cette merveille de simplicité ! Les mors-peau sont marqués d'un large fer à froid, les plats sont recouverts d'un papier chagriné vert sombre. Le cuir utilisé pour la reliure est vraisemblablement un chagrin à gros grain, voire un maroquin mais ce n'est pas certain. Curieusement les doublures des plats et les gardes volantes sont faites d'un simple papier gris-beige. Les tranches du volumes ne sont pas dorées mais simplement mouchetées de noir. Les tranchefiles sont des tranchefiles hautes faites d'un simple tissu rayé rose et blanc, du plus bel effet. L'ensemble est en parfait état de conservation, ce qui fait évidemment tout le charme de ce genre de volume. L'intérieur, magistralement imprimé par Béthune et Plon, à Paris, 36, rue de Vaugirard, est d'un blanc immaculé. La typographie parfaite, alliée à une fine illustration sur acier incrustée à bon escient dans le texte, est vraiment un petit chef d'œuvre de beauté. Point de ces rousseurs habituelles qui déshonorent les ouvrages de cette période où la qualité laisse souvent à désirer.
Mais restons sur ce titrage et extasions-nous !
Lire La peau de chagrin (qui est noire dans le roman de Balzac...) dans de telles conditions confine à l'extase, oui ! Je le dis ! Le bibliophile lit ! Et il lit beaucoup ! Mais pas n'importe quoi, n'importe comment, ni n'importe où !
Je vous laisse, il faut que je relise quelques passages... pour le plaisir !
Bonne journée,
Bertrand