La bibliophilie n'est pas une école pour ceux qui aiment avoir toujours raison. Les fortes têtes en sont vite chassées !
En pays de Bibliophilie, toutes les sentences devraient se terminer par ces mots : " (...) en l'état actuel de nos connaissances."
Mais cette école a du bon, elle apprend l'humilité, la patience et le partage, autant de qualités qui manquent le plus souvent à bon nombre d'esprits forts.
Ainsi je dois admettre devant vous que je me suis trompé ! Je me suis trompé très récemment lorsque je vous ai donné un billet à propos d'un dessin original inédit de Gavarni.
Inédit, il ne l'était pas ! Il suffisait pour s'en convaincre d'ouvrir un volume du Diable à Paris, ouvrage collectif illustré par Gavarni de plus de 200 "types" hors texte gravés sur bois par les meilleurs artistes du moment (Le Diable à Paris, 2 vol. gr. in-8, Paris, Hetzel, 1845-1846). Dans cet ouvrage bien connu des amateurs de livres illustrés de la première moitié du XIXe siècle, on trouve sous le titre général de "Les gens de Paris", de nombreuses séries de portraits dessinés par l'artiste présentés ici gravés sur bois. C'est ainsi qu'en cherchant autre chose (enfin presque), je suis tombé en arrêt, hier soir, sur le fameux type du Poète dont voici le dessin que j'avais déjà présenté.
Gravure sur bois par Lavieille d'après Gavarni. Planche hors texte extraite du Diable à Paris (1845-1846). La légende ne figurait pas sous le dessin original de Gavarni, le décor de fond non plus.
Vous constatez vous même que le dessin a parfaitement été gravé sur bois dans les moindres détails par Bara et Gérard, comme c'est indiqué au bas de la gravure sur bois. Cette gravure fait donc partie de la série des "Gens de Paris" pour "Le Diable à Paris" (1845-1846), et de la suite des "Hommes et femmes de plume." - 2e série. - planche n°5. Cette suite compte 6 planches au total. Vous remarquerez que seul le poète avait été dessiné par Gavarni, à la plume et au lavis, et que ce sont les graveurs qui vraisemblablement ont ajouté le décor de fond (fauteuil et bureau), à moins qu'il n'existe un second état intermédiaire du dessin de Gavarni, ce qui serait tout à fait possible. Vous remarquerez également la longue légende en bas de la gravure. Il faut savoir qu'apparemment, d'après ce que j'ai pu lire ici et là, Paul Gavarni attachait autant d'importance à la rédaction des légendes qu'aux dessins eux-mêmes. Ce qui m'invite à penser qu'il existe un dessin original avec la légende signée Gavarni, à moins que cette dernière n'ait été improvisée que sur le tard, à chaud, chez l'imprimeur ou chez l'éditeur (??). Ce dessin n'était donc pas inédit comme je vous l'avais annoncé. Mea culpa.
Quel hasard a bien pu me conduire à justement porter me yeux sur ces planches du Diable à Paris ? Tout simplement... un deuxième dessin original signé Gavarni tombé récemment entre mes mains. Je dis "original" et non "original inédit" car c'est encore un dessin finalement publié que je viens de retrouver. Et ce dessin ne se trouvait placé qu'à quelques pages de celui du Poète désigné ci-dessus. Voici la gravure sur bois qui en a été faite par Lavieille. Elle prend place dans la suite intitulée "Politiqueurs." C'est la huitième et dernière de cette suite. Vous remarquerez que dans le cas présent la légende est identique et qu'on peut donc considérer que le dessin que je vous montre ci-dessous était le dessin définitif qui a servi faire la gravure sur bois.
Gravure sur bois par Lavieille d'après Gavarni.
Planche hors texte extraite du Diable à Paris (1845-1846).
La légende est identique à l'original de Gavarni.
Planche hors texte extraite du Diable à Paris (1845-1846).
La légende est identique à l'original de Gavarni.
Me voici donc l'heureux hôte de deux très jolis dessins originaux de Gavarni, tous deux faits pour le Diable à Paris. Enfin presque. Une hypothèse n'est pas à écarter trop vite cependant. Le premier dessin portant la légende à la plume "Poète" par Gavarni, je ne peux m'empêcher de me demander si ce dessin n'était pas destiné primitivement à la série des Français peints par eux-mêmes comme j'en avais émis la mauvaise certitude dans mon précédent article (même dimension - même titre que l'article des Français). Ce dessin n'ayant pas été retenu pour les Français peints par eux-mêmes, on imagine très bien que l'artiste ait voulu recycler ce dessin en le proposant pour le Diable à Paris. Les dates concordent, les Français peints par eux-mêmes ont été édités entre 1841 et 1842 et le Diable à Paris entre 1845 et 1846. Qu'en pensez-vous ?
Je suis comblé avec ces deux jolis dessins. J'attends un troisième, un quatrième, un cinquième, etc, qui devraient m'amener tout droit au Paradis des monomaniaques icono-bibliophiles... Et bientôt Honoré Daumier... Pourquoi pas ?
Décidément, votre serviteur s'intéresse de plus en plus aux dessins et aux autographes... mauvais virages diront certains ! Bon penchant s'exclameront d'autres ! Je n'en délaisse pas les livres pour autant. La guerre, c'est sur tous les fronts non ?
Je sais bien que le Bibliomane moderne me permet le plus souvent que de survoler tel ou tel sujet, de s'en approcher parfois, suffisamment près quelque fois pour en sentir tous les délices. Dans tous les cas, mon souhait le plus cher est que la "vérité" bibliophile soit mise en lumière et que les doutes et les interrogations soient nos moteurs à toutes et à tous pour atteindre le meilleur de nous et de l'histoire des livres. Noble cause ! Nobles ambitions ! Puissions-nous durer et continuer.
Bonne journée,
Bertrand