Un article du Bibliomane moderne présentant les statuts du Dauphiné (30 Janvier 2009) récemment relayé par un autre article de Jean-Marc sur son site, m’a fait penser à vous présenter une autre curiosité rarissime : les Statuta Sabaudiae, ou Statuts de Savoie. Les États savoisiens ont trop longtemps guerroyé contre le Dauphiné, chacun prenant et reprenant les châteaux de l’autre sur les marches de Savoie, pour que je ne puisse pas rester sans réagir !
1430 : Amédée VIII fait refondre, sous le nom de Statuts de Savoie les multiples lois jusque là en vigueur d'un bout à l'autre du duché. Ces statuts composés de 377 articles, sont le plus important document juridique savoisien jusqu’aux Royales Constitutions de 1723.
La Savoie était, dès cette époque, structurée en État. Les Statuta Sabaudiae se donnaient pour objet de centraliser l'administration, d'affirmer le prestige du souverain face à l'enchevêtrement des pouvoirs et des allégeances issus de la féodalité. De par leur étendue, les Statuts de Savoie sont plus qu'une constitution, puisqu'ils régissent également les rapports sociaux et l’organisation économique de l’État.
Ce livre est une mine de renseignements sur la vie en Savoie au XVeme siècle, car tous les sujets du quotidien sont abordés. Divisé en cinq livres de longueur inégale, il y est question, de la police des cultes (I), des conseils ducaux et de la justice (II), du statut des notaires et de la règlementation des arts libéraux (III) du tarif des actes (IV). Le livre V, un des plus curieux, traite des codes vestimentaires et du train de vie de toutes les classes sociales, du Souverain au laboureur en passant par le docteur « in utroque ».
Le format de cet article ne permet pas de développer chaque sujet, je retiendrais seulement quelques particularités qui m’ont frappées.
Vogues et Chavanneries.
Les savoisiens aiment s’amuser au cours des vogues et autres fêtes de village mais ils ne devaient pas dépasser une certaine limite. Livre 1,24 : « Nous condamnons tout à fait les amusements, les déguisements ou les transformations monstrueuses que certains ne craignent pas de faire au mépris du sacrement du mariage et des époux qu’on appelle charivari. Et aussi les déguisements détestables de ceux qui, en certaines fêtes de l’année, surtout aux fêtes de Saint Nicolas et Sainte Catherine s’habillent avec des habits affreux, en apparence du diable.»
Médecins et Chirurgiens.
« Nous ordonnons que toutes les fois que des médecins seront appelés à donner des remèdes à des personnes gravement malades, ils les avertiront par des paroles de consolation et non de frayeur, pour les amener à recevoir dignement et avec révérence, la médecine spirituelle, c'est-à-dire les sacrements salutaires de pénitence et d’Eucharistie, avant toute application de médecine corporelle, afin que la médecine spirituelle vienne en aide à la corporelle. ».
Le statut des juifs.
Le livre premier consacre de longs développements au statut des juifs en Savoie à cette époque. (Pas moins de 10 articles sur les 25 de ce livre). Ils formaient une communauté sociale et religieuse à part, libre d’exercer leur culte mais de manière très « encadré » (et le mot est faible). La communauté devait vivre dans un quartier spécial nommé Judeazimus dans les Statuts ; Ce quartier était fermé et il était interdit d’en sortir, sauf en cas d’incendie, de maladie ou sur convocation des autorités. Tous devaient porter sur leur habit un signe distinctif, un cercle d’étoffe rouge et blanche d’une largeur de quatre doigts (panni rubei et albi) , qui rappelle de sinistres pratiques plus récentes.
L’habit fait le moine.
Toutes les classes sociales, strictement hiérarchisées, devait pouvoir être distinguées à leurs habits et à la qualité des étoffes. (Statuts V, 1 à 10) Le drap d’or était réservé au Duc et aux membres de sa famille, le velours d’argent aux barons, le velours broché aux barons écuyers, l’écarlate aux banneret, la soie au vavasseurs-écuyers et aux docteurs d’origine noble, le satin aux docteurs en droit roturiers, et à certains haut fonctionnaires comme le trésorier général, les licenciés in utroque avaient droit au camelot, mélange de soie et de cachemire, les bourgeois portaient l’ostrade (laine) et ainsi de suite. Les artisans devaient se contenter d’une étoffe valant 20 gros de Genève l’aune. Comme on sait que le Duc payait ses étoffes d’or 42 ducats, soit 882 gros de Genève, cela donne une idée de la pyramide des revenus !!
Le présent exemplaire, que j’avais qualifié de bombe bibliophilique, pour reprendre l’expression de Bertrand, et que je garde comme l’un des plus précieux de ma bibliothèque pourrait être considéré par d’autres comme une simple épave, vu qu’il lui manque la page de titre et qu’il est passablement défraichi !
Je livre aux yeux exercés des paléologues du blog, les 2 pages de garde qui contiennent de nombreuses marques d’appartenance, notamment une que j’ai lue ainsi : Villare, frère du Châtelain de Chambéry, bon praticien ? - je ne sais pas de quel châtelain de Chambéry il pourrait s’agir, tout renseignement serait le bienvenu ! - mais il est émouvant de penser que ce livre a sans doute séjourné un temps dans les sombres tours du Château de Chambéry.
Bonne Journée
Textor
PS : l’exemplaire présenté est une impression de Turin, in-folio de (6)+100 ff - mq pdt. Au feuillet 100, Colophon "Magistrum Franciscum de Silva, Tautini. Regnante Carolus Duce. 24 avril 1505.", Suivent 5 ff., contenant des décrets postérieurs, incomplets, avec, in fine, la mention : "impressum Thaurini per Magistrum Franciscum de Silva, 14 novembre 1513. "
Pour une édiition du 21 juil 1497 chez le même éditeur, voir le numéro 541 du Catalogue HP Kraus (NY 1948) « Incunabula, sources of medieval and early Renaissance culture and learning ».
Références : Voir « La police religieuse, économique et sociale en Savoie d'après les Statuta Sabaudiae d'Amédée VIII (1430) », par Laurent Chevailler.