Je voudrais vous proposer aujourd’hui une petite recherche entre amis à propos d’un ouvrage pour lequel je n’ai jamais pu percer complètement l’histoire éditoriale. Il s’agit d’une chronique de l’histoire de France, écrite par Paolo Emilio, un chanoine d’origine véronaise, protégé par le cardinal Charles de Bourbon et par Charles VIII, puis recommandé à Louis XII par Etienne Pourcher, évêque de Paris. Ce Paolo Emilio était déjà un historien réputé à Rome lorsqu’il débarqua à Paris vers 1483. A l’époque, il avait juste quelques vagues notions de notre glorieuse histoire : nos ancêtres les gaulois, Alésia, le vase de Soisson, bref tout ce que nous avait légué Grégoire. (Pas le chanteur, mais le tourangeau).
Certains disent que la suite des évènements historiques était en vrac dans les archives et attendait un classement méthodique et une sérieuse interprétation, car chacun sait que l’histoire est une curieuse science qui nécessite qu’on lui donne un sens et qu’il faut rectifier sans cesse pour l’adapter aux circonstances politiques et sociales. Pourtant, avant lui, d’autres chroniques avaient été éditées, comme l’histoire de France de Gaguin, dont le succès était grand et que Paolo Emilio chercha à surpasser.
Arrivé à Paris, dument pensionné par le roi, Paolo Emilio se retira aussitôt au Collège de Navarre, dont la bibliothèque était si réputée, pour mettre un peu d'ordre dans le chaos des origines historiques de la France. Il y travailla pendant 20 ans.
Fig 3 Le feuillet blanc, qui ne l’est pas resté, ex dono de François de la Roche, préfet du collège de Caen. (1)
Je concède que l’Histoire de France de Paolo Emilio est plutôt ennuyeuse à lire car le bonhomme se prenait pour Tite Live et rédigeait dans une langue ampoulée d’un autre âge. Néanmoins, ses annales ont eu du succès puisqu’elles furent rééditées moult fois pendant tout le 16ème siècle, notamment en 1539 (Michel Vascosan et Galliot du Pré), 1544, 1550 (Vascosan), etc.
L'évêque Jean Du Tillet en fit la suite, puis Arnoul de Ferron prit le relais. Le livre reste aujourd’hui une source importante, surtout pour l’histoire du XVIe siècle.
Revenons aux premières émissions de Josse Bade qui nous intéressent ici plus particulièrement.
Mon édition porte au titre libri IIII, comme vous pouvez le constater, mais contient 7 livres, Je compte un feuillet blanc et 218 feuillets numérotés au recto seul.
« Anvers, le 21 Février 1517, Erasme de Rotterdam à son ami Budé, salut. …. J’ai appris par votre ambassadeur (Etienne Pourcher) que Paul Emile rédigeait enfin son histoire de France. Elle ne peut manquer d’être un ouvrage vraiment définitif vu que sa mise au point n’a pas demandé moins de vingt années à un homme qui n’est pas moins savant que diligent. » C’est par ces termes ironiques que nous connaissons la date approximative de la première édition du De Rebus Gestis Francorum, libri IIII, si les termes « rédiger enfin » veulent dire « mettre à l’impression » ! Il semble que Josse Bade fit d’abord paraitre les quatre premiers livres, comme l’indique le titre. Pour une raison inconnue, la page de titre ne contient pas de date, ni les impressions suivantes. Too bad ! lui disait son concurrent Joannis Parvi, ce à quoi Bade rétorquait « T’es petit, Petit ! ». La bataille entre libraires faisait rage en ce début de XVIe siècle…
Pas mal les marges, hein ? Pour dater mon exemplaire, j’ai commencé par feuilleter ma documentation. On lit dans des notices de catalogues de très-excellents libraires : « Les quatre premiers livres des Annales parurent ensemble vers 1516 ou 1517, les deux suivants en 1519. Les quatres derniers livres furent mis en ordre et publiés après sa mort, en 1539, par Vascosan ». Autre catalogue, décrivant l’édition de Vascosan de 1539: "Très belle édition, en partie originale, et la première qui se puisse trouver concrètement. Les six premiers livres parurent en 1517 et 1519 (ces deux éditions sont très rares)" Quatre et deux, six. ? Problème, mon exemplaire en compte sept ! Poussant plus loin la recherche, je note que Brunet cite un exemplaire à la BNF imprimé par Josse Bade "sans date mais de 1517" in folio de 128 ff + 1pdt + 1 f d'errata et un autre exemplaire de « 9 livres quoique le frontispice n'en indique que 4 », de 288 ff. Et il ajoute : "J'ai sous les yeux un exemplaire de la même édition dont le titre n'indique également que IIII livres et qui cependant en a sept, dont le dernier s'arrête au f CCXVIII, qui est suivi de 2 ff d'errata." Voilà qui est intéressant, car cela fait supposer que les 4 premiers livres auraient d'abord paru ensemble et que Josse Bade y aurait ajouté successivement d'abord les livres V à VII, et plus tard les livres VIII à IX, sans renouveler l'ancien frontispice. C'est un exemplaire semblable que décrit Hain (146) qu'il a placé mal à propos parmi les productions du 15eme siècle. Par ailleurs, un examen attentif des caractères et de la mise ne page, comparé avec l’exemplaire numérisé par Gallica montre que les quatre premiers livres sont en tout point identiques à l’édition de 1517, en revanche les livres 5 à 7 sont d’une mise en page légèrement différente à celle que Gallica date de 1519, indiquant que ces livres proviennent d’une autre émission que l’exemplaire en sept livres de la Bnf et là… j’y perd mon latin !
Ces deux pages d’errata manquantes constituent-elles un indice ? Elles peuvent avoir été perdues, pourtant mon ouvrage, qui n’a pas été lavé, est quasi à l’état de neuf, comme vous le voyez. Ont-elles été oubliées au moment de la reliure qui est postérieure ? Ou bien ont-elles été supprimées car les fautes auraient été corrigées dans cette nouvelle version ? Mystère qui nécessiterait que je passe plus de temps en recherches dans les bibliothèques.
Tous renseignements sur ce canard à sept pattes seraient bienvenus !
Bonne Journée
Textor
(1) A propos de cette reliure à la du Seuil, l’exemplaire est aux armes de Morand du Mesnil-Garnier (Ecartelé aux 1 et 4, d'azur à 3 cormorans d'argent, aux 2 et 3, de gueule aux griffons d'or, armé et membré de même.) On rencontre souvent les armes de Thomas II de Morand, baron du Mesnil-Garnier, baptisé à Caen, le 13 nov 1584, conseiller au Grand Conseil en 1605, Trésorier de l'Epargne en 1617, Grand Trésorier des ordres du Roi en 1621. Décédé en 1651, car il avait fondé en 1620 des prix à perpétuité qui devaient être distribués au collège du Mont à Caen. De fait, cet exemplaire contient un ex-dono de François de la Motte, préfet du collège de jésuite (Regio-montano cadonensis) à François de la Roche, pour un prix de déclamation latine et de littérature.