Mais où va se cacher la bibliophilie ? Le hasard meilleure alliée du chasseur-bibliophile, je l'ai déjà écris ici mais cela se vérifie encore ici. Souvent on achète un livre sur son titre, la réputation de son auteur, l'histoire qu'on imagine qui gravite autour de ce livre, bref, on imagine bien plus souvent qu'on ne sait vraiment. Bien souvent nos attentes sont détrompées, il faut se faire une raison, le livre que l'on a entre les mains n'est finalement pas si rare que cela. Et puis il y a les heureuses suprises, les hasards heureux, les divines providences, bref, les moments qui vous font dire : ça y est ! Je l'ai ! Mais quoi ? A vrai dire le plus souvent vous n'en savez encore rien, mais vous subodorez quelque chose de bon, de bien et de beau. C'est exactement ce qui m'est arrivé aujourd'hui. Relié à la suite d'un ouvrage qui avait attiré mon attention (1), voici celui qui finalement devient la "star" de ma journée : "Griefs et plaintes des femmes mal mariées." 42 pages en tout et pour tout avec seulement en guise de titre un vil faux-titre en gros caractères, sans lieu, sans date, sans nom. On ne trouve pas le mot fin à la page 42 mais un filet gras laisse supposer que l'ouvrage est ainsi complet. Une rapide vérification dans les bibliographies permettra de vite se rendre compte que c'est bien le cas. Complet en 42 pages y compris le faux-titre servant de titre. Car ce texte est connu et a été visiblement longuement étudié par plusieurs universitaires spécialistes de la période révolutionnaire en rapport avec le mouvement de révolte des femmes et les prémices d'un féminisme encore à l'état d'embryon.
Que dit-on de cet ouvrage ?
Tout d'abord, de quand date-t-il ? Qui en est l'auteur ? Les sources divergent et se contredisent. Voici ce que j'ai pu relever. Les griefs et plaintes des femmes mal mariées de Cailly sont publiés dans le Moniteur du 6 décembre 1789, selon Christine Fauré, sociologue, directrice de recherche au CNRS, dans un travail intitulé "Au nom de l'égalité entre hommes et femmes au XVIIIe siècle". L'auteur serait donc un certain Cailly. L'ouvrage aurait donc été d'abord publié dans le Moniteur. Quérard dans sa France littéraire indique "Par de Cailly. Paris, Boulard, 1789, in-8". Je trouve dans la réimpression du Moniteur qu'il est en fait indiqué la publication de cet ouvrage (ce n'est donc pas dans le Moniteur que ce pamphlet a été publié comme l'a indiqué Christine Fauré (ou j'avais mal compris, certainement même), cet ouvrage se trouvait "chez les libraires du Palais Royal".
Voici ce qu'il en est dit dans le Moniteur :
"Molière a dit : "Du côté de la barbe est la toute-puissance." C'est cette toute-puissance qui paraît le plus fâcher les femmes, dans l'espèce de factum qu'on publie ici sous leur nom. Quoi! s'écrient-elles, le mariage est une société légitime ; et dans cette société l'un est tout, et l'autre rien ! ils ne font qu'un ; et une moitié de cette unité commande, l'autre sert! l'une opprime, l'autre est opprimée et ne peut cesser de l'être ! - On voit pas ces derniers mots où tendent les griefs et les plaintes des femmes que l'auteur fait parler : elles demandent, ou plutôt il demande pour elles le Divorce ; et il tâche de prévenir, dans le passage suivant et d'autres (qu'il serait trop long de rapporter) toutes les objections, toutes les craintes : Que de désordres, diront bien des gens, vont naître du divorce ! Nous répondrons : combien, au contraire, de désordres et de scandales vont cesser par le divorce ! combien d'épouses stériles vont devenir fécondes ! combien de, célibataires vont être privés des ressources qu'ils trouvaient dans les mauvais ménages ! combien d'entre eux épouseront les femmes qu'ils aiment, et qu'ils ont corrompues ! ils donneront à l’État des enfants légitimes, au lieu d'introduire dans les familles des bâtards spoliateurs. Mais, dira-t-on, combien de femmes vont briser leurs chaînes ! Cet argument est justement la preuve que notre loi du mariage est détestable. Puisque vous convenez que les femmes quitteront leurs maris, c'est que les maris sont des tyrans autorisés par la loi : mais ne craignez pas une désertion si considérable. Au surplus, quoi qu'il arrive, rien ne peut avoir de pires effets que nos lois actuelles."
"Le divorce rompra peu d'unions, par les raisons que voici : 1. Le plus grand nombre de nos mariages est bon. On voit plus de femmes contentes que de mécontentes. Les seuls bons mariages devraient subsister. 2. Dans le nombre de ces femmes mécontentes celles qui sont, par la nécessité d'obéir à la loi, fausses et perfides, celles qui ont l'art de bien tromper leurs maris, les tromperont encore. Leur dépravation leur rend tous les hommes à-peu-près égaux ; elles resteront avec leurs maris, dans la crainte d'en trouver de moins faciles à tromper. 3. Le divorce mettra des bornes à l'autorité des maris. Ils n'en abuseront pas, quand elle pourra être réprimée. Leurs femmes seront moins malheureuses, et elles porteront un joug tolérable. Dans le nombre des mécontentes, bien peu trouveront des ressources pour vivre isolées ; celles qui ont reçu une dot modique, ou dissipée, ou atténuée et insuffisante à leur subsistance, resteront." L'auteur tâche aussi de répondre à l'objection concernant les enfants, concernant l'ordre des successions. Il conclut par dire que la loi du divorce rendra rare le divorce : il l'est infiniment, ajoute-t-il, dans les pays où il a lieu. »
Intéressant résumé d'un ouvrage proprement féministe bien qu'il conserve à l'homme son rôle de chef de la maison. C'est évoluer sans aller au delà du possible des mentalité "mâles" de l'époque. Certains auteurs avancent l'hypothèse que ce pamphlet a en réalité été rédigé par une ou des femmes. Ce serait vraiment intéressant de le savoir avec certitude. On ne le saura sans doute jamais. Véritable cahier de doléance des femmes en 1789, ce texte est passionnant à lire. Ce pamphlet a été présenté "A nosseigneurs de l'Assemblée Nationale" (c'est en tout cas ce qu'on lit en tête du texte imprimé). Le 26 août 1789, l’Assemblée Nationale constituante vote la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Pour pallier les insuffisances concernant les femmes, Olympes de Gouges, qui se bât pour leur émancipation, rédige en 1791, une Déclaration des Droits de la Femme qu’elle dédie à la Reine Marie-Antoinette. Elle déclare en son article premier que « la Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits », et propose une Forme de contrat social de l’Homme et de la Femme qui prône notamment le mariage d’inclination et la communauté des biens. Condorcet quant à lui conteste le principe d’autorité maritale et demande l’égalité des droits pour les hommes et les femmes. La Révolution de 1789 apportera finalement peu d’avantages aux femmes qui, dès 1792 sont exclues du suffrage universel. Elles obtiennent cependant que les biens des parents soient également répartis entre leurs enfants, l’égalité civile et, en 1792, le droit au divorce.
Ce petit pamphlet, visiblement rare (on trouve une dizaine d'exemplaires dans les différents dépôts publics français - à noter cependant que ce type de document, mince plaquette, se retrouve souvent relié "à la suite" et donc ignoré des catalogueurs de bibliothèques un peu trop superficiels dans leur collationnement), se trouvait "caché", relié à la suite de "Du divorce", ouvrage anonyme d'un certain Hennet, publié à Paris de l'Imprimerie de Monsieur, en vente chez Desenne, Libraire au Palais-Royal. L'exemplaire en question se trouve encore dans sa reliure de l'époque en demi-basane. Un lecteur attentif qui regarderait à la page X de la Préface peut lire que les "Griefs etc." sont annoncés sous la date de 1789 (certains donnent ce pamphlet pour 1790).
Voilà, en un résumé rapide, ce qu'on pouvait dire ce que petit opuscule caché à la suite d'un livre lui plus important. Moralité, toujours bien regarder ce qui se trouve tout à la fin d'un livre ... il y a de cela plusieurs années une expérience similaire m'était arrivé ... un in-4 relié en parchemin ... plusieurs textes à caractères religieux datant des années 1560 à 1570 environ ... et puis à la fin ... quatre textes en EO d'un certain Pierre de Ronsard ... et non je ne plaisante pas ... et non à l'époque je ne connaissais pas le Textor ... et oui désormais ces opuscules de Ronsard reposent (en paix), avec l'ensemble du volume (qui était assez bien conservé dans son parchemin de l'époque) ... dans une bibliothèque qui en prend soin (j'espère) ... La bibliophilie réserve toutes les plus belles surprises à celui ou celle qui prend le temps de regarder.
Ouvrez l'oeil ! Et le bon ! (sourire).
Bonne soirée "Clint Eastwood (2)" ...,
Bertrand Bibliomane moderne et Sergio Leonophile ...
(1) Du divorce. A Paris de l'Imprimerie de Monsieur. Chez Desenne, Libraire, au Palais-Royal. 1789. 148 pages. Livre écrit par un certain Hennet, farouche pamphlet en faveur du divorce, et imprimé à Paris "De l'imprimerie de Monsieur". Ce Monsieur, frère de Louis XVI, futur Louis XVIII, celui-là même qui fit abroger, par la Chambre des représentants, la loi sur le divorce, le 8 mai 1816 ! Ironie de l'histoire... Mais qui se souvenait en 1816 que Monsieur avait fait imprimer sous son nom (chez Didot) un livre subversif qui démantelait les bases de la société française de l'époque : l'indissolubilité du mariage ! ... Personne ! ...
(2) Et pour quelques dollars de plus. Film réalisé en 1966 par Sergio Leon. Avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Klaus Kinski, Mara Krup, Gian Maria Volonte. (il n'y a pas que la bibliophilie dans la vie !)
Que dit-on de cet ouvrage ?
Tout d'abord, de quand date-t-il ? Qui en est l'auteur ? Les sources divergent et se contredisent. Voici ce que j'ai pu relever. Les griefs et plaintes des femmes mal mariées de Cailly sont publiés dans le Moniteur du 6 décembre 1789, selon Christine Fauré, sociologue, directrice de recherche au CNRS, dans un travail intitulé "Au nom de l'égalité entre hommes et femmes au XVIIIe siècle". L'auteur serait donc un certain Cailly. L'ouvrage aurait donc été d'abord publié dans le Moniteur. Quérard dans sa France littéraire indique "Par de Cailly. Paris, Boulard, 1789, in-8". Je trouve dans la réimpression du Moniteur qu'il est en fait indiqué la publication de cet ouvrage (ce n'est donc pas dans le Moniteur que ce pamphlet a été publié comme l'a indiqué Christine Fauré (ou j'avais mal compris, certainement même), cet ouvrage se trouvait "chez les libraires du Palais Royal".
Voici ce qu'il en est dit dans le Moniteur :
"Molière a dit : "Du côté de la barbe est la toute-puissance." C'est cette toute-puissance qui paraît le plus fâcher les femmes, dans l'espèce de factum qu'on publie ici sous leur nom. Quoi! s'écrient-elles, le mariage est une société légitime ; et dans cette société l'un est tout, et l'autre rien ! ils ne font qu'un ; et une moitié de cette unité commande, l'autre sert! l'une opprime, l'autre est opprimée et ne peut cesser de l'être ! - On voit pas ces derniers mots où tendent les griefs et les plaintes des femmes que l'auteur fait parler : elles demandent, ou plutôt il demande pour elles le Divorce ; et il tâche de prévenir, dans le passage suivant et d'autres (qu'il serait trop long de rapporter) toutes les objections, toutes les craintes : Que de désordres, diront bien des gens, vont naître du divorce ! Nous répondrons : combien, au contraire, de désordres et de scandales vont cesser par le divorce ! combien d'épouses stériles vont devenir fécondes ! combien de, célibataires vont être privés des ressources qu'ils trouvaient dans les mauvais ménages ! combien d'entre eux épouseront les femmes qu'ils aiment, et qu'ils ont corrompues ! ils donneront à l’État des enfants légitimes, au lieu d'introduire dans les familles des bâtards spoliateurs. Mais, dira-t-on, combien de femmes vont briser leurs chaînes ! Cet argument est justement la preuve que notre loi du mariage est détestable. Puisque vous convenez que les femmes quitteront leurs maris, c'est que les maris sont des tyrans autorisés par la loi : mais ne craignez pas une désertion si considérable. Au surplus, quoi qu'il arrive, rien ne peut avoir de pires effets que nos lois actuelles."
"Le divorce rompra peu d'unions, par les raisons que voici : 1. Le plus grand nombre de nos mariages est bon. On voit plus de femmes contentes que de mécontentes. Les seuls bons mariages devraient subsister. 2. Dans le nombre de ces femmes mécontentes celles qui sont, par la nécessité d'obéir à la loi, fausses et perfides, celles qui ont l'art de bien tromper leurs maris, les tromperont encore. Leur dépravation leur rend tous les hommes à-peu-près égaux ; elles resteront avec leurs maris, dans la crainte d'en trouver de moins faciles à tromper. 3. Le divorce mettra des bornes à l'autorité des maris. Ils n'en abuseront pas, quand elle pourra être réprimée. Leurs femmes seront moins malheureuses, et elles porteront un joug tolérable. Dans le nombre des mécontentes, bien peu trouveront des ressources pour vivre isolées ; celles qui ont reçu une dot modique, ou dissipée, ou atténuée et insuffisante à leur subsistance, resteront." L'auteur tâche aussi de répondre à l'objection concernant les enfants, concernant l'ordre des successions. Il conclut par dire que la loi du divorce rendra rare le divorce : il l'est infiniment, ajoute-t-il, dans les pays où il a lieu. »
Intéressant résumé d'un ouvrage proprement féministe bien qu'il conserve à l'homme son rôle de chef de la maison. C'est évoluer sans aller au delà du possible des mentalité "mâles" de l'époque. Certains auteurs avancent l'hypothèse que ce pamphlet a en réalité été rédigé par une ou des femmes. Ce serait vraiment intéressant de le savoir avec certitude. On ne le saura sans doute jamais. Véritable cahier de doléance des femmes en 1789, ce texte est passionnant à lire. Ce pamphlet a été présenté "A nosseigneurs de l'Assemblée Nationale" (c'est en tout cas ce qu'on lit en tête du texte imprimé). Le 26 août 1789, l’Assemblée Nationale constituante vote la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Pour pallier les insuffisances concernant les femmes, Olympes de Gouges, qui se bât pour leur émancipation, rédige en 1791, une Déclaration des Droits de la Femme qu’elle dédie à la Reine Marie-Antoinette. Elle déclare en son article premier que « la Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits », et propose une Forme de contrat social de l’Homme et de la Femme qui prône notamment le mariage d’inclination et la communauté des biens. Condorcet quant à lui conteste le principe d’autorité maritale et demande l’égalité des droits pour les hommes et les femmes. La Révolution de 1789 apportera finalement peu d’avantages aux femmes qui, dès 1792 sont exclues du suffrage universel. Elles obtiennent cependant que les biens des parents soient également répartis entre leurs enfants, l’égalité civile et, en 1792, le droit au divorce.
Ce petit pamphlet, visiblement rare (on trouve une dizaine d'exemplaires dans les différents dépôts publics français - à noter cependant que ce type de document, mince plaquette, se retrouve souvent relié "à la suite" et donc ignoré des catalogueurs de bibliothèques un peu trop superficiels dans leur collationnement), se trouvait "caché", relié à la suite de "Du divorce", ouvrage anonyme d'un certain Hennet, publié à Paris de l'Imprimerie de Monsieur, en vente chez Desenne, Libraire au Palais-Royal. L'exemplaire en question se trouve encore dans sa reliure de l'époque en demi-basane. Un lecteur attentif qui regarderait à la page X de la Préface peut lire que les "Griefs etc." sont annoncés sous la date de 1789 (certains donnent ce pamphlet pour 1790).
Voilà, en un résumé rapide, ce qu'on pouvait dire ce que petit opuscule caché à la suite d'un livre lui plus important. Moralité, toujours bien regarder ce qui se trouve tout à la fin d'un livre ... il y a de cela plusieurs années une expérience similaire m'était arrivé ... un in-4 relié en parchemin ... plusieurs textes à caractères religieux datant des années 1560 à 1570 environ ... et puis à la fin ... quatre textes en EO d'un certain Pierre de Ronsard ... et non je ne plaisante pas ... et non à l'époque je ne connaissais pas le Textor ... et oui désormais ces opuscules de Ronsard reposent (en paix), avec l'ensemble du volume (qui était assez bien conservé dans son parchemin de l'époque) ... dans une bibliothèque qui en prend soin (j'espère) ... La bibliophilie réserve toutes les plus belles surprises à celui ou celle qui prend le temps de regarder.
Ouvrez l'oeil ! Et le bon ! (sourire).
Bonne soirée "Clint Eastwood (2)" ...,
Bertrand Bibliomane moderne et Sergio Leonophile ...
(1) Du divorce. A Paris de l'Imprimerie de Monsieur. Chez Desenne, Libraire, au Palais-Royal. 1789. 148 pages. Livre écrit par un certain Hennet, farouche pamphlet en faveur du divorce, et imprimé à Paris "De l'imprimerie de Monsieur". Ce Monsieur, frère de Louis XVI, futur Louis XVIII, celui-là même qui fit abroger, par la Chambre des représentants, la loi sur le divorce, le 8 mai 1816 ! Ironie de l'histoire... Mais qui se souvenait en 1816 que Monsieur avait fait imprimer sous son nom (chez Didot) un livre subversif qui démantelait les bases de la société française de l'époque : l'indissolubilité du mariage ! ... Personne ! ...
(2) Et pour quelques dollars de plus. Film réalisé en 1966 par Sergio Leon. Avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Klaus Kinski, Mara Krup, Gian Maria Volonte. (il n'y a pas que la bibliophilie dans la vie !)