Il y avait, en 1786, au régiment de Bourbon en garnison à Maubeuge, un jeune homme de dix neuf ans qui faisait la joie de ses camarades et le désespoir de sa famille.
Enrôlé sous le nom de La Verpillière, et très peu connu sous celui de Gabriel Peignot, ce jeune homme, doué d'une intéressante figure, très-bon musicien, gai conteur, agréable convive, avait acquis la réputation méritée d'être l'un des plus charmants mauvais sujets du régiment.
Des vers assez bien tournés, des couplets écrits avec facilité, des bouquets à Chloris que n'aurait pas désavoués l'Almanach des Muses, valurent à leur auteur de nombreux succès.
Désespéré d'une précocité que la sève du sang bourguignon ne pouvait raisonnablement absoudre, son père résolut de l'éloigner, et Peignot quitta son régiment, non sans laisser quelques regrets dans la société de Maubeuge et la société n'admet pas qu'un sexe.
Il partit pour Besançon à l'âge de vingt ans et y suivit les cours de l'Université. Mais la jurisprudence ne lui offrit que de médiocres attraits et ne put lui faire oublier sa prédisposition pour la poésie légère ; cette arme offensive qu'il savait si bien manier à Maubeuge, à Châtillon-sur-Seine où il avait été clerc et à Arc-en-Barrois, son pays natal, lui fit encore enregistrer de nouvelles conquêtes à Besançon.
A travers cette existence toute de plaisir, vous chercheriez vainement la trace de l'érudit modeste, du savant bibliophile, qui écrivait plus tard dans des stances pleines d'un sentiment et d'un parfum plus pur :
Des livres à mon goût, dans mon coin si modeste,
Remplissent mes rayons ; un humble coffre-fort
Suffit à mes besoins, les pauvres ont le reste ;
Mais ma bibliothèque est mon plus cher trésor.
Malgré l'intempérie de son humeur vagabonde et l'effervescence d'un tempérament qui désolait toujours son père, Peignot prit ses grades et se fit recevoir avocat au Parlement. La prise de possession du titre ne put vaincre entièrement son antipathie pour la profession qu'il exerça pendant les deux années qui suivirent 1790, et dont il ne tira guère d'autre bénéfice, malgré la modestie de sa fortune, que celui d'être utile à quelques-clients nécessiteux.
Une scène plaisante, à la suite de laquelle le futur dignitaire de l'Université jeta sa toque d'avocat dans le parquet de la salle où il plaidait, le fit renoncer au barreau.
Après avoir séjourné quelque temps en Angleterre, et occupé de son mieux les loisirs d'un cœur qui ne pouvait rester en disponibilité, Peignot, qui avait conservé de son éducation première et des traditions de famille un profond respect pour le souverain, s'enrôla dans la garde constitutionnelle sous le nom de La Verpillière, qu'il avait déjà porté au régiment de Bourbon, et qui était sans doute chargé de porter la responsabilité de toutes ses fredaines de garnison.
Le licenciement de ce corps rendit à la vie privée les membres qui avaient échappé aux massacres de septembre. On doit certifier qu'au milieu de cette phase agitée de sa vie, Peignot sut conserver un bon sens politique qui ne l'abandonna jamais. Si les traditions de sa famille le rattachaient, comme nous l'avons dit, aux souvenirs de l'ancien régime, il avait salué avec ardeur les principes de la révolution ; et quand plus tard il vif la nation, échappée de tutelle et folle de théorie, devenir la proie d'indignes représentants, il avait su trouver d'énergiques accents, et exprimer dans des vers bien frappés le dégoût qu'il éprouvait pour les coryphées de la Montagne.
Nous trouvons Peignot, à Vesoul, en 1792, exerçant de nouveau la profession d'avocat, plaidant pour des clients qui ne le payaient pas, et qui abusaient d'un désintéressement dont son intérieur avait souvent à souffrir. La robe noire de l'avocat ne l'avait pas rendu beaucoup plus grave : il s'échappait encore de ses dossiers de procédures quelques couplets incendiaires ; mais c'était autant par tempérament que par habitude.
Peignot passa encore ainsi deux ou trois années de sa vie à gaspiller ce dernier regain de jeunesse, et à éparpiller les derniers feuillets de ses épîtres érotiques, un peu amendé, il est vrai, mais non complètement corrigé. Ce n'était plus La Verpillière, mais ce n'était pas encore Gabriel Peignot.
Son mariage avec Mlle Françoise Dunger (1793), fille d'un ancien procureur au bailliage de Vesoul, lui avait apporté des obligations qui s'harmonisaient assez peu avec ses habitudes et ses idées d'indépendance.
La mort de sa femme, qu'il perdit deux ans après, vint jeter un voile de tristesse sur cette époque de sa vie. Pour donner une nouvelle mère à ses enfants, il se remaria bientôt avec Mlle Juif, veuve de M. Hugon, avocat à Vesoul. Dès lors il se consacra tout entier aux obligations que lui imposait son rôle de père de famille.
En 1796, une école centrale fut organisée à Vesoul, ainsi que dans un grand nombre de villes de province. Peignot en fut nommé bibliothécaire et fut en même temps chargé de faire le cours de géographie et d'histoire littéraire. Ces fonctions, qui exigeaient un travail considérable, allaient le lancer dans une carrière nouvelle et fixer irrévocablement ses goûts. Il allait désormais consacrer à la science cette dévorante activité, cette même ardeur qu'il avait jadis dépensée dans les plaisirs.
Nous n'aurons plus maintenant qu'à offrir un tribut de religieux hommage au savant modeste qui, pendant cinquante ans, eut l'étonnante faculté de travailler dix-huit heures par jour, dont les immenses travaux et la prodigieuse érudition lui valurent, plus qu'à Dijon, son oublieuse patrie d'adoption, une réputation dans toutes les grandes villes lettrées de l'Europe.
Jusqu'à l'époque où Peignot fut nommé inspecteur de l'imprimerie et de la librairie de Dijon (1er novembre 1813), il occupa successivement les fonctions de directeur de l'école secondaire communale de Vesoul et de principal du collège de cette même ville.
Les ouvrages qu'il publia pendant cette période de sa vie : le Dictionnaire raisonné de Bibliologie ; le Dictionnaire des livres condamnés ; les amusements philologiques, le Répertoire bibliographique universel, et nombre d'opuscules et de brochures, prouvent cette infatigable ardeur qui le fit citer comme le premier bibliophile et l'un des plus savants philologues des temps modernes.
L'apparition du Dictionnaire raisonné de Bibliologie, en 1802, avait eu surtout un grand retentissement dans le monde savant, et dès lors un grand nombre d'hommes distingués entrèrent en correspondance avec l'auteur. A Vesoul et à Dijon, il recevait-les visites des voyageurs, et, du fond de l'Allemagne comme de l'Italie, des personnages éminents par leur science et souvent par leur position lui écrivaient dans les termes les plus flatteurs, tenant à honneur d'entrer en relation avec celui qu'ils appelaient leur maître.
La nomenclature seule des ouvrages et des opuscules de Peignot formerait une brochure qui dépasserait les limites que nous nous proposons de donner à cette notice. On peut du reste consulter les divers travaux qui traitent de la vie et des ouvrages de notre auteur : la Biographie nouvelle des contemporains ; la Biographie universelle et portative des contemporains ; la France littéraire de Quérard ; la Biographie universelle de Michaud ; la Nouvelle Biographie générale de MM. Didot ; la Galerie Bourguignonne de MM. Muteau et Garnier ; les notices spéciales de MM. Guillemot, Jolibois, Milsand, et surtout le volume de M. J. Simonnet, intitulé : Essai sur la vie et les ouvrages de Gabriel Peignot, travail aussi complet que consciencieux et que nous avons souvent consulté.
Si les moindres opuscules, si les moindres essais échappés de la plume de Peignot sont maintenant cotés dans les ventes publiques à des prix élevés, c'est qu'ils ont le mérite bien rare de faire aimer leur auteur.
Sa correspondance surtout inspire un sentiment de sympathie dont on ne peut se défendre : elle nous fait aimer et vénérer cet intérieur si calme, si patriarcal, qui avait toujours frappé ses amis et les étrangers, quand ils allaient s'asseoir au foyer de sa famille.
En lisant ces lettres écrites avec une gaîté facile, où il cause plutôt qu'il ne raconte, dictées par une affection sincère et un dévouement qu'il témoigna toujours à sa famille, on se demande ce qu'il faut admirer le plus, du mérite du savant ou des vertus privées du citoyen.
Les faits contemporains relatifs à Peignot sont très-connus.
En 1816, il fut nommé bibliothécaire de la ville de Dijon ; en 1817, docteur ès lettres ; et enfin, en 1838, inspecteur d'Académie.
Des cent volumes environ qu'il a composés, beaucoup conserveront leur valeur première ; d'autres demanderont un complet remaniement, et nous sommes trop admirateur de son talent pour qu'on ne nous permette pas quelques critiques.
Dans son Livre des Singularités, qu'il faut ranger au nombre des compilations bien faites, on trouve de la variété, des détails curieux, des traits parfois assez piquants, mais la bibliographie sérieuse n'a rien à y voir.
On lira toujours avec plaisir le Predicatoriana, ou Révélations singulières et amusantes sur les prédicateurs. Mais que de lacunes ! Que d'anciens prédicateurs riches en traits singuliers sont passés sous silence d'ailleurs, l'idée du livre manque de justesse. Ne voir que des bouffons dans ces rudes adversaires des vices et des travers de leur époque, c'est en concevoir la plus fausse de toutes les idées ; car ce qui choque maintenant le goût moderne avait alors une portée qui n'est plus comprise aujourd'hui.
Les deux volumes publiés en 1829, sous le titre de : Choix de testaments anciens et modernes remarquables par leur importance, leur singularité ou leur bizarrerie, offrent une lecture agréable et parfois instructive ; c'est un des ouvrages de Peignot auquel il y aurait le moins à ajouter.
On ne peut envisager que comme des esquisses imparfaites la notice sur l'ancienne Bibliothèque des ducs de Bourgogne et l'Essai sur la liberté d'écrire ; les questions y sont à peine effleurées. Les Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ et sur celle de Marie laissent beaucoup moins à désirer ; les matériaux dont disposait l'auteur étaient plus abondants, mais il est loin d'avoir épuisé le sujet.
Disons toutefois que si quelques ouvrages de Peignot ont vieilli, c'est que la science lui a survécu et a marché vite. Son malheur a été souvent de travailler de seconde main, de n'avoir à sa disposition que les ressources trop limitées que lui offraient les Bibliothèques de Bourgogne et la collection assez nombreuse d'ailleurs qu'il avait formée. De plus, Peignot ne connaissait pas les langues étrangères ; il ne pouvait consulter les écrivains anglais et allemands, qui lui auraient été d'un grand secours : de là d'inévitables erreurs et des assertions contestables.
Cette existence si laborieuse, si remplie, qui n'a point été abrégée par le travail, puisque Peignot est parvenu à l'âge de quatre-vingt-deux ans, semble la condamnation sans réplique de la plupart des hommes de notre temps, qui, dans presque toutes les branches de la vie publique et privée, avec tant de loisirs et tant de ressources, apprennent et font si peu de chose.
Le plus grand mérite de Peignot, c'est d'avoir popularisé la Bibliographie, de l'avoir fait accepter, de l'avoir présentée sous des couleurs séduisantes à son public et son public comprenait une classe nombreuse de lecteurs, plutôt qu'un petit nombre de savants.
Malgré ces immenses travaux et cet infatigable dévouement, on ne songea jamais à donner à Peignot une distinction honorifique, pas même la décoration de la Légion d'honneur. Cet injuste oubli de la Restauration et de la monarchie de Juillet, que la génération actuelle n'a point ratifié, aurait sans doute été réparé par la République de 1848, s'il lui eût été donné de le faire. Mais maintenant que Peignot est en possession d'une impérissable gloire, que lui importent ces plus ou moins brillants hochets de la vanité humaine ? Que lui importe même la juste célébrité dont il jouit dans toutes les capitales où la science des livres est en honneur ?
Enrôlé sous le nom de La Verpillière, et très peu connu sous celui de Gabriel Peignot, ce jeune homme, doué d'une intéressante figure, très-bon musicien, gai conteur, agréable convive, avait acquis la réputation méritée d'être l'un des plus charmants mauvais sujets du régiment.
Des vers assez bien tournés, des couplets écrits avec facilité, des bouquets à Chloris que n'aurait pas désavoués l'Almanach des Muses, valurent à leur auteur de nombreux succès.
Désespéré d'une précocité que la sève du sang bourguignon ne pouvait raisonnablement absoudre, son père résolut de l'éloigner, et Peignot quitta son régiment, non sans laisser quelques regrets dans la société de Maubeuge et la société n'admet pas qu'un sexe.
Il partit pour Besançon à l'âge de vingt ans et y suivit les cours de l'Université. Mais la jurisprudence ne lui offrit que de médiocres attraits et ne put lui faire oublier sa prédisposition pour la poésie légère ; cette arme offensive qu'il savait si bien manier à Maubeuge, à Châtillon-sur-Seine où il avait été clerc et à Arc-en-Barrois, son pays natal, lui fit encore enregistrer de nouvelles conquêtes à Besançon.
A travers cette existence toute de plaisir, vous chercheriez vainement la trace de l'érudit modeste, du savant bibliophile, qui écrivait plus tard dans des stances pleines d'un sentiment et d'un parfum plus pur :
Des livres à mon goût, dans mon coin si modeste,
Remplissent mes rayons ; un humble coffre-fort
Suffit à mes besoins, les pauvres ont le reste ;
Mais ma bibliothèque est mon plus cher trésor.
Malgré l'intempérie de son humeur vagabonde et l'effervescence d'un tempérament qui désolait toujours son père, Peignot prit ses grades et se fit recevoir avocat au Parlement. La prise de possession du titre ne put vaincre entièrement son antipathie pour la profession qu'il exerça pendant les deux années qui suivirent 1790, et dont il ne tira guère d'autre bénéfice, malgré la modestie de sa fortune, que celui d'être utile à quelques-clients nécessiteux.
Une scène plaisante, à la suite de laquelle le futur dignitaire de l'Université jeta sa toque d'avocat dans le parquet de la salle où il plaidait, le fit renoncer au barreau.
Après avoir séjourné quelque temps en Angleterre, et occupé de son mieux les loisirs d'un cœur qui ne pouvait rester en disponibilité, Peignot, qui avait conservé de son éducation première et des traditions de famille un profond respect pour le souverain, s'enrôla dans la garde constitutionnelle sous le nom de La Verpillière, qu'il avait déjà porté au régiment de Bourbon, et qui était sans doute chargé de porter la responsabilité de toutes ses fredaines de garnison.
Le licenciement de ce corps rendit à la vie privée les membres qui avaient échappé aux massacres de septembre. On doit certifier qu'au milieu de cette phase agitée de sa vie, Peignot sut conserver un bon sens politique qui ne l'abandonna jamais. Si les traditions de sa famille le rattachaient, comme nous l'avons dit, aux souvenirs de l'ancien régime, il avait salué avec ardeur les principes de la révolution ; et quand plus tard il vif la nation, échappée de tutelle et folle de théorie, devenir la proie d'indignes représentants, il avait su trouver d'énergiques accents, et exprimer dans des vers bien frappés le dégoût qu'il éprouvait pour les coryphées de la Montagne.
Nous trouvons Peignot, à Vesoul, en 1792, exerçant de nouveau la profession d'avocat, plaidant pour des clients qui ne le payaient pas, et qui abusaient d'un désintéressement dont son intérieur avait souvent à souffrir. La robe noire de l'avocat ne l'avait pas rendu beaucoup plus grave : il s'échappait encore de ses dossiers de procédures quelques couplets incendiaires ; mais c'était autant par tempérament que par habitude.
Peignot passa encore ainsi deux ou trois années de sa vie à gaspiller ce dernier regain de jeunesse, et à éparpiller les derniers feuillets de ses épîtres érotiques, un peu amendé, il est vrai, mais non complètement corrigé. Ce n'était plus La Verpillière, mais ce n'était pas encore Gabriel Peignot.
Son mariage avec Mlle Françoise Dunger (1793), fille d'un ancien procureur au bailliage de Vesoul, lui avait apporté des obligations qui s'harmonisaient assez peu avec ses habitudes et ses idées d'indépendance.
La mort de sa femme, qu'il perdit deux ans après, vint jeter un voile de tristesse sur cette époque de sa vie. Pour donner une nouvelle mère à ses enfants, il se remaria bientôt avec Mlle Juif, veuve de M. Hugon, avocat à Vesoul. Dès lors il se consacra tout entier aux obligations que lui imposait son rôle de père de famille.
En 1796, une école centrale fut organisée à Vesoul, ainsi que dans un grand nombre de villes de province. Peignot en fut nommé bibliothécaire et fut en même temps chargé de faire le cours de géographie et d'histoire littéraire. Ces fonctions, qui exigeaient un travail considérable, allaient le lancer dans une carrière nouvelle et fixer irrévocablement ses goûts. Il allait désormais consacrer à la science cette dévorante activité, cette même ardeur qu'il avait jadis dépensée dans les plaisirs.
Nous n'aurons plus maintenant qu'à offrir un tribut de religieux hommage au savant modeste qui, pendant cinquante ans, eut l'étonnante faculté de travailler dix-huit heures par jour, dont les immenses travaux et la prodigieuse érudition lui valurent, plus qu'à Dijon, son oublieuse patrie d'adoption, une réputation dans toutes les grandes villes lettrées de l'Europe.
Jusqu'à l'époque où Peignot fut nommé inspecteur de l'imprimerie et de la librairie de Dijon (1er novembre 1813), il occupa successivement les fonctions de directeur de l'école secondaire communale de Vesoul et de principal du collège de cette même ville.
Les ouvrages qu'il publia pendant cette période de sa vie : le Dictionnaire raisonné de Bibliologie ; le Dictionnaire des livres condamnés ; les amusements philologiques, le Répertoire bibliographique universel, et nombre d'opuscules et de brochures, prouvent cette infatigable ardeur qui le fit citer comme le premier bibliophile et l'un des plus savants philologues des temps modernes.
L'apparition du Dictionnaire raisonné de Bibliologie, en 1802, avait eu surtout un grand retentissement dans le monde savant, et dès lors un grand nombre d'hommes distingués entrèrent en correspondance avec l'auteur. A Vesoul et à Dijon, il recevait-les visites des voyageurs, et, du fond de l'Allemagne comme de l'Italie, des personnages éminents par leur science et souvent par leur position lui écrivaient dans les termes les plus flatteurs, tenant à honneur d'entrer en relation avec celui qu'ils appelaient leur maître.
La nomenclature seule des ouvrages et des opuscules de Peignot formerait une brochure qui dépasserait les limites que nous nous proposons de donner à cette notice. On peut du reste consulter les divers travaux qui traitent de la vie et des ouvrages de notre auteur : la Biographie nouvelle des contemporains ; la Biographie universelle et portative des contemporains ; la France littéraire de Quérard ; la Biographie universelle de Michaud ; la Nouvelle Biographie générale de MM. Didot ; la Galerie Bourguignonne de MM. Muteau et Garnier ; les notices spéciales de MM. Guillemot, Jolibois, Milsand, et surtout le volume de M. J. Simonnet, intitulé : Essai sur la vie et les ouvrages de Gabriel Peignot, travail aussi complet que consciencieux et que nous avons souvent consulté.
Si les moindres opuscules, si les moindres essais échappés de la plume de Peignot sont maintenant cotés dans les ventes publiques à des prix élevés, c'est qu'ils ont le mérite bien rare de faire aimer leur auteur.
Sa correspondance surtout inspire un sentiment de sympathie dont on ne peut se défendre : elle nous fait aimer et vénérer cet intérieur si calme, si patriarcal, qui avait toujours frappé ses amis et les étrangers, quand ils allaient s'asseoir au foyer de sa famille.
En lisant ces lettres écrites avec une gaîté facile, où il cause plutôt qu'il ne raconte, dictées par une affection sincère et un dévouement qu'il témoigna toujours à sa famille, on se demande ce qu'il faut admirer le plus, du mérite du savant ou des vertus privées du citoyen.
Les faits contemporains relatifs à Peignot sont très-connus.
En 1816, il fut nommé bibliothécaire de la ville de Dijon ; en 1817, docteur ès lettres ; et enfin, en 1838, inspecteur d'Académie.
Des cent volumes environ qu'il a composés, beaucoup conserveront leur valeur première ; d'autres demanderont un complet remaniement, et nous sommes trop admirateur de son talent pour qu'on ne nous permette pas quelques critiques.
Dans son Livre des Singularités, qu'il faut ranger au nombre des compilations bien faites, on trouve de la variété, des détails curieux, des traits parfois assez piquants, mais la bibliographie sérieuse n'a rien à y voir.
On lira toujours avec plaisir le Predicatoriana, ou Révélations singulières et amusantes sur les prédicateurs. Mais que de lacunes ! Que d'anciens prédicateurs riches en traits singuliers sont passés sous silence d'ailleurs, l'idée du livre manque de justesse. Ne voir que des bouffons dans ces rudes adversaires des vices et des travers de leur époque, c'est en concevoir la plus fausse de toutes les idées ; car ce qui choque maintenant le goût moderne avait alors une portée qui n'est plus comprise aujourd'hui.
Les deux volumes publiés en 1829, sous le titre de : Choix de testaments anciens et modernes remarquables par leur importance, leur singularité ou leur bizarrerie, offrent une lecture agréable et parfois instructive ; c'est un des ouvrages de Peignot auquel il y aurait le moins à ajouter.
On ne peut envisager que comme des esquisses imparfaites la notice sur l'ancienne Bibliothèque des ducs de Bourgogne et l'Essai sur la liberté d'écrire ; les questions y sont à peine effleurées. Les Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ et sur celle de Marie laissent beaucoup moins à désirer ; les matériaux dont disposait l'auteur étaient plus abondants, mais il est loin d'avoir épuisé le sujet.
Disons toutefois que si quelques ouvrages de Peignot ont vieilli, c'est que la science lui a survécu et a marché vite. Son malheur a été souvent de travailler de seconde main, de n'avoir à sa disposition que les ressources trop limitées que lui offraient les Bibliothèques de Bourgogne et la collection assez nombreuse d'ailleurs qu'il avait formée. De plus, Peignot ne connaissait pas les langues étrangères ; il ne pouvait consulter les écrivains anglais et allemands, qui lui auraient été d'un grand secours : de là d'inévitables erreurs et des assertions contestables.
Cette existence si laborieuse, si remplie, qui n'a point été abrégée par le travail, puisque Peignot est parvenu à l'âge de quatre-vingt-deux ans, semble la condamnation sans réplique de la plupart des hommes de notre temps, qui, dans presque toutes les branches de la vie publique et privée, avec tant de loisirs et tant de ressources, apprennent et font si peu de chose.
Le plus grand mérite de Peignot, c'est d'avoir popularisé la Bibliographie, de l'avoir fait accepter, de l'avoir présentée sous des couleurs séduisantes à son public et son public comprenait une classe nombreuse de lecteurs, plutôt qu'un petit nombre de savants.
Malgré ces immenses travaux et cet infatigable dévouement, on ne songea jamais à donner à Peignot une distinction honorifique, pas même la décoration de la Légion d'honneur. Cet injuste oubli de la Restauration et de la monarchie de Juillet, que la génération actuelle n'a point ratifié, aurait sans doute été réparé par la République de 1848, s'il lui eût été donné de le faire. Mais maintenant que Peignot est en possession d'une impérissable gloire, que lui importent ces plus ou moins brillants hochets de la vanité humaine ? Que lui importe même la juste célébrité dont il jouit dans toutes les capitales où la science des livres est en honneur ?
ERNEST PETIT,
Membre correspondant de la commission des Antiquités de la Côte-d'Or.
Membre correspondant de la commission des Antiquités de la Côte-d'Or.
in LE BIBLIOPHILE FRANÇAIS, Gazette illustrée des Amateurs de Livres, d'Estampes et de haute curiosité, T.1, 1868
Bonne journée,
Xavier
Xavier