Je souhaitais partager avec vous ce que je considère comme ma plus belle acquisition du mois de janvier. La plus belle non pas parce que la plus rare, non pas parce que la plus chère, non pas parce que la plus extraordinaire, non, simplement la plus belle parce que la plus belle ! Et oui un livre peut tout simplement être beau ! Le bibliomane n'est pas loin vous me direz, et peut-être aurez-vous raison, d'autant qu'apparemment, belle nouvelle, les bibliomanes se font rares ces derniers temps si j'en juge par le peu d'enthousiasme qu'a suscité cet ouvrage, alors proposé aux enchères (je ne dévoile pas le prix d'achat de peur de déclencher une émeute parmi l'assistance). Tant mieux pour moi ! Je ne vais pas m'en plaindre. Ce livre intègre donc, avec d'autres, ma collection personnelle consacrée à l'œuvre dessinée, gravée, et manuscrite de Paul Gavarni, dessinateur et lithographie à qui j'ai déjà consacré de nombreux billets sur le blog du Bibliomane moderne (ICI, ICI, ICI, ICI, ICI, ICI, ICI, ICI et ICI)
Voici l'objet. C'est un album de lithographies, tirées sur blanc, brochées sous couverture imprimée de l'époque. La première de couverture énonce le titre : ALBUM COMIQUE PAR GAVARNI. En vente au bureau du JOURNAL AMUSANT, 20 rue Bergère, et au bureau du CHARIVARI, 16, rue du Croissant. Paris, Lithographie Destouches, Paris. Le volume ne contient pas d'autre titre que celui de la couverture, comme c'est le cas habituellement d'ailleurs pour tous les albums de ce type et de cette époque que je possède ou que j'ai rencontré. On trouve ensuite brochées (ou plutôt cousues), les 30 lithographies numérotées de 1 à 30. Elles portent toutes le titre : LES ÉTUDIANS DE PARIS. Elles sortent toutes de l'imprimerie Aubert et Cie et portent l'adresse de Bauger, rue du Croissant, 16, qui est l'adresse du journal satirique le Charivari. L'ensemble des 30 lithographies est tiré sur blanc, c'est à dire qu'il s'agit d'épreuves de choix destinées à la vente en album pour les amateurs d'estampes, elles ont toutes été ici coloriées à la main à l'aquarelle et rehaussées de gomme arabique pour donner la brillance à certaines parties des dessins. Ce coloris était exécuté par des "petites mains" (de jeunes femmes, voire de jeunes filles travaillant chez elle pour quelques sous la feuille, respectant scrupuleusement une lithographie étalon). Seuls quelques rares exemplaires de ces albums de lithographies étaient ainsi livrés coloriés et vendus dans le commerce, travail qui on l'imagine aisément, apportait un coût supplémentaire non négligeable que l'éditeur devait répercuter sur son prix de vente. L'ensemble est ici en parfait état. Les lithographies sont tirées sur un beau papier vélin, blanc la plupart du temps ou légèrement teinté (ne pas se fier à la couleur teintée du fond des estampes sur les photographies fournies ici, effet artéfact qui ne résulte que de prises de vues sans flash pour éviter les reflets intempestifs dû aux aplats de gomme arabique). D'ailleurs les photographies ci-dessous, si elles donnent une idée de la qualité du dessin de Gavarni, ainsi que de la qualité du coloris, elles sont bien loin de rendre toute la beauté qui émane de ces lithographies lorsqu'on les a sous les yeux... c'est tout bonnement une merveille ! Un travail admirable en tous points !
Que sait-on de cette série de lithographies consacrée aux étudiants de Paris ? Paul-André Lemoisne dans sa biographie de Gavarni(*), nous dit que cette suite est composée de 60 lithographies dont la première fut déposée le 20 août 1839. Nous n'avons donc que la première partie de cette grand suite, composée des trente premières lithographies numérotées de 1 à 30. Ces lithographies ayant été au préalable publiées dans la presse dans la Charivari et le Journal Amusant, on peut supposer que ce premier album a été confectionné et mis en vente pour les amateurs peu de temps après la parution de la trentième lithographie.
Lemoisne indique : "Et c'est avec la suite des Étudiants de Paris que commencent vraiment ses belles séries. Soutenu maintenant par une technique plus savante, l'artiste ne nous montre plus de petites scènes de mœurs ou des caricatures isolées, mais de véritables tranches de vie d'un esprit profond, où tous peuvent se reconnaitre, ou mieux : reconnaitre leur voisin."
Lemoisne poursuit : "Notons quelques-unes des qualités que révèle cette série des Étudiants : la justesse du cadre d'abord, des intérieurs de chambres, des couloirs d'hôtels meublés, des détails pris sur le vif. L'exactitude aussi du type de l'étudiant, de son costume ; la vérité des attitudes bon enfant dans les situations parfois bizarres. Le sentiment de la jeunesse avec son insouciance, son assurance, sa confiance dans la vie, son désir de plaisir. Cela sans jamais rien de forcé, tout l'effet est obtenu par la vérité, le naturel des scènes, par l'analyse morale du sujet. Comme Gavarni sait nous faire comprendre, par exemple, la mélancolie passagère du carabin à qui son amie reproche de s'être égoïstement payé un cadavre au lieu de lui offrir un mantelet ; le besoin d'épate qui fait dire à ce joueur de billard : "Vois-tu ? Fifine nous lanterne tous les deux et ça devient chose ! Faut en finir ! J'te joue ça en trente-six net ! et j't'en rends quatre..." Ou bien encore la suffisance de cet étudiant, devisant de l'avenir avec un camarade : Eh ! mon cher ne te plains pas ! tu seras médecin, je serai procureur du Roi ; quand tu seras obligé d'avoir du talent, je serai forcé d'avoir des mœurs, c'est ça qui sera dur !". En même temps que l'étudiant, il nous dépeint, avant Mimi Pinson, et bien avant Murger, la figure ronde et comme étonnée de la grisette, compagne fidèle, travailleuse. Il nous montre sa simplicité, sa confiance, sa crédulité même ... "Essaye un peu, dit mutinement celle-ci assise dans l'herbe auprès de son ami, de ne pas me mener à tous les jugements, quand tu seras procureur du Roi, et tu verras ! ..." Sa patience dévouée sait éviter les scènes de jalousie, les éclats de voix dont se serviront les lorettes, à peine fait-elle ce reproche ironique : "Est-ce aussi votre tuteur qui laisse des épingles noires sur votre oreiller ? ..." Où s'exclame-t-elle naïvement, sa jolie tête blonde penchée à côté d'un artiste regardant un dessin de squelette : "Quand on pense que voilà ce que c'est qu'un homme ... et que les femmes aiment ça ! ..." Remarquons au reste, la désinvolture plus masculine de cette suite, la femme effrontée, dupant l'homme sans vergogne, que nous reverrons souvent dans l'oeuvre de Gavarni, n'y apparait pas encore non plus que dans celle qui s'en rapproche beaucoup et qu'il consacra à Clichy, la prison pour dettes." (**)
C'était un long travail de photographie et de mise en ligne pour pouvoir vous proposer d'admirer l'intégralité des 30 lithographies de cet album rare dans son état broché et colorié de l'époque. Mais je souhaitais que ce billet soit comme un témoignage de mon admiration pour cet artiste de talent. Puissent ces images vous réjouir l'œil autant qu'à mon tour !
Les voici ! Cliquez sur les images pour les agrandir.
Certains diront que ça ne vaut pas un incunable ! Moi je n'en suis pas certain (sourire) ... Qu'on me prouve le contraire d'abord ! ...
Bonne nuit,
Bertrand Bibliomane moderne
Voici l'objet. C'est un album de lithographies, tirées sur blanc, brochées sous couverture imprimée de l'époque. La première de couverture énonce le titre : ALBUM COMIQUE PAR GAVARNI. En vente au bureau du JOURNAL AMUSANT, 20 rue Bergère, et au bureau du CHARIVARI, 16, rue du Croissant. Paris, Lithographie Destouches, Paris. Le volume ne contient pas d'autre titre que celui de la couverture, comme c'est le cas habituellement d'ailleurs pour tous les albums de ce type et de cette époque que je possède ou que j'ai rencontré. On trouve ensuite brochées (ou plutôt cousues), les 30 lithographies numérotées de 1 à 30. Elles portent toutes le titre : LES ÉTUDIANS DE PARIS. Elles sortent toutes de l'imprimerie Aubert et Cie et portent l'adresse de Bauger, rue du Croissant, 16, qui est l'adresse du journal satirique le Charivari. L'ensemble des 30 lithographies est tiré sur blanc, c'est à dire qu'il s'agit d'épreuves de choix destinées à la vente en album pour les amateurs d'estampes, elles ont toutes été ici coloriées à la main à l'aquarelle et rehaussées de gomme arabique pour donner la brillance à certaines parties des dessins. Ce coloris était exécuté par des "petites mains" (de jeunes femmes, voire de jeunes filles travaillant chez elle pour quelques sous la feuille, respectant scrupuleusement une lithographie étalon). Seuls quelques rares exemplaires de ces albums de lithographies étaient ainsi livrés coloriés et vendus dans le commerce, travail qui on l'imagine aisément, apportait un coût supplémentaire non négligeable que l'éditeur devait répercuter sur son prix de vente. L'ensemble est ici en parfait état. Les lithographies sont tirées sur un beau papier vélin, blanc la plupart du temps ou légèrement teinté (ne pas se fier à la couleur teintée du fond des estampes sur les photographies fournies ici, effet artéfact qui ne résulte que de prises de vues sans flash pour éviter les reflets intempestifs dû aux aplats de gomme arabique). D'ailleurs les photographies ci-dessous, si elles donnent une idée de la qualité du dessin de Gavarni, ainsi que de la qualité du coloris, elles sont bien loin de rendre toute la beauté qui émane de ces lithographies lorsqu'on les a sous les yeux... c'est tout bonnement une merveille ! Un travail admirable en tous points !
Que sait-on de cette série de lithographies consacrée aux étudiants de Paris ? Paul-André Lemoisne dans sa biographie de Gavarni(*), nous dit que cette suite est composée de 60 lithographies dont la première fut déposée le 20 août 1839. Nous n'avons donc que la première partie de cette grand suite, composée des trente premières lithographies numérotées de 1 à 30. Ces lithographies ayant été au préalable publiées dans la presse dans la Charivari et le Journal Amusant, on peut supposer que ce premier album a été confectionné et mis en vente pour les amateurs peu de temps après la parution de la trentième lithographie.
Lemoisne indique : "Et c'est avec la suite des Étudiants de Paris que commencent vraiment ses belles séries. Soutenu maintenant par une technique plus savante, l'artiste ne nous montre plus de petites scènes de mœurs ou des caricatures isolées, mais de véritables tranches de vie d'un esprit profond, où tous peuvent se reconnaitre, ou mieux : reconnaitre leur voisin."
Lemoisne poursuit : "Notons quelques-unes des qualités que révèle cette série des Étudiants : la justesse du cadre d'abord, des intérieurs de chambres, des couloirs d'hôtels meublés, des détails pris sur le vif. L'exactitude aussi du type de l'étudiant, de son costume ; la vérité des attitudes bon enfant dans les situations parfois bizarres. Le sentiment de la jeunesse avec son insouciance, son assurance, sa confiance dans la vie, son désir de plaisir. Cela sans jamais rien de forcé, tout l'effet est obtenu par la vérité, le naturel des scènes, par l'analyse morale du sujet. Comme Gavarni sait nous faire comprendre, par exemple, la mélancolie passagère du carabin à qui son amie reproche de s'être égoïstement payé un cadavre au lieu de lui offrir un mantelet ; le besoin d'épate qui fait dire à ce joueur de billard : "Vois-tu ? Fifine nous lanterne tous les deux et ça devient chose ! Faut en finir ! J'te joue ça en trente-six net ! et j't'en rends quatre..." Ou bien encore la suffisance de cet étudiant, devisant de l'avenir avec un camarade : Eh ! mon cher ne te plains pas ! tu seras médecin, je serai procureur du Roi ; quand tu seras obligé d'avoir du talent, je serai forcé d'avoir des mœurs, c'est ça qui sera dur !". En même temps que l'étudiant, il nous dépeint, avant Mimi Pinson, et bien avant Murger, la figure ronde et comme étonnée de la grisette, compagne fidèle, travailleuse. Il nous montre sa simplicité, sa confiance, sa crédulité même ... "Essaye un peu, dit mutinement celle-ci assise dans l'herbe auprès de son ami, de ne pas me mener à tous les jugements, quand tu seras procureur du Roi, et tu verras ! ..." Sa patience dévouée sait éviter les scènes de jalousie, les éclats de voix dont se serviront les lorettes, à peine fait-elle ce reproche ironique : "Est-ce aussi votre tuteur qui laisse des épingles noires sur votre oreiller ? ..." Où s'exclame-t-elle naïvement, sa jolie tête blonde penchée à côté d'un artiste regardant un dessin de squelette : "Quand on pense que voilà ce que c'est qu'un homme ... et que les femmes aiment ça ! ..." Remarquons au reste, la désinvolture plus masculine de cette suite, la femme effrontée, dupant l'homme sans vergogne, que nous reverrons souvent dans l'oeuvre de Gavarni, n'y apparait pas encore non plus que dans celle qui s'en rapproche beaucoup et qu'il consacra à Clichy, la prison pour dettes." (**)
C'était un long travail de photographie et de mise en ligne pour pouvoir vous proposer d'admirer l'intégralité des 30 lithographies de cet album rare dans son état broché et colorié de l'époque. Mais je souhaitais que ce billet soit comme un témoignage de mon admiration pour cet artiste de talent. Puissent ces images vous réjouir l'œil autant qu'à mon tour !
Les voici ! Cliquez sur les images pour les agrandir.
Certains diront que ça ne vaut pas un incunable ! Moi je n'en suis pas certain (sourire) ... Qu'on me prouve le contraire d'abord ! ...
Bonne nuit,
Bertrand Bibliomane moderne
(*) La vie et l'art romantique. Gavarni, peintre et lithographe, par Paul-André Lemoisne. Paris, H. Floury, 1924. 2 volumes in-4 avec de très nombreuses reproductions en noir et en couleurs.
(**) Lemoisne, Gavarni, peintre et lithographe, tome I, pp. 85-86