Mais où est donc passée Flora la belle romaine ? Alcipiade et Thaïs ? Et Jehanne la bonne lorraine qu’anglais brulèrent à Rouen ? Ne cherchez plus, Ravisius Textor les a toutes rassemblées pour vous !
On ne présente plus le Textor, ce pédagogue de la Renaissance, élève puis professeur au collège de Navarre, recteur de l’université de Paris, grand compilateur devant l’Eternel, qui a déjà fait le buzz sur ce blog avec deux de ses best-sellers, l’Offinae Epitome et le Cornucopiae.
Un an après l’Officinae, en 1521, Ravisius Textor publie un nouvel opus, chez Simon de Colines, dont le titre est tout un programme : De Memoralibus et claris Mulieribus Aliquot Diversorum Scriptorum Opera. C'est-à-dire Divers Traités de divers auteurs touchant les femmes illustres. (1)
Simon de Colines secondait Henri 1er Estienne dans son atelier de la rue Jean de Beauvais. Après la mort de ce dernier en 1520, il prit la direction de l’imprimerie jusqu’en 1526, avant de le restituer à son pupille, Robert Estienne. C’est pendant ces années qu’il utilisa la marque aux lapins.
Le De Claris Mulieribus est un recueil de biographie de femmes célèbres, c’est l’ouvrage du 16ième siècle le plus complet du genre. Pour ne pas faillir à sa réputation, Ravisius Textor a compilé, sans faire de synthèse, tous les textes qu’il a pu trouver à la gloire du sexe féminin. Un vaste sujet, vous en conviendrez !
Le thème n’est pas neuf. Prolongeant la littérature courtoise, nombre d’auteurs ont déjà disserté sur les vertus féminines et se sont fait le champion des dames. Il suffit de constater la fréquence des rééditions de Martin le Franc.
La source d’inspiration est venue d’Italie avec Boccace et son De Claris Mulieribus, écrit à la cour de Naples, dans les années 1361-1362. Il lance le genre avec un recueil de 106 biographies de femmes fictives ou réelles de l'Antiquité au Moyen Age. Puis c’est Jacques-Philippe de Bergame (Iacobus Philippus Bergomensis), un moine augustin disparu juste un an avant la publication du livre du Textor, qui adapte et complète Boccace dans un De Claris Mulieribus, publié pour la première fois en 1497. A sa suite, bien d’autres auteurs s’attacheront à démontrer la noblesse et supériorité des femmes, Symphorien Champier, auteur de « la Nef des Dames vertueuses » (1503) mais aussi Cornelius Agrippa de Nettesheim, auteur du « De Notabilitate & praecelentia foeminei sexus » (1509).
Pourquoi tant de livres sur ce thème, me direz-vous ? Bonne question mais je n’ai pas vraiment la réponse. Peut-être faut-il y voir une émergence du féminisme et de l’égalité des sexes, liée au néo-platonicisme de Ficin. Cette vague s’étendra jusqu’au milieu du XVIe siècle, puis les guerres de religion, la ligue, l’atmosphère ayant changé se prêtera mal à ces courtois débats. L’un des derniers textes notables parait en 1555, c’est le fameux « Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin » de François de Billon.
De surcroit, nos auteurs cherchaient la protection d’une dame de haut lignage, et le discours apologétique des dédicaces traduit souvent leur intention. Ainsi, Jean Marot écrit son « Vray Disant, advocate des Dames » pour Anne de Bretagne, en 1500, alors qu’il est son secrétaire. Anne de France, Louise de Savoie, Marguerite de Navarre auront aussi droit à des dédicaces empressées qui témoignent du rôle important joué par les femmes dans la transformation des mœurs aristocratiques.
De manière paradoxale, c’est aussi pendant le XVIe siècle que va fleurir toute une littérature teintée de satire misogyne qui puise dans un vieux fonds classique de grivoiseries proverbiales et d’arguments tirés des Anciens et des Pères de l’église. (Ève est la première incarnation catastrophique de la malice féminine tandis que Pandore en est l’équivalent païen, etc …). Dans cette veine, on peut citer « les Controverses » de Gratien du Pont de Drusac (1534)
Ravisius Textor, lui, adresse sa dédicace, datée du 8 Juillet 1521, à Jeanne de Vuignacourt, épouse de Charles Guillard, Président du Parlement de Paris, personnage considérable. Plusieurs lettrines de départ, spécialement taillées pour cet ouvrage, portent les armes des Vuignacourt et des Guillard.
Cette préface laisse transpirer peu de chose des idées du Textor sur l’éternel féminin. D’ailleurs, comme il l’explique lui-même, plongé dans ses livres, il ne connaissait guère de femme et aucune digne de représenter les femmes célèbres de son ouvrage. Le choix de Jeanne de Vuignacourt a été fait sur les conseils d’un ami, Louis Lasserre, et c’est ce dernier qui fait valoir les vertus de Jeanne de Vuignacourt dans une argumentation que Ravisius Textor reproduit et approuve entièrement !!
Ces vertus qui rendent Jeanne digne de l’honneur qui lui est fait sont (i) l’austérité avec laquelle elle éduque ses enfants (ii) son amour du travail malgré sa richesse (iii) sa dévotion dont elle donne des preuves en engageant 3 de ses 6 enfants dans les ordres …
Le recueil débute avec le livre de Plutarque sur les femmes vertueuses de l’antiquité, (De Virtutibus Mulierum) traduit par l’italien Alamanum Ranutinum, publié en 1485, puis vient la somme de Jacques-Philippe de Bergame dédiée à Béatrice d’Aragon, qui constitue le corps principal de l’ouvrage, dont les notices peuvent être de la plus parfaite fantaisie, comme celle-ci consacrée à Orithie, reine des Amazones.
Fig 3. Orithie, reine des Amazones. Le texte débute avec une lettrine dont le style ne se retrouve dans aucun autre des nombreux bois de cet ouvrage.
Suivent enfin des textes tirés de Jean de Pins (Sainte Catherine de Sienne), Battista Fregoso (Sainte Elisabeth de Schenau, Sainte Hildegarde) et Raffaele Maffei, auxquels sont joints des compositions de Ravisius Textor lui-même. Notre compilateur réserve une place de choix à Jeanne de Navarre, duchesse de Champagne, fondatrice du collège de Navarre où le Textor enseignait.
Parmi les héroïnes qui méritent une mention particulière, nous retiendrons le poème épique néo-latin de Valerand de la Varanne, consacré à Jeanne d’Arc. Publié pour la première fois en 1516, c’est ici la seconde édition. (2) « L'intérêt principal de ce poème latin n'est pas pour nous dans l'affirmation de certains faits, mais dans l'expression des idées admises ou pouvant être admises dès son temps sur Jeanne d'Arc, et, de ce point de vue, l'œuvre de Valerand est de première importance »(3)
Il fait écho au texte de Jacques-Philippe de Bergame sur la Pucelle (ff 138 et s.). La relation des faits et des prouesses de Jeanne d’Arc, tirée très certainement de témoignages directs, est très proche d’une autre relation de l’italien Sabadino, que Th de Puymaigre a comparé dans une étude fort détaillée publiée en 1882. (http://www.stejeannedarc.net/livres/Puymaigre_Sabadino/Puymaigre_Sabadino.pdf)
Par exemple, le moine de Bergame nous décrit la Pucelle comme étant de petite taille, mais de corps robuste, avec un visage rustique et des cheveux noirs : «Erat brevi quidem statura, rusticanaque facie et nigro capillo, sed toto corpore prævalida».
Rien de tel qu’un retour aux sources pour casser un mythe !!
Et, last but not least, je ne pouvais pas terminer cette brève présentation sans dire un mot d’Anne, Reine de France et duchesse de Bretagne, célébrée dans tout le pays breton, disparue 6 ans auparavant.
Fig 7. Reliure anglaise du XVIIIe siècle, le présent exemplaire appartint au Comte de Macclesfield.
Bonne Journée, Dames Vertueuses !
TEXTOR SECUNDUS
(1) Description / In-Folio.de 219 (en fait 221) ff.(2 ff non numérotés sont intercalés entre les ff. 176 et 177), [ii] (mq le dernier f blanc). BM STC Fr. C16 p. 373. Adams R201. Renouard, Colines p.20. Moreau III, 233. not in Schreiber
(2) Voir Brunet V, 1085
(3) Lanery d’Arc, le livre d’Or de Jeanne d’Arc, 1894