mercredi 17 mars 2010

Bibliographons un peu ! La légende des sexes du Sire de Chambley en questions (1883).




Je l’ai déjà écris ici à d’autres occasions, la bibliophilie nous en apprend tous les jours, et même, plusieurs fois par jour. Voici une ordonnance que votre médecin traitant ne désavouerait pas !

Aujourd’hui, l’occasion m’est donnée de me pencher au plus près d’un ouvrage que je n’avais encore jamais croisé jusque là. Eh oui ! La bibliophilie est un pays si vaste à visiter que seuls les centenaires sont à même d’en connaitre toutes les contrées. Je n’ai guère plus du tiers. Le temps fera donc mon affaire à moins que la faucheuse n'en décide autrement…



De quel ouvrage vais-je vous parler ? « La légende des sexes. Poèmes hystériques. » par Le Sire de Chambley (Edmond H…).

La légende des sexes !! Quel titre !! Tout le succès de ce recueil de poésies hystériques était déjà dans le titre. J’ai en commun avec un ami du pays de Tartarin la faiblesse de croire que d’un livre nouveau on peut n’écrire que le titre.



Voici la description du volume que j’ai sous les yeux.

Il s’agit d’un volume broché, tel que paru, de format in-8 (228 x 144 mm), sous couverture de papier beige, imprimée en rouge et noir (voir photo de la couverture), le titre est repris en long, au dos, en caractères noirs. La couverture porte dans un petit décor la date de 1882 et la mention « Imprimé à Bruxelles pour l’auteur ». La page de titre, brochée ici avant le faux-titre, contient exactement le même texte que la couverture mais imprimé en noir. On lit imprimé au verso du feuillet de titre les mots suivants : « Cet ouvrage a été tiré à deux cent exemplaires, non mis dans le commerce. » Le faux-titre contient uniquement en lettres majuscules et en noir « LA LEGENDE DES SEXES ». Un feuillet contenant l’épigraphe latine « Noctù qui juvenis leget haec mea carmina solus Ardentem librum tollat utrâque manu. » a été broché par erreur après les premiers feuillets de la préface. La préface commence à la page 7 (non numérotée) et va jusqu’à la page 19. La préface est signée Edmond de Chambley. Les poésies commencent avec la page 21 (non numérotéé) et un poème intitulé « Le coït des atomes ». Le dernier poème s’achève à la page 143 (imprimée uniquement au tiers supérieur), vient ensuite la table qui va jusqu’à la page 147. Vient ensuite 1 feuillet d’achevé d’imprimer « Le quinze avril mil huit cent quatre-vingt-trois », et 1 feuillet blanc. Chaque poème commence par un petit bandeau mince gravé sur bois (feuillages) et on trouve souvent un petit fleuron en guise de cul-de-lampe à la fin de chaque pièce en vers. Le papier utilisé semble être un papier de type « Alpha », avec des rousseurs assez irrégulièrement réparties dans le volume. Voici pour la description matérielle.



Qu’en est-il de ce volume ? S’agit-il de l’édition originale publiée à compte d’auteur par Edmond Haraucourt en avril 1883, comme indiqué dans l’achevé d’imprimer ? C’est bien là le problème ! J’ai regardé les différentes bibliographies qui citent et étudient cet ouvrage. Ca ne colle pas ! Le volume que j’ai dans les mains n’a ni été numéroté, ni signé par Haraucourt, Vicaire malgré une collation identique, indique que les exemplaires sont soit sur papier vergé soit sur papier du Japon (12 exemplaires seulement), tous les exemplaires devant être signés par Haraucourt. En visitant Pascal Pia et ses Livres de l’enfer, on est guère plus avancé. Le format de l’exemplaire que je vous présente correspond bien exactement, au millimètre près à celui de l’EO décrite par Pia. Seulement la justification du tirage imprimée est un texte différent. Pia décrit un exemplaire qu’Haraucourt a offert à la BNF avec quelques corrections. Dans l’exemplaire que je vous présente, les fautes ne sont pas corrigées. Pia cite également un exemplaire « sans numéro » portant la mention autographe suivante : ceci est mon propre exemplaire. Edmond Haraucourt. Pia cite une édition de 1893, méchante contrefaçon d’après Haraucourt lui-même, donnée par « ce bandit de Kistemaeckers ». Ce n’est pas notre édition. La pagination est différente.



On sait qu’il a été fait des contrefaçons de cette édition à petit nombre, c’est Haraucourt lui-même qui s’exprime ainsi dans le Bulletin du Bibliophile (1897) :

« Un de nos abonnés nous écrit pour nous demander quelques renseignements au sujet de la Légende des Sexes, du sire de Chambley [Edmond Haraucourt] et des diverses éditions de ce livre que l'on rencontre en librairie. Il n'y a jamais eu qu'une seule édition reconnue par l'auteur auprès de qui nous nous sommes informés et qui nous a fait la déclaration suivante : Plusieurs éditions de la Légende des sexes ont été tirées par des falsificateurs ; les désignations diverses rencontrées dans les catalogues de librairie me font supposer qu'il existe au moins deux on trois falsifications ; je ne les ai jamais vues ; elles sont, paraît-il, pleines de coquilles et de vers faux ; j'ai lieu de croire que ces volumes ont été composés en Hollande. Toute mention indiquant que j'ai pris part à leur publication est mensongère. « L'édition véritable, faite par mes soins, exécutée par un petit imprimeur de province (en dépit de la mention « Imprimé à Bruxelles »), commencée en décembre 1881, terminée en avril 1883, brochée en mai de la même année, comporte trois types différents, tous les trois de format in-8, ainsi qu'il est énoncé au verso du fauxtitre : 1° une série sur papier vélin ; 2» une série sur papier vergé : 3" douze exemplaires sur papier du Japon. « Ces trois types sont les seuls que je reconnaisse. Ils ne contiennent aucune illustration. L'ouvrage original n'a jamais été mis dans le commerce ; tons les exemplaires sont numérotés de ma main et signés, soit de mon nom, soit du pseudonyme qui figure comme nom d'auteur. » Cette déclaration est catégorique et de nature à dissiper toute équivoque."

Alors ? Qu’en est-il de cet exemplaire qui n’est pas numéroté, dont la justification du tirage imprimée est différente de celle donnée par les bibliographies, avec une pagination identique, un papier pourtant apparemment différent (ici un Alpha de piètre qualité) ??

Peut-on supposer que l’exemplaire présenté serait une contrefaçon non répertoriée ? un « tirage d’essai » de la véritable EO sur un papier courant, exemplaire de passe en quelque sorte ??

Je vous laisse là avec mes non-conclusions. Possédez-vous un exemplaire de la véritable EO signée par Haraucourt ? Ne pourrions-nous comparer nos exemplaires pour en savoir plus ? Je fais appel à votre bonne volonté et à votre curiosité en la matière. N’hésitez pas à me contacter par mail à bertrand.bibliomane@gmail.com

Je ne vais pas vous laisser seuls, derrière votre clavier insipide, sans vous délivrer une des ces belles poésies hystériques, extraordinaires et scandaleuses à leur parution en 1883.

Bonne lecture.



Sonnet honteux

L'anus profond de Dieu s'ouvre sur le Néant,
Et, noir, s'épanouit sous la garde d'un ange.
Assis au bord des cieux qui chantent sa louange,
Dieu fait l'homme, excrément de son ventre géant.
Pleins d'espoir, nous roulons vers le sphincter béant
Notre bol primitif de lumière et de fange;
Et, las de triturer l'indigeste mélange,
Le Créateur pensif nous pousse en maugréant.
Et un autre…


Sonnet pointu

Reviens sur moi ! Je sens ton amour qui se dresse ;
Viens, j'ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.
Là... Tiens... Doucement... Va plus doucement...
Je sens, tout au fond, ta chair qui me presse.
Rythme bien ton ardente caresse
Au gré de mon balancements,
O mon âme... Lentement,
Prolongeons l'instant d'ivresse.
Là... Vite !
Plus longtemps !
Je fonds ! Attends,
Oui, je t'adore...
Va ! va ! va !
Encore.
Ha !


Et pour finir...



La jeune

J'ai rêvé d'une vierge impécable, aux yeux froids,
Qui d'un bond, émergeant des moiteurs de sa couche,
Vient accrocher le poids de son corps à ma bouche
Et pointe sur mon coeur le roc de ses seins droits.
Longtemps, pieuse et chaste, elle a porté la croix
De l'orgueil vertueux que nul désir ne touche ;
Mais voilà que le rut s'est éveillé, farouche,
Et la chair en révolte a réclamé ses droits...
Elle plaque à ma peau la peau d'un ventre ferme,
Et furieusement crispée, elle m'enferme
Dans l'effort ingénu de sa lubricité.
Ses canines d'enfant mordent ma chair de mâle...
A moi, toute ! Et la fleur de sa nubilité,
Pourpre, s'épanouit sous l'onde baptismale.



Bon, allez, j'vous laisse, j'vais m'en r'lire un p'tit !

PS : Je ne sais pas si le verbe "bibliographer" existe ou non. Si ce n'est pas le cas, je l'invente et le dépose à vos pieds. Bibliographer : écrire sur les livres et par extension écrire sur l'amour des livres. Avis aux orthographicateurs-typogynécologiques et autres académiciens es Lettres Modernes !

Bonne journée,
Bertrand

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