« Bélisaire est diffusé au début de février 1767. Le livre à peine paru, s’ouvre la fameuse querelle qui va durer un an et qui est marquée par la publication d’une série d’ouvrages ou d’opuscules destinés à défendre ou à attaquer le roman et son quinzième chapitre. », ainsi débute le texte de Robert Granderoute (Université de Pau),
Bélisaire : Une décence éclatée.Un ouvrage résume et symbolise à la fois l’expression de la résistance religieuse, à savoir, la Censure de la Faculté de Théologie de Paris (Paris, Veuve Simon, 1767). On l’appela à l’époque
« la belle censure de la Sorbonne ». Elle parait pour la première fois, au format in-4, en français et en latin, dix mois après la diffusion de Bélisaire. Précédée d’une
« Préface », assortie d’une sorte de conclusion, la
Censure comprend quinze propositions regroupées en quatre parties ou articles.
Que reproche-t-on au
Bélisaire de
Marmontel ?
C’est le chapitre XV qui est l’objet des griefs de la Sorbonne. Sont mises en relief les phrases du chapitre qui sont considérées comme portant une atteinte directe à l’
Ecriture et à la
Tradition. C’est le fond même du
Bélisaire qui est dénoncé. Marmontel accorde le salut à des héros païens. Le seule bienfaisance ne peut être justifier le salut à des hommes qui ont par ailleurs été coupables d’idolâtrie et d’autres fautes (violences contre les chrétiens, suicide, débauches, etc). Pour la Sorbonne, Marmontel
« détruit la lumière de l’évangile ».
Bélisaire est également accusé des blasphèmes les plus horribles. La Sorbonne sait pourtant bien qu’il s’agit là d’un Conte moral, d’une fable, elle attaque Marmontel et son
Bélisaire parce qu’il consacre à la religion un chapitre qui ne s’imposait pas. De plus, Marmontel n’était pas un auteur obscur, inconnu, c’est un auteur déjà célèbre, académicien, et son livre a reçu le sceau de l’autorité publique. Par ailleurs Marmontel s’était gardé jusque là de toucher aux problèmes de la religion. La condamnation de
Bélisaire est un symbole. Dans ce roman figure toutes ces nouveautés nuisibles dont les censeurs souhaiteraient arrêter la propagation.
J’ai sous les yeux une édition donnée par la même
Veuve Simon au format in-12, cette même année 1767. Cette édition
« portative » de la
Censure du
Bélisaire est en 24 pages de
Préface et 192 pages. Elle se trouve dans un volume relié en veau à l’époque, avec un autre ouvrage, sans page de titre et dont la signature du premier cahier est « X » et qui a pour titre en haut de page
« Anecdote sur Bélisaire. » Une note de bas de page indique que cet ouvrage est
« Par l’Abbé Mauduit, qui prie qu’on ne le nomme pas. » On trouve à la suite et en pagination continue une
Deuxième Anecdote, puis un "
Extrait d’une lettre écrite de Genève à M. *** sur la liste imprimée des propositions que la Sorbonne a extraites de Bélisaire pour les condamner", puis
« Les XXXVII vérités opposées aux XXXVII impiétés de Bélisaire, par un bachelier ubiquiste. », puis un
"Billet de M. de V. adressé à M. D., puis une Réponse de M. Marmontel à une lettre de M. l’Abbé Riballier, syndic de la Faculté de Théologie de Paris", puis une autre
Lettre au même Riballier, puis une
Lettre de M. de V. à M. Marmontel du 7 août 1767, puis un
« Exposé des motifs qui m’empêchent de souscrire à l’intolérance civile. », et enfin, une
Lettre de M. de Voltaire à M. le Prince Gallitzin, à Ferney le 14 août 1767. L’ensemble de cette deuxième partie reliée à la suite de la censure est paginée d’un seul tenant de 241 à 352, et ce sans manque de feuillet dans le volume qui se trouve parfaitement conservé dans son état d’origine. Les deux
Anecdotes sur Bélisaire et les
Lettres sont l'œuvre de Voltaire. On sait que Voltaire fut le plus ardent défenseur de Marmontel dans cette histoire. Condamné pour impiété et hérésie, Marmontel dut se réfugier à Spa pendant cette tempête.
Je ne peux m’empêcher de citer Voltaire dans ses œuvres, à savoir un passage de la Première anecdote sur
Bélisaire :
« (…) Ce qui m’attache le plus à ma religion, c’est qu’elle me rend meilleur, et plus humain. S’il fallait qu’elle me rendît farouche, dur, et impitoyable, je l’abandonnerais, et je dirais à Dieu, dans la fatale alternative d’être incrédule ou méchant: Je fais le choix qui t’offense le moins. »
Voltaire use ici avec brio de la satire.
A quelle édition correspond ce fragment paginé 241 à 352 qui est pourtant bien complet. Il semblerait que ce morceau devait se placer à la suite de l’édition du Bélisaire de Marmontel en 238 pages donnée la même année 1767 chez Merlin à Paris (on retrouve cette adresse à la page 268).
Toutes les pièces imprimées ici semblent bien dater de 1767. On sait que ces quelques pièces de Voltaire furent réimprimées dans le courant de l’année suivante sous le titre
« Pièces relatives à Bélisaire ». Nous avons donc ici, reliées ensemble, à l’époque, et de la meilleure façon, un ensemble à la fois anti et pro-Marmontel. L’amateur de l’époque a souhaité regrouper au plus vite les pièces relatives à cette affaire. La réunion est intéressante. On sait que la
Première anecdote sur Bélisaire a paru fin mars 1767, et que la
Deuxième anecdote suivit en avril. Christophe de Beaumont (celui qui condamna l'
Emile de Rousseau quelques années auparavant), voulant surpasser en intolérance la censure du chapitre XV de
Bélisaire par la Sorbonne, publia le 31 janvier 1768, un
Mandement, qui reçut pour réponse de la part de Voltaire la
Lettre de l’archevêque de Cantorbéry à M. l’archevêque de Paris. Cette lettre, parue après janvier 1768, et qui ne se trouve pas dans notre volume, montre que le volume que nous avons en mains a été très certainement relié avant le début de 1768.
Marmontel en est sorti grandi. Voltaire y affirma tout son talent d’apôtre de la tolérance religieuse.
Ceci n’est qu’une esquisse, je vous laisser fouiller dans les annales de cette histoire passionnante.
En espérant ne pas avoir été trop brouillon dans la rédaction de ce billet presque écrit à main levée… Les plus instruits qui nous lisent et les plus cultivés ne manqueront pas de compléter en commentaire.
N’oublions pas qu’un blog, à mon sens, est avant tout, une invitation au voyage… seulement une invitation. J'essaye de vous y inviter, par tous les moyens.
Bonne journée,
Bertrand