Nous nous intéressons aujourd'hui aux reliures in-folio aux grandes armes de Louis XIV, fer répertorié par Olivier/Hermal/Roton sous le n°2494, fer n°7, dont les dimensions sont de 119*105mm.
Nous tenons à remercier ici toutes les personnes qui nous ont aidé à la rédaction de cet article, principalement Fabienne Le Bars (BnF, Réserve des livres rares) qui nous a fourni de nombreuses références et nous a aiguillé, mais aussi Marc-Edouard Gautier (BM d'Angers) et Bertrand pour leurs conseils. Les références bibliographiques sont citées en fin d'article.
Extrait de OHR, planche 2494, fer n°7
Ce motif existe sous plusieurs formes, très proches, dès le XVIIe siècle et, par exemple, on le trouve souvent sur des livres de prix. Ainsi, l'exemplaire reproduit ci-dessous, vendu récemment sur ebay (5 juin 2021) porte un fer très proche. Le libraire a fait une erreur, que j'aurais pu faire aussi, en donnant ce fer comme étant le fer reproduit par OHR.
Reliure passée sur ebay le 5 juin 2021
Concernant cette reliure, si nous n'avons pu savoir les dimensions du fer, les ayant malheureusement demandées après la vente, nous pouvons estimer ses dimensions, le libraire ayant indiqué les dimensions de la reliure. Par une règle de trois, on en déduit que le fer, encadrement compris, mesure environ 105*95mm. Les dimensions sont donc différentes.
Ces fers sont très proches de la gravure qu'on trouve sur certaines pages de titre de productions de l'imprimerie royale et dont Sébastien Cramoisy, typographe royal, était le directeur. La différence de forme, ovale ou ronde, tient très certainement de l'aspect esthétique.
Voici donc maintenant quelques exemplaires en maroquin dont nous trouvons trace en vente aux enchères ou qui nous ont été signalés par Madame Le Bars dans les fonds de la BnF. Ils portent tous la mention Imprimerie royale (ou Typographia Regia), créée en 1640 (issue d'une imprimerie créée en 1538). Au début de son activité, l'imprimerie ne publie que des in-folios, particulièrement soignés, souvent avec un frontispice de Claude Mellan et nous nous intéressons ici aux livres imprimés aux débuts (1640 à 1650). Cette liste est très certainement incomplète et pourra évoluer au gré de ce qui me sera signalé ou de ce que nous trouverons. Les photos suivent la liste :
- Nouveau testament [en grec]. Paris, Imprimerie royale, 1642. 435*281mm. Vente Christie's, collection Michel Wittock, 2ème partie, 8 novembre 2004, n°165. Lien.
- Chalcondyle Laonicos, Historiarum libri decem. Paris, Imprimerie royale, 1650. Vente Christie's, collection M&Mme John Gutfreund, 28 juin 2012, n°65. Lien.
- De imitatione christi. Paris, Typographia Regia, 1640. Vente Collin du Bocage, 29 novembre 2005, n°6. Lien.
- Juvénal, Satyrae. Paris, Imprimerie royale, 1644. Vente Henri Godts, 21 juin 2016, n°483. Lien.
- Jean de Silhon, Eclaircissements de quelques difficultés touchant l'administration du Cardinal Mazarin. Paris, Imprimerie royale, 1650. Petit in-folio (322*210mm). Vente Sotheby's, bibliothèque Carlo de Poortere, 6 novembre 2014, n°29. Lien.
- Novum Testamentum. Paris, Imprimerie royale, 1640-42. 441*300mm. 2 volumes (complet pour le Nouveau Testament, les 6 volumes de l'Ancien Testament seront publiés en 1642). Exemplaire du Caniche Nain.
- Divi Bernardi opera omnia. Paris, Imprimerie royale, 1642. 432*300mm. 4 volumes sur 6 (sans le tome 1 notamment, le seul daté de 1640). Exemplaire du Caniche Nain.
- Biblia Sacra. Paris, Imprimerie royale, 1640-42. 8 volumes. Le premier est numérisé sur Gallica. Exemplaire conservé à l'Arsenal (Fol-T-108 (1-8)). Les volumes 1 à 6 ont la reliure en illustration ci-dessous.
- Biblia Sacra. Paris, Imprimerie royale, 1640-1642. 8 volumes. Exemplaire conservé à la Réserve des livres rares (RES A-223 (1-8)). Voir ici pour les volumes 1 à 6. Reliure similaire au n°7.
- De Imitatione Christe. Paris, Imprimerie royale, 1640. Exemplaire visible sur Gallica.
Notons ici plusieurs choses :
- La Biblia Sacra est composée du Nouveau Testament en 2 volumes et de l'Ancien Testament en 6 volumes. La notice de la BnF indique elle-même que les volumes semblent avoir été vendus séparément, d'où le n°6.
- D'autres exemplaires de ces ouvrages existent, sans que nous ayons, pour le moment, plus d'informations sur les reliures. Citons ainsi les deux exemplaires des oeuvres de Saint Bernard conservées à la BnF : à la Réserve des livres rares (RES C-728 (1-6)) et à l'Arsenal (FOL-T-1209 (1-6)).
- Les exemplaires n°6 et n°7 sont ceux que nous avons en main et qui sont la cause de cet article. Leur parcours ne nous est pas connu précisément mais ils portent tous l'ex-libris d'un religieux bourguignon datant du début du XIXe siècle, ils ont été achetés il y a plusieurs dizaines d'années en Bourgogne par le bibliophile auprès de qui nous les avons nous-mêmes acquis, toujours en Bourgogne. Ils n'ont probablement pas beaucoup voyagé depuis 200 ans et le trajet lors de notre acquisition est probablement le plus grand voyage qu'ils aient connu depuis ce religieux.
n°1
n°2
n°3 (maroquin citron)
n°4
n°5
n°6
n°7
n°8 (image prise sur Gallica)
n°10 (image prise sur Gallica)
Ces reliures ne sont pas toutes sur des ouvrages aussi anciens, elles sont aussi sur des ouvrages du début du XVIIIe siècle. Citons par exemple celui de la bibliothèque de l'Ecole polytechnique dont nous reproduisons ci-dessous la photo présente sur le site cité ci-dessus, mais les exemples pourraient être multipliés.
© Collections Ecole polytechnique-Palaiseau
La plupart des exemplaires sont en maroquin rouge, ils portent tous une large dentelle faite avec roulettes et petits fers, et on en répertorie donc ici trois modèles différents. Ces ouvrages sont décrits régulièrement "reliure à la grande dentelle du Louvre" (par exemple : Librairie Pierre-Adrien Yvinec, Catalogue n°18, juin 2021, n°45 : reliure aux armes de Louis XV sur un in-folio de 1723. Le fer est différent).
Nous allons étudier ici deux types de reliures en particulier : les reliures avec la fleur de lys couronnée aux angles de la bordure, appelée parfois "la bordure du Louvre" (n°1, 2, 4, 5 & 6), et les reliures avec la grande bordure fleurdelisée (7, 9 & 10).
Avant cela, revenons encore au fer, que nous avons pu comparer sur des volumes des deux séries de reliures (n°6 & 7). Il s'agit bien du même fer sur les deux séries.
OHR le définit clairement comme fer de Louis XIV mais son règne est long... de 1643 à 1715... Est-il possible de le dater plus précisément ?
Si on en croit la description de la reliure du n°1 : "Elle est ornée du fer royal à couronne de feuilles de chêne dessiné par [Boyet] pour les ouvrages provenant de l'Imprimerie royale entre 1704 et 1723". Nous pensons le fer nettement plus ancien et nous allons en apporter la preuve dans la partie qui suit.
Les reliures à la bordure du Louvre :
L'utilisation de bordure du Louvre (ou dentelle du Louvre) est probablement impropre dans notre cas. En effet, la bordure est différente de ce qu'on voit habituellement, comme la reliure ci-dessous, illustrant l'article de Jeanne-Marie Métivier (réf.2) ou celle illustrant l'article de Fabienne Le Bars (réf.5) qui est similaire. De plus, la description qu'en fait Fabienne Le Bars ne coïncide pas avec ce que nous voyons, bien que l'époque des reliures soit la même.
Nous garderons toutefois ce terme dans l'article pour le moment.
réf.2, planche IX
Il est amusant de voir que pour ces reliures, les différents experts les décrivent principalement comme d'époque. Seul M. Courvoisier la décrit comme étant attribuable à Luc-Antoine Boyet, début XVIIIe (exemplaire n°1). Rappelons qu'il est toujours difficile d'attribuer une reliure à Boyet, les outils d'identifications étant plutôt limités. M. Courvoisier n'a d'ailleurs pas attribué la reliure à Boyet mais l'a bien dite attribuable à Boyet.
Les libraires, de toutes époque, ont tendance à attribuer des reliures à Boyet, parfois de manière arbitraire (j'ai encore vu récemment une reliure en vente sur internet, clairement de l'époque du livre - années 1640 - avec une ancienne fiche attribuant la reliure à Boyet). Je ne lance la pierre à personne puisque moi-même je tente régulièrement d'attribuer des reliures à des relieurs et me suis déjà bien trompé !
Concernant Boyet et l'époque (début XVIIIe), j'ai été tenté de partager cette idée et ai d'abord orienté mes recherches dans ce sens. L'article de Jeanne-Marie Métivier (réf.1) nous apporte d'ailleurs beaucoup d'éléments sur le sujet et notamment sur l'attribution de reliures aux armes de Louis XIV à Boyet. Elle reproduit un premier mémoire des livres reliés par Boyet pour le roi entre 1704 et 1705 et cite aussi un second mémoire pour les reliures entre le 29 décembre 1705 et le 23 janvier 1707, reproduit partiellement dans les Miscellanées bibliographiques (ref.3)
Le second mémoire nous indique en particulier qu'un exemplaire de la Biblia sacra, 8 volumes in-folio en grand papier et un exemplaire des oeuvres de Saint Bernard, Sti Bernardi opera, 6 volumes in-folio ont été reliés pour Monsieur de Coste, qui est probablement l'architecte Robert de Cotte. Il s'agit ici des éditions de l'imprimerie royale, publiées entre 1640 et 1642, correspondant aux n°6 et 7 de la liste. On trouve aussi un exemplaire des satyres de Juvénal probablement lui aussi de la même édition que le n°4.
Ce ne sont toutefois pas les mêmes exemplaires car ceux de Coste ont été relié en veau, "avec les armes et les chiffres du Roy". Il n'en demeure pas moins intéressant de voir que de nombreux ouvrages, en grand papier, des années 1640, ont été reliés par Boyet à cette époque.
Comme les volumes que nous avons en main (n°6), il est toujours question d'exemplaires en grand papier. Toutefois, il ne s'agit pas ici de ces reliures et elles en sont pas, à notre avis, de Boyet. J'en veux pour preuve deux exemplaires de la superbe édition des Métamorphoses en rondeaux publié par l'Imprimerie royale en 1676. Cette édition eut en effet des exemplaires de présent, en grand papier, reliés aux armes de Louis XIV. Le roi les distribua pendant le second semestre 1676.
On remarquera deux choses : - le fer n°2494-7 était déjà utilisé à l'époque, et cela contredit donc l'assertion du fer XVIIIe émise dans la fiche du tome 1. Cela ne résout pas l'origine de ce fer mais repousse largement son apparition. On notera d'ailleurs que Jeanne-Marie Métivier (réf.2) suppose que certains fers étaient confiés par la bibliothèque aux relieurs.
- le dos porte un lys couronné identique aux exemplaires étudiés. Ce fer peut donc nous permettre d'identifier un unique atelier pour ces reliures.
Caisson de l'exemplaire Librairie de Proyart
Quel est donc cet atelier ? Dans un premier temps, j'aurais tendance à dire que c'est Claude Le Mire, relieur du roi de l'époque mais pour lequel, comme le dit Fabienne Le Bars, l'identification de sa production reste à faire. La lecture de l'article de Jeanne-Marie Métivier (réf.2) nous donne une liste de relieurs ayant travaillé pour le Cabinet du roi et la Bibliothèque royale : Éloy Levasseur, Louis Delatour, Sébastien Cramoisy (reliures par un atelier extérieur ?), Gilles Dubois, Mérieux, Jeanne Sara (veuve Mérieux) et Delaunay. Malheureusement, il ne nous semble pas possible de mettre un nom sur ces reliures. Je crois que la seule chose que nous pouvons dire est que ces reliures ont été réalisées vers 1676.
Les reliures à bordure fleurdelisée ou le second imitateur de Le Gascon :
Ces reliures sont plus faciles à dater. Elles sont clairement d'époque et nous pouvons par exemple signaler la garde marbrée uniquement sur le contre plat comme cela se faisait au XVIIe. Par ailleurs, un des volumes en notre possession porte en garde finale une note qui nous semble bien de l'époque du livre.
Le premier point intéressant est la similitude d'une des roulettes de la bordure avec certaines clairement identifiées. Comme vous pouvez le voir sur les illustrations ci-dessous, elle est très proche de roulettes connues pour Le Gascon et L'Imitateur de Le Gascon reproduite dans le volume de Raphaël Esmérian.
Le Gascon
L'Imitateur de Le Gascon
N°7
Cette roulette est donc une imitation d'une roulette de Le Gascon, différente encore de celle de l'Imitateur de Le Gascon. Il toutefois difficile de donner une paternité à ces reliures, nous n'avons pas pu la rapprocher d'un relieur en particulier.
Remarquons encore deux détails, et en premier lieu les caissons.
Caisson du n°7
La bordure du caisson est donc formée d'un double filet, d'une ligne pointillée avec en décalé un point placé en triangle. Cette manière de faire est assez typique de Le Gascon. Mais cela ne suffit pas à lui attribuer ces reliures.
Notons au passage qu'Esmérian, dans son avant-propos (réf.4) émet l'hypothèse que "Le Gascon [est] chef de l'atelier de Reliure de la Bibliothèque Royale".
Le second détail est une variante entre les différents volumes : certains ont une petite fleur de lys aux angles, ce qui est le cas de la reliure de la BnF (n°10) et d'un seul des 4 volumes des oeuvres de Saint Bernard (n°7). Nous ne savons pas comment interpréter cette différence.
Nous avons remarqué que le catalogue Esmérian (II, n°34) possédait une reliure de l'atelier Pierre Rocolet-Antoine Padeloup avec une fleur de lys très proche aux angles. Mais sans pouvoir comparer directement, on ne peut rien dire de plus pour le moment.
n°10
n°7, seul volume avec la fleur de lys
n°7, un des volumes sans la fleur de lys
Un dernier point à aborder est le grand fer central. Nous n'avons pas trouvé de différence avec les autres volumes plus récents et il s'agit pour nous du même fer, appliqué donc vers 1640. Il semblerait donc que ce fer ait été utilisé sur une longue période, peut-être uniquement sur des in- folio qui ne sont, somme toute, pas si nombreux.
En conclusion, nous n'avons pas su identifier les relieurs à l'origine de ces reliures, certes, mais nous avons déjà pu les dater approximativement et prouver aussi que le fer répertorié par OHR (2494, n°7) n'est pas XVIIIe comme certains ont pu le dire mais bien XVIIe. Il aura donc été utilisé sur une longue période.
Il est fort probable que les reliures à la bordure du Louvre soient des exemplaires de présent mais qu'en est-il vraiment des autres ? L'usage des reliures de présent semble peu répandu dans les années 1640 et il semble qu'il se soit développé à la fin du XVIIe siècle pour être finalement devenu chose courante au début du XVIIIe siècle.
L'article est donc encore très lacunaire, nous en sommes tout-à-fait conscient, et nous sommes preneurs de toute information complémentaire (qui pourra être envoyée directement à Bertrand) afin de le compléter et/ou le corriger. Nous serions aussi très heureux de partager un article qui pousserait plus loin encore le sujet, même s'il nous contredisait !
Filou, le Caniche Nain.
Ce chien fut introduit à la cour par Louis XIV qui en adopta. Son préféré s'appelait Filou.
Quelques références utiles :
- Jeanne-Marie Métivier, « Luc-Antoine Boyet, relieur de l'Imprimerie royale, 1704-1723 », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 12, 2002, p.41 à 46.
- Jeanne-Marie Métivier, La reliure à la Bibliothèque du roi de 1672 à 1786 in Mélanges autour de l'histoire des livres imprimés et périodiques. Paris, BnF, 1998, p.131 à 177.
- Miscellanées bibliographiques. Paris, Rouveyre, 1879, deuxième partie, p.198-200, visible sur gallica.
- Raphaël Esmérian, Tableaux synoptiques sur la reliure au XVIIe siècle. Paris, Palais Galliera, 1972-1974, tome II de sa vente aux enchères.
- Fabienne Le Bars, article Dentelle in Dictionnaire encyclopédique du Livre. Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2002. T.1, p.746-747.