jeudi 16 septembre 2021

Liberté de la presse et révolution française. GIROUARD (Jean-Joseph), imprimeur-libraire, condamné à mort et exécuté à Paris le 8 janvier 1794.


L'un des livres imprimés par Jean-Joseph Girouard.
La vie, les amours et la mort de Marie Stuart, reine de France et d'Ecosse, décapitée à Londres
le 8 février 1587 à l'âge de 44 ans. (Paris, Girouard et Mercier, 1793).
Girouard, ironie du sort, fut à son tour condamné à mort (décapité), à Paris, le 8 janvier 1794.
Les livres saisis chez lui (dont ce titre) furent détruits au pied de l'échafaud.



Persécutions des journalistes et des libraires 
pendant la Terreur

GIROUARD (Jean-Joseph)
imprimeur-libraire
(Condamné à mort et exécuté à Paris le 8 janvier 1794)


     Les jugements du tribunal révolutionnaire de Paris et les actes d'accusation qui les précédent, rédigés le plus souvent par Fouquier-Tinville, accusateur public, offrent un spécimen saisissant du langage et du style révolutionnaires. L'on y remarque la passion et l'ardeur avec lesquelles Fouquier-Tinville, tout en ne s'appuyant le plus souvent que sur des généralités vagues, s'efforçait, dans un style emphatique et plein d'exagérations, et dans un langage prétentieux et boursouflé, de démontrer l'existence de complots imaginaires, dont les ramifications embrassaient toute la France, sans même chercher à établir par quels liens les divers accusés se trouvaient compris dans les mêmes poursuites. Tous les actes, toutes les paroles des accusés, d'après l'accusateur public, tendaient à troubler la tranquillité publique et à compromettre la sûreté de la République française. Tous ceux qui ne manifestaient pas d'enthousiasme pour la Révolution étaient considérés comme contre-révolutionnaires ou au moins comme coupables de modérantisme et ils étaient arrêtés comme suspects.
     Les qualifications et les appréciations du tribunal révolutionnaire, dans ses jugements, étaient tellement générales et tellement vagues, qu'il lui était toujours possible de comprendre, dans de pareilles condamnations, les journalistes, les imprimeurs et tous les autres citoyens qui lui étaient déférés, en interprétant arbitrairement contre eux, et sans qu'aucune justification fût possible de leur part, leurs actions les plus inoffensives, leurs intentions présumées, leurs réticences et même leur silence. Les accusés étaient dans l'impossibilité de se défendre utilement contre des accusations dont ils n'avaient souvent connaissance qu'à l'audience.
     Au milieu de ces jugements, nous avons remarqué celui qui concerne Jacques Girouard, imprimeur de la Gazette de Paris, journal royaliste, et la dame Feuchère, chargée de recevoir les abonnements pour ce journal.
     Girouard, appelé à l'audience, le 8 janvier 1794, comme témoin à charge contre la dame Feuchère, avait été sur-le-champ traduit et mis en jugement, sur l'acte d'accusation dressé contre les autres accusés et dont il n'avait encore eu aucune connaissance. Il fut ainsi condamné à mort sans avoir pu se défendre et par un jugement qui n'était susceptible d'aucun recours.
     L'accusation dirigée contre la dame Feuchère comprenait les dames Courvoisier et Dulac, ses amies, considérées comme ses complices, dans la conspiration qu'elle était accusée d'avoir organisée, et le sieur Saint-Léger, médecin, comme les ayant soudoyées. Ces trois derniers accusés furent acquittés.
     Le jugement qui condamnait à la peine de mort Girouard comme imprimeur et la dame Feuchère, pour avoir reçu les abonnements de la Gazette de Paris, était rendu au nom d'un gouvernement libéral qui avait adopté comme principes essentiels et inscrit dans les droits de l'homme et du citoyen la liberté individuelle, celle de la presse et celle des opinions, même religieuses. Il fut suivi de plusieurs autres prononçant également la peine de mort et rendus contre Girey-Duprey, rédacteur du Patriote Français, journal que Fouquier-Tinville stigmatisait comme étant le canal infect par lequel s'écoulait le fatal poison contre-révolutionnaire, pour se répandre, tant dans les départements qu'en Angleterre et chez les autres puissances de l'Europe ; Champcenetz, rédacteur du journal les Actes des Apôtres, le collaborateur et l'ami de Rivarol, plaisantant même avec l'accusateur public, auquel il demandait, en s'entendant condamner à mort, s'il ne lui serait pas possible de se faire remplacer pour cette opération comme pour le service de la garde nationale ; Brissot, rédacteur du Patriote Français ; Carra, rédacteur des Annales patriotiques ; Gorsas, rédacteur du Courrier des départements ; Hébert, rédacteur du journal le Père Duchêne ; Tournon, rédacteur du journal le Mercure universel ; Boyer, de Nîmes, rédacteur du journal le Peuple et l'auteur de l'Histoire des caricatures de la Révolte des Français ; Froulé, Levigueur et la femme Lesclapart, libraires, ayant vendu la liste comparative des appels nominaux pour le procès de Louis XVI ; Gattey et Webert, libraires, ayant fait le commerce des livres contrerévolutionnaires.
     Ce procès présente un intérêt particulier pour les bibliophiles, à cause de la nature des accusations qui en font l'objet, de la profession d'imprimeur et d'éditeur de Girouard, ainsi que des divers ouvrages et des objets qui y ont donné lieu.
     Girouard avait imprimé la Gazette de Paris, rédigée par Durosoi et dont la publication fut interrompue par la destruction de ses presses dans la journée du 10 août 1792. Durosoi, ancien officier de la maison du roi, fut condamné à mort comme homme de lettres et comme royaliste ; il fut exécuté le 25 août 1792, jour de la fête de saint Louis et ses biens furent confisqués.
     Girouard était aussi accusé d'avoir imprimé des ouvrages contrerévolutionnaires et d'avoir été trouvé saisi d'ouvrages empoisonnés d'aristocratie et tendant à avilir la représentation nationale. Il a reconnu que, parmi les livres saisis à son domicile, il avait imprimé :

Justine ou les malheurs de la vertu, par de Sade. En Hollande, 1791, 2 volumes in-8°, avec un frontispice.

Parmi les papiers saisis au domicile de Girouard se trouvait un billet ainsi conçu :

Au 15 mars prochain, je payerai à M. Sade ou ordre la somme de 300 livres, valeur reçue en marchandises, à Paris, ce 9 août 1791, 300 l. Signé : GIROUARD, imprimeur, rue du Bout-du-Monde. Pour acquit : De Sade.

Les Soirées de l'automne et les épanchements de l'amitié, par C.-F.-X. Mercier. Paris, chez Girouard, 1792, 2 volumes in-18 avec 2 frontispices.

Les trois nouvelles : Azoline, les Albigeoises, Louise et Gervais, par le citoyen Mercier. Paris, chez Louis, 1793, in-18 de 94 pages avec une figure et 6 pages de musique.

La Vie, les amours, le procès et la mort de Marie Stuart, reine de France et d'Écosse, décapitée à Londres le 18 février 1587. Paris, chez Girouard, 1793, in-8° de 162 pages avec un portrait.

Les autres ouvrages saisis à son domicile étaient :

Fragment sentimental, en vers français, par Durosoi. A Bruxelles et à Paris, 1791, in-18 de 34 pages avec le portrait du prince de Condé et une autre figure représentant la famille royale.

La Constitution en vaudeville, suivie des Droits de l'homme et de la femme, et de plusieurs autres vaudevilles constitutionnels, par Marchant, avec ce faux titre : Almanach civique pour l'année 1792. A Paris, chez les libraires royalistes, 1792, in-32 de 160 pages, avec un frontispice.

La Révolution française en vaudeville, depuis le commencement de l'Assemblée destituante jusqu'à présent. Coblentz, 1792, in-24 de 160 pages avec une figure qui représente la France implorant le ciel. 

L'Origine des puces et les P... conquis, poèmes libres et autres pièces du même genre, traduites du Priapeia et autres poètes grecs et latins, par l'auteur des Veillées du couvent, avec ce faux titre : Poèmes libres, faisant suite aux Veillées du couvent. Paris, 1793, in-18 de 142 pages avec un frontispice.

     Au moment de son arrestation, Girouard travaillait à l'impression d'Aline et Valcour ou le Roman philosophique, écrit à la Bastille un an avant la Révolution de France, par de Sade. Cet ouvrage en 8 volumes a été terminé et mis en vente en 1795, à Paris, chez la veuve Girouard.
     On lui reprochait d'avoir porté longtemps sur la poitrine le portrait du roi Louis XVI, gravé par Antoine Carrée, et qu'il avait imprimé pour le compte de Durosoi, avec cette inscription : 0 Louis ! o mon roi ! - ordre de famille.
     Parmi les objets saisis chez la dame Feuchère se trouvaient : Un gobelet de cristal à anse, fleurdelisé autour, et ayant sur le devant un encadrement au milieu duquel est gravé, de même que les fleurs de lys : Vive le roi ! Et une bague en or, appelée collier, sur laquelle était gravée une fleur de lis, et autour : Domine salvum fac regem.

     Le jugement rendu contre Girouard et la dame Feuchère contenait une disposition particulière, qui a lieu de nous étonner, formulée à une époque ou le gouvernement révolutionnaire s'efforçait de détruire le fanatisme, la superstition et les préjugés de toutes sortes. Il ordonnait que le gobelet de cristal, fleurdelisé, portant comme inscription : Vive le roi, et saisi au domicile de la dame Feuchère, serait brisé au pied de l'échafaud ; que les figures, ainsi que les brochures et libelles contre-révolutionnaires saisis chez Girouard seraient brulés par l'exécuteur des jugements criminels.
     Pendant les derniers temps de la monarchie, les gens de lettres, les journalistes et les libraires, qui avaient composé ou vendu des libelles, étaient enfermés au château de la Bastille, qu'on appelait alors, vulgairement, l'antre de la tyrannie. Après une information faite par les soins du lieutenant général de police et par des commissaires du Châtelet, ils étaient ordinairement mis en liberté immédiatement ou après une courte détention et les ouvrages incriminés étaient saisis et détruits ou rendus.
     Pendant leur séjour dans cette forteresse ils étaient soumis à un régime qui ne ressemblait en rien à celui des prisons qui l'ont remplacée. Marmontel y avait été enfermé du 28 décembre 1759 au 7 janvier suivant, sous l'accusation d'avoir composé la parodie d'une scène de Cinna qu'il avait lue chez Mme Geoffrin, mais qui avait été réellement composée par Cury, intendant des Menus-Plaisirs du roi et qui était dirigée contre le duc d'Aumont, premier gentilhomme de la maison du roi. Il avait été autorisé à conserver son domestique auprès de lui et il déclare, dans ses mémoires, que les fonctionnaires du château le traitaient avec déférence et avec respect, que la nourriture qui lui était fournie était bonne, qu'il y écrivait des lettres, qu'il y recevait celles qui lui étaient adressées, que le gouverneur le visitait souvent et qu'il avait à sa disposition des livres pour se distraire.
     Le marquis de Pelleport, accusé d'avoir écrit le Diable dans un Bénitier et plusieurs pamphlets contre la reine Marie-Antoinette, y fut enfermé du 11 juillet 1784 jusqu'au 3 octobre 1788. En sortant, il obtint un secours pour lui et une pension pour sa femme. Il avait conservé, de son séjour à la Bastille et des soins dont il y avait été entouré, un souvenir tel que le 14 juillet 1789, se trouvant à Paris sur le quai de la Grève, il avait tenu tête à la foule et il avait lutté pendant quelque temps contre elle, avec un autre prisonnier, le chevalier de Jean de Manville, ancien officier de cuirassiers, pour protéger le gouverneur de Launay et le major de Losme, qui furent ensuite massacrés sous leurs yeux, sur les marches de l'escalier de l'Hôtel de Ville, malgré leur dévouement et leurs efforts énergiques.
     La liberté, après avoir fait démolir la Bastille, n'a rien pu faire pour protéger le droit de chacun des citoyens d'exprimer son opinion et sa pensée, conformément aux principes exposés, en son nom, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle n'a fait que substituer la tyrannie du nombre à celle d'un seul et le dernier supplice ne lui parut pas trop sévère pour imposer silence à ses contradicteurs ni pour assurer le triomphe des idées révolutionnaires. Les gens de lettres indépendants qui, sous le règne de la tyrannie, étaient soumis au régime de la Bastille le furent désormais aux effets régénérateurs du triangle égalitaire que les bons sans-culottes appelaient le rasoir national.
     Robespierre, l'inspirateur et le directeur du mouvement révolutionnaire, avait déclaré qu'aux qualités de noble, de négociant, de manufacturier, d'artiste honnête, qui divisaient les peuples en castes privées, il fallait substituer le nom vraiment indépendant de sans-culottes ou vagabonds, qui, n'attachant à rien, disposait à tout tenter, à tout entreprendre, sans craindre et sans rougir, et qu'il fallait proscrire les écrivains comme étant les plus dangereux ennemis de la patrie.
     Nous reproduisons intégralement les pièces du procès de Girouard, y compris les procès-verbaux d'arrestations et les interrogatoires des accusés, afin de lui laisser sa véritable physionomie et tout son caractère en faisant connaître ainsi la forme des procédures adoptées par le tribunal révolutionnaire.



Procès-verbal de levée des scellés apposés chez les citoyennes Feuchère et Courvoisier. (Section de la Montagne.)


     Le 9 frimaire de l'an II de la République, une et indivisible, nous, commissaires du comité révolutionnaire de la susdite section, en vertu d'un ordre de l'administration de police, signe Daugé et Godard, tous deux administrateurs de police, en date du 9 frimaire, à l'effet de lever les scellés apposés chez les citoyennes Feuchère et Courvoisier, toutes deux détenues à la maison d'arrêt de la Force. En conséquence, nous, commissaires soussignés, accompagnés des citoyens Doque et Bidot, tous deux inspecteurs de police, sommes transportés à la demeure des susdites citoyennes, et étant monté au premier, avons trouvé le gardien, lequel nous a représenté le scellé sain et en entier, et d'après la visite faite et la plus scrupuleuse, étant entrés dans l'appartement de la citoyenne Feuchère, nous n'avons trouvé que des papiers relatifs à la Gazette de Paris, et plusieurs lettres, ainsy que plusieurs brochures, et noms de différents abonnés, lesquels papiers et brochures avons mis dans deux cartons, sur lesquels nous avons apposé notre scellé, ainsy qu’un gobelet de cristal fleurdelisé et gravé de ces mots : Vive le Roy ! et une bague en or où sont graves les mots : Domine salvum fac regem, que nous avons pareillement scellés de notre cachet. De suite sommes entrés dans l'appartement de la citoyenne Courvoisier, et après la plus exacte recherche, n'ayant rien trouvé de suspect, sommes sortis de l'appartement, toujours en présence de la citoyenne Courvoisier. Du tout avons dressé procès-verbal et en présence des citoyennes, avons remis entre les mains des deux citoyens inspecteurs de police les deux cartons, ainsi que lesdits gobelet et bague, renfermés dans un étui, le tout scellé de notre cachet portant pour empreinte un faisceau d'armes, surmonté du bonnet de la liberté et de ces mots : Comité de sûreté générale et section de la butte des Moulins, le tout par eux porté à l'administration de police, d'après l'ordre qu'ils ont exhibé tant à votre comité que dans le susdit logement et après la visite faite, nous avons trouvé à propos de renvoyer le susdit gardien qui a été payé par lesdites Feuchères et Courvoisier de ses frais de garde. Avons clos notre procès-verbal, en présence des susdits citoyens et citoyennes et dudit gardien et ont signé avec nous après lecture faite et avons remis pareillement les deux susdites citoyennes Feuchère et Courvoisier sous la responsabilité des deux inspecteurs, pour être réintégrées dans la maison d'arrêt de ladite petite Force et avons signé. Signé : SIMON, commissaire. commissaire. JARLOT, commissaire.

Cejourd'hui 21 frimaire de l'an 1793, second de la République, à midi et demi, nous Emmanuel Lanne, juge-président du tribunal révolutionnaire, assisté de Jacques Derbez, greffier, en présence de l'accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie la ci-après nommée, à laquelle nous avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure. A répondu se nommer Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, âgée de cinquante ans, ci-devant marchande de modes, native de Paris, y demeurant rue Neuve-des-Petits-Champs.

D. – A elle demandé si elle a connu Ogorman et sa femme?
R. – A répondu que non.
D. A elle demandé si elle a connu la femme Courvoisier ?
R. A répondu qu'elle la connaît depuis le mois d'avril dernier comme demeurant dans la même maison et mangeant très souvent ensemble par économie.
D. – A elle demandé pourquoi elle portait sur elle le portrait du tyran et ceux de son exécrable famille ? R. A répondu qu'elle les 'avait gardés sans y attacher aucun prix.
D. A elle demandé si elle a fait choix d'un conseil ?
R. A répondu que non ; en conséquence, lui avons nommé le citoyen Lafluterie pour défenseur. Lecture faite du présent interrogatoire, elle a déclaré qu'elle persiste dans ses réponses, et a signé avec nous et le greffier.
Signé : LANNE, FEUCHÈRE née Leroy, J. DERBEZ, greffier.


Procès-verbal d'arrestation et d'apposition de scellés chez Girouard. Comité de surveillance du département de Paris séant rue de la Convention, no 18, vis-à-vis Saint-Roch.


Le 13 nivôse l’an II de la République française, une et indivisible. Cejourd'hui, 13 nivôse l'an II de la République française, une et indivisible, nous François-Louis Fournerot, membre du comité de surveillance du département de Paris, après avoir requis le citoyen Simon Jacob, membre du comité révolutionnaire de la section de Brutus. En vertu des ordres émanés du comité de surveillance du département en date du u de ce mois, timbrés du sceau du comité, dûment signés Guigne jeune, président, Moessard, secrétaire ; lesdits ordres portant d'apposer les scellés chez le citoyen Girouard, d'en extraire ceux qui paraîtront suspects et d'amener ledit citoyen au comité de surveillance du département de Paris ; en vertu desdits ordres, nous nous sommes transportés, accompagnés de la force armée de la section de Brutus, à minuit un quart, au domicile du citoyen Girouard, ouvrier imprimeur, sis rue du Bout-du-Monde, no 154, où étant nous avons monté au 3e étage et avons trouvé ledit citoyen à qui nous avons exhibé l'ordre ci-dessus mentionné et ledit citoyen ayant obéi à la loi, nous nous sommes transportés dans une chambre à coucher sur le derrière ; ayant examiné les papiers qui se sont trouvés, nous avons déposé la majorité desdits papiers dans un petit cabinet attenant à ladite chambre, donnant également sur le derrière, sur la porte duquel nous avons apposé les scellés, à la marque du cachet du comité de surveillance du département et avons établi pour gardien desdits scellés, aux frais de qui il appartiendra, le citoyen Henry, demeurant rue Neuve-Sainte-Eustache, n° 42, qui s'est rendu personnellement responsable de la garde desdits scellés, à peine d'encourir les peines portées par la loi et a signé le présent. Signé : Henry.
Et de suite nous nous sommes transportés dans une pièce donnant sur le devant et servant à brocher ; dans ladite pièce, il s'est trouvé une grande quantité de livres, desquels nous en avons extrait : 1° un livre, la Révolution française en vaudeville, à Coblentz , année 1792, format in-32 ; 2o La Constitution en vaudeville, almanach civique pour l'année 1792, format id. ; 3° Les trois nouvelles du citoyen Mercier, année 1793, in-18 ; 4° Poème libre, faisant suite aux Veillées du couvent, année 1693, format id. ; 5o Les Soirées de l'automne et les Épanchements de l'amitié, par Mercier. A Paris, chez Girouard, format id.; 6° La vie, les amours, le procès et la mort de Marie Stuart, année 1793, format in-8°; 7° Justine ou les malheurs de la vertu, année 1791, format id.
Nous avons trouvé dans un autre petit cabinet, dit garde-robe, parmi de vieux papiers, une petite brochure intitulée : Fragment sentimental, en vers français, année 1791, ayant une gravure à la face du ci-devant prince de Condé, format in-18.
Avons apporté les objets ci-dessus mentionnés au comité de surveillance du département de Paris. Avons clos le présent pour servir et valoir ce que de raison et avons signé : J. Jacob, membre du comité de Brutus ; Vil Girouard, Fournerat, membres du comité de surveillance du département. Pour copie conforme : Signé : BRUN, secrétaire greffier. 


Procès-verbal d'interrogatoire du nommé Girouard. (Comité de surveillance du département de Paris).


Le 13 nivôse an II de la République française, une et indivisible, Est comparu au comité un citoyen qui nous dit se nommer Jacques Villers Girouard, âgé de trente-six ans, natif de Chartres, département d'Eure-et-Loir.

D. Depuis quel temps êtes-vous à Paris ?
R. Depuis 1779.
D. Que faisiez-vous avant la Révolution ? 
R. J'étais ouvrier imprimeur.
D. A quelle époque vous êtes-vous établi imprimeur ?
R. Dans le courant de septembre 1789.
D. A quelle époque le peuple s'est-il porté chez vous pour briser vos presses ?
R. Il ne s'y est jamais porté.
D. N'avez-vous pas été compromis dans le procès de Durosoi ?
R. J'ai été appelé comme témoin.
D. N’étiez-vous pas son imprimeur ?
R. Oui.
D. N'imprimiez-vous pas son journal, intitulé l'Ami du roi ?
R. Non. Je n'ai imprimé pour lui que la Gazette de Paris
D. N'imprimiez-vous pas les Actes des Apôtres ?
R. Non.
D. N'avez-vous pas été dégradé dans votre section, comme très aristocrate ?
R. J'ai été sergent-major dans le commencement de la Révolution et je n'ai jamais été dégradé. Je me suis retiré de mon propre mouvement.
D. Pourquoi vous a-t-on vu porter longtemps le portrait du roi, sur votre poitrine, avec cette inscription : Ordre de famille et derrière une chanson commençant par ces mots : 0 Richard ! ô mon roi !
R. J'ai porté le portrait sans aucune intention ; mais je ne l'ai pas porté longtemps et je l'ai même brisé ; il y avait pour inscription : 0 Louis ! ô mon roi !
D. Dans quelle intention en avez-vous fait graver une telle quantité que tous les aristocrates et contre-révolutionnaires en sont pourvus, comme un signe de ralliement ?
R. Je n'ai point fait imprimer ce portrait pour moi, mais bien pour M. Durosoi.
D. Combien en avez-vous fait graver ?
R. A peu près 3 à 4.000, dont la moitié a été brûlée.
D. N'est-ce pas un nommé Carrée qui vous les a gravés ?
R. Oui.
D. Où demeure ce Carrée ?
R. Il demeurait rue Saint-Jacques, en face la fontaine Saint-Séverin.
D. N'êtes-vous pas imprimeur d'un ouvrage intitulé : Justine ou les malheurs de la vertu ?
R. Oui.
D. Quel est l'auteur ?
R. Je ne sais quel en est l'auteur, mais c'est le ci-devant marquis de Sade qui me l'a vendu.
D. Pourquoi vos presses semblaient-elles être consacrées à tous les ouvrages d'aristocratie contre-révolutionnaire et obscénités qui constatent un homme sans mœurs, sans vergogne, qui caractérisent un vrai contre-révolutionnaire, car on ne peut être républicain avec de telles mœurs ?
R. J'imprimais tout indistinctement, comme il fallait vivre et que j'avais une nombreuse famille.
D. Êtes-vous encore imprimeur ?
R. Il y a un an que j'ai vendu mon imprimerie, et je ne suis qu'ouvrier imprimeur.
D. Pourriez-vous nous montrer les titres légaux qui constatent la cession de vos presses ?
R. Oui, par un acte passé devant notaire.
D. Reconnaissez-vous les brochures ci-après dénommées dans le procès-verbal de votre arrestation, comme ayant été trouvées chez vous, lesquelles sont : La Révolution française en vaudeville, à Coblentz, année 1792 ; La Constitution en vaudeville, almanach civique pour l'année 1792 ; Les trois nouvelles du citoyen Mercier, année 1793 ; Poème libre, faisant suite aux Veillées du couvent, année 1793 ; Les Soirées de l'automne et les épanchements de l'amitié, par Mercier ; Les amours, le procès et la mort de Marie Stuart, année 1793 ; Fragment sentimental, en vers français, année 1791, ayant une gravure représentant le ci-devant prince de Condé ; Justine ou les malheurs de la vertu, année 1791?
R. Oui, je les reconnais.
D. Quels sont les ouvrages que vous avez imprimés, de ceux ci-dessus relatés ? 
R. Justine, les Amours de Marie Stuart, les Soirées d'automne, et les trois Nouvelles.
D. Pourriez-vous nous dire ce que signifient les lettres initiales qui se trouvent sur la brochure intitulée : Fragment sentimental ? Ces lettres sont : M. D* R****.
R. Je n'en sais rien.
D. D'où vous viennent les livres trouvés chez vous et que vous dites n'être pas imprimés de vous ?
R. Ils viennent de la boutique que ma belle-sœur avait au Palais-Royal, galerie du Cirque.
D. Comment s'appelle votre belle-sœur ?
R. Elle se nomme Roche.
D. Où étiez-vous à l'époque du 10 août 1792.
R. Au corps de garde de la Jussienne, que je n'ai pas quitté de quatre jours et où j'étais dès le 9 ; le 10, notre bataillon s'est porté à la place Vendôme.
D. Où étiez-vous à l'époque de la révolution du 31 mai et jours suivants ?
R. Au corps de garde de la section de Brutus.
D. Où demeure actuellement votre belle-sœur Roche, où vous dites avoir pris ces livres ? 
R. Elle demeure chez moi.
D. A quelle époque avez-vous fait graver cette collection de portraits du ci-devant roi ?
R. C'est après l'arrivée de Louis Capet de Varennes et dans le temps où la liberté lui fut rendue par l'Assemblée constituante, avant l'acceptation de 1789, 90 et 91.
D. Avez-vous accepté la constitution républicaine ?
R. Oui. J'observe que la brochure intitulée : Poème libre, est faite depuis que j'ai quitté la boutique.

Lecture faite, a dit le présent contenir, vérité, y a persisté et a signé. Signé : GIROUARD, GUIGUE, président. Le comité, après avoir entendu l'interrogatoire subi par le nommé Girouard, imprimeur, ensemble les livres empestiférés d'aristocratie et tendant à avilir la représentation nationale et dont on ne peut calculer les maux que ces ouvrages ont faits et pourraient faire à la Révolution, arrête que ledit Girouard sera conduit à la Conciergerie et copie de ses pièces sera remise à l'accusateur public du tribunal révolutionnaire. Signé : GUIGCE jeune, president ; MOESSARD, secrétaire.


Comité de surveillance
Le 15 nivose an II de la République française.
Au citoyen Fouquier-Tinville,
Accusateur public du tribunal révolutionnaire.


Citoyen, Lors de l'interrogatoire subi par le nommé Girouard, imprimeur, le comité a oublié de lui faire la question suivante : Où demeure le ci-devant marquis de Sade, qui vous a vendu le manuscrit de l'ouvrage intitulé : Justine ou les malheurs de la vertu ? Cette question, omise dans son interrogatoire, est d'autant plus nécessaire qu'elle pourrait nous faire découvrir l'auteur de l'ouvrage infâme de Justine. Salut et fraternité ! Vive la République ! Signé : MARCHAND, vice-président.


Du 16 nivose an II de la République française.


Interrogatoire fait par Bravet, l'un des juges du tribunal criminel révolutionnaire, établi à Paris, de Jacques Girouard, amené de la Conciergerie en l'une des salles de l'auditoire du Palais, en présence de l'accusateur public.
A répondu se nommer Jacques Girouard, agé de trente-six ans, natif de Chartres en Beauce, département d'Eure-et-Loir, ouvrier imprimeur à Paris, y demeurant rue du Bout-du-Monde, no 154. Interrogé s'il connaît les causes de son arrestation.
A répondu que son premier interrogatoire le lui a appris.
Lecture à lui faite de l'interrogatoire par lui subi le 13 du présent et à lui demandé s'il persiste dans ses réponses y contenues.
A répondu que oui.
A lui demande s'il sait la demeure du ci-devant marquis de Sade et dans ce cas de nous la dire.
A répondu qu'il ne sait pas où il demeure actuellement ; mais qu'à l'époque où il lui a remis l'ouvrage en manuscrit, dont est question, il demeurait rue Neuve-des-Mathurins, chaussée d'Antin, ne se rappelant pas du numéro, qu'il croit que ce sont les 19 ou 20.
A lui demandé quelle est l'époque où ledit Sade lui vendit le manuscrit dont il s'agit.
A répondu que c'est l'année 1790, ne se rappelant pas le mois.
A lui représenté un paquet de huit petites brochures dont deux sont in-8°; 
A lui demandé s'il les reconnaît pour être les mêmes que celles trouvées chez lui lors de son arrestation. A répondu qu'il reconnaît le tout pour être les mêmes qui furent trouvés chez lui.
A lui demandé s'il n'a plus revu ledit de Sade depuis la vente du manuscrit et s'il ne lui en a pas donné d'autres à imprimer.
A répondu qu'il l'a revu plusieurs fois et lui a acheté un autre manuscrit intitulé : le Roman philosophique, ouvrage écrit à la Bastille, un an avant la révolution et qu'il a cessé de voir ce ci-devant marquis il y a environ trois mois.
A lui demandé s'il a un défenseur, a répondu que non, pourquoi lui avons nommé d'office le citoyen Guyot, défenseur officieux.
Lecture à lui faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persisté et a signé avec nous, l'accusateur public et le commis-greffier. Signé : Jacques Vil. GIROUARD, BRAVET, A.-G. FOUQUIER, THIERY. 


Jugement rendu par le tribunal révolutionnaire établi à Paris le 19 nivose an II de la République une et indivisible.


Au nom du Peuple français, Vu par le tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars dernier, l'acte d'accusation dressé contre Marie-Aimée Leroy, femme de François-Joseph Feuchère, âgée de cinquante ans, receveuse des abonnements de la ci-devant Gazette de Paris, de Durosoi, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs ; Catherine Simonin, femme Courvoisier, cordonnière, âgée de trente ans, native de Semur, département de la Côte-d'Or, demeurant rue Neuve-des-Petits-Champs ; Hélène Janson, femme Dulac, âgée de trente ans, née à Maubeuge, ouvrière en modes, demeurant à Paris, rue de Bussy, et Edmond Saint-Léger, âgé de quarante et un ans, né en Irlande, médecin et commissaire civil, en 1791, du pouvoir exécutif, à Saint-Domingue, duquel acte la teneur suit :

Antoine Quentin Fouquier, accusateur public du tribunal révolutionnaire, établi à Paris par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l'an deuxième de la République, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l'article 2 d’un décret de la Convention du 5 avril suivant, portant que l'accusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.

Expose que par arrêté des administrateurs du département de police, des 7 et 12 frimaire dernier, Marie-Aimée Leroy, femme de François-Joseph Feuchère, âgée de cinquante ans, receveuse des abonnements de la ci-devant Gazette de Paris, de Durosoi, et des fonds pour la contre-révolution, demeurant rue Neuve-des-Petits-Champs ; Hélène Janson, femme Dulac, âgée de trente ans, née à Maubeuge, se disant ouvrière en modes, et ci-devant femme de chambre de la femme Ogorman, émigrée, demeurant rue de Bussy ; Edmond Saint-Léger, âgé de quarante et un ans, né en Irlande, médecin et commissaire civil en 1791 du pouvoir exécutif pour Saint-Domingue, et Catherine Simonin, femme Courvoisier, cordonnière, âgée de trente ans, native de Semur, département de la Côte-d'Or, demeurant rue Neuve-des-Petits-Champs, ont été traduits au tribunal révolutionnaire, comme prévenus de correspondance avec les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur de la République, et des projets de contre-révolution ; qu'examen fait des interrogatoires subis par ladite Feuchère et consorts, ensemble les pièces adressées à l'accusateur public, il en résulte : 1° contre la femme Feuchère, qu'elle était la principale agente, avec Durosoi, des ennemis de la révolution ; que c'était elle qui dirigeait l'impression, la distribution de l'infâme Gazette de Paris, qui recevait les lettres et les abonnements des contre-révolutionnaires de Coblentz et d'ailleurs ; qu'elle recevait encore ces sommes destinées à soudoyer dans l'intérieur les conjures contre la liberté et la souveraineté du peuple français ; qu'elle était la dépositaire de cette contribution formée par les agents de la contre-révolution pour salarier les assassins aux ordres de Capet, de Pitt et de Brunswick ; qu'au moment où cette femme a vu le conspirateur Durosoi subir la peine de ses crimes, elle s'est emparée, au détriment de la nation, de la plus grande partie de ses biens ; qu'elle a recelé chez elle ses papiers, ses effets et tout ce qu'elle a pu soustraire à la surveillance des autorités constituées ; que les papiers trouvés chez elle prouvent que depuis que ce conspirateur a été frappé du glaive de la loi, elle a reçu et payé pour lui, que ces mêmes papiers établissent encore que les conspirateurs s'adressaient à elle directement, pour avoir le signe de ralliement des contre-révolutionnaires ; que, par une lettre du 1er août 1792, on lui demande le médaillon appelé par les conspirateurs : ordre de famille, cher, dit-on, à tous bons Français, c'est-à-dire un portrait gravé du dernier tyran des Français ; que la femme Feuchère a été trouvée encore saisie de plusieurs de ces médaillons, preuve évidente qu'elle n'a pas cessé d'en être la distributrice, qu'elle avait caché ces médaillons dans ses vêtements, que, malgré le châtiment infligé à son infame associé, elle n'a pas cesse d'être l'agente des conspirateurs et de machiner une contre-révolution ; qu'elle a garde soigneusement, non seulement les portraits du dernier tyran et de sa famille, mais encore ceux de Léopold, du tyran de Suède, Gustave III, ce chef de conspirateurs contre la France, avec des inscriptions qui caractérisent l'intention de celle qui les possédait ; qu'enfin, une gravure également trouvée chez la Feuchère et représentant ce Gustave, et la Catherine du Nord, s'engageant à donner des fers aux Français. Une bague avec inscription autour, servant de signe de ralliement aux conspirateurs, et connue sous la dénomination de collier, et un grand gobelet de cristal fleurdelisé, avec l'inscription contre-révolutionnaire au milieu : vive le roi, et ce gobelet, enfermé précieusement dans un étui ; qu'il parait encore que la femme Feuchère avait une maison aux Prés Saint-Gervais, où se tenaient les conciliabules contre-révolutionnaires avec ses complices. 2° Contre les nommées Courvoisier et Dulac : que ces deux femmes, mariées à des peintres émigrés, ont été elles-mêmes attachées, l'une en qualité de femme de chambre, et l'autre de femme de charge, au nommé Ogorman et à sa femme, tous deux émigrés ; que ces deux femmes n'ont cessé d'entretenir avec la Feuchère les relations les plus intimes, et qu'elles ont même séjourné avec elle pendant un certain espace de temps dans cette maison, située aux Prés Saint-Gervais, maison qui était le centre de ralliement des affidés conspirateurs ; qu'elles paraissent encore avoir été soudoyées par le nommé Saint-Léger, médecin, et en 1791, commissaire du pouvoir exécutif, pour fomenter la contre-révolution dans l'ile Saint-Domingue; que la femme Courvoisier, pour se dérober sans doute à la surveillance des magistrats du peuple, a imaginé, de concert avec la conspiratrice Feuchère, de s'établir cordonnière rue des Champs, afin que la publicité de cet état détournât de dessus elle les soupçons auxquels elle pouvait être d'ailleurs exposée. Contre Edmond Saint-Léger, se disant médecin : que cet agent du pouvoir exécutif pour l'île de Saint-Domingue, en 1791, moment où le pouvoir exécutif n'y envoyait des commissaires que pour y commencer une contre-révolution, qui devait ensuite s'étendre à la métropole, parait être le correspondant des contre-révolutionnaires et des émigrés, et chargé par eux de distribuer les fonds qu'il a à eux dans ses mains, aux différents individus qui lui sont désignés; que c'est lui qui a fait différents payements à la femme Courvoisier, des sommes qu'elle partageait avec les femmes Dulac et Courvoisier, provenues de l'acquisition qu'il a faite, au mois d'octobre dernier, de vin appartenant à Ogorman, à l'époque de son émigration, déguisée sous le prétexte d'un voyage en Amérique, et que ces payements avaient pour objet la solde des gages dus aux dites Courvoisier et Dulac, suivant la destination verbale qui en avait été faite par Ogorman lui-même ; mais que Saint-Léger n'est évidemment que l'agent des émigrés, avec un nommé Legendre, épicier, rue Taranne, qui a disparu au moment où il a été instruit de l'arrestation de Saint-Léger, et qu'ils étaient chargés de soudoyer l'un et l'autre cette horde de conspirateurs qui n'attendent que le signal de se rallier, s'il était possible, aux ennemis coalisés contre l'Empire français. D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, Helène Janson, femme Dulac, Catherine Simonin, femme Courvoisier, et Edmond Saint-Léger, actuellement détenus dans la maison d'arrêt de la Conciergerie du Palais, pour avoir conspiré contre l'Empire français et attenté à la tranquillité et à la sûreté intérieure de la République, en entretenant des intelligences et correspondances avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, à l'effet de provoquer la dissolution de la représentation nationale et le rétablissement de la royauté, ce qui est contraire à l'article 4 de la première section du titre premier de la deuxième partie du Code pénal. En conséquence, l'accusateur public requiert qu'il lui soit donné acte de l'accusation par lui portée contre les dits Feuchère, Courvoisier, Dulac et Saint-Léger, actuellement détenus dans la maison d'arrêt de la Conciergerie ; qu'il soit dit et ordonné qu'à sa diligence et par l'huissier porteur de l'ordonnance à intervenir, lesdits Feuchère, Courvoisier, Dulac et Saint-Léger seront pris au corps et écroués sur les registres de la maison d'arrêt, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que l'ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris. Fait au cabinet de l'accusateur public, le 18 nivôse, l'an deuxième de la République française, une et indivisible. Signé : A.-Q. FOUQUIER.

Ledit acte d'accusation était suivi de l'ordonnance de prise de corps ainsi conçue : Le tribunal, faisant droit, sur le réquisitoire de l'accusateur public, lui donne acte de l'accusation par lui portée contre Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, Hélène Janson femme Dulac, Catherine Simonin femme Courvoisier, et Edmond Saint-Léger, tous détenus en la maison d'arrêt de la Conciergerie. En conséquence, ordonne qu'à la diligence du requérant et par l'huissier porteur de l'ordonnance du tribunal, lesdits Feuchère, Dulac, Courvoisier et Saint-Léger seront pris au corps et écroués sur les registres de la maison d'arrêt, où ils sont détenus, pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que la présente ordonnance sera notifiée à la municipalité. Fait et jugé au tribunal, le 18 nivôse an II de la République, une et indivisible, par les citoyens Réné-François Dumas, vice-président ; Étienne Foucault, Antoine Maire et Joseph Denizot, juges, qui ont signé. DENIZOT, DUMAS, MAIRE, FOUCAULT. Vu l'ordonnance de prise de corps, décernée par le tribunal contre lesdits Marie-Aimée Leroy, femme Feuchère, Catherine Simonin femme Courvoisier, Hélène Janson, femme Dulac, et Edmond Saint-Léger ; le procès-verbal d'écrou et la remise de leurs personnes à la maison de justice de la conciergerie du Palais.

L'ordonnance de prise de corps rendue à l'audience publique de la séance, aux débats du présent jugement contre Girouard, âgé de trente-six ans, natif de Chartres, en Beauce, département d'Eure-et-Loir, demeurant à Paris, rue du Bout-du-Monde. Sur les conclusions et réquisitoire de l'accusateur public : Attendu qu'il résulte des débats que Girouard paraît être complice des conspirations de la femme Feuchère, qu'il avait gravé des signes et imprimé des ouvrages contre-révolutionnaires et été trouvé saisi d'ouvrages empoisonnés d'aristocratie, tendant à avilir la représentation nationale ; ordonne que ledit Girouard sera sur-le-champ traduit et mis en jugement avec les accusés ci-dessus dénommés et que l'acte d'accusation dressé contre eux s'étendra à lui et deviendra commun. La déclaration du juré faite à haute et intelligible voix portant : qu'il est constant qu'il existe une conspiration tendant à troubler la tranquillité et la sûreté de la République française et à rétablir la royauté en France, en opérant la dissolution de la représentation nationale et pour y parvenir, à faciliter, par tous les moyens possibles, l'entrée des troupes, des tyrans coalisés sur le territoire de la République. « Que Marie-Anne Leroy, femme de Joseph Feuchère, recevait les abonnements du journal contre-révolutionnaire appelé la Gazette de Paris dont Durosoi était le rédacteur et l'un des auteurs ou complice de ladite conspiration. « Qu'il est constant que Joseph Girouard, imprimeur de la dite Gazette, est l'un des auteurs ou complices de ladite conspiration et a fait graver des signes contre-révolutionnaires. « Qu'il n'est pas constant que Catherine Simonin, femme Courvoisier, Hélène Janson, femme du nommé Dulac et Édouard Saint-Léger, natif d'Irlande, soient complices de ladite conspiration. « L'ordonnance du tribunal qui acquitte lesdites femmes Courvoisier, femme Dulac et Saint-Léger. Le tribunal, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, condamne lesdits Marie-Aimée Leroy, femme de Joseph Feuchère et Joseph Girouard à la peine de mort, conformément à la loi du 4 décembre 1792, dont lecture a été faite, laquelle est ainsi conçue : La Convention nationale décrète que quiconque proposerait ou tenterait d'établir en France la royauté ou tout autre pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple, sous quelque dénomination que ce soit, sera puni de mort et encore conformément à l'article IV du titre premier de la seconde section de la seconde partie du code pénal, dont il a été fait lecture, lequel est ainsi conçu : « Toute manœuvre, toute intelligence avec les ennemis de la France tendant, soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l'empire français, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d'une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire français ou contre nos forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats ou des autres citoyens envers la nation française, seront punis de mort. » Déclare les biens desdits Marie Leroy, femme Feuchère et Joseph Girouard acquis à la République, conformément à l'article 3 du titre II de la loi du 17 mars dernier dont il a été fait lecture. Ordonne que le gobelet, portant des inscriptions contre-révolutionnaires, sera brisé au pied de l'échafaud, que les figures, ainsi que les brochures et libellés contre-révolutionnaires seront brûlés par l'exécuteur des jugements criminels ; ordonne en outre qu'à la diligence de l'accusateur public, le présent jugement sera exécuté dans les vingtquatre heures sur la place de la Révolution de cette ville, qu'il sera imprimé, publié et affiché dans toute l'étendue de la République. Fait et prononcé le 19e jour du mois de nivôse de l’an second de la République, à l'audience publique du tribunal, où siégeaient les citoyens Pierre André Coffinhal faisant les fonctions de président ; Gabriel Toussaint, Scellier et Charles Bravet, juges, qui ont signé la présente minute avec Tavernier, greffier. Signé : Coffinhal, président. – Bravet, Scellier, juges. — TAVERNIER, commis-greffier.

En exécution des dispositions de la loi appliquées à Girouard, le tribunal révolutionnaire devait condamner à mort les rédacteurs des journaux qui critiquaient les décrets de la Convention nationale ou les arrêtés des comités qui composaient le gouvernement. Les imprimeurs de ces journaux et les employés qui recevaient les abonnements devaient subir la même peine. Tel était devenu le sort des journalistes indépendants, sous un gouvernement qui avait fait inscrire les mots LIBERTÉ, EGALITE sur tous les monuments publics et même sur les prisons.

ALFRED BEGIS. (*)


(*) Cet article a été publié la première fois dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (1884, Bibliographie rétrospective, pp. 177-190). Alfred Bégis (1829-1904), l'auteur de cet article, collabora à la revue Le Livre en tant que spécialiste de l'histoire révolutionnaire. On lui doit plusieurs ouvrages importants sur ce sujet. Cet historien de la révolution, avocat de formation, était également un bibliophile chevronné. Il fut notamment secrétaire de la société des Amis des Livres. Sa bibliothèque fut vendue en 1910.

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