jeudi 29 mars 2012

Les vingt plus jolies femmes de Paris en 1870 selon Charles Diguet. Devinette biblio-iconographique collective et sans risque.








Voici ce qu'on peut appeler un joli petit ouvrage. Délicatement imprimé par Jouaust (achevé d'imprimer le 15 février 1870). Agréablement illustré par Martial (frontispice et portraits à l'eau-forte) et Morin (ornements gravés sur bois dans le texte). D'un format très pratique (in-8 - 24 x 16 cm). Et d'un intérêt tout à fait rétrospectif mais néanmoins avéré. Publié par un grand nom de l'édition du moment : La Librairie Internationale, 15 Boulevard Montmartre et A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie, à Bruxelles, à Leipzig et à Livourne (les mêmes éditeurs que Victor Hugo à la même époque. Un tirage à petit nombre (400 ex.) sur beaux papiers (voir le justificatif ci-dessous), celui-ci un des exemplaires sur raisin vergé, exemplaires vendus 20 francs or à l'époque (quand on sait qu'un livre de l'époque de chez Hachette ou Plon était vendu entre 1 et 3,50 francs). Un beau livre donc, pas à la portée de toutes les bourses de l'époque. Un livre destiné à la bourgeoisie voire à l'aristocratie du Second Empire expirant.

Les jolies femmes de Paris par Charles Diguet. Tel est son titre prometteur. L'auteur, aussi bien habitué aux libres de "femmes" qu'aux livres de "chasses" (Charles Diguet a en effet donné plusieurs titres qui traite de la femina et aussi d'autres entièrement consacré à la chasse : Mes aventures de chasse - Tablettes d'un chasseur - Le livre du chasseur (le plus célèbre) - etc. Arrivait-il à Charles Diguet de confondre chasse au bois, chasse en plaine et chasse du petit gibier de quartier ? C'est tout à fait possible. Les similitudes entre les deux sports n'étant plus à démontrer. D'ailleurs son autre ouvrage Blondes et Brunes (1866) montre bien qu'il ne savait pas choisir. Il donna aussi Les Reines de beauté et les Reines du théâtre contemporain.

Qui était Charles Diguet ? Il serait né en 1836 et mort en 1909. On ne sait pas grand chose de lui si ce n'est qu'il est partout décrit comme un écrivain cynégétique. Les jolies petites femmes de Paris ne font pas le poids dans une bibliographie face à un sanglier ! A noter un autre ouvrage de Charles Diguet que nous avons sous les yeux et qui semble être passé presque inaperçu dans sa bibliographie légère : Amours parisiens (Paris, Dentu, 1873), joli petit volume in-18 illustré par H. Demare. Seul Vicaire en fait mention ainsi que la Bibliographie de la France pour l'année 1873 mais il semble bien difficile à localiser par ailleurs. Finalement nous ne savons presque rien de cet homme qui officia sur deux tableaux littéraires plutôt différents. Diguet n'a même pas les honneurs du Dictionnaires des auteurs contemporains de G. Vapereau (édition de 1880). Passons. Encore un illustre oublié à redécouvrir... ou pas.

Venons-en à ce qui nous amène ce soir. Un petit jeu concours pour biblio--gyné-iconophiles ! Il n'y a rien à gagner si ce n'est une belle neuron party entre vous et vous. A vos marques ! Prêts ? Partez !

Quel est selon vous, et surtout selon Charles Diguet, ce grand spécialiste des biches aux (a)bois et autres phacochères blessés, le palmarès des 20 plus jolies femmes de Paris en cette année 1870 ?

Le livre donne la réponse. Diguet énumère quelles sont pour lui les 20 plus belles femmes de Paris à la fin du Second Empire. Il n'allez pas croire que c'est un portrait flatté et distant qu'il nous donne à chaque fois. Non ! Ce sont à chaque fois mots doux et descriptions presque amoureuses de ces jolies femmes adorées. "Cette tête, petite, adorable, éclairée comme un demi-jour, a toutes les irrégularités charmantes d'une strophe amoureuse. Le front ouvert, le nez alangui, la bouche éloquente dans sa dépression souriante, le menton nuageux dans sa sensualité, chantent tous le mot amour dans une note diverse. La peau, satinée, a ces blancheurs chaudes des ibis, qui naissent blancs et qu'un soleil de pourpre finit, à force de lueurs vermeilles, par carminer." et pour une autre : "Regardez-la, cette toute jolie ! Les amours ont mis des ans à broyer des myriades de roses pour donner une teinte d'aurore à ce visage duveté comme une pêche qu'a baisée le soleil !" et encore pour une autre plus loin : "Un bouton de rose thé que n'a point encore teinté le soleil. Elle est pâle comme Ophélie au bord de la rivière. (...) Quelques veines, ténues comme des fils de la Vierge, sillonnent cette pâleur et lui donnent grand air. (...) La femme est toute entière dans cette chevelure étrange, unique peut-être à Paris." Diguet n'y allait pas avec le dos de la cuillère ! si j'ose dire. J'espère qu'il était en bon terme avec tous les maris parce que sinon... ça sent d'ici le grabuge à plein nez ! Aux quat'coins d'Paris qu'on l'aurait r'trouvé l'Diguet ! Un homme prudent sans doute... Il fallait mieux. On sait gré à Diguet de ne pas avoir osé tenter Les laides femmes de Paris ou panorama des femmes les plus moches de la capitale à cette époque. Ouf !

Alors voilà. A vous de jouer ! Mais attention ! Soyez réglo ! Vous n'avez pas le droit de regarder sur les moteurs de recherche du type Google ou Vialibri... sinon c'est de la triche. Donnez-nous, quelles sont, selon vous, ces 20 plus jolies femmes de la capitale en 1870.

Nous sommes toutes ouïes (dehors) !

PS : je ne sais pas si cela vous aidera mais j'ai placé dans cet articles quelques unes des figures gravées de ces jolies midinettes starifiées par Diguet himself. Qui sait ? Peut-être en reconnaîtrez-vous au moins une !

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

lundi 26 mars 2012

Fiche de libraire : le Nostradamus d'Amsterdam, 1668 relié en maroquin rouge ancien.

Voici encore une fois une fiche de libraire qui nous donnerait envie d'être bibliophile si nous ne l'étions pas déjà. Nostradamus ! en belle édition ancienne ! dans une reliure en maroquin ! ... il ne manque plus que des armes et une provenance prestigieuse pour faire planer ce livre dans les nuées ardentes du paradis bibliognoste, très haut.

Qu'importe, voici un be exemplaire de cette édition "fort rare et qui se vend fort chère" selon Eugène Bareste et de nombreux autres bibliographes d'ailleurs. Il semble que cette édition a été recherchée de tout temps en belle condition.

Je ne vais pas répéter servilement ce qu'écrit la fiche ci-dessous rédigée par un libraire parisien (2012). Tout est dit ! Cet exemplaire est proposé au prix de 15.000 euros. Le prix de l'excellence !

Je vous laisse lire en détail et admirer, tout simplement.





























































Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne 

vendredi 23 mars 2012

Spécimen de papier dominoté du XVIIIe siècle.





Un lecteur du Bibliomane moderne nous envoie ce spécimen de papier dominoté. Il se trouve sur un volume in-12 broché intitulé Dissertation sur l'éducation physique des enfans. Paris, Vallat-La-Chapelle, 1762.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

mercredi 21 mars 2012

Fiche de libraire : La porte des rêves de Marcel Schwob illustrée par Georges de Feure (1899). Publication des Bibliophiles indépendants.



Caresser du regard ne serait-ce qu'un instant un beau livre n'est-ce pas déjà le posséder un peu ? C'est exactement ce qui m'était arrivé lors du salon du livre de collection et de l'estampe au Grand Palais au printemps 2010, il y a de la cela déjà 2 ans donc. Dans une belle vitrine j'avais pu voir sous toutes ses faces, le beau livre que vous pouvez voir ci-dessous. Je n'avais pas demandé à pouvoir le regarder de plus près, ni même le toucher. Manque d'assurance, peur du refus de la part du libraire. Je ne sais pas. Une sorte d'interdit, comme un tabou. Ce livre était trop beau pour moi sans doute. Mais je l'ai bien gardé en mémoire. Si bien même que deux ans après, lors qu’hier soir je regardais attentivement plusieurs catalogues de libraires joliment illustrés et savamment décrits, mon regard tomba une seconde fois en arrêt sur lui. Le voici.


LA PORTE DES RÊVES par Marcel Schwob et illustré par Georges de Feure. Paris, Les Bibliophiles indépendants, 1899.

Édition originale de ce maître livre du symbolisme, fruit d'une alchimie réussi entre un auteur, un illustrateur et un éditeur. Tirage unique à 220 exemplaires sur Japon. Celui-ci le n°64.

L'ouvrage comprend un frontispice en forme de triptyque à volets gravé en taille-douce et colorié à la main, 16 planches sur bois hors texte en noir, 15 culs-de-lampe, ainsi que 32 encadrements variés imprimés en couleurs pour chaque page, par Georges de Feure. Il est en outre enrichi du prospectus de souscription.

Très bel exemplaire dans une spectaculaire reliure Art Nouveau en veau modelé. Le rapace nocturne déployant ses ailes et ses serres au premier plat constitue un rappel particulièrement approprié de la célèbre gravure des Caprices de Goya : Le Sommeil de la raison engendre des monstres.

In-4, veau lavallière orné d'un décor en relief : porte surmontée d'une chouette aux yeux incrustés de nacre au premier plat avec titre en maroquin mosaïqué vert d'eau, encadrement Art Nouveau au second plat, dos lisse, filet doré sur les coupes, bordures ornées d'un triple filet doré, doublures et gardes de soie moirée vert d'eau, doubles gardes de papier coloré, couvertures imprimées en couleurs conservées, tête dorée, non rogné, chemise et étui bordé (reliure de l'époque).

Prix affiché au catalogue par la librairie parisienne : 9.500 euros (2010).

Tout est dit dans cette belle fiche pour ce beau livre. Tout ? Enfin presque ... Le nom d'Octave Uzanne n'est pas même cité alors que c'est à son initiative que cet ouvrage a pu voir le jour. Publié pour la société des Bibliophiles indépendants ce livre est une des grandes réussites de cette société de bibliophiles éphémères. Mais ce n'est pas ici le lieu de m'étendre sur Octave Uzanne, les plus curieux connaissent désormais l'adresse à laquelle il faut frapper pour en savoir plus sur le bonhomme et son œuvre. Je vous laisse suivre le chemin.

Bonne soirée
Bertrand Bibliomane moderne

dimanche 18 mars 2012

Une reliure plein maroquin rouge janséniste signée de R. Petit avec un ex-libris aux armes d'Edouard de Turckheim sur L’Apologie pour Hérodote.


Le baron Edouard de TURCKHEIM (1910) par Léon HORNECKER

Source : BNUS


J’ai reçu pour mon soixantième anniversaire un bien joli cadeau :

ESTIENNE (Henri) : Apologie pour Hérodote, ou Traité de la conformité des Merveilles anciennes avec les modernes. Nouvelle édition augmentée de remarques par Mr Le Duchat. Nouvelle édition faite sur la première et augmentée de remarques, par P. Ristelhuber. Avec trois Tables. Paris, Isidore Liseux, rue Bonaparte, n°2, 1879. Deux volumes in-8 de XLVIII-432 et 506 pp. Couvertures de papier parcheminé. Imprimé sur Hollande van Gelder. Prix : 25 fr. [B. L. : 12316.ppp.3. ; BnF. (3 ex.) : Res p-z-518, Res p-z-519, Res p-z-520.] Reliure plein maroquin rouge janséniste, toutes tranches dorées sur marbrures, parfaitement établie par R. Petit, avec sa signature dans la dentelle du contre-plat et un ex-libris aux armes d'Edouard de Turckheim.





Le baron Edouard de Turckheim (1829-1909). Ce maître de forge, de noblesse protestante alsacienne, était marié à Amélie de Dietrich (1841-1874), fille d’un autre maître de forge. C’est l’un des grands acteurs du développement industriel d’Alsace-Lorraine au XIXe siècle : Sidérurgie, construction métallique, mines, puits de pétrole de Pechelbronn (Antar) etc. On le voit ici (avec la barbe blanche) présidant au mariage de sa fille Fanny Amélie en 1897. J’imagine cet ouvrage dans la riche bibliothèque du baron, au château de Turckheim à Dachstein (Bas-Rhin).


[Les photos sont tirées du site de l’Association des membres de la famille de Turckheim :
http://de-turckheim.net/index.php?option=com_joomgallery&view=gallery&Itemid=27 ]

Paul Ristelhuber (1834-1899), écrivain, bibliographe et bibliophile strasbourgeois. Fils d’un médecin psychiatre, il fait des études de lettres à l'université de Strasbourg et à Paris. Il présente une thèse sur Faust, mais sa thèse complémentaire en latin a été jugée insuffisante et il a été ajourné. Il consacre ensuite sa vie aux belles lettres, à la poésie et à la recherche historique, sans autre activité professionnelle. En 1865, il publie une réédition actualisée du Dictionnaire du Haut et du Bas-Rhin de Baquol paru en 1849. Après 1870, il reste fidèle à la France, mais sans quitter l'Alsace et prétend incarner la résistance intellectuelle à l'Allemagne. Il publie alors quatre volumes de notes de lecture, de chroniques et de documents en privilégiant les récits du siège de Strasbourg (1870), ainsi que l'actualité, dont la révocation du maire de Strasbourg Ernest Lauth en 1873. Il se risque ensuite à publier, en 1874 à Paris, un volume collectif, avec la participation de Victor Hugo et de George Sand, intitulé L'Offrande, où ses critiques sévères du Reich sont conformes à l'état d'esprit d'anti-germanisme qui régnait à Paris. Jusqu'alors tolérantes, les autorités allemandes réagissent et le citent devant le tribunal correctionnel de Strasbourg, qui le condamne à deux mois de prison ferme. Rendu prudent, il se consacre désormais à des travaux littéraires moins risqués, comme une réédition de l’Apologie pour Hérodote d'Henri Estienne parue en 1567.



Paule Adamy dans son ouvrage sur Liseux fait état d’une mésentente de P. Ristelhuber avec Alcide Bonneau qui lui fera choisir ensuite d’autres éditeurs. Il a légué ses manuscrits et sa bibliothèque à la Bibliothèque nationale de France. (Source : Dernières nouvelles d’Alsace du 7 mars 2007)

Le Duchat (Jacob), érudit et philologue français, né à Metz en 1658, mort à Berlin en 1735. Il exerçait avec succès la profession d’avocat dans sa ville natale lorsque la révocation de l’édit de Nantes vint briser sa carrière. Le Duchat, qui était protestant, s’adonna alors à des recherches littéraires, et publia à Metz la Confession de Sancy (1693, in-8°), œuvre inédite de d’Aubigné qui fut accueillie par le public avec empressement. Il continua par la publication du Journal de Henri III (1693, in-12). Poursuivi pour ses opinions religieuses, il quitta la France et se réfugia à Berlin. Bien lui en prit, car il fut condamné aux galères par contumace, et ses biens furent confisqués. Le grand électeur de Prusse s’empressa de le traiter selon ses mérites ; en 1701, il le nomma assesseur à la justice supérieure française de Berlin, et l’année suivante, conseiller au même tribunal. Dans cette belle position, Le Duchat se livra tout entier à ses études favorites ; il publia son édition de Rabelais (Amsterdam, 1711, 6 vol. in-8°), et, à la suite, les Quinze joyes de mariage (1726, in-12), le Baron de Foeneste (1729, 2 vol. in-8°), et l’Apologie pour Hérodote (1735, 3 vol. in-8°). L’Académie des sciences de Berlin l’admit en 1715 au nombre de ses membres. Il avait coutume d’écrire ses observations sur les marges des livres de sa bibliothèque. C’est dans ces notes, souvent très-nombreuses, que Formey puisa la matière du Ducatiana. Source : http://projects.chass.utoronto.ca/langueXIX/gdu/berthelin.htm

Je ne ferai pas l’injure à nos amis bibliomanes de faire une notice sur Henri II Estienne (1528-1598), l’un de nos plus grands humanistes, imprimeur, éditeur, philologue, helléniste, etc. Le Grand Larousse, ou à défaut Wikipédia, rafraîchira la mémoire de ceux qui l’auraient oublié.

«L'Apologie pour Hérodote n’offre pas seulement une foison d'histoires constitutives d'une enquête anthropologique; elle présente un réquisitoire contre toutes les formes d'abus et de tromperie, celles auxquelles s'adonnent les marchands, les médecins, les gens de justice, et plus encore les clercs. Henri Estienne dénigre la superstition des catholiques telle qu'elle s'exprime dans leurs livres, mais il s'en prend aussi à la messe, à l'invocation des saints, au culte des images et des reliques… » (Présentation du même ouvrage, récemment chez Droz)

Une nouvelle reliure R. Petit (successeur de Simier) déjà mentionné par Bertrand ici ou là… Qui peut nous en dire plus sur cet excellent relieur ?

Bonsoir
Dominique P.

jeudi 15 mars 2012

Papiers : le fil et le grain.


Il y a différentes façons d’aborder le livre.

La plus banale se résume à l’ouvrir et à le lire ! Bon, pourquoi pas. Cette pratique est assez répandue mais je manque de statistiques ; on dit qu’elle a tendance à diminuer. Une autre approche consiste à contempler les gravures ou les lettrines, à s’attarder sur la blancheur du papier, à louer la régularité des vergeures, le lustre du maroquin, à toucher, caresser, la reliure. C’est un premier pas vers l’étape suivante.

Fig 1 Première étape : admirer la page.


Pour cela, il faut perdre ses repères spatiaux-temporels pour se rapprocher de la page, mais cette fois-ci, sans s’attarder sur le texte, aller plus loin, passer de l’autre côté du miroir, entrer dans un monde parallèle, quasi virtuel, imperceptible au lecteur vulgaire. Bientôt, à condition que le temps soit propice – je conseille une nuit de pleine lune – un univers fantastique entre-apparait, peuplé de bêtes étranges, mi-lion mi-loup, de formes floues, de montres molles, qui possède ses propres codes et qu’il faut savoir déchiffrer …

Fig 2 Chien à collier portant un fleuron, la tête tournée et regardant derrière lui. (Proche de Briquet 3625)


Fig 3 Une autre variante de la même bête, plus difficilement identifiable, dont je ne saurais dire s’il pointe le museau vers l’avant ou vers l’arrière.


Un filigrane, du latin filum, fil, et granum, grain, est une empreinte laissée en creux dans la feuille de papier par un ornement en fil de métal fixé sur la forme. Regardés avec une certaine transparence, le papier révèle un dessin qui constitue la marque de fabrique du papetier. A l’origine les papiers venus d’Orient n’en comportaient pas, mais très tôt, les artisans occidentaux laissèrent un signe distinctif, comme le faisaient toutes les autres corporations au Moyen-âge. La première marque connue est une croix et daterait de 1282, elle figure sur un papier fabriqué en Italie. Les marques de cette fin du XIIIème siècle sont souvent accompagnées d’initiales ou même du nom entier du papetier. Mais peu de gens savaient lire à cette époque d’ignorance générale et le filigrane n’atteignait pas suffisamment son but, aussi les papetiers y renoncèrent promptement et recoururent à un signe quelconque, facilement identifiable pour le consommateur. Ce n‘est qu’au XVIème siècle que les noms ou les initiales du papetier ont reparu.

Le filigrane donne des indications sur le fabriquant, mais aussi sur la provenance et sur la qualité du papier. Tous les papiers ne se valent pas et leur qualité dépend de l’habilité de l’artisan mais aussi, comme le whisky, de la pureté de l’eau utilisée. Pour s’y reconnaitre, le client exigeait d’avoir celui au grand raisin, au grand aigle ou au petit Jésus, ce qui a fini par désigner un format-type.

Fig 4 Coquille à la croix de Malte. Les coquilles indiquent souvent une origine champenoise, fréquentes au XIVème siècle, elles donnèrent leur nom à un format de papier. Après une interruption de 80 ans, on les retrouve dans la même région mais surmontées d’un bâton de pèlerin.


Tous ceux présentés sur cette page proviennent d’un seul et même ouvrage, composé de 353 feuillets. Ce qui m’a immédiatement étonné, en tournant les pages pour recenser toutes les empreintes, c’est le nombre relativement important de marques de papetiers trouvées dans ce seul livre alors que tous les feuillets semblent avoir le même grain, la même teinte comme s’ils sortaient d’un même atelier.

Les marques sont toutes placées au centre de la feuille, plus ou moins entre les deux colonnes du texte – ce qui accroit leur lisibilité - et diffèrent d’une page à l’autre. On s’attendrait à trouver des cahiers entiers avec le même dessin, mais non, le symbole du bœuf côtoie celui du pot d’étain à la page suivante. Pour une même marque, on trouve aussi des variantes sensibles. Vous noterez que les bœufs n’ont pas la même tête, comme s’ils appartenaient à des espèces différentes. Je dirais Prime Holstein pour la première et Pie Rouge des Plaines pour la seconde (oui, je suis allé serrer des mains au salon de l’Agriculture ...) Ce qui fait hésiter sur le point de savoir s’il s’agit du même moulin à papier ou bien d’une provenance différente selon la tête du bœuf.

Fig 5 Tête de bœuf surmonté d’une croix.


Fig 6 Variante de la tête de bœuf.


Pour le blason, la différence est encore plus importante puisque l’un des filigranes montre un écartelé de fleurs de lys et d’une bête qui pourrait être un dauphin coincé dans les filets d’un chalutier, tandis que l’autre porte le même dessin sans la couronne ducale au dessus du blason.

Fig 7 Armes de France et du Dauphiné. Provenances Allemagne, Belgique, Hollande, dont Utrecht…


Fig 8 Variante des mêmes armes sans la couronne.


Si je m’en tiens qu’à la nature des marques sans m’occuper des variantes de style, je compte tout de même neuf types différents, ce qui devrait en principe signifier neuf provenances différentes : le chien, le bœuf, la coquille à la croix de Malte, la faucille, le P gothique, le P gothique barré, le pot d’étain, les armes de France et du Dauphiné, les armes de France et du Dauphiné couronnées.

Fig 9 Un P gothique.


Fig 10 Un P gothique barré d’un trait oblique.


Fig 11 Une variante du P gothique avec un trait prolongé sur senestre.


Fig 12 La faucille, sans le marteau, présent dans le Fasciculus Temporum de 1480, imprimé à Utrecht.


Fig 13 Le pot d’étain, ou Pot de Troyes, à une anse et un couvercle, surmonté d’une croix représente un groupe nombreux et très varié. C’est une marque essentiellement française qu’on trouve à Paris et à Troyes, notamment.


Dès le début du XIXème siècle de courageux chercheurs ont tenté de répertorier et de classer ces filigranes avec l’objectif de déterminer la date de fabrication du papier et l’origine du moulin. Charles-Moïse Briquet est le plus connu (et le plus courageux, il a relevé 16 000 empreintes !). La méthode de datation est commentée par Briquet dans son avant-propos avec toutes les précautions nécessaires sur la certitude des dates et des origines car le papier voyage et l’information donnée par le livre de destination peut être trompeur. Si l’obligation d’avoir une marque remonte loin dans le temps, les papetiers ne déposaient pas leur modèle au registre de la Guilde papetière pour autant. Ce n’est que dans des cas assez rares qu’un document historique permet de fixer avec certitude la date à laquelle tel ou tel filigrane a été mis en usage.

Fig 14 Autre exemple du pot d’étain qui parait en tous points semblable au précédent, vergeures comprises. Ces deux feuilles viennent donc du même moulin. (Briquet 12482)


Pour le reste il faut donc estimer le temps entre lequel la page a été fabriquée et celui ou elle a été écrite ou imprimée. Cette épineuse question a été étudiée par un certain Likhatscheff. Il commence par écarter la distance comme indication du temps car tous les papiers pouvaient voyager en Europe dans l’espace d’une année. Après quoi, il fixe à un maximum de dix ans le temps écoulé entre la fabrication et l’emploi d’une feuille de papier. Mais comme on ignore le rapport entre production et débit, ce temps de stockage est fixé de manière un peu arbitraire. M.A. Zonghi, poussant plus loin ces calculs, a déterminé pour la période 1546-1600 que 50% des papiers était consommés en 4 ans et 4 mois, 92% en 12 ans et que la dernière feuille l’avait été en 26 ans !

Utilisant une méthode de croisement des données sur un grand nombre de filigranes, Briquet le Bénédictin conclue pour une durée plus longue allant jusqu’à 15 ans, voire 30 ans pour les grands formats, moins usités. Ces conclusions font rêver, quand vous ouvrez votre livre imprimé, disons, en 1470, le papier a pu sortir du moulin en 1450.

Mais revenons à notre ouvrage : cette étrange réunion de marques différentes nous donne des indications sur le « sourcing » de l’imprimeur. En effet, il n’y guère que deux possibilités, l’une consistant pour l’imprimeur à stocker sur une longue période une grande quantité de feuilles puis à puiser dans ce stock sans tenir compte des provenances, ce qui parait assez peu vraisemblable, l’autre signifiant qu’aucun atelier local ne pouvait fournir à lui seul la quantité de papier nécessaire à une seule édition et qu’il fallait donc s’adresser simultanément à de multiples moulins. Cette gestion des commandes de papier et de son acheminement devait être un sérieux souci, à moins que des intermédiaires collecteurs assuraient ce service et « glanaient » des papiers différents au hasard de leur déplacement. (1)

Quoiqu’il en soit, mes recherches ne m‘ayant pas permis de retrouver à l’identique toutes les marques photographiées ici, trois régions semblent dominer : Utrecht, Mayence, Troyes.

Fig 15 Qu’importe toutes ces tracasseries à ceux qui se contentent de lire les signes imprimés sans s’inquiéter de de la provenance du support…


Maintenant, avec tous ces indices, à vous de jouer : dites-moi d’où ce livre provient et en quelle année fut-il imprimé ?

Vous avez droit à la calculette et au Briquet….(2)

Bonne Journée,
Textor


(1) Briquet cite le cas d’un incunable, le Fasciculus Temporum, imprimé à Utrecht par J. Veldener en 1480, qui renferme une grande variété de papiers, différents d’un exemplaire à l’autre, présentant de 11 à 13 types distincts avec plus de 36 variantes, dont la faucille.

(2) Quelques références :

- C.-M Briquet, Les Filigranes. Dictionnaire historique des marques du papier dès leur apparition vers 1282 jusqu'en 1600, G CORG-OLMS, 2e édition, 1991.
- R. Gaudriault, Filigranes et autres caractéristiques des papiers fabriqués en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, CNRS Éditions - Éditions J. Telford, Paris, 1995.
- M. Zerdoun Bat-Yehounda, Les papiers filigranés médiévaux : Essai de méthodologie descriptive, Bibliologia 7 et 8, Brepols, Turnhout, 1989.
- A. de La Chapelle, A. Le Prat, Les relevés de filigranes, La Documentation Française, Paris, 1996.
- Jacques Duval, Moulins à papier en Bretagne du XVIe au XIXe siècle - Les papetiers et leurs filigranes en Pays de Fougères, L'Harmattan, Paris, 2005.

lundi 12 mars 2012

Facture de bibliophile : Le Comte de Poncins achète un livre chez le libraire Théophile Belin en 1885.



Lorsque je rentre de vacances, la première corvée est celle des factures... une semaine d'absence et votre boîte aux lettres regorge de ces petites bêtes infâmes qui vous gâcheraient même jusqu'à votre retour ébloui d'une visite amoureuse au Taj-Mahal ! Heureusement pour moi, je ne rentrais que du Haut Doubs .... c'est moins fun mais la chute n'en n'est que moins fracassante. Quoi qu'il en soit, j'avais bel et bien plusieurs factures à payer ... Seule une facture se détachait du lot. Je vous la présente pour que vous puissiez juger par vous même.

Facture adressée (par erreur sans doute) au Comte de Poncins par le libraire Théophile Belin en date du 15 mai 1885. Acquisition par le Comte bibliophile du n°2581 DUVAL pour la somme de 20 francs, plus 85 centimes d'affranchissement.

Il ne faudrait certainement pas très longtemps pour savoir à quoi correspond ce DUVAL à 20 francs or, j'avoue que je n'ai pas pour l'heure sous la main les catalogues de la librairie Th. Belin. Avis à ceux qui sont plus organisés que moi ...

J'aime beaucoup ce genre de petits papiers de bibliophiles qui montrent l'activité des collectionneurs d'un autre temps.

Quelques mots sur le Comte de Poncins. Gabriel-Léon de Montaigne, comte de Poncins était né le 5 avril 1832. Décédé le 30 août 1896 à l'âge de 64 ans. Il s'était marié le 24 janvier 1855, à l'âge de 23 ans, avec Pierrette Noémie Périer du Palais. Il était maire de Feurs, en Forez et Président de la DIANA (Société Historique et Archéologique du Forez). Le couple eut cinq enfants dont au moins un, Edmond de Montaigne, Vicomte de Poncins (né en 1866), fut un ardent bibliophile, tout comme son père et sans doute ses aïeux. Bibliophilie de vieille roche dirait-on. Une vente des livres de la bibliothèque du fils, Edmond, fut organisée en juin 2002 par la société de ventes volontaire Rouillac (à l'orangerie du château de Cheverny en Touraine).

Edmond appartenait à la catégorie des aristocrates fortunés qui consacraient alors une partie de leur temps et de leur fortune à des voyages géographico-cynégétiques. Il a écrit, en outre, différents articles la pêche dans le journal anglais : The Field et dans Le Pêcheur de Paris ; des articles sur la convention anglo-russe des Pamirs dans le Daily mail, de Londres ; des articles sur la chasse dans le Bulletin du Saint-Hubert Club, dans l'Acclimatation, dans le Bulletin de la Société centrale de répression du braconnage, de Paris, et dans la Revue algérienne, d'Alger. Parallèlement, il avait réuni une importante collection de livres, qu'il avait fait soigneusement et magnifiquement reliée - sur la noblesse, la Révolution et les émigrés, la chasse et les voyages, et une curieuse série de plaquettes et d'ouvrages sur la Ligue. Ce sont les ouvrages de cette bibliothèque qui ont été vendus à Cheverny en 2002. A noter, à propos de cette riche bibliothèque, qu'un premier ex-libris est réservé pour les volumes relatifs à l'histoire et à la noblesse - un second, tiré en noir ou en bistre, suivant la couleur des gardes des livres, est destiné spécialement à la série des ouvrages sur la chasse. Jusqu'à cette date de juin 2002, ces ouvrages - en parfait état de conservation - avaient été conservés dans la famille dans une propriété de Touraine. Ces volumes sont dans la plupart des cas reliés en maroquin ou en veau, avec des dominantes : triple filet doré sur les plats, double filet doré sur les coupes, dentelle intérieure, dos 5 nerfs orné (ou dos lisse pour les plaquettes), tranches dorées, armoiries centrales (dites "au bouclier" (vicomte de Poncins) ou "aux médaillons ovales" (M.- M. - A. de Biencourt)). Ces informations fournies par la SVV Rouillac sont utiles et j'ai jugé à propos pour les bibliophiles de demain de les rappeler ici.

Il est fort probable que la bibliothèque du fils était composée pour partie au moins des acquisitions du père. On peut donc supposer que ce Duval acheté en 1885 s'est retrouvé dans cette vente de juin 2002. Vous pouvez retrouver les résultats de cette vente ICI.

Par ailleurs la généalogie complète de cette famille est disponible ICI.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

samedi 10 mars 2012

Ou quand le Bibliomane re-devient Pêcheur ... ou l'inverse !





La Cure (58). 2011.


Voici quelques photographies de la saison de pêche 2011 ... la saison 2012 commence demain pour le Bibliomane moderne pêcheur ! Il vous faudra l'indulgence nécessaire à tous les passionnés pour vous faire à l'idée que le Bibliomane moderne aura sans doute dans les semaines à venir peut-être un peu moins de temps à consacrer à la bibliomanie partagée.

En guise de bonus biblio-halieutique voici ci-dessous une bien belle page de titre que les bibliophiles-pêcheurs auront tôt fait de noter sur leurs tablettes d'argile (ou électroniques.... au choix).

Fly fishing by Sir Edward Grey.
London, J. M. Dent & Co, Aldine House, 1899.
Printed by Ballantyne, Hanson & Co, Edinburgh & London.
1 vol. in-8, 276 pp.
Un des rares livres de pêche illustré de dessins au trait par Arthur Rackham
(peut-être même le seul ?).


A très vite !
Bertrand Bibliomane moderne

jeudi 1 mars 2012

"Jeune femme sortant de son lit" dessin original à la pierre noire sur papier teinté par Achille Devéria (1800-1857).



Pour faire écho au billet du jour de Pierre de Tarascon sur son blog Librairie Ancienne et Autres Trésors intitulé "Achille et Eugène Devéria, illustrateurs romantiques...", voici un petit article connexe dont le sujet m'est immédiatement venu à l'esprit.

Il y a de cela déjà près de 4 ans (23 juin 2008), j'avais fais l'acquisition dans une galerie parisienne d'un dessin original signé Devéria. C'est comme vous pouvez le constater un joli nu romantique dessiné à la pierre noire sur papier teinté. Il mesure 28 x 21 cm. Il est en bel état, il a été collé anciennement sur un carton fort. A l'époque le galeriste n'a pas jugé utile et nécessaire de se mouiller en donnant à l'un ou à l'autre des deux frères Devéria, Achille ou Eugène, la paternité de cette œuvre. En toute logique je pense qu'il s'agit d'un dessin d'Achille Devéria, celui des deux qui donna le plus dans ces déshabillés romantiques et ces dessins érotiques si désuets aujourd'hui, comme l'a indiqué Pierre dans son billet.

Je vous laisse admirer le travail de l'artiste.

J'en profite pour vous souhaiter de bonnes vacances... le Bibliomane moderne s'absente une semaine et va chercher un peu de fraîcheur dans les hauteurs du Haut Doubs non loin du village le plus froid de France... Pierre connait ! (sourire).

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

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