mercredi 16 novembre 2022

Histoire rigolote et pas si drôle d'un petit livre à succès : La Saxe Galante. A Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1734. 1 volume petit in-8. "La bonne édition, avec le titre imprimé en rouge" (mon œil !)


Il faut parfois se faire une raison ; si j'avais du croire tout ce que les bibliographes et aultres sachologues bouquiniers avaient écrit sur les livres anciens qui me sont passés entre les mains depuis presque trente ans maintenant, j'aurais fini boulanger ou maçon ! Et quel plus beau métier que boulanger ? quel plus beau métier que maçon ? alors boulanger-maçon, je ne vous dis que ça !

Bref, autour d'un simple ouvrage dont je vais essayer de vous faire le résumé historico-comique des trouvailles éparses des sacheux, La Saxe galante, volume publié sous l'adresse d'Amsterdam "Aux dépens de la Compagnie" et sous la date de 1734, me voici entraîné dans un tourbillon d'études, analyses, descriptions, pour lesquel(les) je dois bien l'avouer, je suis carrément perdu ! (turlututu).


Description sommaire de mon exemplaire.

LA // SAXE // GALANTE. // [fleuron portant la devise latine : VIS UNITA MAJOR] // A AMSTERDAM, // AUX DEPENS DE LA COMPAGNIE. // M D CC XXXIV.

Collationné : 1 feuillet de titre imprimé entièrement en rouge ; 1 feuillet blanc ; 416 pages chiffrés. Signature des cahiers en in-8°. La page 1 a un bandeau d'en-tête gravé sur bois avec médaillon central resté vide ; Petit ornement répété sur la même page 1 formant une ligne juste avant le début du texte ; à la fin du volume, à la dernière page (416) on trouve un fleuron gravé sur bois servant de cul-de-lampe final. Il n'y a aucun autre ornement dans le volume.

Particularité matérielle à signaler : les cahiers E, F, G et H sont imprimés en plus petits caractères avec une justification réduite également. Tout le monde s'en fout mais fallait le noter.


Notre exemplaire a été relié au milieu du XIXe siècle ou un peu après en maroquin bleu nuit janséniste. La reliure bien que d'excellente facture, n'est pas signée.

Les bases sont posées.

Quid de cette Saxe galante ?

Pour commencer disons tout de suite que cet ouvrage fut un succès avec pour la seule année 1734 plusieurs impressions. On notera une impression en deux volumes in-12 étroits (avec également les titres entièrement imprimés en rouge), une impression avec le titre en noir, une impression avec le titre en rouge et noir. L'ouvrage sera réimprimé encore en 1735, 1736 et encore une fois en 1763. Succès immédiat donc qui s'est estompé rapidement pour finir aux oubliettes de la littérature légère.

Je ne vais pas vous refaire l'histoire de ce texte, d'autres l'on déjà fait avant moi et concluons seulement en disant qu'il s'agit du récit des amours et des galanteries à la cour de Saxe sous le règne de Auguste le Fort ou Auguste II de Saxe, fils de Jean-Georges III de Saxe et de Anne-Sophie de Danemark. Pour la faire courte, Auguste le costaud l'était surtout avec les dames (très vigoureux parait-il) et ses nombreuses maîtresses encombraient les palais et les remises de jardiniers. La cour de Saxe imitait en cela Versailles et la France galante qui savait donner l'exemple.

Mais voilà-t-y pas qu'on nous explique que cette Saxe galante n'est autre qu'un vulgaire plagiat de la Princesse de Clèves de notre indéboulonnable Madame de La Fayette (celle qui errait dans les galeries du même nom) ! Et il est vrai, le texte commence avec les mêmes mots ou tout comme : "La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en Allemagne avec tant d'éclat, qu'en Saxe ; mais particulièrement sous les règnes de Jean-Goerges IV et Frédéric-Auguste, etc." Bon moi je veux bien que ce soit un plagiat de la Princesse de Clèves, mais après tout de même la comparaison est bien difficile, les phrases identiques, etc. Personnellement je n'ai rien trouvé de plagié sur la composition textuelle de la Princesse de Clèves. C'est le libraire Anatole Claudin, en 1867, qui lança le premier cette idée (pas folle la guêpe). Elle fut ensuite reprise et reprise encore, et encore récemment par quelques sachants (des petits, des grands). Soit ! Sans doute ces étudiants textophiles ont-ils raison. En tous les cas, et à titre personnel, ne faisant pas partie du lobby pro-La Fayette, je dois dire que la Saxe Galante est bien plus intéressante à lire aujourd'hui que les mornes pages historico-cucu-pralinesques des amourettes intorrides bien insipides sous le règne d'un Henri de France. Mais chacun se fera son idée (si chacun a le courage de replonger en apnée et sans tuba dans la Princesse anesthésiante. O ! j'entends d'ici les cris d'or frais (et moins frais d'ailleurs - c'est plus mou que l'or dur) de générations entières de mammouths hypocagnesques. Je dis hola ! Je pense donc je suis. C'est Descartes (encore lui) qui l'a dit ! On respecte. Merci.


Donc. Ce texte est attribué au baron de Poellnitz (1692-1775), chambellan à la cour de Prusse. Il devait savoir de quoi il retournait (toujours référence aux remises de jardiniers si vous voyez). On a attribué ce texte à un autre, mais à priori c'est pas lui (alors que personne n'en sait rien en réalité). Ce qui fait tout de même beaucoup d'incertitudes autour d'un livre réimprimé 5 ou 6 fois en 2 ans ! Ce volume a dû se dévorer tout cru dans les allées des châteaux de toute l'Europe. On a lu quelque part que ce volume (ou une autre édition de 1734) avait été interdite à Leipzig. Visiblement cela n'a servi à rien. Le texte s'est propagé. 

Que dire de plus sur cet ouvrage sinon qu'il me plait bien. On peut ajouter que les bibliophiles du XIXe siècle l'appréciaient également, pour l'avoir vu dans de nombreuses belles bibliothèques de livres rares,  catalogué à l'époque. Aujourd'hui son sort est moins glorieux. L'Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin conserve encore un peu de son aura tandis que la Princesse des Galeries (La Fayette) elle, conserve intacte son imaginaire scolaire des professeurs qui dictent et des élèves qui obéissent mais qui ne lisent plus. Sans doute faudrait-il, en 2022, rapper la Princesse, rapper la Saxe galante, pour espérer un succès d'estime. Qui s'y essayera ? Yo ! Yo ! Pas moi.

Je serais curieux de dresser la liste exhaustive de toutes les éditions de cette Saxe galante. Peut-être vais-je essayer, pour le fun ! Les sachants ayant déjà fait tout le boulot, sans doute sans avoir eu en mains un seul exemplaire des éditions anciennes. Vae Victis !

PS : j'ai essayé de faire encore plus BorisViantesque que nos amis G. O et P. S. mais je suis certain d'avoir lamentablement échoué (sur une île paradisiaque remplie de nymphettes non-wokées).

A bientôt pour de nouvelles aventures bibliofollesques !

Bertrand Hugonnard-Roche

Bibliomane moderne

mercredi 2 novembre 2022

Pour servir de complément et de correction à notre billet intitulé : Petite découverte bibliographique à propos des Confessions de Saint-Augustin de la traduction d'Arnauld d'Andilly (1649).



Pour servir de complément et de correction à notre billet intitulé 

Petite découverte bibliographique à propos des Confessions de Saint-Augustin de la traduction d'Arnauld d'Andilly (1649) : Il n'existe pas de seconde édition à la date de 1649 chez la Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit (de l'imprimerie d'Antoine Vitré).


Voici ci-dessous le message que nous a envoyé récemment Monsieur Jean-Marc Chatelai, Directeur de la Réserve des livres rares à la Bibliothèque nationale de France.

*******************

A l'attention de M. Bertrand Hugonnard-Roche (Bibliomane moderne)

Monsieur,

Un généreux donateur ayant tout récemment offert à la Réserve des livres rares de la BnF, département dont j'assure la direction, un exemplaire de la première édition de la traduction des Confessions de saint Augustin par Arnauld d'Andilly (Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit, 1649), laquelle manquait jusqu'à présent aux collections de la Bibliothèque, j'ai lu avec intérêt le billet de blog que vous avez consacré il y a quelques mois aux deux premières éditions de cette traduction fameuse, dans lequel vous concluez que ce qu'on nomme, sur la foi des exemplaires dont la page de titre porte une mention de "seconde édition", première et seconde édition, n'en sont en réalité qu'une : les deux pages de titre (très légèrement) différentes ne recouvriraient qu'une seule composition typographique.


Je me permets aujourd'hui de vous écrire car j'ai à mon tour comparé l'exemplaire de première édition qui vient de nous être donné avec un exemplaire portant la mention de seconde édition que la BnF conserve de longue date et dont vous trouverez ici la numérisation :   
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9617327d
Comme vous pourrez le constater à votre tour, la consultation de cet exemplaire numérisé invite à remettre en cause votre conclusion : de toute évidence, il existe bien deux éditions en 1649, c'est-à-dire deux compositions typographiques qui sont certes proches l'une de l'autre mais néanmoins différentes. Je n'ai pas encore eu le temps de le vérifier pour tous les cahiers, mais l'enquête que j'ai menée sur les dix premiers cahier du texte (cahiers A à K) montre qu'il y a eu pour chacun d'eux une nouvelle composition typographique. Je suis moins sûr que ce soit le cas pour les cahiers des pièces liminaires, ce qui laisserait à penser que les deux éditions se sont succédé dans un délai très court, mais cette hypothèse reste à vérifier.


Quoi qu'il en soit, je suis enclin à penser que les bonnes conclusions à tirer sont :
- que deux éditions successives ont paru au cours de l'année 1649 ;
- que le volume que vous possédiez au moment de la rédaction de votre billet de blog est un exemplaire de première édition ;
- que certains exemplaires de la première édition, à l'exemple du vôtre, ont été pourvus, par carton, d'une page de titre de seconde édition. Cette dernière hypothèse reste à fortifier en consultant un plus grand nombre d'exemplaires que ceux que vous et moi avons consultés. Je note toutefois que la présentation d'une édition sous un titre cartonné comportant une mention qui ne correspond pas à l'édition en question n'est pas sans exemple au XVIIe siècle : dans l'histoire de l'édition des Pensées de Pascal, on connaît le cas de la troisième édition, de 1671, dont la majorité des exemplaires présentent une page de titre cartonnée annonçant la seconde édition, à la date de 1670.


Toutes ces choses sont des minuties bibliographiques mais elles font le plaisir de nos professions respectives, et je vous remercie de m'avoir donné, par la lecture de votre billet de blog, l'occasion de le partager avec vous.


Cordialement,



Jean-Marc Chatelain
Directeur de la Réserve des livres rares
Bibliothèque nationale de France
Quai François-Mauriac
F-75706 Paris Cedex 13
Tél. + 33 (0)1 53 79 54 50
Fax + 33 (0)1 53 79 54 60

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Nous ajoutons quelques pages de l'exemplaire de "seconde édition" numérisé sur Gallica comparées aux mêmes pages de notre exemplaire de manière à convaincre qu'il existe bien des exemplaires de seconde édition avec des différences de justification et d'ornements quand il existe également des exemplaires de l'édition originale, tels que le nôtre, avec une page de titre de relais avec fausse mention de "seconde édition".

Un très grand merci à Monsieur Chatelain pour ces éclaircissements qui ajoutent un peu à l'histoire de cet ouvrage.

Bertrand Hugonnard-Roche,
Bibliomane moderne

 

Page 141 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)



Page 141 de notre exemplaire de "seconde édition"




Page 220 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)


Page 220 de notre exemplaire de "seconde édition"




Page 307 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)



Page 307 de notre exemplaire de "seconde édition"


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