samedi 31 août 2019

Dater un autographe de J.-K. Huysmans adressé à l'abbé Mugnier. Interrogations sur un petit autographe.


Joris-Karl Huysmans, photographie d'André Taponier (1904).


« Vendredi


Mon cher Abbé,

Je fais la grand' garde aujourd’hui au bureau. Autrement dit mon chef me fait savoir qu’il ne vient pas aujourd’hui et probablement demain aussi. Si bien que j’en ai jusqu’à 6 heures et plus et que je ne rentrerai pas dîner avant 7 heures. Aussi, ne m’attendez pas au Luxembourg – et je vois bien que la bonne Alice pourra se fouiller demain, s’il en est ainsi. Je vais finir par acheter, près du bureau, chez un marchand une miniature sur vélin, très joliment encadrée. Un St Christophe, de missel du 15e siècle - Je me bats depuis plusieurs jours avec le prix et la marchande. Mais la tentation est forte. Puis c’est le seul genre qui manque sur les murs ! Le déménagement est néfaste, j’ai le rut des bibelots qui était calmé, depuis ce temps là !!

A bientôt, mon cher Abbé, et bien fidèlement à vous.


Huysmans ».


Une simple petite lettre autographe peut receler bien des mystères. Cette lettre est remplie d'indices à décrypter. Voici les questions que pose celle-ci :

- à quelle date a-t-elle été écrite ?
- Huysmans a-t-il finalement acquis cette miniature du XVe siècle ?
- à quoi ressemblait ce Saint-Christophe en miniature ?
- que lui a répondu l'abbé Munier ?
- quelles étaient les relations intimes entre les deux hommes à ce moment précis ?


Une tentative de reconstruction de la petite histoire à partir de quelques mots seulement. Mot miraculeusement parvenus jusqu'à nous en 2019.

Je vous laisse tenter de répondre de votre côté à ces questions. Une petite enquête s'impose. Je vais la mener de mon côté également.

L'autographophilie est intiment liée à la bibliophilie, c'est pourquoi nous lui donnons régulièrement la place qui lui est due dans les colonnes du Bibliomane moderne.

Bonne rentrée scolaire !

Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne




Un Saint-Christophe en miniature extraite d'un manuscrit du XVe siècle
conservé à la bibliothèque vaticane. Sans doute est-ce un Saint-Christophe de ce style dont il est question ici.

mercredi 14 août 2019

Concerto pour épave bibliophilie rétivienne. Quatuor : Rétif de la Bretonne (auteur), Paul Lacroix (bibliographe), Auguste Fontaine (librairie), Adolphe Bertrand (relieur).


épave bibliophilique ...
maroquin signé Adolphe Bertrand (vers 1875) réalisé pour le libraire Auguste Fontaine


* * * *


      La rétivomanie ? ou la passion rétivienne ? Qu'est-ce donc ? C'est un excès d'amour pour les ouvrages et la personne de Rétif de la Bretonne (ou Restif de la Bretonne pour les intimes). Quid ? Je ne vous ferai pas l'injure de vous demander si vous connaissez Rétif de la Bretonne et son oeuvre. J'ai déjà publié ici ou ailleurs plusieurs billets le concernant ou concernant certains de ses ouvrages.

      Pour faire court disons que Nicolas-Edme Rétif de la Bretonne (1734-1806), né à Sacy dans l'Yonne, de parents propriétaires fermiers aisés, devient apprenti typographe chez Fournier à Auxerre avant de venir à Paris pour devenir un excellent prote (chef d'atelier de l'imprimerie) puis enfin, dès 1767, un écrivain laborieux auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages représentant un total de plus de deux cent volumes. Polygraphe, mythomane, génial, fou, obsédé, monomaniaque, etc. L'oeuvre de Rétif est gigantesque et tentaculaire. Le plus connu de ses ouvrages restant Le Paysan perverti (1776) suivi de la Paysanne pervertie (1784). Mais plusieurs monuments tels que Les Contemporaines (1780-1792) ou les Parisiennes (1787) ont marqué son temps. Son roman autobiographique La vie de mon père (1779), s'il n'est plus guère lu aujourd'hui, peut se targuer d'être un livre profond, vrai et recelant de grandes qualités humaines autant que littéraires. Auteur de seconde zone pour la plupart des lecteurs de son temps mais aussi pour les critiques d'aujourd'hui, connu pour son style franc et direct, champion des dialogues à n'en plus finir et des descriptions sensuelles des petits pieds jolies des dames légères, Rétif a su se faire autant d'ennemis que d'amis dans le monde des lettres. Mais l'oubli l'a emporté sur tout le reste. Loin d'un Voltaire ou d'un Rousseau, pourtant animé d'une foi en lui-même et en sa valeur littéraire, plus qu'inébranlable, homme d'une grande valeur immorale dans vie privée et professant publiquement une morale sans faille dans la plupart de ses ouvrages, champion du paradoxe à outrance, il se répète sans cesse au fil des différents volumes, refaisant sa vie, aidé en cela de son imagination débordante. S'il n'est pas mort complètement oublié en 1806, âgé de 72 ans, c'est tout comme. Ses ouvrages ne s'étaient d'ailleurs pas bien vendus pour la plupart. On a retrouvé des exemplaires des Contemporaines encore brochés recouverts de papier datant des années 1820, 1830. Preuve s'il en est que des fonds de stock de l'ami Rétif traînaient encore un peu partout après sa mort dans les greniers des imprimeries de la capitale.


L'intérieur des volumes est bien préservé.


      Il faudra attendre 1854 et les travaux de Charles Monselet pour voir un frémissement d'intérêt pour ce forçat des lettres françaises. Et encore ! Faut-il dire que le livre de Charles Monselet, tiré à 500 exemplaires seulement, aura tant d'invendus, qu'il le remettra en vente sous faux titre de seconde édition (en réalité les mêmes feuilles avec un titre changé) quatre ans plus tard en 1858. Mais le véritable déclic de la passion rétivienne se situe en 1875 lorsque deux personnalités du monde du livre, un libraire avisé (Auguste Fontaine) et un incontournable bibliographe de renom (Paul Lacroix, le Bibliophile Jacob) décident ensemble de faire ce qu'on peut légitiment appeler un coup de commerce. En voici l'histoire grossièrement résumée.

      En 1875, la librairie Auguste Fontaine est bien installée. Elle propose, dans son magasin et sur catalogue, les plus beaux livres de la capitale. Paris est à ce moment là le centre de toutes les passions bibliophiliques. Les amateurs viennent de tous les pays du monde moderne (Londres, New-York, etc.) pour s'emparer des plus beaux trophées. Auguste Fontaine fut un des précurseurs du commerce du live rare et précieux dans la capitale. Ce fut vers 1854 (justement), à la retraite de son associé M. Dauvin, que Fontaine commença à s'intéresser aux livres rares. Le bibliophile Jacob écrit que "c’est Monsieur Fontaine qui a créé ce qu’on peut nommer la librairie de luxe ou l’industrie des beaux livres; c’est lui qui a remis en honneur les chefs-d’oeuvre typographiques de Pierre Didot ainé, qui a fait remonter à si haut prix les classiques français, qui a fait remonter la valeur des magnifiques éditions anciennes de Voltaire, Buffon, J.J.Rousseau qu’on avait complètement laissées de côté comme trop volumineuses". Charles Nodier de son côté nous donne d'autres informations sur la libraire Fontaine et son fonctionnement : "Il y avait à Paris plusieurs libraires qui faisaient des livres anciens mais Monsieur Fontaine était le seul à faire des livres modernes qu’il faisait habiller somptueusement par les Maîtres relieurs de cette époque, les Cuzin, Capé, David, Trautz-Bauzonnet."


L'intérieur des volumes est bien préservé.


      Fontaine était placé comme on dit. Il était devenu Libraire officiel de la Cour (sous Louis-Philippe et à la restauration de l'Empire de Napoléon III). On pouvait lire à l'époque : "Il est presque inutile de tracer le portrait de cet homme que tout Paris connait, car il n’est personne qui ne passe devant sa porte, où on le voit à chaque instant apparaître pour guetter et arrêter presque de force ses clients, sans remarquer ce petit homme gros et court, plein de bonhommie et d’exubérance, emplissant de ses éclats de voix le passage des Panoramas, dans lequel il est à l’aise comme dans ses appartements. Sa familiarité est typique et entrainante et lorsqu’il tient un client il ne le laisse jamais sortir sans lui avoir vendu quelque chose, fût-ce un volume de 1 fr 25 ou un volume de 10.000 frs". 

      C'est dire si l'homme avait de la ressource ! Mais Auguste Fontaine n'était pas seulement un faiseur d'or pour le plaisir de l'or, il avait la foi du livre, la religion du livre rare. Auguste Fontaine déclarait alors à Paul Lacroix : "L’amour des livres vient par les yeux. Mettez des livres bien reliés devant la personne du monde la plus indifférente ou même la plus ignorante, elle finira par s’y prendre comme à la vue d’un bijou, car plus on voit les beaux livres, plus on les aime". Ainsi, Auguste Fontaine, grâce à l'appui financier dû à sa réussite dans la librairie moderne, fit l'acquisition de plusieurs très grandes et prestigieuses bibliothèques de l'époque (Didot, Pichot, Potier, Turner, etc.). Ces achats à coup de centaines de milliers de francs or donnaient naissance à des catalogues de vente à prix marqués encore plus prestigieux, adornés de belles et longues notices érudites par le Bibliophile Jacob. Le premier catalogue de livres rares de la librairie Auguste Fontaine date de 1870. Les suivants seront préfacés par le Bibliophile Jacob qui apporte alors sa caution de bibliophile et de bibliographe émérite. Fontaine était alors devenu le libraire attitré du tout Paris de la finance et de l'aristocratie (et de la bourgeoisie enrichie par les affaires).

C'est en 1875 que le libraire Fontaine et Paul Lacroix donnent au public d'amateurs une Bibliographie complète (en tous cas la plus complète à cette époque) des ouvrages de Rétif de la Bretonne. Le libraire Auguste Fontaine s'en fait l'éditeur, sans doute avec l'idée précise derrière la tête de promouvoir à toutes fins utiles, les éditions anciennes de Rétif de la Bretonne. En 1875 le marché de la bibliophilie est au plus haut, les grands bibliophiles se bousculent dans les librairies anciennes de la capitale et cherchent de très belles pièces pour orner leurs rayonnages. On peut même imaginer que dans ces années 1870-1875, on pouvait encore trouver des exemplaires des ouvrages de Rétif, conservés dans leurs pauvres premières reliures souvent mal conservées. C'est un fait indéniable pour qui cherche Rétif "dans son jus", rares sont les exemplaires en reliure d'époque qui ont été finement reliés. On ne parle même pas de maroquin pour Rétif, seuls quelques rares exemplaires ont été reliés luxueusement avec la belle peau rouge ou verte (on a pu cependant croiser récemment sur catalogue quelques exemplaires présentés par les plus prestigieuses librairies françaises).

Venons-en à l'objet de ce billet. Le libraire Auguste Fontaine ne s'est pas contenté de "parrainer" Paul Lacroix pour l'établissement de sa Bibliographie des ouvrages de Rétif, qui posait les bases de la connaissance "rétivienne" mise à la portée des plus grands amateurs (le tirage de cette bibliographie n'a été cependant que de 500 exemplaires), il a fait bien plus, il a été bien plus loin. Auguste Fontaine a "ramassé" (a fait ramasser par quelques rabatteurs serait plus juste) les exemplaires des ouvrages de Rétif qui "traînaient encore" chez les libraires, les bouquinistes, dans les bibliothèques privées ou à l'encan, et il les a fait relier luxueusement ! Nous en avons la preuve sous les yeux. Et cette preuve est assez inhabituelle pour être remarquée. La voici :

Probablement vers 1874-1875, la librairie Auguste Fontaine a faire relier avec luxe en plein maroquin rouge l'édition du Paysan perverti et de la Paysanne pervertie (1776-1784), édition la plus belle et surtout la plus illustrée lorsqu'elle contient les quelques 120 figures hors-texte, la plupart d'après Binet (dessinées sur les ordres de Rétif lui-même). Comment sait-on cela ? Simple ! Basique ! (dixit Orelsan). Auguste Fontaine n'a pas résisté à l'envie (ego quand tu nous tiens) de faire dorer son nom dans la dentelle de la reliure qu'il venait de faire faire. Voyez vous-même.


Cette mention "AUGUSTE FONTAINE" se trouve sur le bord latéral extérieur de la doublure du premier plat, dans la dentelle dorée par le relieur ADOLPHE BERTRAND qui signe la reliure comme il se doit dans ce cas, dans la partie inférieure de la même doublure. Voyez-vous même.


Qui était Adolphe Bertrand ? Fléty, dans son Dictionnaire des relieurs, écrit à son sujet :

"Installé modestement sous le second Empire, il occupait en 1865 un personnel assez nombreux et s'était spécialisé dans la reliure de livres liturgiques. Son épouse, qui le secondait activement, était une descendante du relieur Bradel, inventeur du type de cartonnage qui porte son nom. Elle mourut en 1937, à l'âge de cent ans. En 1871, Adolphe Bertrand avait créé un atelier de construction de matériel pour la reliure qui subsista jusqu'en 1940 sous la direction de ses fils. L'atelier de reliure était situé, en 1860, 92 rue de l'école de médecine, avant le percement du boulevard Saint-Germain. Il fut ensuite vendu en 1881 à Rousselle qui le transfera rue de Savoie et le céda vers la fin du XIXe siècle à l'éditeur Taffin-Lefort, qui lui-même s'installa, 5 rue du Jardinet, où il subsista jusque vers 1955. Adolphe Bertrand décéda le 3 février 1932 à l'âge de 94 ans."

De cette notice on déduit que cette reliure exécutée pour le libraire Auguste Fontaine n'a pu être exécutée après 1881. La date de 1874-1875 nous semble donc tout à fait probable.

Hélas ! la reliure que nous avons en mains n'a pas gardé son lustre. L'ensemble des 8 volumes in-12 a subi les outrages d'une excessive chaleur. Nous ne savons pas vraiment si les volumes ont été exposés au feu (uniquement de dos) ou bien s'il s'agit d'une simple insolation prolongée (ce qui nous paraît plus probable). En effet, les volumes, outre des dos "cuits", restent intérieurement frais sans odeur particulière de brûlé. Misons sur des volumes qui sont restés exposés au soleil, dans une ambiance sèche, pendant des années, pendant des décennies même ! Cette reliure en grande partie détruite n'est pas restaurable et sera prochainement remplacée.

La question qui demeure est la suivante : combien d'ouvrages de Rétif le libraire Auguste Fontaine a-t-il fait relier par Adolphe Bertrand à cette époque ? Autre question : Auguste Fontaine avait-il confié la reliure d'autres ouvrages de Rétif à d'autres relieurs de cette trempe ? Il faudrait avoir en mains les exemplaires listés dans les catalogues de livres rares publiés par Auguste Fontaine entre 1875 et 1879. Ils sont dispersés aujourd'hui. Le hasard nous mettra peut-être sur leur chemin.

Auguste Fontaine meurt en février 1882 : "La librairie française vient de faire une perte très douloureuse. Monsieur Fontaine, le libraire si connu du passage des Panoramas, est mort à Paris, il y a quelques jours, après une courte et bien terrible maladie. Un phlegmon diffus, cet affreux mal qui ne pardonne presque jamais, et dont il avait sans doute en lui le germe depuis quelque temps, s’était déclaré à un doigt de pied." (notice nécrologique publiée par le Cercle de la librairie). Il n'avait que 68 ans. La librairie est laissée à son fils et à son gendre qui ne tiennent pas la distance et la cède en 1888 à Monsieur Emile Rondeau qui poursuivra un temps le commerce du live rare avec un certain succès. La guerre de 1914 mettra fin à l'aventure de nombreuses librairies prestigieuses.

Question : avez-vous déjà eu en mains un exemplaire avec cette signature dans la dorure "AUGUSTE FONTAINE" ? Si oui sur quel ouvrage ?

Comme vous voyez la bibliophilie prend des chemins détournés pour nous en apprendre et nous apprendre encore. C'est sans fin ! C'est sans doute cela qui me permet d'avoir chaque jour nouveau de nouvelles découvertes à faire. Pour mon plaisir, et le plaisir de partager avec vous.

Bonne journée
Bertrand Bibliomane moderne



épave bibliophilique ...
maroquin signé Adolphe Bertrand (vers 1875) réalisé pour le libraire Auguste Fontaine

mercredi 7 août 2019

Armoiries à identifier sur une reliure ancienne en maroquin.


armoiries à identifier


Un lecteur du Bibliomane moderne ne parvient pas à identifier ces armoiries sur une reliure ancienne (fin XVIIe siècle - Œuvres de Tacite, 1688) en maroquin. Quelqu'un parmi vous saura-t-il l'aider ?

Merci d'avance.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

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