Acte de mariage de Victor Champs et Rose Hérissé
le 3 août 1867 à Thorigny-sur-Marne
le 3 août 1867 à Thorigny-sur-Marne
Source : Archives Départementales de la Seine-et-Marne (en ligne).
Dans une vente aux enchères de livres ou un catalogue de libraire, il y a assez peu de chance pour que vous soyez passé à côté du nom suivant : Victor Champs ou V. Champs ou plus simplement Champs. C'est la signature de l'un des relieurs de la fin du XIXe siècle parmi les plus prolifiques et les plus renommés.
C'est une signature sinon rare, du moins parmi celles qu'on apprécie de rencontrer sur une reliure. Mon expérience personnelle de bibliophile et de libraire me l'a fait découvrir parmi les premières. Bien avant les signatures plus prestigieuses que sont celles de Trautz-Bauzonnet ou Chambolle-Duru. Je dis plus prestigieuse, mais finalement, je me demande bien pourquoi, parce que bien souvent, à choisir entre les deux noms, c'est sans doute sur Victor Champs que se porterait mon choix.
Avant ce soir je ne connaissais rien de Victor Champs, peut-être tout comme vous d'ailleurs. Presque rien devrais-je dire, mis à part la notice assez succincte mais néanmoins utile qu'en donne Julien Fléty dans son Dictionnaire des relieurs français ayant exercé de 1800 à nos jours (éditions Technorama, 1988, p. 41). Notice que je reproduis ci-dessous en guise d'introduction.
"Victor Champs, né en 1844 à Meaux. Orphelin de père alors qu’il était très jeune, il dut travailler de bonne heure. Il fut mis en apprentissage chez un relieur de Meaux, sa ville natale, et s’adonna entièrement à son métier, pour lequel, dès le départ, il montra un goût certain. Comme beaucoup d’ouvriers à cette époque il fit son tour de France et vint ensuite à Paris ; il travailla successivement dans les ateliers Parisot, de Haas et Fayot. Mais son but était de s’établir et dès 1868 il reprit le fond de reliure Reinsch, place Saint-André-des-Arts, où il exerça jusqu’en 1876. A cette date, il transporta ses ateliers au 4 rue Gît-le-Cœur, qu’il agrandit à trois reprises. Aux travaux ordinaires du début, il substitua peu à peu des travaux plus soignés qui lui attirèrent la clientèle des bibliophiles pour des ouvrages rares qui ne devaient pas recevoir de décors compliqués mais néanmoins un habit digne d’eux. Ses reliures pour les bibliophiles sont recherchées par les collectionneurs, pour la bonne tenue de leurs corps d’ouvrage et le fini du travail. Avec Carayon, ils furent les relieurs qui, dans les travaux relativement simples, résumèrent le plus haut degré de la perfection d’exécution. Il mourut en décembre 1912. L’une de ses deux filles, Madeleine, avait épousé le doreur Léon Horelois, le 27 juin 1903." (Fléty, p. 41)
Fléty est assez bien renseigné en fait. Cela m'a donné envie d'aller un peu plus loin. Cela m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur l'homme qu'était Victor Champs, d'où il venait vraiment, sa famille. Voici donc quelques uns des premiers résultats de mes recherches (restées pour le moment tout à fait sommaires).
Victor Champs est né le 28 février 1844 à Meaux (Seine-et-Marne), fils d’Auguste Théodore Champs, marchand et d’Elisabeth Rosalie Thérèse Blot. Auguste Théodore Champs a 54 ans et Elisabeth Rosalie Thérèse Blot a 34 ans à la naissance de Victor. 20 années les séparent donc. Les deux témoins de cette naissance sont des proches de la famille, l’un est cordonnier et l’autre potier. Victor Champs vient d'un milieu modeste, milieu de petits marchands et d'artisans.
J'ai retrouvé le mariage de Victor Champs qui fut célébré le 3 mars 1867. Victor a 23 ans. Il épouse à Thorigny-sur-Marne (Seine-et-Marne), Rose Hérissé. Dans l’acte de mariage, Victor Champs est déclaré relieur et domicilié au n°39 rue de la Harpe à Paris (son adresse à Paris alors qu'il n'était sans doute encore qu'ouvrier chez l'un ou chez l'autre des relieurs donnés par Fléty). Il n’a pas été fait de contrat de mariage. Le père de Victor est décédé (ce qu'avait indiqué Fléty - je n'ai pas encore retrouvé la date exacte du décès du père de Victor Champs). Sa mère est présente au mariage. Rose Hérissé a 24 ans et vivait alors encore chez sa mère à Thorigny-sur-Marne. La mariée est blanchisseuse. Le père de la mariée était également décédé au moment du mariage. Sa mère est présente. Elle est cultivatrice.
D'après les actes d'état civil, le père de Victor Champs est originaire de Meaux tandis que sa mère, Élisabeth Rosalie Thérèse Blot, est originaire de Nanteuil-les-Meaux, situé juste à deux pas de Meaux.
Fléty indique que Victor Champs a eu deux filles, dont l'une est prénommée Madeleine. Je n'ai pas encore retrouvé les actes de naissance de ces deux filles. Afin de compléter cette histoire de famille, il me reste à trouver l'acte de décès de Victor Champs, probablement mort à Paris en décembre 1912 comme l'indique Fléty. J'aimerais également retrouvé l'acte de mariage (27 juin 1903) de Madeleine Champs avec Léon Horelois, doreur. Ces actes permettraient en effet d'en savoir plus sur Victor Champs. Il faudra je pense (sauf hasard heureux) se passer de connaitre la physionomie de Victor Champs car visiblement il n'existe pas de portrait de lui dans la littérature ayant trait à l'histoire de la reliure. Son visage reste donc à découvrir. Il en va de même pour la marche de son atelier. J'ai cherché en vain dans l'ouvrage consacré à l'Exposition Universelle de Philadelphie en 1876, visiblement Victor Champs n'y exposait pas. On ne parle pas ou peu de lui dans les différents textes de l'époque consacrés à la profession. C'était visiblement un homme assez discret.
Les bibliophiles savent d'expérience que le travail rendu par l'atelier de reliure Victor Champs est presque toujours un travail de qualité. Parfois sobre ou même assez simple il est vrai (les bradels jansénistes non décorés simplement titrés et datés en queue ne sont en effet pas rares), mais souvent aussi un travail recherché, classique le plus souvent (dos à nerfs orné aux petits fers façon XVIIIe s. ou au contraire dos long orné de fers rocailles imitations assez réussies de reliures de la période romantique 1820-1840). Visiblement Victor Champs savait répondre à pratiquement toutes les demandes. Des plus simples au plus complexes. Il est vrai que les reliures complexes signées de ce nom sont plus rares, mais elles existent.
Voyons ce que pensait Octave Uzanne des reliures de Victor Champs, son contemporain en bibliophilie (on sait que le relieur préféré d'Octave Uzanne était son concurrent direct pour les cartonnages bradels, un certain Carayon, excellent relieur également dont nous parlerons bientôt) :
"Le commerce des demi-reliures en France a été incroyable en ce siècle, et la reliure pleine est devenue presque une exception. Sur les trois cents relieurs et cartonneurs que je puis compter dan l’Annuaire de la Librairie, plus des deux tiers ne font que la demi-reliure ; en province c’est pi encore, et je mets en fait qu’il n’existe pas dans tous nos départements vingt relieurs capables d’exécuter une belle reliure pleine, même un médiocre « janséniste ». — Les principaux relieurs parisiens qui excellent dans le demi-maroquin à coins. Le maître, à mon sentiment, le roi du genre est aujourd’hui M. Champs. — Nul mieux que lui ne sait préparer un livre, le coudre, le mettre en forme, le couvrir, et préparer ses maroquins. Les volumes qu’on lui confie restent chez lui des éternités ; les mois passent et les mois succèdent aux mois, sans que ledit relieur reparaisse muni de son précieux butin, c’est le champs de l’hypothèse et de l’impatience ; mais s’il possède l’art de faire languir sa clientèle, il possède aussi le talent de la ravir et de lui faire oublier toutes les jérémiades passées ; ce n’est plus de la demi-reliure qu’il nous apporte, c’est de la reliure à champs-levé, des maroquins pleins sur lesquels il semblerait avoir prélevé la place pour le papier fantaisie. Ses endossures sont remarquables ; ses maroquins, sans être laminés, polis à s’y mirer ; ses coins habilement recourbés, caressés au brunissoir et gentiment relevés d’un filet d’or. Les livres qu’il nous retourne s’ouvrent comme une maison amie, sans fracas et sans gêne ; de plus et, sans vouloir faire ici une réclame qui serait bien due à ce modeste travailleur, je puis dire que M. Champs fait toujours montre d’un goût délicat et qu’il sait fort convenablement assortir les gardes, les papiers des plats, les pièces de titre, les fleurettes mosaïquées, ainsi que combiner avec entendement les menus détails qui se doivent fondre dans une harmonie totale, généralement si difficile à obtenir. Un de ses élèves encore inconnu , M. Joseph Bretault, me paraît devoir se faire un nom recommandable : il possède l’amour du métier et le culte de son art, et s’efforce surtout d’apporter une note nouvelle dans la banalité des demi-reliures. Il est l’inventeur des fausses nervures carrées à fortes saillies qui donnent un caractère très original et très sérieux à ses dos délicieusement polis ; de plus, il réussit à merveille les coins ronds ou cintrés qui se courbent sur les tranches du volume en forme de gouttières et protègent aussi l’ouvrage en lui donnant à l’œil plus de légèreté et de grâce." (O. Uzanne, La reliure moderne artistique et de fantaisie (1887)"
On sait ainsi que Joseph Bretault "un de ses élèves" (faut-il comprendre ouvrier ?) était proche de Victor Champs. Le jugement d'Octave Uzanne sur le travail de Victor Champs me semble juste. C'est en tout cas ainsi que je perçois les reliures de cet habile relieur. En saura-t-on jamais plus ? Rien n'est moins certain.
Je vous laisse admirer une reliure très spéciale exécutée et signée Champs, reliure présente au catalogue "Livres rares - Six siècles de reliures" (Librairie Pierre Berès, 2004). Il s'agit de la reliure n° 138 sur : MOREAS Jean. Eriphyle, poème suivi de Quatre Sylves. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1894. In-8. Reliure de l'époque en veau bis et vert pâle, signée Champs ; riche bordure à motifs de chouettes sculptées encadrant trois côtés du premier plat, avec au centre la lume s'estompant progressivement ; au second plat, motif central d'une chouette en plein envol, les angles soulignés de battements d'ailes, tête dorée, couverture conservée. Belle reliure indique Pierre Berès. Et c'est en effet le cas ! Cette reliure est saisissante d'originalité, et surtout, elle tranche radicalement avec ce qu'on l'habitude de voir sous la signature de ce relieur. Je vous laisse voir la reproduction du premier plat ci-dessus.
Cette reliure est à rapprocher de celles exécutées par Charles Meunier ou bien Marius Michel ou encore Léon Gruel, spécialistes du genre avec la mosaïque aussi. Il semble qu'à cette date, 1894, Victor Champs ait eu, au moins cette fois, à céder à la mode du moment des cuirs modelés, sculptés ou incisés. Je n'ai pas pour le moment trouvé d'autres exemples à vous montrer de ce type de reliure portant la signature de V. Champs.
Pour en finir avec ce petit historique de la Maison Victor Champs, ajoutons que Jean Stroobants travailla a ses côtés un moment ou tout au moins pour lui. "Jean Stroobants était né à Paris en décembre 1856. Il fit son apprentissage chez Vignaux et Pasquier, rue Guénégaud, puis travailla chez Camus, chez Lenègre, chez Bertrand, où il devint premier couvreur. Ayant alors acquis une habileté et une sureté de main qui faisaient de lui l’un des meilleurs ouvriers de la profession, il s’établit à son compte et travailla à façon pour plusieurs relieurs dont Victor Champs, à qui il succéda au 4 rue Gît-le-Cœur en 1904. Il fut un travailleur acharné jusqu’au moment de sa mort, le 2 février 1922. Stroobants eut pour successeur son gendre, Paterson, qui signait ses reliures Stroobants-Paterson et mourut en 1936." (Fléty, p. 164)
J'ai placé tout au long de cet article quelques photographies de reliures signées Victor Champs qui me sont passées entre les mains. J'ai ainsi pu juger de la qualité du travail, toujours soigné et du fini impeccable, y compris pour les demi-reliures simples. Victor Champs (peut-être son ou ses ouvriers ?) avai(en)t la main sûre et résultat est à mon sens toujours une réussite. Je tiens à souligner que j'apprécie particulièrement les bradels signés de ce nom qui permettent l'ouverture parfaite des volumes avec des dos brisés (décollés des fonds de cahiers) pour une consultation très agréable des livres ainsi reliés. Tout le monde ne pouvait pas en dire autant et les grands noms que furent Lortic, Cuzin, Chambolle-Duru ne me démentiraient pas !
Pour résumé, je suis assez fan des reliures signées Victor Champs, vous l'aurez compris. Vu le nombre de reliures portant sa signature qu'on rencontre aujourd'hui, j'imagine qu'il a du relier plusieurs milliers de volumes en l'espace d'une vingtaine d'années. Les plus belles reliures portant son nom sont sans aucun doute encore à découvrir.
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne
C'est une signature sinon rare, du moins parmi celles qu'on apprécie de rencontrer sur une reliure. Mon expérience personnelle de bibliophile et de libraire me l'a fait découvrir parmi les premières. Bien avant les signatures plus prestigieuses que sont celles de Trautz-Bauzonnet ou Chambolle-Duru. Je dis plus prestigieuse, mais finalement, je me demande bien pourquoi, parce que bien souvent, à choisir entre les deux noms, c'est sans doute sur Victor Champs que se porterait mon choix.
Une demi-reliure à coins, simple et sobre mais néanmoins parfaitement exécutée sur Germinie Lacerteux des Frères Goncourt (1886). Un des 100 ex. sur Japon.
Avant ce soir je ne connaissais rien de Victor Champs, peut-être tout comme vous d'ailleurs. Presque rien devrais-je dire, mis à part la notice assez succincte mais néanmoins utile qu'en donne Julien Fléty dans son Dictionnaire des relieurs français ayant exercé de 1800 à nos jours (éditions Technorama, 1988, p. 41). Notice que je reproduis ci-dessous en guise d'introduction.
"Victor Champs, né en 1844 à Meaux. Orphelin de père alors qu’il était très jeune, il dut travailler de bonne heure. Il fut mis en apprentissage chez un relieur de Meaux, sa ville natale, et s’adonna entièrement à son métier, pour lequel, dès le départ, il montra un goût certain. Comme beaucoup d’ouvriers à cette époque il fit son tour de France et vint ensuite à Paris ; il travailla successivement dans les ateliers Parisot, de Haas et Fayot. Mais son but était de s’établir et dès 1868 il reprit le fond de reliure Reinsch, place Saint-André-des-Arts, où il exerça jusqu’en 1876. A cette date, il transporta ses ateliers au 4 rue Gît-le-Cœur, qu’il agrandit à trois reprises. Aux travaux ordinaires du début, il substitua peu à peu des travaux plus soignés qui lui attirèrent la clientèle des bibliophiles pour des ouvrages rares qui ne devaient pas recevoir de décors compliqués mais néanmoins un habit digne d’eux. Ses reliures pour les bibliophiles sont recherchées par les collectionneurs, pour la bonne tenue de leurs corps d’ouvrage et le fini du travail. Avec Carayon, ils furent les relieurs qui, dans les travaux relativement simples, résumèrent le plus haut degré de la perfection d’exécution. Il mourut en décembre 1912. L’une de ses deux filles, Madeleine, avait épousé le doreur Léon Horelois, le 27 juin 1903." (Fléty, p. 41)
Demi-reliure à coins signée signée Victor Champs sur l'édition originale de La vie de Bohème d'Henry Murger (1851). Dos long, décor romantique à l'imitation.
Fléty est assez bien renseigné en fait. Cela m'a donné envie d'aller un peu plus loin. Cela m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur l'homme qu'était Victor Champs, d'où il venait vraiment, sa famille. Voici donc quelques uns des premiers résultats de mes recherches (restées pour le moment tout à fait sommaires).
Victor Champs est né le 28 février 1844 à Meaux (Seine-et-Marne), fils d’Auguste Théodore Champs, marchand et d’Elisabeth Rosalie Thérèse Blot. Auguste Théodore Champs a 54 ans et Elisabeth Rosalie Thérèse Blot a 34 ans à la naissance de Victor. 20 années les séparent donc. Les deux témoins de cette naissance sont des proches de la famille, l’un est cordonnier et l’autre potier. Victor Champs vient d'un milieu modeste, milieu de petits marchands et d'artisans.
Signature de Victor Champs que l'on retrouve ainsi en général dans les demi-reliures, frappé en lettres typographiques à l'encre noire au verso blanc de la première garde de couleur ou au contreplat directement.
Signature de Victor Champs dans l'encadrement intérieur des plats, entre deux filets dorés, signé simplement CHAMPS. Cette signature se rencontre dans les exemplaires richement reliés en plein maroquin. Dans ce cas précis Victor Champs fait l'économie du "V." de son prénom dans la signature : cela signifie-t-il qu'il signe collectivement au nom de son atelier ?
J'ai retrouvé le mariage de Victor Champs qui fut célébré le 3 mars 1867. Victor a 23 ans. Il épouse à Thorigny-sur-Marne (Seine-et-Marne), Rose Hérissé. Dans l’acte de mariage, Victor Champs est déclaré relieur et domicilié au n°39 rue de la Harpe à Paris (son adresse à Paris alors qu'il n'était sans doute encore qu'ouvrier chez l'un ou chez l'autre des relieurs donnés par Fléty). Il n’a pas été fait de contrat de mariage. Le père de Victor est décédé (ce qu'avait indiqué Fléty - je n'ai pas encore retrouvé la date exacte du décès du père de Victor Champs). Sa mère est présente au mariage. Rose Hérissé a 24 ans et vivait alors encore chez sa mère à Thorigny-sur-Marne. La mariée est blanchisseuse. Le père de la mariée était également décédé au moment du mariage. Sa mère est présente. Elle est cultivatrice.
Reliures plein maroquin signées Victor Champs. Riches dorures aux dos. Sur le Virgile travesty de Scarron de 1668.
D'après les actes d'état civil, le père de Victor Champs est originaire de Meaux tandis que sa mère, Élisabeth Rosalie Thérèse Blot, est originaire de Nanteuil-les-Meaux, situé juste à deux pas de Meaux.
Fléty indique que Victor Champs a eu deux filles, dont l'une est prénommée Madeleine. Je n'ai pas encore retrouvé les actes de naissance de ces deux filles. Afin de compléter cette histoire de famille, il me reste à trouver l'acte de décès de Victor Champs, probablement mort à Paris en décembre 1912 comme l'indique Fléty. J'aimerais également retrouvé l'acte de mariage (27 juin 1903) de Madeleine Champs avec Léon Horelois, doreur. Ces actes permettraient en effet d'en savoir plus sur Victor Champs. Il faudra je pense (sauf hasard heureux) se passer de connaitre la physionomie de Victor Champs car visiblement il n'existe pas de portrait de lui dans la littérature ayant trait à l'histoire de la reliure. Son visage reste donc à découvrir. Il en va de même pour la marche de son atelier. J'ai cherché en vain dans l'ouvrage consacré à l'Exposition Universelle de Philadelphie en 1876, visiblement Victor Champs n'y exposait pas. On ne parle pas ou peu de lui dans les différents textes de l'époque consacrés à la profession. C'était visiblement un homme assez discret.
Demi-reliure en maroquin signée Victor Champs, dos lisse orné en long, filets dorés en encadrement dans le style romantique. Sur Les chants du crépuscule de Victor Hugo, édition originale (1835).
Les bibliophiles savent d'expérience que le travail rendu par l'atelier de reliure Victor Champs est presque toujours un travail de qualité. Parfois sobre ou même assez simple il est vrai (les bradels jansénistes non décorés simplement titrés et datés en queue ne sont en effet pas rares), mais souvent aussi un travail recherché, classique le plus souvent (dos à nerfs orné aux petits fers façon XVIIIe s. ou au contraire dos long orné de fers rocailles imitations assez réussies de reliures de la période romantique 1820-1840). Visiblement Victor Champs savait répondre à pratiquement toutes les demandes. Des plus simples au plus complexes. Il est vrai que les reliures complexes signées de ce nom sont plus rares, mais elles existent.
Voyons ce que pensait Octave Uzanne des reliures de Victor Champs, son contemporain en bibliophilie (on sait que le relieur préféré d'Octave Uzanne était son concurrent direct pour les cartonnages bradels, un certain Carayon, excellent relieur également dont nous parlerons bientôt) :
Demi-reliure de maroquin, dos à nerfs décoré aux petits fers, filets dorés, signée Victor Champs. Sur la Physiologie du mariage d'Honoré de Balzac (1845).
"Le commerce des demi-reliures en France a été incroyable en ce siècle, et la reliure pleine est devenue presque une exception. Sur les trois cents relieurs et cartonneurs que je puis compter dan l’Annuaire de la Librairie, plus des deux tiers ne font que la demi-reliure ; en province c’est pi encore, et je mets en fait qu’il n’existe pas dans tous nos départements vingt relieurs capables d’exécuter une belle reliure pleine, même un médiocre « janséniste ». — Les principaux relieurs parisiens qui excellent dans le demi-maroquin à coins. Le maître, à mon sentiment, le roi du genre est aujourd’hui M. Champs. — Nul mieux que lui ne sait préparer un livre, le coudre, le mettre en forme, le couvrir, et préparer ses maroquins. Les volumes qu’on lui confie restent chez lui des éternités ; les mois passent et les mois succèdent aux mois, sans que ledit relieur reparaisse muni de son précieux butin, c’est le champs de l’hypothèse et de l’impatience ; mais s’il possède l’art de faire languir sa clientèle, il possède aussi le talent de la ravir et de lui faire oublier toutes les jérémiades passées ; ce n’est plus de la demi-reliure qu’il nous apporte, c’est de la reliure à champs-levé, des maroquins pleins sur lesquels il semblerait avoir prélevé la place pour le papier fantaisie. Ses endossures sont remarquables ; ses maroquins, sans être laminés, polis à s’y mirer ; ses coins habilement recourbés, caressés au brunissoir et gentiment relevés d’un filet d’or. Les livres qu’il nous retourne s’ouvrent comme une maison amie, sans fracas et sans gêne ; de plus et, sans vouloir faire ici une réclame qui serait bien due à ce modeste travailleur, je puis dire que M. Champs fait toujours montre d’un goût délicat et qu’il sait fort convenablement assortir les gardes, les papiers des plats, les pièces de titre, les fleurettes mosaïquées, ainsi que combiner avec entendement les menus détails qui se doivent fondre dans une harmonie totale, généralement si difficile à obtenir. Un de ses élèves encore inconnu , M. Joseph Bretault, me paraît devoir se faire un nom recommandable : il possède l’amour du métier et le culte de son art, et s’efforce surtout d’apporter une note nouvelle dans la banalité des demi-reliures. Il est l’inventeur des fausses nervures carrées à fortes saillies qui donnent un caractère très original et très sérieux à ses dos délicieusement polis ; de plus, il réussit à merveille les coins ronds ou cintrés qui se courbent sur les tranches du volume en forme de gouttières et protègent aussi l’ouvrage en lui donnant à l’œil plus de légèreté et de grâce." (O. Uzanne, La reliure moderne artistique et de fantaisie (1887)"
On sait ainsi que Joseph Bretault "un de ses élèves" (faut-il comprendre ouvrier ?) était proche de Victor Champs. Le jugement d'Octave Uzanne sur le travail de Victor Champs me semble juste. C'est en tout cas ainsi que je perçois les reliures de cet habile relieur. En saura-t-on jamais plus ? Rien n'est moins certain.
Une superbe et étonnante reliure en veau sculpté signée Victor Champs (1894). Suffisamment rare pour figurer au catalogue de la Librairie Pierre Berès en 2004 "Six siècles de reliures".
Je vous laisse admirer une reliure très spéciale exécutée et signée Champs, reliure présente au catalogue "Livres rares - Six siècles de reliures" (Librairie Pierre Berès, 2004). Il s'agit de la reliure n° 138 sur : MOREAS Jean. Eriphyle, poème suivi de Quatre Sylves. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1894. In-8. Reliure de l'époque en veau bis et vert pâle, signée Champs ; riche bordure à motifs de chouettes sculptées encadrant trois côtés du premier plat, avec au centre la lume s'estompant progressivement ; au second plat, motif central d'une chouette en plein envol, les angles soulignés de battements d'ailes, tête dorée, couverture conservée. Belle reliure indique Pierre Berès. Et c'est en effet le cas ! Cette reliure est saisissante d'originalité, et surtout, elle tranche radicalement avec ce qu'on l'habitude de voir sous la signature de ce relieur. Je vous laisse voir la reproduction du premier plat ci-dessus.
Cette reliure est à rapprocher de celles exécutées par Charles Meunier ou bien Marius Michel ou encore Léon Gruel, spécialistes du genre avec la mosaïque aussi. Il semble qu'à cette date, 1894, Victor Champs ait eu, au moins cette fois, à céder à la mode du moment des cuirs modelés, sculptés ou incisés. Je n'ai pas pour le moment trouvé d'autres exemples à vous montrer de ce type de reliure portant la signature de V. Champs.
Demi-reliure à coins de maroquin, dos richement orné aux petits fers avec de petites fleurettes mosaïquées et un petit motif central mosaïqué également, de deux tons différents. Sur Mon oncle Barbassou de Mario Uchard (1884). Un des 50 ex. sur japon.
Pour en finir avec ce petit historique de la Maison Victor Champs, ajoutons que Jean Stroobants travailla a ses côtés un moment ou tout au moins pour lui. "Jean Stroobants était né à Paris en décembre 1856. Il fit son apprentissage chez Vignaux et Pasquier, rue Guénégaud, puis travailla chez Camus, chez Lenègre, chez Bertrand, où il devint premier couvreur. Ayant alors acquis une habileté et une sureté de main qui faisaient de lui l’un des meilleurs ouvriers de la profession, il s’établit à son compte et travailla à façon pour plusieurs relieurs dont Victor Champs, à qui il succéda au 4 rue Gît-le-Cœur en 1904. Il fut un travailleur acharné jusqu’au moment de sa mort, le 2 février 1922. Stroobants eut pour successeur son gendre, Paterson, qui signait ses reliures Stroobants-Paterson et mourut en 1936." (Fléty, p. 164)
J'ai placé tout au long de cet article quelques photographies de reliures signées Victor Champs qui me sont passées entre les mains. J'ai ainsi pu juger de la qualité du travail, toujours soigné et du fini impeccable, y compris pour les demi-reliures simples. Victor Champs (peut-être son ou ses ouvriers ?) avai(en)t la main sûre et résultat est à mon sens toujours une réussite. Je tiens à souligner que j'apprécie particulièrement les bradels signés de ce nom qui permettent l'ouverture parfaite des volumes avec des dos brisés (décollés des fonds de cahiers) pour une consultation très agréable des livres ainsi reliés. Tout le monde ne pouvait pas en dire autant et les grands noms que furent Lortic, Cuzin, Chambolle-Duru ne me démentiraient pas !
Pour résumé, je suis assez fan des reliures signées Victor Champs, vous l'aurez compris. Vu le nombre de reliures portant sa signature qu'on rencontre aujourd'hui, j'imagine qu'il a du relier plusieurs milliers de volumes en l'espace d'une vingtaine d'années. Les plus belles reliures portant son nom sont sans aucun doute encore à découvrir.
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne