Au cœur des Landes de Gascogne, dans le pays du Bas-Armagnac, on trouve une belle petite bastide médiévale appelée La Bastide d'Armagnac. Pas besoin d'être expert en toponymie pour comprendre d'où vient le nom de ce petit village de 700 âmes.
Au début du mois de septembre de cette année, quelques fous furieux ont décidé de se lancer dans une entreprise à l'allure d'épopée, le remontage pièce à pièce d'une presse de graveur.
Pour comprendre comment cette presse, datant probablement de la fin du XIXe siècle, s'est retrouvée en pièces détachées au deuxième étage d'une maison du village, il faut remonter le temps et se pencher sur la partie de son histoire qui nous est connue.
H. Andrew Freeth (1912-1986) a travaillé toute sa vie en temps que portraitiste, peintre et graveur. Son atelier est installé dans la proche banlieue de Londres. Il a séjourné un temps à la British School at Rome, et a enseigné la gravure à Londres à la Saint Martin's School of Art et à la Central School of Arts and Crafts. Les deux écoles ont fusionné en 1989 pour former le Central Saint Martins College of Art and Design. Il est également élu membre de la Royal Academy of Arts de Londres en 1965.
Après son décès et celui de son épouse, ses enfants ne veulent pas se séparer des outils de leur père.
Richard, un de ses fils, plasticien, vit dans le sud-ouest de la France depuis une trentaine d'années. Il organise le démontage de la presse de graveur avec l'aide d'un ingénieur polonais et la fait venir chez lui en pièces détachées. Les pièces en fonte sont tellement lourdes qu'il faut passer par des trappes à travers le plancher pour la stocker au deuxième étage de la maison.
Elle va dormir ici pendant 18 ans, le temps de laisser grandir Laura, la fille de Richard.
Laura est née au moment où cette presse arrivait à la maison familiale, elle a très souvent entendu son père en parler et dire que l'entreprise de remontage était trop compliquée et qu'il ne s'en sentait pas le courage tout seul.
Après son baccalauréat, elle intègre l'école des Beaux-Arts de Toulouse et fait connaissance avec l'atelier de gravure. C'est un rendez-vous de passionnés. L'idée en gestation re-germe et Laura mobilise des amis mordus comme elle pour pratiquer l'opération « remontage » afin de pouvoir réhabiliter la presse.
Les dates sont arrêtées à la deuxième semaine de septembre 2009.
Richard et Laura entament le rangement du futur atelier, font l'inventaire du matériel de gravure entreposé. Sont retrouvés quantité de plaques gravées ou non, des tirages multiples, des pots contenant des encres, des poudres... et les instructions de l'ingénieur polonais qui a tout consigné par écrit, schémas de montage à l'appui.
Avant de s'attaquer à la presse en elle-même, il est indispensable de lui donner de bonnes conditions de conservation, ne serais-ce que pour pouvoir stocker les encres (la température ne doit pas être trop fluctuante) et travailler correctement dans ce grenier, il n'est pas possible de changer d'emplacement et la pièce est vaste. Les étudiants aiguillés par Richard vont donc apprendre les bases de l'isolation de combles avant de toucher à la gravure... C'est toujours utile...
Lorsque l'atelier est prêt, chaque pièce de la presse est inspectée, désoxydée, brossée, nettoyée, lubrifiée. L'ultime opération peut commencer.
La grande difficulté est d'arriver à soulever les deux énormes rouleaux en fonte et à les placer dans les deux montants verticaux de la machine. Tout doit être prévu par avance car les pièces (rouleaux, cales, tiges et support de table) doivent s'imbriquer et se fixer dans les deux pieds. Il faut faire preuve d'ingéniosité et l'erreur n'est pas permise car très dangereuse. H. Andrew Freeth avait fait les frais d'un moment d'inattention, le plateau de la presse lui était tombé sur le pied et il avait perdu plusieurs orteils. Un billot en bois est donc construit à l'exacte hauteur à laquelle doivent être élevés les rouleaux, il sert de support. Un palan à chaînes est accroché aux colombages au dessus du billot et sert à soulever les pièces sans trop forcer. Le remontage s'enchaîne, il faut aller vite. Chaque détail est important, les connaissances techniques des uns et l'expérience de la gravure des autres est très précieuse. Après quelques balbutiements et de gros efforts la presse se dresse enfin fièrement. Belle, brillante et fonctionnelle comme autrefois. C'est un moment très émouvant pour tout le monde, surtout lors des essais, les rouleaux entrainent parfaitement la plaque.
Une dernière précision, H. Andrew Freeth avait fait motoriser la presse afin de faciliter les tirages en nombre lorsqu'en prenant de l'âge qu'il a eu du mal à la faire tourner. Toutes les pièces de ce dispositif ont été retrouvées. La petite équipe n'a pas souhaité réinstaller le moteur afin de conserver l'utilisation manuelle de la presse, ce qui n'a pas été problématique car la pose du moteur n'avait pas affecté le dispositif d'origine.
Ce n'est pas tous les jours qu'il est donné d'assister à pareille aventure. La plus grande émotion et satisfaction sera lors de la réalisation des premiers tirages. Ce genre de presse étant réglable à demande, de nombreux essais de différentes techniques (toutes techniques de gravure ancienne et moderne, d'impression sur tout type de support...) vont être réalisés dans cet atelier du fin fond de la Gascogne. Nous vous tiendrons au courant des premiers résultats.
Nous ne savons pas exactement quand H. Andrew Freeth a acquis sa presse ni à qui il l'a acheté. Nous l'avons daté de la fin du XIXe siècle par pure spéculation.
Voici quelques photos de la marque ainsi qu'une dédicace gravée à la main par un précédent propriétaire en 1910. Si vous avez quelques renseignements que ce soit, nous sommes preneurs car pas du tout spécialistes de la question mais très curieux d'en savoir davantage.
Merci d'avoir suivi avec nous cette aventure, et à bientôt pour un prochain épisode.
Découvrez en cliquant sur l'image ci-dessous la galerie photos du remontage de la presse dans le grenier.
Galerie photos
Bonne journée,
Mélodie Hanssen