samedi 19 décembre 2009

le De Sphera Mundi de Johannes de Sacrobosco.


La nuit est claire.

C’est par ces mots que se termine la Vie de Galilée de Berthold Brecht. L’astronome était parvenu à se persuader que la terre n'est plus le centre de l'univers et qu'elle tourne ... au grand dam des théologiens du temps qui ne juraient que par le système aristotélicien et ptoléméen.

Convaincre les incrédules que le monde n’est pas comme il parait l’être est une tache difficile…

En matière, d’astronomie, les humanistes de la Renaissance connaissent le système de Ptolémée et étudient dans le manuel scolaire le plus fameux du temps, un vrai best seller, le De Sphera Mundi de Johannes de Sacrobosco (Une production hollywoodienne, dirait Raphaël !)



Fig 1. Reliure en peau mégissée (peau traitée sans tanin, très souple et de couleur blanche à l'origine ; elle peut être teintée. Le plus souvent peau de mouton, daim ou même porc, ou autre).


Joannes de Sacrobosco, est né à la fin du XIIe siècle, probablement dans le Yorkshire ; la date de sa mort reste incertaine, 1244 ou 1256. Il fut professeur à la Sorbonne et pour cette raison le De Sphera Mundi fut aussitôt adopté par l'université de Paris, puis, à partir du milieu du XIIIe siècle, par toutes celles du monde occidental. Abondamment copié, il fut tout naturellement le premier livre d'astronomie imprimé, à Ferrare en 1472, puis souvent réédité - près d’une trentaine de fois avant 1501. Notre édition, donnée par Franciscus Renner de Heilbronn, à Venise en 1478, est déjà la 6ème édition incunable !


Fig 2. Page de titre, tachée par la rouille des cabochons de la reliure.


L'ouvrage débute par un simple titre à l’encre rouge, un incipit sans fioriture excessive, avec une faute sur le mot ‘Sphera’ (faute qui se répète tout au long de l’ouvrage, visiblement le mot ‘sphère’ n’était pas dans le vocabulaire de Renner !). Après quoi, un petit exposé, valant table des chapitres, décrit le contenu du traité de la sphère. Le propos est divisé en quatre chapitres. Le premier, après une définition de la sphère, traite de la forme sphérique de la Terre et de sa place inamovible au sein de l’Univers sphérique, conformément à la cosmologie d’Aristote.



Fig 3. Les Sphères.


Le deuxième chapitre traite des divers cercles de référence de la Terre et du Soleil (écliptique, équatorial, zodiacal, méridional, horizontal etc.). Dans le modèle géocentrique, la Terre est ronde. L'Univers est fini dans l'espace et circulaire. La sphère la plus petite est la terre, constituée au centre d'un emboîtement successif de sphères, depuis l'orbe de la lune, puis celle du soleil, et enfin celle des étoiles "fixes". L’univers se divise en deux parties : le monde infra-lunaire et supra-lunaire. Le premier, concernant tout ce qui est situé sous l'orbite de la Lune (la Terre et son atmosphère), est symbole de mouvement, d'incertitude, continuellement altéré et instable (lunatique, quoi !). Le second, quant à lui, est immuable, parfait, stable et éternel. Les astres sont portés par 55 sphères concentriques et se déplacent à différentes vitesses, suivant une trajectoire circulaire, car le cercle (et par la même occasion, la sphère) est, d'après les pythagoriciens, la figure parfaite ! Pourquoi, me direz-vous ? Et bien le géocentrisme aristotélicien repose sur deux conceptions du mouvement : le mouvement circulaire d'une part, et le mouvement rectiligne, d’autre part. Or ce mouvement rectiligne centrifuge ou centripète a un début et une fin. Les corps lourd ou légers tendent, les uns à rejoindre le centre de la terre, les autres la périphérie. Il n'a donc pas la perfection du mouvement des astres. Le modèle de Ptolémée suppose l'idée de clôture, de limite. Puisque le monde a un centre, puis qu'il possède une structure ordonnée, il doit aussi avoir une limite externe, et ne peut s'étendre indéfiniment. L'œuvre de Dieu ne peut être pensée comme une esquisse, ou comme une ébauche. La perfection suppose de lui attribuer aussi l'idée d'une complétude, incompatible avec l'idée d'infinité.



Fig 4. la rétrogradation.


Cependant un problème se posait quant à la trajectoire des planètes. Celles-ci semblaient, par moments, revenir en arrière quelque temps avant de reprendre leur course dans le sens « normal », c'est la rétrogradation. Pour y répondre, tout en respectant le caractère parfait du cercle, Aristote imagina tout un système de sphères dont certaines ne sont là que pour faire tourner d'autres sphères qui, elles, porteront peut-être un astre. Voilà pourquoi il faut 55 sphères pour seulement six planètes. (Des questions ?!)



Fig 5. les éclipses.


L’ouvrage traite aussi des levers et couchers des astres en divers lieux géographiques, évoque la place des signes du Zodiaque dans le ciel et la diversité de la durée des jours et des nuits selon les différentes zones de la terre. Il explique encore les éclipses du soleil et de la lune.



Fig 6. Le planisphère.


La figure 6 montre un planisphère qui, quatre siècles durant, eut une fortune particulière de par sa prodigieuse diffusion dans le milieu estudiantin et, par voie de conséquence, dans le monde instruit. Fondé sur un passage des «Saturnales» de Macrobe qui décrit un monde hémisphérique divisé en sept zones climatiques, d’après la conception des Grecs et notamment de Ptolémée, le schéma figure la zone glaciale inhabitable ; la région tempérée sud inexplorée, potentiellement habitable ; une région torride équatoriale inhabitable ; la région tempérée nord où Europe, Asie et Afrique occupent le monde connu ; et la région glaciale nord, inhabitable.



Fig 7. et 8. Theorica Planetaru(m).


De nombreux et interminables commentaires ont été faits du De Sphera Mundi , entre autres les annotations de Jacobus Martinus et d'Elias Vinet, ainsi qu'un complément, le « Compendium in sphaeram » de Petrus Valerianus (encore lui !).

Ici, Renner de Heilbronn a choisi de faire suivre le traité des sphères, plutôt qu’un commentaire, de l’œuvre complémentaire d’un auteur du XIIème siècle inconnu, la Théorie des Planètes, qui avait déjà été publiée avec le Sacrobosco dans l’édition de 1472. On attribue ce livre à Gérard de Cremone (mais aussi à Gérard de Sabbionetta) qui traduisit de nombreux ouvrages scientifiques de l’antiquité; c’est une synthèse de l’Almageste de Ptolémée.



Fig 9. Beauté de la Sphère.


L'héliocentrisme a été formulé par Nicolas Copernic en 1543, Galilée a effectué une comparaison du différentiel de trajectoire entre les planètes et les astres rendant impossible l'idée d'un centre unique de l'univers, assimilé à la terre, la lunette astronomique a permis de montrer qu'au-delà des astres observables à l'œil nu, il existe des astres plus lointains, malgré tout cela, le De Sphera Mundi a continué à être publié et étudié jusqu’au milieu du XVIIe siècle !!

Les idées fausses ont la vie dure !

Bonne Nuit,
Textor

Collation :

Petit in-4 (20, 5 cm) de (48) ff a-b8, c-d6, e-f10 [relié avec un autre incunable et un manuscrit sur vélin]

Références :

- Hain Copinger 14108
- Outre l’article de Wikipédia, assez détaillé, voir http://ghtc.ifi.unicamp.br/Sacrobosco/Sacrobosco-ed.htm
- Pour Gérard de Cremone, cf Henri Hugonnard-Roche, les œuvres de logique traduite par Gérard de Cremone, dans Gerardo da Cremona, Cremone, 1992.

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