dimanche 13 décembre 2009

En marge de la bibliophilie : Des estampes tirées sur satin.




C'est encore l'occasion qui fait le larron ! Restons dans le domaine de l'estampe pour aujourd'hui encore.

Je vais évoquer le cas bien particulier des estampes sur satin. Ou plutôt laissons M. Bonnardot le faire pour nous dans un passage de son Essai sur l'art de restaurer les estampes et les livres :

"L'usage de tirer des épreuves sur satin blanc est assez ancien et remonte au moins au commencement du règne de Louis XIV, peut-être beaucoup plus haut. Ces estampes sont même assez communes. On tirait spécialement sur satin les thèses philosophiques et les images de dévotion, quelquefois aussi des portraits dus à d'habiles graveurs. (...)"

Tout d'abord le satin, qu'est-ce que c'est ?

Au sens strict, le satin c'est l'une des trois armures (L'armure, dans la terminologie du tissage de textile, désigne le mode d'entrecroisement des fils de chaîne et des fils de trame. Il existe trois armures principales : toile, sergé et satin. À partir de ces trois armures sont fabriqués de nombreux tissus avec aussi des combinaisons des armures principales de tissage.) Ainsi, le terme satin désigne l'ensemble des textiles élaborés par ce type de tissage, soit des étoffes fines et brillantes sur l'endroit et mat à l'envers. Il tire son nom de la ville de Tsia-toung (Citong en pinyin), l'actuelle Quanzhou dans la province du Fujian au sud-est de la Chine. (source Wikipedia).

Ainsi le satin désigne avant tout un type de tissage bien particulier donnant un rendu soyeux et brillant d'un côté et mat de l'autre. Au rendu visuel, cela donne un aspect nacré et brillant sur la face que l'on désire exposer. C'est un tissu très souple, onduleux.

Aujourd'hui on trouve des robes en satin (robes de mariées notamment genre meringue...), des draps en satin (pour les nuits de pleine lune...), des rideaux, des culottes en satin (pour les fétichistes ou non), des nuisettes en satin (pour les soirées hivernales), etc. Il y a aussi l'histoire du soulier de satin de Paul Claudel... mais c'est une autre histoire.

Souvent le satin est 1OO% soie. C'est en tous cas encore aujourd'hui un argument de vente dans le domaine du textile de luxe.

Vous l'aurez compris, je ne suis pas un expert en textiles... mais je me forme.

Le but de ce billet n'étant pas de disserter sur les petites culottes en satin noir ou les nuisettes en satin blanc, passons aux choses bibliophiliquement plus sérieuses.

Victor Hugo sur satin !

Voyons dans le Manuel de l'amateur de livres du XIXe siècle de Georges Vicaire, tome IV, colonne 432, où il est écrit :

"Au commencement de l'année 1898, l'Edition nationale des Oeuvres de Victor Hugo a été cédée à MM. Bernoux et Cumin, libraires à Lyon, qui vendent les 43 volumes brochés 650 francs au lieu de 1.290 francs (papier ordinaire). Ils donnent, en outre, aux premiers souscripteurs une nouvelle prime qui consiste en une collection des 30 eaux-fortes hors-texte du Théâtre, tirées sur satin."

Voici donc l'objet du délit ! Un album contenant une suite d'estampes tirées sur satin illustrant le Théâtre du maître.

"aux premiers souscripteurs" ! Voilà bien une idée assez peu précise du chiffre du tirage réservé sur satin ? Qu'entend-on par "aux premiers souscripteurs" ? Les 50 premiers ? Les 100 premiers ? Les 500 premiers ? Je n'ai pas réussi à percer ce mystère du chiffre exact du tirage de cette suite sur satin. A titre de comparaison toutefois, j'ai trouvé une autre référence chez les mêmes éditeurs pour une autre édition d'un autre auteur et qui cette fois spécifiait bien le chiffre du tirage : "60 suites sur satin".

Par ailleurs, j'ai eu la chance de retrouver plusieurs affiches promotionnelles pour la remise en vente de cette édition en 1898 par Bernoux et Cumin de Lyon. Il est mentionné, sans chiffre de tirage "Prime aux premiers acheteurs : Les 30 grandes eaux-fortes du Théâtre de Victor Hugo tirées sur satin de Lyon." On lit aussi qu'il a été déjà souscrit 250 collections ! Donc on peut supposer qu'il a été donné aussi 250 suites sur satin.


Cliquez les images pour les agrandir.






N'oublions pas que Lyon est la capitale des soieries en France à cette époque. D'où peut-être des facilités pour se fournir sur ce produit à moindre coût par ses éditeurs intelligents.

Si normalement les exemplaires tirés sur satin sont le summum du luxe pour une édition traditionnelle ou ordinairement, lorsqu'il y en a d'annoncés, on ne repère que 1 ou 2 exemplaires sur ce précieux support, ici, cela n'a pas du être le cas et il est fort probable qu'il a été fait au moins 500 suites sur ce support. Ce qui a du coûter fort cher. Je soupçonne donc que Bernoux et Cumin avaient de larges accointances dans la soierie lyonnaise !

Combien valait à l'époque le mètre linéaire de satin de soie blanche de Lyon ? Je l'ignore (mai je vais chercher...)

J'ai la chance d'avoir trouvé cette suite en parfait état en ce qui concerne les estampes. Bien complète des 30 eaux-fortes (ce qui semble-t-il est assez rare aujourd'hui... beaucoup ayant du être mises sous verre ou sous cadre en bois doré pour orner les salons ou les chambres cossues ...) La pochette éditeur en percaline rouge, dorée sur la plat supérieur, était elle ans un état très dégradé par l'humidité, avec des dépôts blanchâtres à faire peur. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai tenté un grand nettoyage "maison" (pas très orthodoxe, j'en conviens, je ne suis pas restaurateur... mais j'me soigne...), mais j'avoue que je me suis surpris moi-même du résultat que vous pouvez voir en tête de ce billet. Les estampes quant à elles sont en parfait état, non piquées, non froissées.


Cliquez sur les images pour les agrandir.




Avantages et inconvénients bibliophiliques des tirages des estampes sur satin ?

Personnellement, je suis assez partagé sur l'intérêt et la beauté de ce support. D'un côté le tirage du cuivre est fort bien rendu. L'encrage est net et intense. Les reflets brillants apportés par la surface du satin donnent un effet plutôt original et sympathique. Les points négatifs : ce support ne se tient pas. J'entends par là qu'il ne vaut que conservé dans une pochette ou encadré et mis sous verre, bien tendu pour respecter la netteté du tirage. Relié dans un livre je doute que cela soit du meilleur effet, question de goût encore une fois. Personnellement, je préfère mille fois un tirage sur vélin véritable qui a le charme des productions manufacturées du moyen-âge. D'ailleurs souvent le tirage sur vélin véritable ou parchemin n'excède guère 1 ou 2 exemplaires par édition. C'est aussi le summum du tirage de luxe.

Je vous laisse tout de même admirer la chose. J'ai scanné plutôt que pris en photos pour bien vous montrer les franges de la soie. C'est avant tout un support très fragile. Fragilité qui conjuguée à sa rareté font un étrange qui conviendra ou pas aux bibliophilies exigeants. Je vous laisse donner votre sentiment sur le sujet dans les commentaires.

Bon dimanche,
Bertrand (arrière petit-fils d'une ouvrière en soie lyonnaise, à qui je dédie ce billet post mortem)

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