lundi 7 décembre 2009

Mort (de rire) sur le Nil ou l’interprétation des hiéroglyphes au XVIe siècle.


Je vous propose de nous amuser aujourd’hui avec les élucubrations des humanistes de la Renaissance qui ont cherché à percer les mystères de l’écriture des égyptiens et de mesurer ainsi le chemin parcouru jusqu’à Champollion !

Le contact direct avec la civilisation pharaonique s'est perdu durant le Moyen Âge. Cependant une certaine image de l'Égypte, empreinte de mystère, continue à être véhiculée grâce aux textes antiques et arabes ainsi que par quelques épisodes bibliques.

Avec la Renaissance, le souci de redécouvrir l'Antiquité va remettre au goût du jour la civilisation pharaonique. L'étude de l'Égypte ancienne se fera essentiellement à travers les monuments de Rome, les plus remarquables étant les obélisques importés par les empereurs romains.

Un aspect notable est la fascination des humanistes pour les hiéroglyphes, Pour eux, les hiéroglyphes renfermaient un savoir fondamental réservé aux initiés en dehors de toute contingence linguistique, et cela malgré les travaux des arabes et notamment de l’œuvre d’Abu Bakr Ahmad Ibn Wahshiyah (en vente dans toutes les bonnes librairies !) qui avait mené des recherches sur le déchiffrement de l’écriture des égyptiens et qui avait déjà saisi le principe fondamental selon lequel ces signes représentaient des sons et des idées, et non pas des symboles.

Tout a commencé avec Horappollon, ou Horus Apollon, philosophe d’Alexandrie qui a vécu au Ve siècle. Il rédige en copte, Hieroglyphica, un ouvrage en deux livres inspiré des inscriptions provenant de monuments égyptiens. Traduits en grec par un certain Philippos, le texte primitif paraît avoir été passablement déformé. Une copie du manuscrit grec est découverte en 1419, dans l'île d'Andros, par Buondelmonti. Le texte est diffusé à Florence quelques années après puis édité pour la première fois en 1505 à Venise par Alde Manuce.


Fig 1. Une des éditions d’Horapollon, imprimé par Gryphe en 1542, avec la traduction latine de Bernardino Trebatius de Vicence, dont la première édition a été donnée à Paris, en 1521. (1)


Horapollon possédait une connaissance de l'écriture perdue et ses explications du système sont souvent correctes. En revanche, elles sont profondément allégoriques car destinées à un auditoire grec qui a longtemps cru au symbolisme mystique des signes hiéroglyphiques. Seuls treize hiéroglyphes de l'ensemble expliqué par Horapollon se retrouvent dans des textes. Le reste est à l’avenant : « fils » est représenté par une oie en raison de l'amour extrême que les oies ressentent pour leur progéniture plus que les autres animaux ; « ouvrir », par le lièvre qui a toujours les yeux ouverts ; « cinq », par l'étoile, à cause des planètes dont les mouvements règlent la marche du monde, etc …

Les auteurs du XVIe s’emparent de ces allégories et vont en faire des variations de plus en plus ésotériques, et de plus en plus éloignées de l’interprétation des hiéroglyphes. Le plus célèbre de ces traités est l’ouvrage de Pierus Valerian, Hieroglyphica, paru pour la première fois en 1556, dans une édition partielle à Florence, chez Torrentino, et, dans une version complète à Bâle, chez Isingrin ; il fut traduit du latin en français par Pierre Chapuys, tourangeau, dès 1576. (2)


Fig 2. Reliure du XVIe siècle.


Fig 3. Page de titre.

Les Hieroglyphica représentent une somme énorme de 1150 pages, divisée en 58 livres, chacun dédié à un personnage de l’époque ; chaque livre aborde un thème symbolique, l’ensemble couvre tous les domaines du savoir propres à fournir des signes susceptibles de recevoir une interprétation symbolique. On trouve évoqués aussi bien les animaux terrestres, aériens et aquatiques, que les parties du corps humain, les artefacts et les plantes.

Pierus Valerian revendique l’héritage égyptien, tel qu’Horapollon et la tradition gréco-latine l’ont transmis, mais il s’inspire aussi d’Annio da Viterbo et de Francesco Colonna dont l’Hypnerotomachia Poliphili contient des hiéroglyphes qui n’ont d’égyptien que le nom et sont en fait totalement fondés sur les symboles gréco-latins.

Voici quelques exemples, pris au hasard (je n’ai jamais compté le nombre de bois, plusieurs centaines sans doute, et le choix fut difficile) :


Fig 4. L’uni-jambe, tête de cigogne sur pied d’hippopotame, (et oui !) se rencontre parfois dans les forêts de Bourgogne, la nuit uniquement. Umberto Eco en parle dans le périple de Baudolino au royaume du prêtre Jean.


Fig 5. La grue à 2 têtes, pratique pour surveiller le chasseur.


Fig 6. Très rare, le crocodile à plume, qui signifie un homme efféminé et paresseux, ( ?) si vous avez compris pourquoi, merci d’écrire au journal qui transmettra. …


Fig 7. Mon préféré : le Sphinx ou la putain (Lire le commentaire pour comprendre la relation).


Fig 8. La signification de Dieu, qui a une tête de faucon.


Fig 9. Non, ce n’est pas le langage des signes mais la manière de compter chez les Chaldéens (d’où l’expression « compter sur ses doigts »).


Fig 10. Curieuse opposition judéo-chrétienne où l’on comprend (difficilement) qu’il y a pierre et pierre.


Fig 11. La fille ayant les cheveux droits, opposée à la sage coiffure égyptienne, symbole de civilisation, j’imagine.


Fig 12. Le hérisson, heu non pardon, c’est l’homme ! etonning, not ?


J’espère que vous mettrez à profit ce cours d’écriture égyptienne lors de votre prochaine croisière sur le Nil !!

Bonne Journée.
Textor

(1) In-8 de (1) bl 45 pp, mq le dern. f. bl. Velin d’époque.
(2) Commentaires hiéroglyphiques ou Images des choses de Ian Pierus Valerian... Plus deux livres de Coelius Curio... mis en François par Gabriel Chappuis... (Vers par Buttet, Chevigy, Bugnyon, L. de La Ville, A. Du Verdier) (Préf. de B. Honorat) - Lyon, Par Barthelemy Honorat, 1576.
Coll : 2 parties en 1 vol.(1-1bl-18-)548 p. sign. *4, **, a-z, A-Y6, Z4 ; - (1-1bl-2) 402 (i. e. 602-42) p. sign. *2, AA-ZZ, AAa-ZZz, 3Aa-3Hh6 ; ill.


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