lundi 26 janvier 2009

Louis-Sébastien Mercier (1740-1814), un patriote anti-bibliophile.




Peut-on être bon citoyen, fidèle à son pays, bon patriote et anti-bibliophile ?

A cette étrange interrogation, Louis-Sébastien Mercier, l'immortel "livrier" comme il aimait à se dire lui-même, l'inimitable auteur du Tableau de Paris et de l'An 2440, rêve s'il en fût jamais, répond pour nous.

On sait que les amateurs outrés des livres peuvent en devenir les pires des vandales. Les voleurs de livres, les estropieurs de livres, les écorcheurs de reliures, et autres assassins des arts et des lettres existent bien. Mais ceux-ci agissent par folie d'amour. Ils n'en sont pas excusables pour autant mais on peut comprendre à défaut d'admettre.

Mais il existe les vandales frigides, les inamoureux du papier et des reliures, les insensibles de l'objet-livre, bref, les Louis-Sébastien Mercier.

Voici ce qu'on peut rapporter sur cet écrivassier insensible aux charmes bouquiniers.

Louis-Sébastien Mercier, sous la Révolution, allait jusqu'à se plaindre en haut lieu "des gros almanachs royaux reliés en maroquin rouge, avec de l'or antipatriotique sur tous les bouts."

Ennemi acharné de la reliure, il n'aimait que les livres brochés, et l'on racontait que s'il lui arrivait d'acquérir, par hasard et à son grand regret, un ouvrage relié, son premier geste, en arrivant dans son cabinet de travail, était de casser la reliure, aussi belle qu'elle fût, pour en faire ensuite une brochure recouverte de vulgaire papier à chandelle.

Il appelait cela lui "casser le dos"... Un acte franchement révolutionnaire sans doute ?! Lorsque la main est guidée par trop de passion... elle peut produite le pire.

Voici d'ailleurs une épigramme lancée contre lui à l'époque à ce sujet :

Mercier, en déclamant contre la reliure,
Pour sa peau craindrait-il un jour?
Que ce grand homme se rassure,
On n'en peut faire qu'un tambour. (1)

C'était dire la vérité en riant. Du moins, Mercier ne cherchait que le bruit en se singularisant par ses écrits, ses actions et ses discours. Il avouait avec franchise qu'il se trompait souvent ; "mais ajoutait-il, il faut bien secouer l'arbre aux idées." Et sur ce dernier point on ne peut que lui donner raison.

Mercier n'était donc ni bibliophile et encore moins bibliomane. Gageons que l'amateur qui trouvera demain une belle reliure de maroquin portant la signature du "livrier" sera un heureux veinard... si ce livre existe jamais ?!

(1) Annuaire du bibliophile, du bibliothécaire et de l'archiviste, Miscéllanées, Louis Lacour. 1860. p. 108.

Bonne semaine,
Bertrand

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