Le dernier commentaire de l'ami Jean-Marc m'invite à vous livrer encore quelques considérations sur la bibliothèque d'Etienne Baluze. Les textes qui vont suivre sont extraits de l'introduction du "Catalogue des manuscrits de la collection Baluze" (Paris, éd. Ernest Leroux, 1921), par Lucien Auvray (1860-1937), bibliothécaire au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, et René Poupardin (1874-1927), bibliothécaire honoraire au département des manuscrits, secrétaire de l'école des chartes.
"La bibliothèque de Baluze, une des collections de livres et de manuscrits les plus considérables qu'un particulier ait jamais formées jouissait, de son vivant, d'une grande réputation, en dehors même du monde des érudits, et l'on pouvait légitimement se préoccuper de ce qu'elle deviendrait après sa mort.
En 1705, ou peu avant cette date, le duc de Bouillon proposa à Baluze de lui céder ses livres par testament, à un prix fixé d'avance ; cette offre ne fut pas acceptée. C'est au cardinal de Bouillon, frère du duc, que Baluze semble avoir, un moment, destiné ses chartes et papiers ; il avait eu la pensée de les lui léguer, à charge de donner 10.000 livres à ses héritiers. La mort du cardinal, survenue en 1715, ayant fait avorter ce projet, Baluze entama avec les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés des pourparlers qui n'aboutirent pas davantage.
Deux ans plus tard, en 1717, il fut question d'acheter ces collections pour le compte du roi ; rien n'était conclu encore, quand la mort vint frapper Baluze (28 juillet 1718). Au reste, Baluze n'avait pas attendu les années de son extrême vieillesse pour prendre ses dispositions testamentaires, notamment en ce qui concerne sa bibliothèque. En vertu d'un premier testament, en date du 24 avril 1704, il instituait son légataire universel celui des enfants mâles nés ou à naître du mariage de François Le Maire, banquier expéditionnaire en cour de Rome, et de Geneviève-Madeleine Muguet, son épouse, que ledit sieur Le Maire aurait choisi.
La dame Le Maire était l'un des sept enfants de François Muguet, décédé en 1702, longtemps imprimeur du roi ; c'est de ses presses qu'étaient sortis presque tous les ouvrages de Baluze, et une étroite amitié avait fini par unir le savant et son imprimeur. Un second testament, rédigé douze ans plus tard, et daté du 25 mai 1716, devait modifier notablement certaines des dispositions du premier. Cette fois, c'est la dame Le Maire elle-même, devenue veuve dans l'intervalle, que Baluze fait sa légatrice universelle ; et il spécifie, ce qui n'était pas dit aussi précisément dans le testament de 1704, que, dans ce legs universel, il comprend sa bibliothèque et ses papiers. Dans ce testament de 1704, le testateur défend expressément la vente en gros de ses livres, ordonnant qu'ils soient vendus en détail, afin que les curieux en puissent avoir leur part. Cette clause se retrouve textuellement dans le testament de 1716, mais avec cette restriction, qui pouvait être, et qui fut, en effet, grosse de conséquences : « J'excepte néanmoins de cette prohibition ma bibliothèque de manuscrits, au cas qu'il se trouve quelqu'un qui les veuille acheter en gros. » Dans le testament de 1704, Baluze exprime seulement le désir qu'après son décès, il ne soit fait aucun inventaire de ses « papiers de littérature ».
Dans le testament de 1716, l'expression de ce désir devient une prohibition absolue : « Je deffends et prohibe expressément, y lisons-nous, de faire inventaire de mes papiers de littérature et autres, qui sont dans les trois armoires garnies de fil d'archal. (fil de fer)»
Notons, en passant, que cette absence d'inventaire a dû singulièrement favoriser la dispersion d'une partie des papiers de Baluze, dont beaucoup sont venus enrichir diverses collections publiques ou privées.
Enfin, à ce testament de 1716, était joint une sorte de codicille, relatif à la vente des livres prescrite par ce testament, et dans lequel nous lisons ; « Si je venois à mourir, il ne faudroit pas vendre mes livres aux libraires, mais faire imprimer... le catalogue in-quarto... Il faudra les vendre selon l'ordre de l'inventaire A l'esgard de mes papiers, il les faut garder tous ensemble pour attendre une occasion favorable d'en tirer une partie de ce qu'ils valent... Mais il ne faut pas vendre les deux portefeuilles de mes lettres latines, ni les paquets d'autres lettres à moi escrites. »
Le catalogue dont Baluze avait prescrit l'impression, parut, en 1719, sous le titre, dont il avait donné lui-même le modèle, de Bibliolheca Baluziana chez le libraire Gabriel Martin. Ce catalogue annonçait près de 11.000 ouvrages imprimés, 957 manuscrits, environ 700 chartes et une masse imposante de Collectanea, formant le contenu des sept célèbres armoires. Les livres imprimés furent vendus en détail, conformément à la volonté du défunt. Quant aux collections manuscrites, la publication du catalogue de Gabriel Martin avait rendu urgente la nécessité d'une solution en ce qui les concernait ; et, en vue de l'acquisition qui pourrait en être faite par la Bibliothèque du roi, l'abbé de Targny, garde de la Bibliothèque, rédigea, sur les collections manuscrites de Baluze et la nature des documents qu'elles contenaient, quelques notes conservées en minute dans le manuscrit nouv. acq. franc. 5622, fol. 2-3. On entra donc en pourparlers avec la principale héritière de Baluze.
Les manuscrits, chartes et documents des armoires furent estimés 16.000 livres ; la dame Le Maire n'accepta pas l'évaluation des experts, qui étaient Bernard de Montfaucon et le P. Lelong ; elle se fît donner 50.000 livres pour céder à la Bibliothèque du roi l'ensemble des collections manuscrites dont l'inventaire remplit le troisième volume de la Bibliotheca Baluziana. Ces collections furent livrées à l'abbé Bignon, qui venait de succéder à l'abbé de Louvois dans la charge de maître de la Librairie, le 17 septembre 1719. Les manuscrits du « fonds Baluze », formant la tête de la troisième partie de la Bibliotheca Baluziana, furent répartis, d'après la langue dans laquelle ils étaient écrits, parmi les divers fonds de manuscrits de la Bibliothèque ; mais les chartes et papiers des armoires (deuxième et troisième portions de cette troisième partie de la Bibliotheca Baluziana) continuèrent d'avoir une existence à part ; et c'est l'ensemble de ces deux séries de documents, qui constitue la « collection Baluze » (...)."
Pour les plus curieux, vous pourrez lire comment la Bibliothèque Baluze fut cataloguée et étudiée en détail au cours des siècles qui suivirent, ICI. Vous pouvez également consulter ce catalogue en version électronique à feuilleter comme un vrai livre ICI.
Enfin, n'oubliez pas de lire notre billet d'hier consacré à un livre ayant appartenu à Etienne Baluze.
Bonne lecture,
Bertrand
"La bibliothèque de Baluze, une des collections de livres et de manuscrits les plus considérables qu'un particulier ait jamais formées jouissait, de son vivant, d'une grande réputation, en dehors même du monde des érudits, et l'on pouvait légitimement se préoccuper de ce qu'elle deviendrait après sa mort.
En 1705, ou peu avant cette date, le duc de Bouillon proposa à Baluze de lui céder ses livres par testament, à un prix fixé d'avance ; cette offre ne fut pas acceptée. C'est au cardinal de Bouillon, frère du duc, que Baluze semble avoir, un moment, destiné ses chartes et papiers ; il avait eu la pensée de les lui léguer, à charge de donner 10.000 livres à ses héritiers. La mort du cardinal, survenue en 1715, ayant fait avorter ce projet, Baluze entama avec les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés des pourparlers qui n'aboutirent pas davantage.
Deux ans plus tard, en 1717, il fut question d'acheter ces collections pour le compte du roi ; rien n'était conclu encore, quand la mort vint frapper Baluze (28 juillet 1718). Au reste, Baluze n'avait pas attendu les années de son extrême vieillesse pour prendre ses dispositions testamentaires, notamment en ce qui concerne sa bibliothèque. En vertu d'un premier testament, en date du 24 avril 1704, il instituait son légataire universel celui des enfants mâles nés ou à naître du mariage de François Le Maire, banquier expéditionnaire en cour de Rome, et de Geneviève-Madeleine Muguet, son épouse, que ledit sieur Le Maire aurait choisi.
La dame Le Maire était l'un des sept enfants de François Muguet, décédé en 1702, longtemps imprimeur du roi ; c'est de ses presses qu'étaient sortis presque tous les ouvrages de Baluze, et une étroite amitié avait fini par unir le savant et son imprimeur. Un second testament, rédigé douze ans plus tard, et daté du 25 mai 1716, devait modifier notablement certaines des dispositions du premier. Cette fois, c'est la dame Le Maire elle-même, devenue veuve dans l'intervalle, que Baluze fait sa légatrice universelle ; et il spécifie, ce qui n'était pas dit aussi précisément dans le testament de 1704, que, dans ce legs universel, il comprend sa bibliothèque et ses papiers. Dans ce testament de 1704, le testateur défend expressément la vente en gros de ses livres, ordonnant qu'ils soient vendus en détail, afin que les curieux en puissent avoir leur part. Cette clause se retrouve textuellement dans le testament de 1716, mais avec cette restriction, qui pouvait être, et qui fut, en effet, grosse de conséquences : « J'excepte néanmoins de cette prohibition ma bibliothèque de manuscrits, au cas qu'il se trouve quelqu'un qui les veuille acheter en gros. » Dans le testament de 1704, Baluze exprime seulement le désir qu'après son décès, il ne soit fait aucun inventaire de ses « papiers de littérature ».
Dans le testament de 1716, l'expression de ce désir devient une prohibition absolue : « Je deffends et prohibe expressément, y lisons-nous, de faire inventaire de mes papiers de littérature et autres, qui sont dans les trois armoires garnies de fil d'archal. (fil de fer)»
Notons, en passant, que cette absence d'inventaire a dû singulièrement favoriser la dispersion d'une partie des papiers de Baluze, dont beaucoup sont venus enrichir diverses collections publiques ou privées.
Enfin, à ce testament de 1716, était joint une sorte de codicille, relatif à la vente des livres prescrite par ce testament, et dans lequel nous lisons ; « Si je venois à mourir, il ne faudroit pas vendre mes livres aux libraires, mais faire imprimer... le catalogue in-quarto... Il faudra les vendre selon l'ordre de l'inventaire A l'esgard de mes papiers, il les faut garder tous ensemble pour attendre une occasion favorable d'en tirer une partie de ce qu'ils valent... Mais il ne faut pas vendre les deux portefeuilles de mes lettres latines, ni les paquets d'autres lettres à moi escrites. »
Le catalogue dont Baluze avait prescrit l'impression, parut, en 1719, sous le titre, dont il avait donné lui-même le modèle, de Bibliolheca Baluziana chez le libraire Gabriel Martin. Ce catalogue annonçait près de 11.000 ouvrages imprimés, 957 manuscrits, environ 700 chartes et une masse imposante de Collectanea, formant le contenu des sept célèbres armoires. Les livres imprimés furent vendus en détail, conformément à la volonté du défunt. Quant aux collections manuscrites, la publication du catalogue de Gabriel Martin avait rendu urgente la nécessité d'une solution en ce qui les concernait ; et, en vue de l'acquisition qui pourrait en être faite par la Bibliothèque du roi, l'abbé de Targny, garde de la Bibliothèque, rédigea, sur les collections manuscrites de Baluze et la nature des documents qu'elles contenaient, quelques notes conservées en minute dans le manuscrit nouv. acq. franc. 5622, fol. 2-3. On entra donc en pourparlers avec la principale héritière de Baluze.
Les manuscrits, chartes et documents des armoires furent estimés 16.000 livres ; la dame Le Maire n'accepta pas l'évaluation des experts, qui étaient Bernard de Montfaucon et le P. Lelong ; elle se fît donner 50.000 livres pour céder à la Bibliothèque du roi l'ensemble des collections manuscrites dont l'inventaire remplit le troisième volume de la Bibliotheca Baluziana. Ces collections furent livrées à l'abbé Bignon, qui venait de succéder à l'abbé de Louvois dans la charge de maître de la Librairie, le 17 septembre 1719. Les manuscrits du « fonds Baluze », formant la tête de la troisième partie de la Bibliotheca Baluziana, furent répartis, d'après la langue dans laquelle ils étaient écrits, parmi les divers fonds de manuscrits de la Bibliothèque ; mais les chartes et papiers des armoires (deuxième et troisième portions de cette troisième partie de la Bibliotheca Baluziana) continuèrent d'avoir une existence à part ; et c'est l'ensemble de ces deux séries de documents, qui constitue la « collection Baluze » (...)."
Pour les plus curieux, vous pourrez lire comment la Bibliothèque Baluze fut cataloguée et étudiée en détail au cours des siècles qui suivirent, ICI. Vous pouvez également consulter ce catalogue en version électronique à feuilleter comme un vrai livre ICI.
Enfin, n'oubliez pas de lire notre billet d'hier consacré à un livre ayant appartenu à Etienne Baluze.
Bonne lecture,
Bertrand