Chers amis bouquineurs,
je n'ai moi-même pratiquement jamais utilisé ce terme de bouquinier, et pourtant, il semble bien avoir sa place dans la lexicographie bouquinière, comme vous allez le lire plus loin.
Qu'est-ce qu'un bouquinier ?
"Le commerce des Bouquiniers et toutes leurs connaissances ne s'étendent qu'à acheter au nombre, au poids et à vil prix des livres dont ils ne connaissent ni le mérite ni la valeur. Ces livres sont ensuite exposés en vente et livrés au plus offrant ; on peut sans craindre aucun refus s'approvisionner dans ces sortes de boutiques des livres les plus mauvais ; les jeunes gens y sont reçus comme les gens d'un âge mûr ; la considération des mœurs et la proscription des livres ne gênent point le Bouquinier, son ignorance est son excuse. Il n'est point de précautions que le Législateur n'ait prises pour prévenir de semblables abus ; ces précautions ont été portées au point qu'il est défendu aux Auteurs de vendre leurs propres ouvrages. Comment donc les Revendeurs de Rennes (1), connus sous le nom respectable de Bouquiniers, c'est à-dire de gens sans lettres, sans connaissances de la langue dans laquelle sont écrits plusieurs des livres qu'ils vendent, des gens sans biens et sans aveu, que leur entière indigence met à l'abri de la rigueur des Loix ; comment ces gens osent-ils demander à la Cour qu'elle les autorise à distribuer indifféremment, comme ils le font journellement, à des Écoliers, à des jeunes gens et à toutes sortes de personnes, des livres bons ou mauvais, approuvés ou proscrits, sur le genre desquels ils n'ont d'autre connaissance que le poids et le format.
La facilité avec laquelle les Bouquiniers achètent toutes sortes de livres est pour les jeunes gens une tentation violente à laquelle il est difficile qu'ils résistent ; les Écoliers vendent leurs livres à vil prix, et ils en sont quittes pour dire qu'ils les ont perdus. Cette ressource épuisée, les livres des parents en offrent une autre ; c'est principalement par ce moyen que se remplissent les magasins des Bouquiniers ; aussi ont-ils bien l'attention de se placer dans le voisinage des Collèges, comme le lieu le plus propre à leur commerce. Le nombre des Bouquiniers augmente chaque jour, et par conséquent le mal s'accroît ; leur commerce n'est point un fait modique, on a trouvé chez la Halloche environ 600 volumes, et chez la Bougot 1564 ; on peut même raisonnablement penser que la Communauté n'a pas tout saisi, par ce qu'il ne lui a pas été possible de tout découvrir ; le plus grand nombre des livres saisis a été trouvé dans des chambres particulières, dans des endroits retirés et secrets qui n'ont été découverts que par hasard ; en général, il n'est point de Bouquinier qui n'ait de ces sortes d'entrepôts et de magasins pour se mettre à l'abri des poursuites, des recherches et de la vigilance des Magistrats ; c'est là qu'ils conduisent en secret les acheteurs, et où se fait le commerce clandestin et frauduleux qu'on n'oserait faire paraître au grand jour ; aussi au premier avis de la descente faite chez la Bougot et la Halloche, tous les livres des autres Bouquiniers disparurent, et il ne fut plus possible de les trouver. Les Bouquiniers portent encore la témérité au point d'aller faire en Ville et en Campagne des descriptions et prisages des livres ; le moindre inconvénient est d'y donner une fausse valeur. Après le décès du Recteur de Saint Jacques de la Lande, ses livres furent prisés par un Bouquinier qui estima à 24 livres, la Grande Bible de Carrieres, connue sous le nom de Bible des Sçavans en 14 volumes in quarto tous neufs et biens conditionnés ; elle valait au moins 120 livres. Ce nouvel abus est formellement proscrit par l'article 114 du Règlement de 1723. Les Bouquiniers n'opposent à toutes ces raisons et à toutes ces Loix que l'usage où ils sont d'y contrevenir ; si leurs contraventions ont été multipliées, ce n'est pas la faute de la Communauté, dans tous les tems elle s'est élevée contre un pareil abus, elle a fait saisir et vendre les livres des Bouquiniers, mais rien n'a été capable de les arrêter ; quand l'orage gronde ils se mettent à couvert, et ils reparoissent aussi-tôt que le tems leur paroît plus calme et plus serein ; il faudroit tous les jours être en visite et en descente. Un usage pareil n'est certainement qu'un abus auquel il faut remédier plus efficacement, par ce que le mal est plus invétéré. Les précautions que les Juges de Police indiquent sont véritablement très-prudentes et très-sages, mais elles sont absolument insuffisantes. L'obligation d'avoir un livre de marque, l'insertion des achats, l'attestation du vendeur, les défenses d'acheter avec des personnes suspectes, toutes ces dispositions qui supposent, contre toute règle, l'état du Bouquinier autorisé et permis, seraient impraticables dans l'exécution, par ce que les Bouquiniers n'ont que trop de moyens pour les éluder ; des voisins, des amis se prêtent facilement à favoriser leur commerce clandestin, les livres paroîtront toujours vendus par des chefs de famille, il sera facile de latiter ceux qu'on ne voudra pas faire paroitre ; et le commerce des Bouquiniers continuera sur le même pied où il a été fait au passé. D'ailleurs, on ne voit pas de raison pour obliger les Libraires de partager avec les Bouquiniers le privilège qui leur est acquis par l'apprentissage et la réception."
Ce texte est signé de Maître Estin avocat, Le Sénéchal, procureur, Le Prestre, avocat général. A l'occasion d'une "Requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement." dont voici l'intitulé et la teneur :
"Requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement. Monseigneur, Qu'il vous plaise avoir pour recommandé le bon droit de la Communauté des Maîtres Imprimeurs et Libraires de la ville de Rennes, intimée, et de sa part appellante à minima de Sentence rendue au Siège Royal de la Police à Rennes le 22 janvier 1763 et de tout ce qui a été fait à son préjudice. Contre Jeanne Bougot, femme et autorisée de François Jardinier, Appellante et Intimée Et Mathurine-Jeanne Halloche, fille majeure, aussi Intimée. Par procès-verbal des 2 et 3 août 1762, la Communauté des Maîtres Imprimeurs et Libraires a fait saisir chez la Bougot et la Halloche une très-grande quantité de Livres que ces particulières avaient lors exposé en vente, sans autre droit et sans autre titre que la qualité de Marchandes Bouquinières qu'elles s'arrogent de leur seule autorité : elles ont fait assigner la Communauté au Siège Royal de la Police à Rennes, pour obtenir mainlevée et restitution des Livres saisis. Après les défenses fournies par la Communauté, Sentence est intervenue le 22 janvier 1763, par laquelle les Juges Royaux de Police, 1° ont donné main-levée des livres qui se trouveraient inscrits et portés sur les livres de marque de la Bougot et de la Halloche ; 2° confiscation est jugée de tous les livres qui n'y seront point employés ; 3° défenses sont faites à tous Bouquiniers d'acheter et revendre d'autres livres que ceux qu'ils auront reçu des chefs de famille, après en avoir fait sur leur livre de marque une insertion exacte, certifiée véritable par les vendeurs. Jeanne Bougot a relevé appel de ce Jugement, La Halloche a senti qu'il lui était trop favorable pour oser réclamer, mais la Communauté, dont les droits se trouvent essentiellement blessés, n'a pu voir d'un œil tranquille qu'on ait donné aux Bouquiniers un état qui leur avait été constamment refusé dans tous les temps ; un état qui ne présente pour les particuliers et pour le public que des inconvénients et les suites les plus fâcheuses ; un état qui n'est lui-même qu'un véritable abus proscrit par toutes les Loix. La Communauté guidée par des vues d'utilité publique, comme par les motifs de son intérêt personnel, est appellante à minima contre Jeanne Bougot, première appellante, et directement contre Jeanne Halloche, qui n'a pas relevé appel. La question consiste à sçavoir si la Justice et les Loix peuvent autoriser l'espèce de regrat que les Bouquiniers veulent, introduire dans la Librairie ; ce sont les termes dont se servoit Mr D'Aguesseau dans une circonstance toute semblable à celle qui s'offre. La Librairie n'est point une de ces professions indifférentes, dont l'exercice puisse être confié à toutes sortes de personnes sans discernement et sans choix; elle exige des connaissances qui lui sont particulières, connaissances dont l'utilité et la nécessité ont porté Sa Majesté à déterminer par des Réglements positifs la durée de l'apprentissage, la matière des examens, la nature des épreuves, la forme des réceptions, et le tout est suivi d'un serment juridique ; c'est à ces seules conditions que la Loi ouvre aux aspirants la faculté de faire un commerce aussi intéressant. Les Imprimeurs et Libraires de la Ville de Rennes ont leurs Chartres et Statuts revêtus de Lettres Patentes, vérifiés et enregistrés au Parlement les 17 Avril 1624 et 4 Mars 1678; L'article 21 est icy la Loi qui décide, il porte : « Semblablement défenses sont faites à toutes « personnes, s'ils n'ont fait apprentissage dudit Art eu « ladite Ville de Rennes, de tenir boutique ou magasin « de livres en la Ville ou Fauxbourgs de Rennes, acheter « ou revendre en gros ou détail aucuns livres blancs ou « reliés, vieux ou neufs, à toutes sortes d'usages, comme « Heures, Breviaires, Missels, Prières, et généralement « tout papier imprimé, fors les Almanachs et ABC, « comme il a été ci-devant permis, à peine de confiscation « de ce qu'il sera trouvé de marchandises et des dépens.» Tous les autres articles s'unissent à celui que l'on vient de rapporter pour défendre le commerce des livres à tous ceux qui n'ont point fait apprentissage et n'ont pas été reçus Maîtres. L'article 4 du Règlement arrêté au Conseil d'État du Roy le 28 février 1723 répète les mêmes défenses et dans les mêmes termes, si ce n'est qu'il ajoute la peine de 500 livres d'amende, de confiscation et de punition exemplaire. Ce Règlement a été rendu commun pour toute la France par Arrêt du Conseil du 24 mars 1744 et l'auteur de la Conférence a rassemblé sur cet article des loix anciennes et nouvelles en nombre infini qui y sont toutes conformes et relatives."
Ces questions m'ont parues plus que jamais intéressantes à remettre en lumière ; qui de nous en effet n'a pas vu œuvrer de ces bouquiniers, encore aujourd'hui ? Qu'en penser ? Les blâmer ou les soutenir ?
(1) Extrait de la requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement. 1763. Publiée dans le Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Villaine, Tome XXXVII, première partie, 1907, pp. 211 et suivantes.
Merci d'avoir eu la patience de lire ce long billet jusqu'au bout,
bonne journée,
Bertrand
je n'ai moi-même pratiquement jamais utilisé ce terme de bouquinier, et pourtant, il semble bien avoir sa place dans la lexicographie bouquinière, comme vous allez le lire plus loin.
Qu'est-ce qu'un bouquinier ?
"Le commerce des Bouquiniers et toutes leurs connaissances ne s'étendent qu'à acheter au nombre, au poids et à vil prix des livres dont ils ne connaissent ni le mérite ni la valeur. Ces livres sont ensuite exposés en vente et livrés au plus offrant ; on peut sans craindre aucun refus s'approvisionner dans ces sortes de boutiques des livres les plus mauvais ; les jeunes gens y sont reçus comme les gens d'un âge mûr ; la considération des mœurs et la proscription des livres ne gênent point le Bouquinier, son ignorance est son excuse. Il n'est point de précautions que le Législateur n'ait prises pour prévenir de semblables abus ; ces précautions ont été portées au point qu'il est défendu aux Auteurs de vendre leurs propres ouvrages. Comment donc les Revendeurs de Rennes (1), connus sous le nom respectable de Bouquiniers, c'est à-dire de gens sans lettres, sans connaissances de la langue dans laquelle sont écrits plusieurs des livres qu'ils vendent, des gens sans biens et sans aveu, que leur entière indigence met à l'abri de la rigueur des Loix ; comment ces gens osent-ils demander à la Cour qu'elle les autorise à distribuer indifféremment, comme ils le font journellement, à des Écoliers, à des jeunes gens et à toutes sortes de personnes, des livres bons ou mauvais, approuvés ou proscrits, sur le genre desquels ils n'ont d'autre connaissance que le poids et le format.
La facilité avec laquelle les Bouquiniers achètent toutes sortes de livres est pour les jeunes gens une tentation violente à laquelle il est difficile qu'ils résistent ; les Écoliers vendent leurs livres à vil prix, et ils en sont quittes pour dire qu'ils les ont perdus. Cette ressource épuisée, les livres des parents en offrent une autre ; c'est principalement par ce moyen que se remplissent les magasins des Bouquiniers ; aussi ont-ils bien l'attention de se placer dans le voisinage des Collèges, comme le lieu le plus propre à leur commerce. Le nombre des Bouquiniers augmente chaque jour, et par conséquent le mal s'accroît ; leur commerce n'est point un fait modique, on a trouvé chez la Halloche environ 600 volumes, et chez la Bougot 1564 ; on peut même raisonnablement penser que la Communauté n'a pas tout saisi, par ce qu'il ne lui a pas été possible de tout découvrir ; le plus grand nombre des livres saisis a été trouvé dans des chambres particulières, dans des endroits retirés et secrets qui n'ont été découverts que par hasard ; en général, il n'est point de Bouquinier qui n'ait de ces sortes d'entrepôts et de magasins pour se mettre à l'abri des poursuites, des recherches et de la vigilance des Magistrats ; c'est là qu'ils conduisent en secret les acheteurs, et où se fait le commerce clandestin et frauduleux qu'on n'oserait faire paraître au grand jour ; aussi au premier avis de la descente faite chez la Bougot et la Halloche, tous les livres des autres Bouquiniers disparurent, et il ne fut plus possible de les trouver. Les Bouquiniers portent encore la témérité au point d'aller faire en Ville et en Campagne des descriptions et prisages des livres ; le moindre inconvénient est d'y donner une fausse valeur. Après le décès du Recteur de Saint Jacques de la Lande, ses livres furent prisés par un Bouquinier qui estima à 24 livres, la Grande Bible de Carrieres, connue sous le nom de Bible des Sçavans en 14 volumes in quarto tous neufs et biens conditionnés ; elle valait au moins 120 livres. Ce nouvel abus est formellement proscrit par l'article 114 du Règlement de 1723. Les Bouquiniers n'opposent à toutes ces raisons et à toutes ces Loix que l'usage où ils sont d'y contrevenir ; si leurs contraventions ont été multipliées, ce n'est pas la faute de la Communauté, dans tous les tems elle s'est élevée contre un pareil abus, elle a fait saisir et vendre les livres des Bouquiniers, mais rien n'a été capable de les arrêter ; quand l'orage gronde ils se mettent à couvert, et ils reparoissent aussi-tôt que le tems leur paroît plus calme et plus serein ; il faudroit tous les jours être en visite et en descente. Un usage pareil n'est certainement qu'un abus auquel il faut remédier plus efficacement, par ce que le mal est plus invétéré. Les précautions que les Juges de Police indiquent sont véritablement très-prudentes et très-sages, mais elles sont absolument insuffisantes. L'obligation d'avoir un livre de marque, l'insertion des achats, l'attestation du vendeur, les défenses d'acheter avec des personnes suspectes, toutes ces dispositions qui supposent, contre toute règle, l'état du Bouquinier autorisé et permis, seraient impraticables dans l'exécution, par ce que les Bouquiniers n'ont que trop de moyens pour les éluder ; des voisins, des amis se prêtent facilement à favoriser leur commerce clandestin, les livres paroîtront toujours vendus par des chefs de famille, il sera facile de latiter ceux qu'on ne voudra pas faire paroitre ; et le commerce des Bouquiniers continuera sur le même pied où il a été fait au passé. D'ailleurs, on ne voit pas de raison pour obliger les Libraires de partager avec les Bouquiniers le privilège qui leur est acquis par l'apprentissage et la réception."
Ce texte est signé de Maître Estin avocat, Le Sénéchal, procureur, Le Prestre, avocat général. A l'occasion d'une "Requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement." dont voici l'intitulé et la teneur :
"Requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement. Monseigneur, Qu'il vous plaise avoir pour recommandé le bon droit de la Communauté des Maîtres Imprimeurs et Libraires de la ville de Rennes, intimée, et de sa part appellante à minima de Sentence rendue au Siège Royal de la Police à Rennes le 22 janvier 1763 et de tout ce qui a été fait à son préjudice. Contre Jeanne Bougot, femme et autorisée de François Jardinier, Appellante et Intimée Et Mathurine-Jeanne Halloche, fille majeure, aussi Intimée. Par procès-verbal des 2 et 3 août 1762, la Communauté des Maîtres Imprimeurs et Libraires a fait saisir chez la Bougot et la Halloche une très-grande quantité de Livres que ces particulières avaient lors exposé en vente, sans autre droit et sans autre titre que la qualité de Marchandes Bouquinières qu'elles s'arrogent de leur seule autorité : elles ont fait assigner la Communauté au Siège Royal de la Police à Rennes, pour obtenir mainlevée et restitution des Livres saisis. Après les défenses fournies par la Communauté, Sentence est intervenue le 22 janvier 1763, par laquelle les Juges Royaux de Police, 1° ont donné main-levée des livres qui se trouveraient inscrits et portés sur les livres de marque de la Bougot et de la Halloche ; 2° confiscation est jugée de tous les livres qui n'y seront point employés ; 3° défenses sont faites à tous Bouquiniers d'acheter et revendre d'autres livres que ceux qu'ils auront reçu des chefs de famille, après en avoir fait sur leur livre de marque une insertion exacte, certifiée véritable par les vendeurs. Jeanne Bougot a relevé appel de ce Jugement, La Halloche a senti qu'il lui était trop favorable pour oser réclamer, mais la Communauté, dont les droits se trouvent essentiellement blessés, n'a pu voir d'un œil tranquille qu'on ait donné aux Bouquiniers un état qui leur avait été constamment refusé dans tous les temps ; un état qui ne présente pour les particuliers et pour le public que des inconvénients et les suites les plus fâcheuses ; un état qui n'est lui-même qu'un véritable abus proscrit par toutes les Loix. La Communauté guidée par des vues d'utilité publique, comme par les motifs de son intérêt personnel, est appellante à minima contre Jeanne Bougot, première appellante, et directement contre Jeanne Halloche, qui n'a pas relevé appel. La question consiste à sçavoir si la Justice et les Loix peuvent autoriser l'espèce de regrat que les Bouquiniers veulent, introduire dans la Librairie ; ce sont les termes dont se servoit Mr D'Aguesseau dans une circonstance toute semblable à celle qui s'offre. La Librairie n'est point une de ces professions indifférentes, dont l'exercice puisse être confié à toutes sortes de personnes sans discernement et sans choix; elle exige des connaissances qui lui sont particulières, connaissances dont l'utilité et la nécessité ont porté Sa Majesté à déterminer par des Réglements positifs la durée de l'apprentissage, la matière des examens, la nature des épreuves, la forme des réceptions, et le tout est suivi d'un serment juridique ; c'est à ces seules conditions que la Loi ouvre aux aspirants la faculté de faire un commerce aussi intéressant. Les Imprimeurs et Libraires de la Ville de Rennes ont leurs Chartres et Statuts revêtus de Lettres Patentes, vérifiés et enregistrés au Parlement les 17 Avril 1624 et 4 Mars 1678; L'article 21 est icy la Loi qui décide, il porte : « Semblablement défenses sont faites à toutes « personnes, s'ils n'ont fait apprentissage dudit Art eu « ladite Ville de Rennes, de tenir boutique ou magasin « de livres en la Ville ou Fauxbourgs de Rennes, acheter « ou revendre en gros ou détail aucuns livres blancs ou « reliés, vieux ou neufs, à toutes sortes d'usages, comme « Heures, Breviaires, Missels, Prières, et généralement « tout papier imprimé, fors les Almanachs et ABC, « comme il a été ci-devant permis, à peine de confiscation « de ce qu'il sera trouvé de marchandises et des dépens.» Tous les autres articles s'unissent à celui que l'on vient de rapporter pour défendre le commerce des livres à tous ceux qui n'ont point fait apprentissage et n'ont pas été reçus Maîtres. L'article 4 du Règlement arrêté au Conseil d'État du Roy le 28 février 1723 répète les mêmes défenses et dans les mêmes termes, si ce n'est qu'il ajoute la peine de 500 livres d'amende, de confiscation et de punition exemplaire. Ce Règlement a été rendu commun pour toute la France par Arrêt du Conseil du 24 mars 1744 et l'auteur de la Conférence a rassemblé sur cet article des loix anciennes et nouvelles en nombre infini qui y sont toutes conformes et relatives."
Ces questions m'ont parues plus que jamais intéressantes à remettre en lumière ; qui de nous en effet n'a pas vu œuvrer de ces bouquiniers, encore aujourd'hui ? Qu'en penser ? Les blâmer ou les soutenir ?
(1) Extrait de la requête des Imprimeurs et Libraires de Rennes au Parlement. 1763. Publiée dans le Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Villaine, Tome XXXVII, première partie, 1907, pp. 211 et suivantes.
Merci d'avoir eu la patience de lire ce long billet jusqu'au bout,
bonne journée,
Bertrand