Au delà de tous les livres qui ont été écrits, comme celui-ci,
sur la bibliophilie et son apprentissage,
c'est avant tout le livre qu'il faut toucher et par lui qu'il faut être touché.
Chers amis jeunes et moins jeunes bibliophiles,
j'ai été interpellé hier (pas par la police rassurez-vous...) par un fidèle lecteur du Bibliomane moderne sur le fait que les bibliophiles étaient vieillissants et qu'il fallait peut-être penser à "revitaliser la bibliophilie avant qu'elle ne meure".
La discussion et l'échange entre bibliophiles, débutants ou confirmés, érudits, curieux, vieux ou jeunes est une évidence pour moi, et ce afin de "transmettre" l'envie, la passion. Maintenant, je reconnais que cela m'a fait réfléchir sur cet état de fait : la bibliophile est-elle en train de mourir ? Si oui, des blogs comme le Bibliomane moderne, peuvent-ils y contribuer ?
Évidemment, ce serait tout le contraire de l'objectif de départ qui est de mettre en avant, à travers ma passion pour le livre et celle de mon ami Xavier et de nos autres amis qui interviennent sur ce blog, l'amour du livre à travers une exacerbation de votre curiosité. Je ne sais donc pas très bien si l'objectif est atteint ou complètement dévoyé. J'aime à penser que ce que je vous livre chaque jour n'est pas d'une inutilité absolue et que, jeunes ou vieux, les non-bibliophiles qui nous lisent chaque jour auront ce "déclic" indispensable qui rend fou (des livres).
Pour que l'alchimie opère il faut lire plus d'une fois ce blog, y venir et y revenir régulièrement, prendre le temps de se plonger dans les vieux catalogues de libraires ou de ventes aux enchères des années passées, devenir assez curieux pour avoir envie de savoir ce que veut dire "in-12", "maroquin" ou "premier état". Je sais, je pourrais aussi faire des messages à caractère pédagogique en ce sens, en un mot "enseigner" la bibliophilie. J'avoue que ce n'est ni mon envie, ni la ligne que nous avons souhaité donner au Bibliomane moderne.
Nous ne souhaitons pas faire "école de bibliophilie". Nous sommes passionnés, nous exprimons notre passion ; qui nous aime nous suive ; le chemin est long, sinueux, accidenté, semé d'embûches ; tout comme une initiation, toujours un peu fastidieuse au début, cela nécessite volonté, persévérance, abnégation, et autres sévères prédispositions caractérielles (je plaisante...).
Tout ceci pour dire que j'avais envie, pour faire suite à cette interpellation, de vous livrer quelques conseils aux jeunes bibliophiles qui sortent de la plume de Jules Le Petit, savant bibliographe du XIXe siècle et auteur d'un ouvrage à lire : "L'art d'aimer les livres et de les connaître, Lettres à un jeune bibliophile" P., , 1884. Voici l'extrait qui convient, je pense, à ce que nous voulons montrer ici.
"On ne commence à devenir bibliophile que lorsque le goût de la lecture s’étant épuré, et le jugement étant venu tempérer l’imagination, on éprouve le besoin de relire de temps en temps, avec plus d’attention, certains ouvrages dont le sujet ou le style nous ont plu. C’est l’art, pour ainsi dire, que l’on cherche dans un livre qu’on lit de nouveau, c’est la forme du style, c’est l’ornementation des pensées, c’est leur vêtement, ce sont les broderies riches ou légères dont elles sont parées, les diamants d’esprit qui y étincellent ; et le sort du livre dépend souvent de ce second examen, bien, plus que du premier. En effet, on jette rarement, à moins qu’il ne vaille rien, un livre qu’on n’a lu qu’une fois, toujours promptement comme on lit d’abord ; mais si, après la nouvelle épreuve, le style n’a pas plu, et si les pensées n’ont pas été assez puissantes pour nous séduire, nous fermons le livre avec dédain, et c’en est fait de lui. Au bout de peu de temps, lorsqu’il nous gêne, nous l’envoyons grossir les étalages des bouquinistes du quai, où il fait connaissance avec les amateurs placides de la « fameuse boîte à cinq sols ». Que devient-il ensuite ?... Les épiciers, les marchands de tabac ou les chiffonniers, nous le diraient plus facilement que qui que ce soit ; mais nous ne leur demandons aucun compte.
Il en est bien autrement si le livre, nous ayant frappé une première fois, supporte avec succès un second examen, une seconde lecture. Oh ! alors le voilà déjà classé dans les rayons de notre bibliothèque, où il attend plus ou moins longtemps la reliure qui lui est propre, et que nous lui ferons faire à coup sûr un jour ou l’autre. Désormais le volume est sauvé. Nous le traitons avec soin, nous le choyons avec délicatesse, nous veillons à ce qu’il se conserve intact, nous nous faisons tirer fortement l’oreille pour le prêter même à nos amis, et en cela nous faisons bien. Nunquam amicorum ! disait franchement un bibliophile mort il y a peu de temps, et qui avait attaché cette devise catégorique à tous les volumes de sa bibliothèque. Il est vrai que ceci est la contre-partie d’une autre devise bien moins égoïste, employée par quelques amateurs, entre autres par l’éminent bibliophile du XVIe siècle, qui avait fait graver sur ses livres : Jo. Grolierii et amicorum ; mais je ne crois pas que Jean Grolier et ses imitateurs aient été sincères. Peut-être cependant les amis de ces hommes généreux étaient-ils appelés à l’immense satisfaction d’admirer de temps à autre, à travers des vitrines, les splendides reliures qu’ils faisaient exécuter. Dans ce cas, je comprends la portée de leurs devises, qui étaient à vrai dire tant soit peu hypocrites. Je le maintiens, les vrais amateurs ne prêtent pas leurs livres, même à des amis.
Quand on en est là, on se sent déjà bibliophile. On commence à choisir l’édition, le format, la belle impression, le beau papier, on cherche un bon relieur, auquel on recommande de ne pas rogner les marges... Enfin ce que l’on aime, ce n’est plus seulement la lecture, c’est à présent le livre lui-même ; et il semble vraiment que l’œuvre de l’auteur ou du poète soit plus belle et ait plus de mérite, étant renfermée dans cette édition, que dans un volume vulgaire.
C’est ici seulement, mon cher ami, que l’on commence à avoir besoin de consulter des gens expérimentés ; à moins de faire comme beaucoup d’amateurs irréfléchis, qui « s’instruisent à leurs dépens », et dont les dépens sont souvent si considérables que le dégoût des livres ne tarde pas à s’emparer d’eux. Car, toute question de goût personnel à part, il faut avoir déjà certaines connaissances, pour distinguer les bonnes éditions des mauvaises, pour savoir choisir entre les textes fautifs, entre les productions typographiques qui flattent l’œil sans avoir d’autre mérite, et les belles et simples impressions si recherchées des vrais amateurs. Il faut être déjà connaisseur surtout pour reconnaître la qualité des reliures, et ne pas se laisser séduire par des apparences éblouissantes, sous lesquelles sont quelquefois présentées des reliures médiocres, qui ne possèdent souvent pas d’autres avantages beaucoup plus sérieux.
Et voilà autant de choses qu’il est bien difficile d’expliquer dans de simples lettres et même dans un ouvrage quelconque de bibliographie. Tout ce que l’on pourra écrire en théorie sur ce sujet sera toujours fort incomplet, mais aura cependant l’avantage de mettre les jeunes ou les nouveaux amateurs en garde contre l’envahissement des ouvrages sans mérite
Vous, mon ami, par exemple, qui m’avez tant prié de vous écrire mes conseils, vous ne serez certes pas, après les avoir lus, un aigle en bibliographie ; mais un peu d’étude et d’habitude aidant, vous pourrez arriver, en appliquant les idées que je vous aurai transmises, à connaître suffisamment les livres pour vous former une bibliothèque assez bien choisie. (...)"
j'ai été interpellé hier (pas par la police rassurez-vous...) par un fidèle lecteur du Bibliomane moderne sur le fait que les bibliophiles étaient vieillissants et qu'il fallait peut-être penser à "revitaliser la bibliophilie avant qu'elle ne meure".
La discussion et l'échange entre bibliophiles, débutants ou confirmés, érudits, curieux, vieux ou jeunes est une évidence pour moi, et ce afin de "transmettre" l'envie, la passion. Maintenant, je reconnais que cela m'a fait réfléchir sur cet état de fait : la bibliophile est-elle en train de mourir ? Si oui, des blogs comme le Bibliomane moderne, peuvent-ils y contribuer ?
Évidemment, ce serait tout le contraire de l'objectif de départ qui est de mettre en avant, à travers ma passion pour le livre et celle de mon ami Xavier et de nos autres amis qui interviennent sur ce blog, l'amour du livre à travers une exacerbation de votre curiosité. Je ne sais donc pas très bien si l'objectif est atteint ou complètement dévoyé. J'aime à penser que ce que je vous livre chaque jour n'est pas d'une inutilité absolue et que, jeunes ou vieux, les non-bibliophiles qui nous lisent chaque jour auront ce "déclic" indispensable qui rend fou (des livres).
Pour que l'alchimie opère il faut lire plus d'une fois ce blog, y venir et y revenir régulièrement, prendre le temps de se plonger dans les vieux catalogues de libraires ou de ventes aux enchères des années passées, devenir assez curieux pour avoir envie de savoir ce que veut dire "in-12", "maroquin" ou "premier état". Je sais, je pourrais aussi faire des messages à caractère pédagogique en ce sens, en un mot "enseigner" la bibliophilie. J'avoue que ce n'est ni mon envie, ni la ligne que nous avons souhaité donner au Bibliomane moderne.
Nous ne souhaitons pas faire "école de bibliophilie". Nous sommes passionnés, nous exprimons notre passion ; qui nous aime nous suive ; le chemin est long, sinueux, accidenté, semé d'embûches ; tout comme une initiation, toujours un peu fastidieuse au début, cela nécessite volonté, persévérance, abnégation, et autres sévères prédispositions caractérielles (je plaisante...).
Tout ceci pour dire que j'avais envie, pour faire suite à cette interpellation, de vous livrer quelques conseils aux jeunes bibliophiles qui sortent de la plume de Jules Le Petit, savant bibliographe du XIXe siècle et auteur d'un ouvrage à lire : "L'art d'aimer les livres et de les connaître, Lettres à un jeune bibliophile" P., , 1884. Voici l'extrait qui convient, je pense, à ce que nous voulons montrer ici.
"On ne commence à devenir bibliophile que lorsque le goût de la lecture s’étant épuré, et le jugement étant venu tempérer l’imagination, on éprouve le besoin de relire de temps en temps, avec plus d’attention, certains ouvrages dont le sujet ou le style nous ont plu. C’est l’art, pour ainsi dire, que l’on cherche dans un livre qu’on lit de nouveau, c’est la forme du style, c’est l’ornementation des pensées, c’est leur vêtement, ce sont les broderies riches ou légères dont elles sont parées, les diamants d’esprit qui y étincellent ; et le sort du livre dépend souvent de ce second examen, bien, plus que du premier. En effet, on jette rarement, à moins qu’il ne vaille rien, un livre qu’on n’a lu qu’une fois, toujours promptement comme on lit d’abord ; mais si, après la nouvelle épreuve, le style n’a pas plu, et si les pensées n’ont pas été assez puissantes pour nous séduire, nous fermons le livre avec dédain, et c’en est fait de lui. Au bout de peu de temps, lorsqu’il nous gêne, nous l’envoyons grossir les étalages des bouquinistes du quai, où il fait connaissance avec les amateurs placides de la « fameuse boîte à cinq sols ». Que devient-il ensuite ?... Les épiciers, les marchands de tabac ou les chiffonniers, nous le diraient plus facilement que qui que ce soit ; mais nous ne leur demandons aucun compte.
Il en est bien autrement si le livre, nous ayant frappé une première fois, supporte avec succès un second examen, une seconde lecture. Oh ! alors le voilà déjà classé dans les rayons de notre bibliothèque, où il attend plus ou moins longtemps la reliure qui lui est propre, et que nous lui ferons faire à coup sûr un jour ou l’autre. Désormais le volume est sauvé. Nous le traitons avec soin, nous le choyons avec délicatesse, nous veillons à ce qu’il se conserve intact, nous nous faisons tirer fortement l’oreille pour le prêter même à nos amis, et en cela nous faisons bien. Nunquam amicorum ! disait franchement un bibliophile mort il y a peu de temps, et qui avait attaché cette devise catégorique à tous les volumes de sa bibliothèque. Il est vrai que ceci est la contre-partie d’une autre devise bien moins égoïste, employée par quelques amateurs, entre autres par l’éminent bibliophile du XVIe siècle, qui avait fait graver sur ses livres : Jo. Grolierii et amicorum ; mais je ne crois pas que Jean Grolier et ses imitateurs aient été sincères. Peut-être cependant les amis de ces hommes généreux étaient-ils appelés à l’immense satisfaction d’admirer de temps à autre, à travers des vitrines, les splendides reliures qu’ils faisaient exécuter. Dans ce cas, je comprends la portée de leurs devises, qui étaient à vrai dire tant soit peu hypocrites. Je le maintiens, les vrais amateurs ne prêtent pas leurs livres, même à des amis.
Quand on en est là, on se sent déjà bibliophile. On commence à choisir l’édition, le format, la belle impression, le beau papier, on cherche un bon relieur, auquel on recommande de ne pas rogner les marges... Enfin ce que l’on aime, ce n’est plus seulement la lecture, c’est à présent le livre lui-même ; et il semble vraiment que l’œuvre de l’auteur ou du poète soit plus belle et ait plus de mérite, étant renfermée dans cette édition, que dans un volume vulgaire.
C’est ici seulement, mon cher ami, que l’on commence à avoir besoin de consulter des gens expérimentés ; à moins de faire comme beaucoup d’amateurs irréfléchis, qui « s’instruisent à leurs dépens », et dont les dépens sont souvent si considérables que le dégoût des livres ne tarde pas à s’emparer d’eux. Car, toute question de goût personnel à part, il faut avoir déjà certaines connaissances, pour distinguer les bonnes éditions des mauvaises, pour savoir choisir entre les textes fautifs, entre les productions typographiques qui flattent l’œil sans avoir d’autre mérite, et les belles et simples impressions si recherchées des vrais amateurs. Il faut être déjà connaisseur surtout pour reconnaître la qualité des reliures, et ne pas se laisser séduire par des apparences éblouissantes, sous lesquelles sont quelquefois présentées des reliures médiocres, qui ne possèdent souvent pas d’autres avantages beaucoup plus sérieux.
Et voilà autant de choses qu’il est bien difficile d’expliquer dans de simples lettres et même dans un ouvrage quelconque de bibliographie. Tout ce que l’on pourra écrire en théorie sur ce sujet sera toujours fort incomplet, mais aura cependant l’avantage de mettre les jeunes ou les nouveaux amateurs en garde contre l’envahissement des ouvrages sans mérite
Vous, mon ami, par exemple, qui m’avez tant prié de vous écrire mes conseils, vous ne serez certes pas, après les avoir lus, un aigle en bibliographie ; mais un peu d’étude et d’habitude aidant, vous pourrez arriver, en appliquant les idées que je vous aurai transmises, à connaître suffisamment les livres pour vous former une bibliothèque assez bien choisie. (...)"
Jules Le Petit, Lettre I, extrait.
"Le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque"
Bonne journée,
Bertrand