Belle journée de printemps aujourd'hui ! Assurément pas une journée à aller s'enfermer dans une petite salle de l’hôtel Drouot pour des livres ... une journée à aller à la pêche en fait ! D'autres auraient dit : "fallait pas !" ... C'est vrai ! Il aurait été sans doute plus judicieux d'aller taquiner dame fario dans les méandres de mon ruisseau favori ... mais voilà ... j'avais décidé d'aller à la rencontre d'amis libraires et bibliophiles, et ça aussi c'est un grand moment ! Pas de regrets donc. Pourtant la pêche livresque a été piteuse... bredouille même pour tout vous dire... rien ! Pas même un petit livre à me mettre sous la dent (il faut dire que la dent était creuse...).
Blague à part, voici un petit compte rendu totalement subjectif ou objectif, au choix, de la vente à laquelle, Éric et moi, et quelques autres amis libraires, croisés ou simplement reconnus de loin, avons assisté depuis la cimaise, au fond de la salle, telles des cancres peu enclins à s'en laisser conter (ou compter ... au choix). Car pour ce qui est du spectacle nous avons eu notre saoul.
Il s'agissait de la vente officiée par Yann Le Mouel, dans la salle 2 de l'hôtel Drouot. Petite salle d'ailleurs. De nombreuses personnes à la porte, sans pouvoir rentrer, ni même s'asseoir. Avec Éric nous avons réussi à attraper au vol un mètre linéaire de cimaise (il faut dire que dans les ventes de ce type des places sont réservées ... devant ... vous voyez ? non ? ... si ... réservées à disons des "élites" ou dirons-nous des habitués. Bref, nous n'en n'étions pas, donc, il nous a fallu nous contenter de voir les livres "de loin". Belle vente ! Beaux livres. Expert : Jacques Benelli. 211 lots catalogués mais les derniers lots "Et à divers" (du n°203 au 211) n'ont pas été retenus dans ce que vous lirez plus bas. Beaux livres donc ! Du maroquin ! du maroquin aux armes ! de la belle reliure signée ! des envois autographes ! des lettres autographes ajoutées ! des tirages sur grands papiers ! des dessins originaux ajoutés ! Bref, une belle bibliothèque, homogène en qualité et des livres de bibliophilie de bon voire de très bon niveau.
Lorsque j'avais reçu le catalogue papier de cette vente j'avais aussitôt émis l'avis (en commentaire sur le blog) que les estimations me paraissaient dans l'ensemble outrageusement basse. A vrai dire j'aurais aimé me tromper, ce qui m'aurait éviter la bredouille ... Et pourtant ...
Mais je laisse la parole à Éric qui prend pour l'occasion le rôle du comptable-statisticien. Lisez plutôt.
"Il y a eu 200 lots (3 lots ayants été regroupés). Pas d'invendu, je n'ai pas analysé les quelques "A divers" (à la fin).
Total des estimations : 142.850 euros (estimations basses) / 185 600 euros (estimations hautes).
Résultats : 732.120 euros soit un joli X 5 par rapport aux estimations basses et X 4 par rapport aux estimations hautes.
En résumé :
25% des lots ont fait moins de 2 fois l'estimation basse (en gros, pour ces lots l'expert est cohérent avec les résultats en prenant en compte les aléas des enchères)
46% des lots ont fait entre 3 et 5 fois l'estimation basse.
18 % des lots ont fait entre 5 et 10 fois l'estimation basse.
11% des lots ont fait plus de 10 fois l'estimation basse.
Donc pour 75% des lots, soit les estimations étaient trop basses, soient les acheteurs se sont emballés.
Quand on regarde dans le détail, on voit que ce sont les estimations qui étaient basses et parfois surprenantes. Exemple : le lots 200 estimé à 1.000 € (Zola, exemplaire absolument fabuleux en maroquin mosaïqué) ne mérite pas une estimation identique au lot 68 (Breton, basane verte dos passé). Les quelques cas ou les enchères sont montées très haut sans que je le comprenne ont été rares (les exemplaires aux armes de la comtesse de Provence ont visiblement motivé au moins deux amateurs.
Éric"
Qu'ajouter de plus ? Ah si ! la définition du terme "expert". Lisez plutôt :
Expert, nom. Personne spécialisée dans un domaine et chargée de juger, d'apprécier. Ou encore Personne ayant un maximum de connaissances dans un domaine extrêmement réduit lui permettant de d'apprécier le plus précisément possible la valeur d'un bien.
Alors la, j'en tombe comme dirait ma grand-mère ! (je vous rassure elle est morte) Parce que de deux choses l'une. Soit le rôle de l'expert est de guider l'acheteur le plus précisément possible vers un prix final "juste" (ou pour le moins "expertisé" juste) ou bien le rôle de l'expert est tout autre, mais là je ne vois pas alors... Garantir les ouvrages ? (on sait que la vente en salle des ventes, sauf rares exceptions, est réputée faite "en l'état" et qu'aucune réclamation n'est donc possible une fois l'adjudication prononcée). Alors ? ... Je ne sais pas. Là j'avoue que dans le cas de cette vente je ne vois pas bien.
Voici quelques exemples qui m'ont frappé plus que d'autres :
n°34 - Racine de 1741 en 2 vol. in-12 en maroquin aux armes de la comtesse de Provence. Estimé 1.500/2.000 euros .... résultat : 25.500 euros sans les frais !! Une folie d'acheteur ? sans doute ... mais que dire de l'estimation ?
n°36 - Restif de La Bretonne, Les Posthumes de 1802, 4 volumes in-12, maroquin de Chambolle-Duru. Estimé 800/1.000 euros ... résultat : 5.000 euros dans les frais !! Une folie d'acheteur ? sans doute ... mais que dire de l'estimation ?
n°69 - Brillat-Savarin, La physiologie du goût en EO de 1826, maroquin mosaiqué décoré de Noulhac 1922. Estimé 1.500/2.000 euros !!! ... résultat 6.000 euros sans les frais !
Encore plus fort avec quelques livres truffés d'aquarelles originales :
n°77 : Clochemerle de 1934 1/10 Hollande reliure maroquin doublé de PL Martin ! avec 40 aquarelles originales !! ... estimé 300/400 euros !! De qui se moque-t-on ?? ... résultat : 5.800 euros sans les frais !!
Le pompon de l'estimation juste !
n°104 - Flaubert, Madame Bovary, 1857, EO en 2 vol. maroquin doublé décoré superbe de Marius Michel avec lettres autographes de Flaubert, etc. Exceptionnel !! estimé ... tenez-vous bien ... 3.000/4.000 euros ... résultat : 92.000 euros !! Les bras m'en tombent... pas du résultat... mais de l'estimation !
et je pourrais continuer de la sorte encore et encore, mais je vais m'arrêter.
Voilà, je vous laisse juge de tout cela. Comme l'indique son nom, nous avons assisté à une vente publique, qui par définition est ouverte au public et où tout le monde a le droit de voir, d'entendre, d'analyser, critiquer.
Ce billet ne dénonce évidemment personne en particulier mais vise plutôt à faire prendre conscience, si besoin est, du système qui est en train de s'installer tout doucement dans le paysage livresque des SVV. Ce cas de sous-estimation des lots de livres anciens et modernes ne me semble pas un cas isolé mais plutôt procède d'une stratégie désormais bien rodée, et qui semble-t-il fonctionne à merveille.
Et comme dirait mon cousin... Pourvu qu'ça dure !
Sur ce belle nuit,
Bertrand Bibliomane moderne