vendredi 1 mai 2009

L'imagerie populaire : Lustucru



Voici un article piquant, cinglant, désopilant, trébuchant, envoutant, et fort plaisant. Xavier a de ces lectures hétéroclites qui emmènent au bord de l'abîme, entre le vide et le col de montagne ; il nous invite à parcourir les vastes plaines du pays "livre".

"Au nombre des sobriquets familiers restés en France, dans quelques provinces, est celui de Lustucru, nom grotesque, qui, en compagnie de ceux de Malbrough, Grattelard, Roquelaure et Gribouille, sonne gaiement à l'oreille du peuple.

En cherchant l'origine du nom dans les registres de l'état civil de l'érudition, on comprend pourquoi la mémoire du peuple a conservé le souvenir de Lustucru.

C'était un réformateur du XVIIe siècle, et quel réformateur !

Lustucru avait entrepris d'adoucir le caractère des mauvaises femmes, un remède qu'on-cherchait déjà avant le déluge.

Étudier la nature des femmes a toujours été un des sujets favoris de notre littérature ; des ouvrages à propos de la nature de la femme, on ferait une bibliothèque considérable.

Lustucru entrerait naturellement dans la division des écrivains facétieux, qui ont entrepris de peindre les femmes par quelque symbole plaisant, mais un peu grossier et sans façon, tel que le comprenaient nos pères.

II est vrai que le socialisme n'était pas arrivé, qui, dotant la femme d'aspirations idéales, l'enlevait à l'intérieur pour réclamer en sa faveur la jouissance de droits civiques égaux à ceux de l'homme. Lustucru ne partageait en rien ces opinions. A l'époque où le réformateur proposa son remède, vers la fin du règne de Louis XIII, les femmes se livraient à d'aussi grandes dépenses d'habits que de paroles ; le langage des précieuses tournait la tête des maris, comme un trop vif amour des dentelles trouaient leur bourse. Tout ce qu'il y a de pernicieux dans la femme s'agglomérant dans sa tête, Lustucru proposait d'envoyer cette tête chez le forgeron et de la reforger à coups de marteaux, jusqu'à ce que l'ouvrier en fit sortir les principes mauvais.

Telle fut l'idée exprimée par un courageux citoyen, au moment du triomphe des Précieuses !

On pense quels cris excita l'annonce d'un tel moyen curatif. Il n'y a qu'à se rappeler l'indignation dont fut accablé Proudhon en 1848, pour s'être permis de rappeler au bon sens quelques libres penseures, réclamant pour leur sexe le droit d'être électrices et éligibles. Lustucru eut été lapidé, s'il eut existé. Son moyen de réforme était véritablement trop barbare. L'imagerie populaire toutefois s'empara de son idée, et le graveur Lagniet, au Recueil des plus illustres proverbes, donna une image de la guérison des femmes avec cette légende :

"Céans, Mr Lustucru a un secret admirable, qu'il a rapporté de Madagascar, pour reforger et repolir, sans mal ni douleur, les testes des femmes acariastres, ligeardes, criardes, dyablesses, enragées, fantasques, glorieuses, hargneuses, insupportables, sottes, testues, volontaires, et qui ont d'autres incommodités, le tout à prix raisonnable, ceux riches pour de l'argent et ceux pauvres gratis " Quoique la guérison fut obtenue " sans mal ni douleur, " les précieuses ne parurent pas vouloir s'y prêter. Qui était ce Lustucru ?

Un conteur un peu cancanier, Tallemand des Réaux, s'est chargé de l'apprendre à la postérité :

" Quelque folâtre, dit-il, s'avisa de faire un almanach, où il y avait une espèce de forgeron, grotesquement habillé, qui tenoit une tête de femme avec des tenailles et la redressoit avec son marteau. Son nom était L'Eusses-tu-cru, et sa qualité médecin céphalique, voulant dire que c'étoit une chose qu'on ne croyoit pas qui put jamais arriver que de redresser la tête d'une femme. "

Ainsi ce L'Eusses-tu-cru ou Lustucru (la dernière orthographe a prévalu) était un personnage fictif chargé de continuer les plaisantes inventions du passé, peut-être un fils de celui qui avait déjà publié à Rouen le Discours facétieux des hommes qui font saller leurs femmes à cause qu'elles sont trop douces. Quoi qu'il en soit de son origine, ce Lustucru peu galant fut puni. Pour populariser sa doctrine, il s'était servi de l'imagerie ; il périt par l'imagerie.

De nombreuses estampes furent lancées représentant Lustucru massacré par les femmes. (1)


Il faut remarquer en faveur de la galanterie française qu'une attaque contre les femmes amène aussitôt un défenseur ; si une accusation contre le sexe féminin semble trop rude, au même instant les défauts de l'homme sont traduits à la barre de l'imagerie populaire. D'autres estampes parurent représentant : L'invention des femmes qui fera ôter la méchanceté de la tête de leurs maris.

Le théâtre, qui quelquefois copie la caricature, trouva bon d'accommoder ce Lustucru à la scène, et Saumaize, dans la comédie des Véritables Précieuses (1660), introduisit un poète qui récitait une pièce de vers : La mort de Lustucru lapidé par les femmes. N'est-ce pas assez de facile érudition pour cette satire, qui s'est continuée dans la Bibliothèque bleue aux volumes : La Méchanceté des filles et Les Misères des maris ? Je dois à l'obligeance de M. Poulet-Malassis communication d'un vieux bois qui n'est ni fin ni délicat, et qui cependant a tenté les vers (on le voit par les nombreuses piqûres).

Cette planche, provenant d'une ancienne imprimerie d'un des aïeux de M. Poulet-Malassis, imprimeur en Normandie au XVIIIe siècle, est remarquable par ses tailles naïves et farouches. S'il met en fureur les graveurs sur bois d'aujourd'hui, qui s'obstinent bien inutilement à imiter avec leurs burins la taille-douce, il réjouira, j'en suis certain, le cœur des véritables bibliophiles.
A quel usage servait-il ? Sa forme carrée donne à croire qu'il était imprimé en tête d'une feuille volante avec la légende développée au-dessous. Ainsi, il fut un trait-d'union entre le livre et l'imagerie. Toutefois l'absence de légende ne gêne en rien le commentateur. Maître Lustucru le forgeron, en compagnie d'un ouvrier, frappe à tour de bras une tête de femme qu'il tient avec des pinces sur une enclume, et s'écrie : Je te rendrai bonne. A quoi le compagnon ajoute : Maris, réjouissez-vous. On remarquera qu'une autre tête de mauvaise femme se trouve sur le foyer de la forge, attendant que le forgeron lui fasse subir la même opération pour la rendre bonne également.

Voici bientôt deux siècles qu'a été tentée cette cure féminine. Les maris eurent-ils véritablement sujet de s'en réjouir ? Le cas est douteux, un si violent moyen curatif, auquel la douceur de nos mœurs s'oppose, ayant été à juste titre abandonné."

CHAMPFLEURY.

(1) Voir au cabinet des Estampes le Recueil des Bouffonneries de l'abbé de Marolles, t. II, p. 24, 58, 83

in Le Bibliophile français, Gazette illustrée des Amateurs de Livres, d'Estampes et de haute curiosité, T. 1, Paris, Librairie Bachelin-Deflorenne, 3 quai Malaquais.

Xavier,
Bertrand,
joyeuse fête du travail à toutes et à tous.

PS : J'ai hésité en ce jour de fainéantise autorisée à publier un article (cela aurait été le premier jour sans article depuis le lancement fracassant du Bibliomane moderne en septembre dernier), j'ai pensé que comme ce blog n'étant rien d'autre qu'un pur plaisir et que vous livrer des belles pages livresques ne pouvant que renforcer notre lien au livre, il aurait été mal venu de ne rien vous livrer ce jour. D'où cette petite bluette surannée. B.

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