Voici une description du boudoir de Marie-Antoinette telle que nous la donne Louis Lacour dans son ouvrage intitulé "Livres du boudoir de la reine Marie-Antoinette, catalogue authentique et original publié pour la première fois, avec préface et notes" (Paris, J. Gay, 1862, 1 vol. pet. in-12, tirage à 317 exemplaires sur beau papier de Hollande.)
"De tout temps les femmes du monde ont eu leurs petits appartements, retraites mystérieuses dont la légende a fait le théâtre des désordres élégants et du vice quintessencié (oh que c'est beau !).
Au moyen âge, ces asiles du plaisir et de l'amour s'appelaient oratoires : un même élan y confondait le mysticisme et la galanterie. Les siècles suivants leur donnèrent le nom de cabinets, expression générale, insignifiante, inventée par l'hypocrisie. La Régence créa les boudoirs, ou plutôt les cabinets devenus des boudoirs datent de ce moment. Mais comment l'action si maussade que représente le verbe bouder a-t-elle pu devenir l'origine d'un mot qui offre aux imaginations un sens aussi différent? A cela il n'est qu'une réponse, tirée de l'histoire des vices de messieurs les roués. Et toutes les fois que les hommes iront chercher des plaisirs nouveaux loin de la société des femmes, ils ne devront pas s'étonner lorsque, revenus à des sentiments moins extranaturels, ils trouveront boudeuses au fond de leurs appartements celles qu'ils auront trop longtemps dédaignées. Quoi qu'il en soit, le mot boudoir fut accepté sans conteste, et il devint de mode de faire du boudoir la chambre la plus coquette et la mieux ornée. Les palais en eurent d'admirables — et de bizarres. Chez le comte d'Artois, chez le duc d'Orléans, c'étaient de petites retraites enjolivées avec la fantaisie la plus extravagante, — pour ne pas dire plus. Cependant, vers la fin du siècle, le boudoir tendait en général à se moraliser.
De Paulmy, dans son Manuel des châteaux (1779), ne signale dans les habitations de son époque que trois pièces ou appartements importants : le salon, qui sert de centre aux jeux et aux plaisirs ; le théâtre et le boudoir. Mais le boudoir n'est pas, selon lui, un réduit secret et voluptueux; c'est bien aussi le cabinet d'étude et de travail, cabinet retiré il est vrai, et par cela plus propre aux occupations sérieuses auxquelles il est destiné. Dans son esprit même les mots boudoir et bibliothèque sont presque devenus synonymes, et ce rapprochement de deux expressions en apparence fort différentes nous montre à quel point l'esprit du boudoir s'était modifié et avait pris de gravité aux approches de la Révolution.
Parmi tous les palais royaux, celui de Versailles fut le dernier peut-être où la souveraine put se créer un boudoir. La sévère et superbe étiquette de Louis XIV continuait à faire porter ses lourdes chaînes aux maîtres comme aux courtisans. Sous ces hauts lambris élevés pour le faste et la représentation, le faible Louis XVI subissait la loi commune ; mais son épouse, plus soucieuse de sa liberté, inventa les petits appartements. Là le boudoir eut sa place. Ce fut, pendant la première partie de la vie politique de cette princesse, son domaine favori. Reine du boudoir entre toutes les reines, elle prenait plaisir à oublier le poids de son autre couronne, — oubli qu'elle paya si cher.
Dans les petits appartements, Marie- Antoinette recevait sans un ennuyeux contrôle les amis de son choix et les femmes dont elle aimait le service. « Les moments de représentation l'ennuyaient tant, remarque un de ses heureux favoris (Besenval), qu'en quelque occasion que ce fût et même lorsqu'elle tenait sa cour, les gens qui voulaient des égards pour leur rang, leur mérite ou leur considération n'étaient pas seulement aperçus. »
Une femme spirituelle, Mme la comtesse de Bradi, parlant dans une encyclopédie du mauvais sens retenu par le mot boudoir, écrivait il y a quelques années : « On montrait, avant 1789, dans les petits appartements de Marie-Antoinette, une pièce que l'on nommait boudoir de la reine ; mais cette princesse désignait- elle ainsi ce cabinet? Ou, étant étrangère, employait-elle cette expression sans en connaître l'origine et sans se douter de toutes les idées qui s'y rattachaient? » Il est certain, — elle document que nous publions ne laisse aucun doute, — que pour Marie-Antoinette son boudoir lui était bien connu sous ce nom, et nous nous étonnons que M™e de Bradi ait pu douter un instant que la reine de France n'ait pas eu dans tous ses châteaux la petite retraite alors à la mode et sans laquelle un appartement eût passé pour incomplet. Mais qu'il y a loin du fait d'avoir usé de cette petite chambre à l'accusation d'en avoir mésusé ! — Ce n'est pas nous qui la formulerons.
La partie retirée des petits appartements de Versailles qui formait le boudoir de Marie-Antoinette avait été occupée avant cette princesse par le service de Marie Leczinska, puis par mesdames de Pompadour et du Barry. Ce boudoir existe encore dans son dernier état. Les boiseries sculptées et dorées sont un chef-d'œuvre d'ébénisterie et rappellent le goût et les profusions des maîtresses de Louis XV.
Marie-Antoinette avait aussi un boudoir à Fontainebleau ; elle en avait même deux, qui sont aujourd'hui encore les plus gracieux spécimens de l'art de l'ornementation intérieure à son époque. Mais, quoique son chiffre y brille incrusté dans l'acajou massif, ce n'est point à Fontainebleau que s'est fixé son souvenir. Nous le retrouvons partout à Versailles, son habitation préférée avant Saint-Cloud, celle où se sont passées tant de scènes de son existence frivole, qu'elle effeuillait, jolie femme sans souci, dans l'entraînement de la coquetterie et du plaisir.
Mais rentrons dans le boudoir seulement pour l'objet spécial que nous nous sommes proposé d'étudier, c'est-à-dire la bibliothèque dont il était orné.
On a vu plus haut que Paulmy avait fait d'une bibliothèque l'un des meubles les plus essentiels du boudoir. Une dame qui lui écrit ou qui est censée lui écrire représente ainsi son boudoir idéal :
"La seconde pièce de mon château qui me sera chère sera ma petite bibliothèque, tenant d'un côté à mon salon et de l'autre à ma chambre à coucher, mais ménagée cependant de façon qu'elle ne sert de communication nécessaire ni à l'un ni à l'autre. C'est cette pièce favorite que je veux meubler. L'on y voit deux corps de tablettes, et au milieu d'elles un enfoncement ou espèce de niche occupée par un sopha ou ottomane garnie de coussins : c'est là que je ferai mes lectures, et même que j'en raisonnerai avec-ceux que j'estimerai assez pour leur communiquer mes réflexions. On trouve encore dans ce charmant boudoir deux autres corps de tablettes, l'un coupé par une cheminée et l'autre par une glace et une table pour écrire, avec beaucoup de tiroirs et de secrets. Toutes ces tablettes sont prêtes à recevoir des livres; mais quels livres peut-on placer à la campagne dans une bibliothèque de cette espèce, si ce ne sont des romans? Je n'en peux prêter et faire lire que de ce genre aux dames qui viendront chez moi. » La fin de la même lettre nous donne des détails intéressants sur le nombre et le choix des romans qui devaient composer la bibliothèque d'un boudoir. « Je voudrais savoir au juste, ajoute la correspondante, à quoi m'en tenir sur les romans, et avoir un choix tout fait d'un certain nombre, qui puisse m'occuper et me divertir tous les matins, et quelquefois les soirs, pendant quatre ou cinq mois de l'année. L'on m'a assuré que vous connaissiez le mérite de ces sortes d'ouvrages, comme celui de beaucoup d'autres; ainsi je n'ai qu'à vous dire la quantité qu'il m'en faut, pour que vous me les choisissiez. On m'assure qu'en comptant chaque volume in-8 et in-12 (car je n'en veux pas d'autre format) à huit pouces de hauteur, l'un portant l'autre, et à un pouce et demi d'épaisseur, j'ai dans mon boudoir de quoi contenir six cents volumes. Envoyez-m'en, s'il vous plaît, prompte - ment le catalogue, afin que je les fasse acheter et relier .. Je vous demande des romans, tous différents les uns des autres, dont quelques-uns intéressent mon cœur par la beauté des sentiments, les autres attachent mon esprit par l'enchaînement et la singularité des faits, me plaisent par l'élégance et la pureté du style ou me fassent rire. »
L'auteur des Mélanges répond à la dame anonyme : « J'ai fait le choix que vous me demandez de six cents volumes, qui peuvent obtenir la préférence pour garnir les tablettes de votre boudoir. » Ainsi, pour lui aussi, les livres sont un des ornements indispensables du boudoir, et il s'empresse de les indiquer. « Ces livres se trouvent presque tous aisément chez les libraires de Paris, ou se vendent tous les jours aux inventaires .. Vous aurez pour cent louis la garniture la plus intéressante d'un boudoir littéraire et romancier. »
Pour se conformer au goût général, la reine de France, qui possédait déjà une bibliothèque officielle, en fit placer dans son boudoir une moins importante et bien appropriée aux dispositions d'esprit qui la conduisaient en ce lieu d'abandon et de repos." (...)
A suivre...
Un mot sur l'évolution de la fréquentation du Bibliomane moderne, ICI l'évolution des visites sur les derniers mois. Le graphique parle de lui-même et parle vrai. Merci à toutes et à tous pour votre fidélité. ICI pour vous aurez quelques chiffres supplémentaires.
Bonne journée,
Bertrand
Au moyen âge, ces asiles du plaisir et de l'amour s'appelaient oratoires : un même élan y confondait le mysticisme et la galanterie. Les siècles suivants leur donnèrent le nom de cabinets, expression générale, insignifiante, inventée par l'hypocrisie. La Régence créa les boudoirs, ou plutôt les cabinets devenus des boudoirs datent de ce moment. Mais comment l'action si maussade que représente le verbe bouder a-t-elle pu devenir l'origine d'un mot qui offre aux imaginations un sens aussi différent? A cela il n'est qu'une réponse, tirée de l'histoire des vices de messieurs les roués. Et toutes les fois que les hommes iront chercher des plaisirs nouveaux loin de la société des femmes, ils ne devront pas s'étonner lorsque, revenus à des sentiments moins extranaturels, ils trouveront boudeuses au fond de leurs appartements celles qu'ils auront trop longtemps dédaignées. Quoi qu'il en soit, le mot boudoir fut accepté sans conteste, et il devint de mode de faire du boudoir la chambre la plus coquette et la mieux ornée. Les palais en eurent d'admirables — et de bizarres. Chez le comte d'Artois, chez le duc d'Orléans, c'étaient de petites retraites enjolivées avec la fantaisie la plus extravagante, — pour ne pas dire plus. Cependant, vers la fin du siècle, le boudoir tendait en général à se moraliser.
De Paulmy, dans son Manuel des châteaux (1779), ne signale dans les habitations de son époque que trois pièces ou appartements importants : le salon, qui sert de centre aux jeux et aux plaisirs ; le théâtre et le boudoir. Mais le boudoir n'est pas, selon lui, un réduit secret et voluptueux; c'est bien aussi le cabinet d'étude et de travail, cabinet retiré il est vrai, et par cela plus propre aux occupations sérieuses auxquelles il est destiné. Dans son esprit même les mots boudoir et bibliothèque sont presque devenus synonymes, et ce rapprochement de deux expressions en apparence fort différentes nous montre à quel point l'esprit du boudoir s'était modifié et avait pris de gravité aux approches de la Révolution.
Parmi tous les palais royaux, celui de Versailles fut le dernier peut-être où la souveraine put se créer un boudoir. La sévère et superbe étiquette de Louis XIV continuait à faire porter ses lourdes chaînes aux maîtres comme aux courtisans. Sous ces hauts lambris élevés pour le faste et la représentation, le faible Louis XVI subissait la loi commune ; mais son épouse, plus soucieuse de sa liberté, inventa les petits appartements. Là le boudoir eut sa place. Ce fut, pendant la première partie de la vie politique de cette princesse, son domaine favori. Reine du boudoir entre toutes les reines, elle prenait plaisir à oublier le poids de son autre couronne, — oubli qu'elle paya si cher.
Dans les petits appartements, Marie- Antoinette recevait sans un ennuyeux contrôle les amis de son choix et les femmes dont elle aimait le service. « Les moments de représentation l'ennuyaient tant, remarque un de ses heureux favoris (Besenval), qu'en quelque occasion que ce fût et même lorsqu'elle tenait sa cour, les gens qui voulaient des égards pour leur rang, leur mérite ou leur considération n'étaient pas seulement aperçus. »
Une femme spirituelle, Mme la comtesse de Bradi, parlant dans une encyclopédie du mauvais sens retenu par le mot boudoir, écrivait il y a quelques années : « On montrait, avant 1789, dans les petits appartements de Marie-Antoinette, une pièce que l'on nommait boudoir de la reine ; mais cette princesse désignait- elle ainsi ce cabinet? Ou, étant étrangère, employait-elle cette expression sans en connaître l'origine et sans se douter de toutes les idées qui s'y rattachaient? » Il est certain, — elle document que nous publions ne laisse aucun doute, — que pour Marie-Antoinette son boudoir lui était bien connu sous ce nom, et nous nous étonnons que M™e de Bradi ait pu douter un instant que la reine de France n'ait pas eu dans tous ses châteaux la petite retraite alors à la mode et sans laquelle un appartement eût passé pour incomplet. Mais qu'il y a loin du fait d'avoir usé de cette petite chambre à l'accusation d'en avoir mésusé ! — Ce n'est pas nous qui la formulerons.
La partie retirée des petits appartements de Versailles qui formait le boudoir de Marie-Antoinette avait été occupée avant cette princesse par le service de Marie Leczinska, puis par mesdames de Pompadour et du Barry. Ce boudoir existe encore dans son dernier état. Les boiseries sculptées et dorées sont un chef-d'œuvre d'ébénisterie et rappellent le goût et les profusions des maîtresses de Louis XV.
Marie-Antoinette avait aussi un boudoir à Fontainebleau ; elle en avait même deux, qui sont aujourd'hui encore les plus gracieux spécimens de l'art de l'ornementation intérieure à son époque. Mais, quoique son chiffre y brille incrusté dans l'acajou massif, ce n'est point à Fontainebleau que s'est fixé son souvenir. Nous le retrouvons partout à Versailles, son habitation préférée avant Saint-Cloud, celle où se sont passées tant de scènes de son existence frivole, qu'elle effeuillait, jolie femme sans souci, dans l'entraînement de la coquetterie et du plaisir.
Mais rentrons dans le boudoir seulement pour l'objet spécial que nous nous sommes proposé d'étudier, c'est-à-dire la bibliothèque dont il était orné.
On a vu plus haut que Paulmy avait fait d'une bibliothèque l'un des meubles les plus essentiels du boudoir. Une dame qui lui écrit ou qui est censée lui écrire représente ainsi son boudoir idéal :
"La seconde pièce de mon château qui me sera chère sera ma petite bibliothèque, tenant d'un côté à mon salon et de l'autre à ma chambre à coucher, mais ménagée cependant de façon qu'elle ne sert de communication nécessaire ni à l'un ni à l'autre. C'est cette pièce favorite que je veux meubler. L'on y voit deux corps de tablettes, et au milieu d'elles un enfoncement ou espèce de niche occupée par un sopha ou ottomane garnie de coussins : c'est là que je ferai mes lectures, et même que j'en raisonnerai avec-ceux que j'estimerai assez pour leur communiquer mes réflexions. On trouve encore dans ce charmant boudoir deux autres corps de tablettes, l'un coupé par une cheminée et l'autre par une glace et une table pour écrire, avec beaucoup de tiroirs et de secrets. Toutes ces tablettes sont prêtes à recevoir des livres; mais quels livres peut-on placer à la campagne dans une bibliothèque de cette espèce, si ce ne sont des romans? Je n'en peux prêter et faire lire que de ce genre aux dames qui viendront chez moi. » La fin de la même lettre nous donne des détails intéressants sur le nombre et le choix des romans qui devaient composer la bibliothèque d'un boudoir. « Je voudrais savoir au juste, ajoute la correspondante, à quoi m'en tenir sur les romans, et avoir un choix tout fait d'un certain nombre, qui puisse m'occuper et me divertir tous les matins, et quelquefois les soirs, pendant quatre ou cinq mois de l'année. L'on m'a assuré que vous connaissiez le mérite de ces sortes d'ouvrages, comme celui de beaucoup d'autres; ainsi je n'ai qu'à vous dire la quantité qu'il m'en faut, pour que vous me les choisissiez. On m'assure qu'en comptant chaque volume in-8 et in-12 (car je n'en veux pas d'autre format) à huit pouces de hauteur, l'un portant l'autre, et à un pouce et demi d'épaisseur, j'ai dans mon boudoir de quoi contenir six cents volumes. Envoyez-m'en, s'il vous plaît, prompte - ment le catalogue, afin que je les fasse acheter et relier .. Je vous demande des romans, tous différents les uns des autres, dont quelques-uns intéressent mon cœur par la beauté des sentiments, les autres attachent mon esprit par l'enchaînement et la singularité des faits, me plaisent par l'élégance et la pureté du style ou me fassent rire. »
L'auteur des Mélanges répond à la dame anonyme : « J'ai fait le choix que vous me demandez de six cents volumes, qui peuvent obtenir la préférence pour garnir les tablettes de votre boudoir. » Ainsi, pour lui aussi, les livres sont un des ornements indispensables du boudoir, et il s'empresse de les indiquer. « Ces livres se trouvent presque tous aisément chez les libraires de Paris, ou se vendent tous les jours aux inventaires .. Vous aurez pour cent louis la garniture la plus intéressante d'un boudoir littéraire et romancier. »
Pour se conformer au goût général, la reine de France, qui possédait déjà une bibliothèque officielle, en fit placer dans son boudoir une moins importante et bien appropriée aux dispositions d'esprit qui la conduisaient en ce lieu d'abandon et de repos." (...)
A suivre...
Un mot sur l'évolution de la fréquentation du Bibliomane moderne, ICI l'évolution des visites sur les derniers mois. Le graphique parle de lui-même et parle vrai. Merci à toutes et à tous pour votre fidélité. ICI pour vous aurez quelques chiffres supplémentaires.
Bonne journée,
Bertrand