vendredi 20 mars 2009

Ces livres pleins de luxure... En 1494 on prêche contre les livres... (suite)



Une belle tête de prédicateur. 1520. Gravure ancienne coloriée.


J'ai essayé de retrouver quelques allusions au sujet de ces fameuses prêches antibibliophiliques d'Olivier Maillard, prédicateur que j'ai cité dans le billet d'hier. Les passages cités vont au delà de l'antibibliophilique mais c'était trop amusant à lire pour vous en priver.

Voici ce que j'ai pu retrouver dans la documentation numérique disponible.

"Le pape Innocent, disait Olivier Maillard, dans son burlesque langage, a défendu d'imprimer des livres avant d'être approuvés par l'évêque, par son vicaire ou par un commissaire. O pauvres libraires ! il ne vous suffit pas de vous damner seuls, vous voulez damner les autres en imprimant des livres obscènes qui traitent de l'art d'aimer et de luxure, et en fournissant occasion à mal faire. Allez à tous les diables (1). (...) Les libraires, que le prédicateur Olivier Maillard envoyait ainsi à tous les diables, étaient obligés de résider, de même que les imprimeurs, dans le quartier de l'Université qui a conservé le nom de pays latin, c'est-à-dire depuis les rues de la Bûcherie, de la Huchette, de la Vieille-Boucherie, en montant jusqu'aux portes Saint- Michel, Saint-Jacques, Saint-Marcel, Saint-Victor. Ils pouvaient établir aussi leurs magasins dans l'enclos du Palais. " (Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, p. 406-407, cité aussi par Werdet dans son Histoire du livre en France).

On peut lire ailleurs concernant l'église, son époque et les livres : " Si les murs des églises avaient des yeux et des oreilles, s'écrie Olivier Maillard, je crois qu'ils nous conteraient des merveilles. O pauvres prostituées, vous vous y montrez le front haut, et faites là vos infâmes marchés et vos signes impudiques, et vestra signa, impudica. Et vous, les marchands et gens de la ville, c'est dans l'église que vous traitez vos affaires ; n'avez-vous pas des lieux profanes à votre disposition, pour épargner ce mépris à la maison de Dieu ? (Folio LXXII du Carême prêché à Saint- Jean en Grève.)

Et plus loin : « Je m'étonne que les Saints, qui ont leurs reliques dans ces églises ainsi profanées, ne sortent de leurs
châsses pour arracher les yeux aux paillardes et à leurs ribauds. Écoutez ce que dit à ce sujet le Vénérable Antoine de Verceil, de l'Ordre des Frères Mineurs, qui prêchait dans le Nord de l'Italie, au milieu du XVe siècle ; et l'incroyable profanation arrivée de son temps à Lodi : « Beaucoup viennent à l'église pour regarder les autres ; quelques-uns pour y vendre et acheter, d'autres pour y chanter, pour y danser, pour y jouer; mais ce qui est pis, il y en a qui viennent dans le saint lieu pour y chercher l'ombre favorable à leurs fornications, faisant du Christ une sorte d'entremetteur, ex hoc preciosum Christi corpus fiât rufianus fornicantium. En 1405, à Lodi, un jour où l'on fêtait la Vierge et pendant qu'un moine de notre Ordre prêchait dans la cathédrale, il advint qu'un ribaud et une ribaude quidam ribaldus et ribalda, furent surpris en flagrant délit de luxure derrière l'autel de Sainte-Catherine... O libertinage effréné! O diabolique génération! faire du temple de Dieu un lupanar!... Il est dit : Quiconque violera le temple du Seigneur sera perdu pour un tel crime ; ne sera-ce pas en accouchant, in partu, que seront perdues de semblables pécheresses ?» (Folio CCXI. Quadrag. fratris Antonii de Vercellis, éd. Venet. 1505.)

Dans le vingt-sixième sermon de son Carême prêché à Paris (édit. de 1513), Olivier Maillard parle de dames qui portaient les noms de leurs amants les plus chers sur les marges de leurs livres d'heures : « In horis suis, amantiorum nomma utpote : vostre loyal, vostre mignon, vostre serviteur, vostre tretout, filia dyabolica ! » Cette coutume rappelle le livres d'heures de Charles-Quint ; elle est plus élégante et moins perverse, et l'on voit qu'il s'agit ici de pécheresses d'un rang plus élevé. Voici un autre trait du grand humoriste du XVe siècle, Michel Menot, qui caractérise à merveille le laisser-aller des mondains, aux mœurs plus élégamment étudiées : « Si madame est dans l'église, et arrive un gentillâtre, alors pour maintenir les coutumes de la noblesse, oportet que la dame ou damoyselle se lève au millieu de l'assistance, in medio populi, au moment où tous entendent à louer Dieu, où le prêtre consacre le corps du Christ sur l'autel ; le gentillâtre s'approche et la baise sur la bouche, et osculatur eam bec-à-bec. Ad omnes dyabolos talis modus faciendil A tous les diables une telle façon, et aussi la manière et la coutume qui vaut à Dieu une pareille irrévérence! » (Serm. II, post Dom. iv Quadr.)

Ailleurs le même prédicateur, dans son Carême prêché à Tours (folio C, éd. de 1525), raconte, avec son ton ordinaire de raillerie joviale, ce que faisaient les assistants pendant la célébration du service divin : « Et vous, gallans, qui ità ambulatis colloquendo per ecclesiam, qui vous promenez ainsi par l'église (où, avouons-le, les sièges étaient rares alors) en causant, et à regarder qui a le plus beau nez, et qui est le plus orné, le mieux paré et le plus licencieux d'aspect, lascivior aspectu; et vous, mesdames, qui tenez des Heures si bien acoutrées et n'y savez rien lire, vous jetez ça et là vos yeux impudiques ; vous disposez artificieusement vos attraits pour qu'on vous contemple et qu'on dise à l'envi : — Ecce la paillarde d'ung tel; la voilà qui regarde suum lenonem. » Et encore dans le même recueil prêché à Tours : « Je vous dirai, mesdames, que dans ce temps de Carême où nous voilons les Saints, abscondimus Sanctos, je m'étonne que vous ne cachiez pas aussi les vôtres, vestros sinus. » Ah, par exemple, voilà un calembour, un bel et bon calembour de Cordelier ; qui s'y serait attendu ? Mais reprenons ce beau passage. « De même qu'on vend la chair au marché, continue Menot, vous offrez la vôtre en vente dans l'église, et ne rougissez pas de montrer les instruments de la luxure. Si pourtant vous voyiez une fillette laissant voir sa chaussure, caligam ostendere, vous lui feriez baisser sa robe, et vous ne rougissez pas de montrer vous-mêmes les membres qui provoquent à l'impudicité et à l'incontinence. » (Folio LXIV, éd. de 1525.)

Le prêtre à l'autel oubliait parfois aussi son devoir envers Dieu, pour adresser quelque œillade, quelque parole amoureuse aux plus tendres de ses brebis. Guillaume Pépin nous a conservé ce mot galant d'un curé, qu'il cite comme chose connue de tous ses paroissiens : « Parlons, dit-il, de ce curé qui à l'offertoire, donnant la patène à baiser à une toute jeune femme, quœdam juvenculae mulieri, lui glissa ces mots dans l'oreille et à voix basse, submissa voce : — Oh ! je vous aime tendrement, ma très-chère !— Et moi, répondit la mignonne, j'en fais autant pour vous de mon côté, très-cher seigneur ! carissime domine! » (Serm. Quadrag., fol. XXVIII, éd. de Paris, 1526.)

Et plus bas, même folio, Pepin ajoute : « Multi lascivi homines, nombre de débauchés profèrent de sottes paroles pour faire rire à l'excès les dames qui, près d'eux, assistent au service divin; la plupart du temps, plerumque, ils poussent le scandale jusqu'à provoquer pollutiones, cogitationes turpes, usque ad opus nepharium, jusqu'à l'œuvre criminelle. »" (in La vie au temps des libres prêcheurs, ou Les devanciers de Luther etc. Paris, Claudin, tome II, 1878, pp. 179-181)


Je m'arrête là car je m'apperçois que cet Olivier Maillard est un véritable persécuteur de fourbes et autres faux-culs comme on en trouve encore aujourd'hui, les estrangleurs de bonté, les jouisseurs du mal, les brailleurs de vérités fausses, et aultres bouffoneries gaillardes comme il fait rire. ah ! quelle esbrouffade ! le gaillard me plait, je m'en vais vous laisser, je m'en vais lire Olivier Maillard at aultres Jeean Raulin...

Pour aller plus loin au sujet d'Olivier Maillard et ses prédications chocs : Olivier Maillard, sa prédication et son temps, par Alexandre Samouillan.

(1) Adventus, sermo 29. — M. Dulaure, Hist. de Paris, t. IV, p. 38 de l'édition in-12.

Bonne journée,
Bertrand

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