Un décès en l'année 1793 indique bien souvent pour quelques hommes de plume et d'idées, une mort violente par la veuve...
Notre auteur, Pierre-Louis Manuel, n'échappa pas à la Louisette... Il fut raccourci d'une tête le 24 brumaire an II (14 novembre 1793). Son crime était louable... il perdit la tête pour avoir voulu sauver celle de son roi...
Nous passerons rapidement sur les divers évènements de sa vie agitée. Résumons simplement en disant qu'il était reconnu comme l'un des plus grands espions de son temps. A la solde de la police de Paris, on a saisi à son domicile des ouvrages clandestins, quelques nouvelles à la main de son cru, ce qui lui valut un séjour à la Bastille du 3 février au 7 avril 1786. On l'a dit également à l'époque, l'un des administrateurs du comte de Mirabeau. Durant l'été 1789, il participe aux événements parisiens avec enthousiasme, joue un grand rôle dans les premières émeutes et devient membre de la municipalité provisoire de Paris, « administrateur de la police, du département de la librairie, des spectacles et attributions accessoires ». Il rentre aux Jacobins, devient membre de la municipalité provisoire de Paris. Bras droit du maire Pétion, il l'accompagne de son action. Il est ainsi l'un des instigateurs de la journée du 20 juin 1792. Le 30 juillet, la Législative décrète la suppression de la Commune, mais, menacée d'une insurrection par Manuel, elle n'en fait rien. Il soutient toujours l'action de Pétion et des 47 sections lors des journées du 3 au 10 août 1792 comme membre de la commune insurrectionnelle. Le 13 août, il est nommé procureur syndic de la Commune de Paris et après en avoir fait proposition devant l'Assemblée, il escorte Louis XVI à la prison du Temple. Il est jusqu'à sa mort en fréquente relation avec le souverain déchu auquel il apprend en personne l'instauration de la République. Son rôle est flou dans les massacres de septembre. Élu à la Convention Nationale comme député de la Seine, il est nommé “commissaire chargé de rendre compte de l'état de la ville de Paris”, puis suppléant au Comité d’instruction publique. Il obtient la suppression de la croix de Saint-Louis, mais sa proposition de vente du château de Versailles est refusée. Son attitude envers le roi se modifie ouvertement dès le 7 novembre lorsque le député Mailhe présente un projet de décret sur le jugement du roi et les formes pour y procéder. Manuel propose que tout défenseur de Louis XVI soit sous la sauvegarde de la loi. Le 3 décembre, il donne son avis sur le sort de Louis XVI et le 6, il déclare à la Convention : « La Convention nationale ne peut commettre un assassinat. Je demande que Louis XVI soit entendu. » Ses interventions en faveur du roi font croire un moment qu’il est devenu fou. Le 15 décembre, il est exclu du Club des Jacobins. Un mois plus tard, en dépit de ses positions affichées, il vote la culpabilité du roi comme tous ses collègues. Le lendemain, il vote pour la ratification du jugement du peuple, le 17 janvier, pour la détention dans un fort ailleurs qu’à Paris, puis la déportation. Il donne alors sa démission. Les membres de la Montagne l’accusent en tant que secrétaire de séance, d’avoir tenté de falsifier les résultats de l’appel nominal. Retiré de la vie politique, il se serait rendu selon Nougaret dans un château à Fontainebleau. Il est finalement arrêté en février 1793 à Montargis où il se tenait caché. Transféré à Paris, il comparaît devant le Tribunal Révolutionnaire. On connait la suite...
C'est sa place d'administrateur de la police et du département de la librairie au sein de la municipalité puis de la Commune, qui lui permet de composer l'un de ses ouvrages majeurs, La Police de Paris dévoilée, avec Gravure et Tableau (II tomes, Paris, Garnery, 1791, 2 vol, in –8). Cette collection des documents de la Bastille enrichis des commentaires de l'auteur est une charge contre l'Ancien Régime et sa police qui connut un vif succès.
Je vous laisse apprécier sa verve au service de la liberté de la presse :
"De tous les vols que les rois ont faits aux peuples, celui qui leur coûte le plus à rendre, c'est la liberté de la presse. Les anglais ne reconnaissaient d'autres maîtres que la loi, quand la chambre étoilée exerçait encore sur les pensées la puissance de Goa. Le long parlement, Charles II, Jacques II, écartèrent, tant qu'ils purent, de toutes les imprimeries cette censure publique qui seule assure les loix et les moeurs d'une nation : et c'est Whalpole qui, retiré avec des protes dans sa maison de Patney, fut un des premiers à apprendre à tous les tyrans du monde que le choc des idées produit la vérité comme le choc des corps durs produit la lumière. Un gouvernement qui enchaîne ses écrivains, dénonce lui-même ses fautes et ses vices. Il n'y a que des sultans, des visirs et des bachas qui craignent les réverbères. Se laisser voir, c'est s'engager à être juste, et ils ne veulent pas se donner la peine d'être prudents. L'on peut assurer qu'il n'y a pas dans un état que des tyrans et des esclaves, tant que les ministres du trône n'ont pas dit au peuple : Suis-moi partout, je ne te crains pas. De tous ces despotes subalternes, il n'en est pas peut-être, qui ait plus retardé, en France, le culte de la raison que les lieutenants de police : car ils avaient la clef de cette Bastille, où, quand on n'otait pas la vie aux philosophes, on leur coupait du moins la langue. Un Sartine, en reculant les bornes de l'espionnage, a plus étouffé de bons livres que Séguier : car l'avocat-général ne faisait brûler, au bas du grand escalier, que quelques feuilles qui étaient souvent celles du réquisitoire même que le bourreau honteux substituait à Raynal : et un Le Noir, dont les cent yeux ne se fermaient jamais, précipitait dans le gouffres de l'ignorance les éditions entières du génie. Sans les Suisses et les Hollandais, il y aurait eu des années où la patrie des d'Alembert eût été condamnée à ne lire que l'historiographe Moreau. C'est pourtant le Chancelier d'Aguesseau, lui qui pensait en philosophe et qui parlait en orateur, qui, en 1723, a le plus conspiré, par ses règlements, contre le commerce des pensées ! mais, grâce aux commis des fermes, qui, sans s'en douter, servaient la philosophie, l'intérêt a souvent franchi les barrières de la loi. Tantôt les libraires, au lieu de prendre aux douanes frontières des acquits à caution adressés à la chambre syndicale du lieu de la destination des ballots, les faisaient entrer sous l'apparence de marchandises de peu de valeur dont on payait les droits : tantôt, quand ils étaient forcés de tromper les employés qu'ils ne pouvaient corrompre, leurs ballots plombés, ils adressaient un acquit à caution à une chambre intermédiaire, Lyon, par exemple, Dijon, Lille, où leurs correspondants, après avoir retiré ces ballots comme s'ils leur étaient destinés, les versaient dans des entrepôts, comme Versailles, St-Germain, La Villette, le Bourg-la-Reine ; là des colporteurs partageaient les ballots et les dangers. En vain, Monseigneur le garde des sceaux avait-il établi dans chaque chambre un inspecteur pour contrôler la visite du syndic et de ses adjoints ; il y a des d'Hemery partout : et puis, on est indulgent, quand on veut pécher soi-même. La formule des acquits à caution fournissait aux libraires étrangers un moyen d'éluder les règlements, en donnant aux juges, échevins et syndics des lieux où les livres sont adressés, la faculté de décharger ces acquits, lorsqu'il n'y a pas de commis aux traites. Comment M. Le Camus de Neuville, dont le nom n'a jamais été béni dans la rue du Foin, ne s'est-il pas apperçu que cette formule nécessaire peut-être pour les marchandises qui entrent dans le royaume, transportées d'une province à une autre, était mal adroitement appliquée aux livres, qui selon lui, ne doivent circuler qu'avec les précautions les plus rebutantes, comme des poisons ? Est-ce que son inspecteur Henri n'aurait pas dû lui dire : "A Versailles, monseigneur, il y a différents commissionnaires, Germont, le veuve Lanoue, chez lesquels les libraires étrangers adressent les livres prohibés ou contrefaits qu'ils veulent débiter en France : ces commissionnaires reçoivent les ballots accompagnés ou non accompagnés d'acquits à caution : ils s'entendent avec tous les Poinçots de Versailles, de Paris, de Rouen, pour les leur faire passer par des voies détournées, où se déchargent les acquits, loin de la douane et de la chambre. Ni monseigneur le chancelier, ni monseigneur de Vergennes, ni monseigneur Amelot, ni moi, nous n'avons pu arrêter ces pirates." Il eût paru bien plus tôt, cet arrêt du conseil du 25 août 1781, qui enjoint aux libraires étrangers d'envoyer à la chambre syndicale la plus prochaine de la frontière, les ballots de livres, estampes, musique, cartes, etc. qu'ils voudraient faire introduire en France ; et à tous les routiers et voituriers qui en seraient chargés, de les y conduire, à peine de 500 livres d'amende et de la confiscation de leurs chevaux et voitures, avec ordre aux commis des fermes de saisir tous les ballots ou caisses qu'ils trouveraient en contravention ou entreposés, dans l'intention d'éviter la visite. (...) La police qui attribuait aux mauvais livres les premiers élans de l'indépendance, crut devoir resserrer le bandeau d'un peuple qui commençait à entrevoir et le gaspillage des cours et le libertinage des prêtres. Pour l'empêcher de tout dire, il fallait d'abord l'empêcher de tout lire. Chaque jour c'était un projet nouveau pour fermer le royaume aux vérités qui nous venaient de Londres et de Genève. Les uns voulaient que l'on amenât à la douane, rue du Bouloi, toutes les brochures qui se présenteraient aux frontières de Bretagne, Normandie, Picardie, comme à celles de la Hollande, de la Suisse et des Pays-Bas. Ce n'était pas là le plus court des moyens. Les autres voulaient imposer sur la librairie étrangère des droits si onéreux, qu'un volume d'Amsterdam coûterait deux fois plus cher qu'un volume de Paris. C'était combler le canal fertile des échanges. (...) Le Noir écrivait au roi : "Une tolérance trop décidée a enhardi et les auteurs et les libraires. J'ai trouvé établi le système que la librairie étant une branche de commerce, on ne pouvait lui donner trop d'étendue et de liberté. A la faveur de ce principe, on ferme les yeux sur l'impression, la publication et la distribution de tous les ouvrages prohibés." (...)"
Ces deux volumes que forment "La Police de Paris dévoilée" sont trop importants pour l'histoire de la librairie à la fin du XVIIIe siècle pour ne pas y revenir très bientôt, ainsi prochainement, je vous proposerai le descriptif complet par le même de la "Cérémonie du Pilon", fort instructive.
Bonne journée à toutes et à tous,
Bertrand
Notre auteur, Pierre-Louis Manuel, n'échappa pas à la Louisette... Il fut raccourci d'une tête le 24 brumaire an II (14 novembre 1793). Son crime était louable... il perdit la tête pour avoir voulu sauver celle de son roi...
Nous passerons rapidement sur les divers évènements de sa vie agitée. Résumons simplement en disant qu'il était reconnu comme l'un des plus grands espions de son temps. A la solde de la police de Paris, on a saisi à son domicile des ouvrages clandestins, quelques nouvelles à la main de son cru, ce qui lui valut un séjour à la Bastille du 3 février au 7 avril 1786. On l'a dit également à l'époque, l'un des administrateurs du comte de Mirabeau. Durant l'été 1789, il participe aux événements parisiens avec enthousiasme, joue un grand rôle dans les premières émeutes et devient membre de la municipalité provisoire de Paris, « administrateur de la police, du département de la librairie, des spectacles et attributions accessoires ». Il rentre aux Jacobins, devient membre de la municipalité provisoire de Paris. Bras droit du maire Pétion, il l'accompagne de son action. Il est ainsi l'un des instigateurs de la journée du 20 juin 1792. Le 30 juillet, la Législative décrète la suppression de la Commune, mais, menacée d'une insurrection par Manuel, elle n'en fait rien. Il soutient toujours l'action de Pétion et des 47 sections lors des journées du 3 au 10 août 1792 comme membre de la commune insurrectionnelle. Le 13 août, il est nommé procureur syndic de la Commune de Paris et après en avoir fait proposition devant l'Assemblée, il escorte Louis XVI à la prison du Temple. Il est jusqu'à sa mort en fréquente relation avec le souverain déchu auquel il apprend en personne l'instauration de la République. Son rôle est flou dans les massacres de septembre. Élu à la Convention Nationale comme député de la Seine, il est nommé “commissaire chargé de rendre compte de l'état de la ville de Paris”, puis suppléant au Comité d’instruction publique. Il obtient la suppression de la croix de Saint-Louis, mais sa proposition de vente du château de Versailles est refusée. Son attitude envers le roi se modifie ouvertement dès le 7 novembre lorsque le député Mailhe présente un projet de décret sur le jugement du roi et les formes pour y procéder. Manuel propose que tout défenseur de Louis XVI soit sous la sauvegarde de la loi. Le 3 décembre, il donne son avis sur le sort de Louis XVI et le 6, il déclare à la Convention : « La Convention nationale ne peut commettre un assassinat. Je demande que Louis XVI soit entendu. » Ses interventions en faveur du roi font croire un moment qu’il est devenu fou. Le 15 décembre, il est exclu du Club des Jacobins. Un mois plus tard, en dépit de ses positions affichées, il vote la culpabilité du roi comme tous ses collègues. Le lendemain, il vote pour la ratification du jugement du peuple, le 17 janvier, pour la détention dans un fort ailleurs qu’à Paris, puis la déportation. Il donne alors sa démission. Les membres de la Montagne l’accusent en tant que secrétaire de séance, d’avoir tenté de falsifier les résultats de l’appel nominal. Retiré de la vie politique, il se serait rendu selon Nougaret dans un château à Fontainebleau. Il est finalement arrêté en février 1793 à Montargis où il se tenait caché. Transféré à Paris, il comparaît devant le Tribunal Révolutionnaire. On connait la suite...
C'est sa place d'administrateur de la police et du département de la librairie au sein de la municipalité puis de la Commune, qui lui permet de composer l'un de ses ouvrages majeurs, La Police de Paris dévoilée, avec Gravure et Tableau (II tomes, Paris, Garnery, 1791, 2 vol, in –8). Cette collection des documents de la Bastille enrichis des commentaires de l'auteur est une charge contre l'Ancien Régime et sa police qui connut un vif succès.
Je vous laisse apprécier sa verve au service de la liberté de la presse :
"De tous les vols que les rois ont faits aux peuples, celui qui leur coûte le plus à rendre, c'est la liberté de la presse. Les anglais ne reconnaissaient d'autres maîtres que la loi, quand la chambre étoilée exerçait encore sur les pensées la puissance de Goa. Le long parlement, Charles II, Jacques II, écartèrent, tant qu'ils purent, de toutes les imprimeries cette censure publique qui seule assure les loix et les moeurs d'une nation : et c'est Whalpole qui, retiré avec des protes dans sa maison de Patney, fut un des premiers à apprendre à tous les tyrans du monde que le choc des idées produit la vérité comme le choc des corps durs produit la lumière. Un gouvernement qui enchaîne ses écrivains, dénonce lui-même ses fautes et ses vices. Il n'y a que des sultans, des visirs et des bachas qui craignent les réverbères. Se laisser voir, c'est s'engager à être juste, et ils ne veulent pas se donner la peine d'être prudents. L'on peut assurer qu'il n'y a pas dans un état que des tyrans et des esclaves, tant que les ministres du trône n'ont pas dit au peuple : Suis-moi partout, je ne te crains pas. De tous ces despotes subalternes, il n'en est pas peut-être, qui ait plus retardé, en France, le culte de la raison que les lieutenants de police : car ils avaient la clef de cette Bastille, où, quand on n'otait pas la vie aux philosophes, on leur coupait du moins la langue. Un Sartine, en reculant les bornes de l'espionnage, a plus étouffé de bons livres que Séguier : car l'avocat-général ne faisait brûler, au bas du grand escalier, que quelques feuilles qui étaient souvent celles du réquisitoire même que le bourreau honteux substituait à Raynal : et un Le Noir, dont les cent yeux ne se fermaient jamais, précipitait dans le gouffres de l'ignorance les éditions entières du génie. Sans les Suisses et les Hollandais, il y aurait eu des années où la patrie des d'Alembert eût été condamnée à ne lire que l'historiographe Moreau. C'est pourtant le Chancelier d'Aguesseau, lui qui pensait en philosophe et qui parlait en orateur, qui, en 1723, a le plus conspiré, par ses règlements, contre le commerce des pensées ! mais, grâce aux commis des fermes, qui, sans s'en douter, servaient la philosophie, l'intérêt a souvent franchi les barrières de la loi. Tantôt les libraires, au lieu de prendre aux douanes frontières des acquits à caution adressés à la chambre syndicale du lieu de la destination des ballots, les faisaient entrer sous l'apparence de marchandises de peu de valeur dont on payait les droits : tantôt, quand ils étaient forcés de tromper les employés qu'ils ne pouvaient corrompre, leurs ballots plombés, ils adressaient un acquit à caution à une chambre intermédiaire, Lyon, par exemple, Dijon, Lille, où leurs correspondants, après avoir retiré ces ballots comme s'ils leur étaient destinés, les versaient dans des entrepôts, comme Versailles, St-Germain, La Villette, le Bourg-la-Reine ; là des colporteurs partageaient les ballots et les dangers. En vain, Monseigneur le garde des sceaux avait-il établi dans chaque chambre un inspecteur pour contrôler la visite du syndic et de ses adjoints ; il y a des d'Hemery partout : et puis, on est indulgent, quand on veut pécher soi-même. La formule des acquits à caution fournissait aux libraires étrangers un moyen d'éluder les règlements, en donnant aux juges, échevins et syndics des lieux où les livres sont adressés, la faculté de décharger ces acquits, lorsqu'il n'y a pas de commis aux traites. Comment M. Le Camus de Neuville, dont le nom n'a jamais été béni dans la rue du Foin, ne s'est-il pas apperçu que cette formule nécessaire peut-être pour les marchandises qui entrent dans le royaume, transportées d'une province à une autre, était mal adroitement appliquée aux livres, qui selon lui, ne doivent circuler qu'avec les précautions les plus rebutantes, comme des poisons ? Est-ce que son inspecteur Henri n'aurait pas dû lui dire : "A Versailles, monseigneur, il y a différents commissionnaires, Germont, le veuve Lanoue, chez lesquels les libraires étrangers adressent les livres prohibés ou contrefaits qu'ils veulent débiter en France : ces commissionnaires reçoivent les ballots accompagnés ou non accompagnés d'acquits à caution : ils s'entendent avec tous les Poinçots de Versailles, de Paris, de Rouen, pour les leur faire passer par des voies détournées, où se déchargent les acquits, loin de la douane et de la chambre. Ni monseigneur le chancelier, ni monseigneur de Vergennes, ni monseigneur Amelot, ni moi, nous n'avons pu arrêter ces pirates." Il eût paru bien plus tôt, cet arrêt du conseil du 25 août 1781, qui enjoint aux libraires étrangers d'envoyer à la chambre syndicale la plus prochaine de la frontière, les ballots de livres, estampes, musique, cartes, etc. qu'ils voudraient faire introduire en France ; et à tous les routiers et voituriers qui en seraient chargés, de les y conduire, à peine de 500 livres d'amende et de la confiscation de leurs chevaux et voitures, avec ordre aux commis des fermes de saisir tous les ballots ou caisses qu'ils trouveraient en contravention ou entreposés, dans l'intention d'éviter la visite. (...) La police qui attribuait aux mauvais livres les premiers élans de l'indépendance, crut devoir resserrer le bandeau d'un peuple qui commençait à entrevoir et le gaspillage des cours et le libertinage des prêtres. Pour l'empêcher de tout dire, il fallait d'abord l'empêcher de tout lire. Chaque jour c'était un projet nouveau pour fermer le royaume aux vérités qui nous venaient de Londres et de Genève. Les uns voulaient que l'on amenât à la douane, rue du Bouloi, toutes les brochures qui se présenteraient aux frontières de Bretagne, Normandie, Picardie, comme à celles de la Hollande, de la Suisse et des Pays-Bas. Ce n'était pas là le plus court des moyens. Les autres voulaient imposer sur la librairie étrangère des droits si onéreux, qu'un volume d'Amsterdam coûterait deux fois plus cher qu'un volume de Paris. C'était combler le canal fertile des échanges. (...) Le Noir écrivait au roi : "Une tolérance trop décidée a enhardi et les auteurs et les libraires. J'ai trouvé établi le système que la librairie étant une branche de commerce, on ne pouvait lui donner trop d'étendue et de liberté. A la faveur de ce principe, on ferme les yeux sur l'impression, la publication et la distribution de tous les ouvrages prohibés." (...)"
Ces deux volumes que forment "La Police de Paris dévoilée" sont trop importants pour l'histoire de la librairie à la fin du XVIIIe siècle pour ne pas y revenir très bientôt, ainsi prochainement, je vous proposerai le descriptif complet par le même de la "Cérémonie du Pilon", fort instructive.
Bonne journée à toutes et à tous,
Bertrand