Pour le plaisir de la découverte et de la lecture. Un poème du maroquin et parchemin ! Venu d'un autre siècle. Je vous laisse apprécier. Nous donnons en fin de billet le texte original en fac-similé.
Les deux Livres.
J'ai vu quelquefois un enfant,
Pleurer d'être petit, en être inconsolable.
L'élevait-on sur une table ?
Le Marmot pensait être grand.
Tout homme est cet enfant. Les dignités, les places,
La noblesse, les biens, le luxe et la splendeur,
C'est la table du Nain ; ce sont autant d'échasses,
Qu'il prend pour sa propre grandeur.
Je demande à ce grand qui me regarde à peine,
Et dont l'accueil même est un dédain,
Qui peut en lui fonder cette fierté hautaine ?
Est-ce sa race, ou son rang, ou son train ?
Mais quoi ? de tes aïeux la mémoire honorable,
L'autorité de ton emploi,
Ton Palais, tes meubles, ta table,
Tout cela, pauvre homme, est-ce toi ?
Rien moins, et puisqu'ici il faut que je t'apprécie,
Un cœur bas, un esprit mal-fait,
Une âme de vices noircie,
Te voilà nu, mais trait pour trait :
Du surplus ton orgueil te trompe & nous surfait.
Il est quelques puissants que de leurs dons célestes,
Les Dieux prennent plaisir d'orner :
L'orgueil à ceux-là seuls pourrait se pardonner ;
Mais ceux-là sont les seuls modestes.
C'est un double exemple à donner.
Côte à cote sur une planche,
Deux Livres ensemble habitaient.
L'un neuf, en maroquin, & bien doré sur tranche ;
L'autre en parchemin vieux, que les vers grignotaient,
Le Livre neuf, tout fier de sa parure,
S'écriait : Qu'on m'ôte d'ici ;
Mon Dieu, qu'il pue la moisissure !
Le moyen de durer auprès de ce gueux-ci ?
Voyez la belle contenance,
Qu'on me fait faire à côté du vilain !
Est-il œil qui ne s'en offense ?
Eh ! de grâce, compère, un peu moins de dédain,
Lui dit le Livre vieux ; chacun a son mérite,
Et peut-être qu'on vous vaut bien.
Si vous me connaissez à fonds... Je vous en quitte,
Dit le Livre Seigneur. Un moment d'entretien,
Reprend son camarade, Eh non ; je n'entends rien.
Souffrez du moins que je vous conte...
Taisez-vous ; vous me faites honte ;
Holà, Monsieur du Libraire, holà,
Pour votre honneur, retirez-moi de là.
Un Marchand vient sur l'entrefaite,
Demande à voir des livres ; il en voit :
A l'aspect du bouquin, il l'admire, & l'achète ;
C'était un auteur rare, un Oracle du droit.
Au seul titre de l'autre, ô la mauvaise emplette !
Dit le Marchand homme entendu.
Que faites-vous de ce poète,
Extravagant ensemble & morfondu ?
C'est bien du maroquin perdu.
Reconnaissez-les bien, faut-il qu'on vous les nomme,
Ceux dont en ces vers il s'agit ?
Du Sage mal vêtu le grand Seigneur rougit ;
Et cependant, un est un homme ;
L'autre n'est souvent qu'un habit.
Antoine Houdar de La Motte (1672-1731),
Fables Nouvelles, P., 1719, Livre IV, Fable IX.
Amitiés biblio-poétiques,
Bertrand