Une plaquette de quelques dizaines de pages récemment arrivée sur les rayons de ma bibliothèque sera l'occasion de ce petit billet.
La bibliothèque bleue depuis Jean Oudot Ier jusqu'à M. Baudot, 1600-1863, par Alexandre Assier.
Publiée à Paris en 1874, portant le titre général de "Bibliothèque de l'Amateur Champenois" en haut de la couverture et du titre, cette petite notice n'a été imprimée qu'à seulement 160 exemplaires (120 sur papier vergé, 10 sur papier rose, 10 sur papier vélin, 20 sur papier chamois). Celui-ci porte le numéro 92 tracé à la plume. Le premier plat de couverture rose et le titre sont illustrés d'un même joli bois gravé représentant un paysan du XVe siècle en train de semer dans les champs.
Cette plaquette se distribuait chez plusieurs libraires de Paris, Champion, Chossonnery, Delahays, A. Gougy, F. Henry. Elle a été imprimée chez Durand frères à Chartres.
Nous ne ferons qu'un court résumé de ce petit opuscule digne des recherches assidues des bibliophiles les plus curieux.
Dans son épître aux bibliophiles et aux lecteurs, l'auteur nous donne les lettres de noblesse de cette bibliothèque bleue. Aussi recherchés des amateurs que bien des perles bibliophiliques plus conséquentes, les ouvrages qui la composent sont des romans de chevalerie, des contes, des calendriers, des almanachs, des romans populaires. L'auteur nous dit que M. Charles Nodier, grand bibliophile de son époque, ne dédaignait pas à collectionner ces petites pièces mal imprimées sur mauvais papier. Le Prince d'Essling et M. Crozet les appréciaient également.
Son petit ouvrage met la Champagne et la ville de Troyes au centre de son étude. En voici la table des chapîtres :
L'imprimerie à Troyes de 1483 à 1600 - Origine de la bibliothèque bleue - Les descendants de Nicolas Ier Oudot - Catalogue des livres qui s'impriment et se vendent chez la veuve de Jacques Oudot, imprimeur libraire à Troyes, rue du Temple - Les concurrents des Oudot - Les descendants de Claude Garnier - Catalogue de M. Baudot, libraire et dernier éditeur de la bibliothèque bleue - Almanachs - Griselidis et le bonhomme misère - L'enfant sage à trois ans.
Nous ne reprendrons en intégralité que le chapitre consacré aux origines de la bibliothèque bleue, ce qui nous intéresse ici :
"Elevé dans les ateliers de Mamert-Patisson, qui imprimait en 1575 les oeuvres poétiques d'Amadis Jamyn, de Chaource, Jean Oudot devait posséder un assez bel assortiment des caractères de son patron. En effet, dès l'automne de 1596, de ses presses sortait l'édition princeps de Phèdre, dont l'éditeur eut à peine le temps de corriger les épreuves et d'adresser quelques exemplaires à ses amis, car la mort le frappait le 1er novembre dans sa métairie de Bernières, près Nogent-sur-Seine, d'où il venait à Troyes par intervalle pour surveiller l'ouvrage. Mais si ce petit in-12 de 67 pages chiffrées et de 3 non chiffrées excite aujourd'hui l'admiration des amateurs, surtout par l'élégante reliure de Thouvenin dont l'exemplaire de la bibliothèque de Troyes est revêtu, il faut croire qu'il ne grossit pas beaucoup l'escarcelle de Jean Oudot, quoique cet imprimeur eut pris pour enseigne le Chapon d'or couronné et qu'il se fût établi dans la rue Notre-Dame. Aussi renonçant probablement aux éditions de luxe, il débute par la Vie de Sainct Edme et les par les Chroniques de Gargantua, cousin du très redouté Galimassue.
Mais l'impression des livres destinés au colportage ne commença réellement qu'après sa mort, sous son fils Nicolas I Oudot, qui conserva l'enseigne du Chapon d'or couronné. A peine a-t-il publié les romants d'Oger le Danois et de Galien restauré que nous voyons successivement sortir de ses presses Meliadus, Hector de Troyes, Morgan le géant, Huon de Bordeaux, Maugis d'Aigremont, Mabrian, les quatre fils d'Aymon, et Geoffroi à la grande dent. A côté de ces romans, dans sa boutique, figurent en même temps les vies de St Savinien, de St Augustin, de Ste Catherine, de Sainte Barbe, de St Roch, des trois Maries, de St Hubert, de St Claude, de St Nicolas, de Sainte Hélène, de Sainte Reine, de Sainte Marguerite, le Doctrinal de Sapience, les quatre fins de l'homme et la vie, la mort, la passion et la résurrection de N.-S. J.-C. avec les gestes et faits de Judas Iscarioth.
Nicolas I Oudot dut être sans aucun doute secondé dans sa lourde tâche par quelques écrivains et par un personnel assez nombreux, car nous le voyons encore publier la Patience de Job à 49 personnages, la farce nouvelle du Musnier et du Gentilhomme à 4 personnes, les fantaisies de Buscambille et quelques tragédies parmi lesquelles je citerai l'amour divin, tragecomédie, par Jean Gaulché, de Vitry-le-Croisé.
Mais si la bibliothèque bleue était fondée, si elle devait introduire dans toutes les chaumières les vieux romans de chevalerie et de la Table ronde, les naïves légendes des saints avec moralités et complaintes et de petites pièces où la gaité rachète ce que le genre a de grivois, l'imprimerie troyenne changea promptement de caractère et délaissa les belles productions des Lecocq, des Lerouge, des Nicolas Paris et de Thibaut Trumeau. C'est que, lorsque l'art tient boutique et se fait marchand, la quantité sur les rayons du libraire finit par remplacer la qualité et la beauté. Et en effet, que se proposaient les éditeurs de la bibliothèque bleue ? De vendre à bas prix leurs productions et par conséquent de n'employer que du papier, des caractères et des vignettes qui leur permissent d'atteindre les dernières limites du bon marché. Aussi n'attendez plus de ces négociants des volumes tirés à petit nombre sur papier fort, imitant le vélin, des impressions splendides où l'encre noire et l'encre rouge brillent d'un éclat dont la vieille capitale de la Champagne semble avoir perdu le secret. Les volumes sont rognés à la fois, par douzaines, par vingtaines, le texte est atteint, qu'importe ! Les clients attendent et les éditeurs ne sont satisfaits que lorsqu'ils ont rempli la balle des colporteurs et reçu de beaux deniers. Les vignettes même qui accompagnent le texte seront quelquefois placées sans ordre, sans aucune allusion aux faits qui sont racontés dans les volumes, qu'importe encore ! Nos imprimeurs savent déjà que les images allèchent les clients et qu'un livre rempli de vignettes obtient toujours quelque succès.
Il faut croire que ce genre d'industrie acquit dès le XVIIe siècle une certaine vogue, car beaucoup d'imprimeurs essayèrent de lutter contre les Oudot et de recruter de nouveaux clients. Claude Perrault avoue même dans sa préface de l'Apologue des femmes que la bibliothèque bleue se répandit dans toutes les chaumières et que Boileau avait beau se glorifier du grand débit que l'on faisait de ses satyres, que ce débit n'approchait pas de celui de Jean de Paris, de Pierre de Provence, de la Misère des clercs, de la Malice des femmes ni du moindre des Almanachs imprimés à Troyes au Chapon d'or.
Les parisiens eux-mêmes ne dédaignet point de recourir aux éditeurs de la bibliothèque bleue. Nicolas II Oudot travaille pour les libraires Courbé, Billaine, Dupuis, Soly, Jacques Lagniet et beaucoup d'autres. On a prétendu que ce Nicolas omettait son nom sur les livres qu'il imprimait ou qu'il ne le plaçait en caractères microscopiques que pour se rendre la justice qu'il méritait par la mauvaise qualité de ses impressions. Mais pourquoi des éditeurs de Paris, tels que Gervais Clouzier et Billaine auraient-ils choisi cet imprimeur préférablement à tant d'autres, s'il n'avait eu à son service que des caractères à tête de clou et des bois grossièrement gravés ? Nicolas II Oudot n'agissait ainsi que pour satisfaire aux exigences de ses clients qui voulaient voir briller leur propre nom en gros caractères et dans l'endroit le plus apparent du frontispice des volumes, comme il est facile de s'en convaincre en ouvrant le Fidèle conducteur pour le voyage de France par le sieur Coulon.
Dès 1672 nous voyons même un Nicolas Oudot, rue de la vieille-boucherie, près le pont Saint-Michel, qui met en vente le nouveau testament de Nostre-Seigneur. Quel était ce libraire ? Le frère ainé de Jacques Oudot. Il est probable que les productions troyennes lui procurèrent d'assez beaux bénéfices, car sa veuve publie un catalogue sur lequel nous voyons figurer la plupart des volumes de la bibliothèque bleue. Longtemps auparavant le libraire Lesclapart débitait des Almanachs imprimés par Jean Adenet à l'Orange d'or, au coin de la petite Tannerie, dans la maison même autrefois habitée par les Lecoq.
Beaucoup de philologues se sont demandé pourquoi le nom de Bibliothèque bleue fut donné aux productions des Oudot et des Garnier. Les uns prétendent que cette dénomination vient de la couleur du papier sur lequel sont imprimés les romans, les légendes et les facéties ; les autres soutiennent au contraire qu'elle vient de la couleur de la couverture des principaux ouvrages. Quoi qu'il en soit, il est certain que dès le XVIIe siècle, ces romans et ces autres productions portaient déjà la dénomination de contes bleus, contes borgnes, contes de loup et que la première de ces expressions a prévalu.
D'où venaient la plupart de ces livres, de ces légendes et de ces romans ? Des productions les plus populaires du moyen-âge que les Jean Treperel, les Antoine Vérard, les Claude Noury de Lyon, les Jean Lecoq et les Nicolas Lerouge de Troyes s'étaient hâtés d'imprimer dès la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe.
Nos éditeurs finirent même par adopter dans leurs collections des livres qu'ils n'imprimaient pas, mais qu'ils recevaient probablement en dépôt de leurs correspondants de Lyon, de Rouen et d'autres villes, comme le prouvent plusieurs vies de saint imprimées à Lyon et d'autres opuscules imprimés à Rouen. Nous laissons à M. Alexis Socard de Troyes auquel nous devons déjà tant de savantes recherches le soin de dresser le catalogue le plus complet de la bibliothèque bleue. Nous nous contenterons d'en citer les principaux éditeurs depuis Nicolas I Oudot jusqu'à M. Baudot dont le fonds a complètement disparu en 1863."
Voilà pour les origines de la bibliothèque bleue. Nicolas Oudot eut probablement trois fils, Nicolas (rue de la Vieille-Boucherie à Paris), Jean III et Jacques (mort en 1711). La veuve de Jean III, Anne Havard continua l'affaire familiale jusqu'en 1742. Les Oudot eurent de sévères concurrents, notamment les Garnier. Depuis Claude Garnier, installé depuis 1582 jusqu'à Etienne Garnier dit le jeune qui imprimait encore en l'an IV (1795). Après la veuve et le fils d'Etienne Garnier le jeune, l'établissement passa aux mains de MM. Baudot père et fils. Elle disparut complètement en 1863.
Nous en resterons là pour cet article qui ne se veut qu'une évocation de l'histoire de la bibliothèque bleue.
Nous vous invitons à vister le site de la bibliothèque de Troyes qui détient aujourd'hui la plus riche collection d'ouvrages de ce genre.
Bibliothèque de Troyes - bibliothèque bleue (base de données).
Quelques dossiers pédagogiques pour aller plus loin :
La bibliothèque bleue, littérature populaire de l'époque moderne (XVIIe - XIXe)
L'Encyclopédie et la bibliothèque bleue
Bonne visite,
Amitiés bibliophiles,
Bertrand
Publiée à Paris en 1874, portant le titre général de "Bibliothèque de l'Amateur Champenois" en haut de la couverture et du titre, cette petite notice n'a été imprimée qu'à seulement 160 exemplaires (120 sur papier vergé, 10 sur papier rose, 10 sur papier vélin, 20 sur papier chamois). Celui-ci porte le numéro 92 tracé à la plume. Le premier plat de couverture rose et le titre sont illustrés d'un même joli bois gravé représentant un paysan du XVe siècle en train de semer dans les champs.
Cette plaquette se distribuait chez plusieurs libraires de Paris, Champion, Chossonnery, Delahays, A. Gougy, F. Henry. Elle a été imprimée chez Durand frères à Chartres.
Nous ne ferons qu'un court résumé de ce petit opuscule digne des recherches assidues des bibliophiles les plus curieux.
Dans son épître aux bibliophiles et aux lecteurs, l'auteur nous donne les lettres de noblesse de cette bibliothèque bleue. Aussi recherchés des amateurs que bien des perles bibliophiliques plus conséquentes, les ouvrages qui la composent sont des romans de chevalerie, des contes, des calendriers, des almanachs, des romans populaires. L'auteur nous dit que M. Charles Nodier, grand bibliophile de son époque, ne dédaignait pas à collectionner ces petites pièces mal imprimées sur mauvais papier. Le Prince d'Essling et M. Crozet les appréciaient également.
Son petit ouvrage met la Champagne et la ville de Troyes au centre de son étude. En voici la table des chapîtres :
L'imprimerie à Troyes de 1483 à 1600 - Origine de la bibliothèque bleue - Les descendants de Nicolas Ier Oudot - Catalogue des livres qui s'impriment et se vendent chez la veuve de Jacques Oudot, imprimeur libraire à Troyes, rue du Temple - Les concurrents des Oudot - Les descendants de Claude Garnier - Catalogue de M. Baudot, libraire et dernier éditeur de la bibliothèque bleue - Almanachs - Griselidis et le bonhomme misère - L'enfant sage à trois ans.
Nous ne reprendrons en intégralité que le chapitre consacré aux origines de la bibliothèque bleue, ce qui nous intéresse ici :
"Elevé dans les ateliers de Mamert-Patisson, qui imprimait en 1575 les oeuvres poétiques d'Amadis Jamyn, de Chaource, Jean Oudot devait posséder un assez bel assortiment des caractères de son patron. En effet, dès l'automne de 1596, de ses presses sortait l'édition princeps de Phèdre, dont l'éditeur eut à peine le temps de corriger les épreuves et d'adresser quelques exemplaires à ses amis, car la mort le frappait le 1er novembre dans sa métairie de Bernières, près Nogent-sur-Seine, d'où il venait à Troyes par intervalle pour surveiller l'ouvrage. Mais si ce petit in-12 de 67 pages chiffrées et de 3 non chiffrées excite aujourd'hui l'admiration des amateurs, surtout par l'élégante reliure de Thouvenin dont l'exemplaire de la bibliothèque de Troyes est revêtu, il faut croire qu'il ne grossit pas beaucoup l'escarcelle de Jean Oudot, quoique cet imprimeur eut pris pour enseigne le Chapon d'or couronné et qu'il se fût établi dans la rue Notre-Dame. Aussi renonçant probablement aux éditions de luxe, il débute par la Vie de Sainct Edme et les par les Chroniques de Gargantua, cousin du très redouté Galimassue.
Mais l'impression des livres destinés au colportage ne commença réellement qu'après sa mort, sous son fils Nicolas I Oudot, qui conserva l'enseigne du Chapon d'or couronné. A peine a-t-il publié les romants d'Oger le Danois et de Galien restauré que nous voyons successivement sortir de ses presses Meliadus, Hector de Troyes, Morgan le géant, Huon de Bordeaux, Maugis d'Aigremont, Mabrian, les quatre fils d'Aymon, et Geoffroi à la grande dent. A côté de ces romans, dans sa boutique, figurent en même temps les vies de St Savinien, de St Augustin, de Ste Catherine, de Sainte Barbe, de St Roch, des trois Maries, de St Hubert, de St Claude, de St Nicolas, de Sainte Hélène, de Sainte Reine, de Sainte Marguerite, le Doctrinal de Sapience, les quatre fins de l'homme et la vie, la mort, la passion et la résurrection de N.-S. J.-C. avec les gestes et faits de Judas Iscarioth.
Nicolas I Oudot dut être sans aucun doute secondé dans sa lourde tâche par quelques écrivains et par un personnel assez nombreux, car nous le voyons encore publier la Patience de Job à 49 personnages, la farce nouvelle du Musnier et du Gentilhomme à 4 personnes, les fantaisies de Buscambille et quelques tragédies parmi lesquelles je citerai l'amour divin, tragecomédie, par Jean Gaulché, de Vitry-le-Croisé.
Mais si la bibliothèque bleue était fondée, si elle devait introduire dans toutes les chaumières les vieux romans de chevalerie et de la Table ronde, les naïves légendes des saints avec moralités et complaintes et de petites pièces où la gaité rachète ce que le genre a de grivois, l'imprimerie troyenne changea promptement de caractère et délaissa les belles productions des Lecocq, des Lerouge, des Nicolas Paris et de Thibaut Trumeau. C'est que, lorsque l'art tient boutique et se fait marchand, la quantité sur les rayons du libraire finit par remplacer la qualité et la beauté. Et en effet, que se proposaient les éditeurs de la bibliothèque bleue ? De vendre à bas prix leurs productions et par conséquent de n'employer que du papier, des caractères et des vignettes qui leur permissent d'atteindre les dernières limites du bon marché. Aussi n'attendez plus de ces négociants des volumes tirés à petit nombre sur papier fort, imitant le vélin, des impressions splendides où l'encre noire et l'encre rouge brillent d'un éclat dont la vieille capitale de la Champagne semble avoir perdu le secret. Les volumes sont rognés à la fois, par douzaines, par vingtaines, le texte est atteint, qu'importe ! Les clients attendent et les éditeurs ne sont satisfaits que lorsqu'ils ont rempli la balle des colporteurs et reçu de beaux deniers. Les vignettes même qui accompagnent le texte seront quelquefois placées sans ordre, sans aucune allusion aux faits qui sont racontés dans les volumes, qu'importe encore ! Nos imprimeurs savent déjà que les images allèchent les clients et qu'un livre rempli de vignettes obtient toujours quelque succès.
Il faut croire que ce genre d'industrie acquit dès le XVIIe siècle une certaine vogue, car beaucoup d'imprimeurs essayèrent de lutter contre les Oudot et de recruter de nouveaux clients. Claude Perrault avoue même dans sa préface de l'Apologue des femmes que la bibliothèque bleue se répandit dans toutes les chaumières et que Boileau avait beau se glorifier du grand débit que l'on faisait de ses satyres, que ce débit n'approchait pas de celui de Jean de Paris, de Pierre de Provence, de la Misère des clercs, de la Malice des femmes ni du moindre des Almanachs imprimés à Troyes au Chapon d'or.
Les parisiens eux-mêmes ne dédaignet point de recourir aux éditeurs de la bibliothèque bleue. Nicolas II Oudot travaille pour les libraires Courbé, Billaine, Dupuis, Soly, Jacques Lagniet et beaucoup d'autres. On a prétendu que ce Nicolas omettait son nom sur les livres qu'il imprimait ou qu'il ne le plaçait en caractères microscopiques que pour se rendre la justice qu'il méritait par la mauvaise qualité de ses impressions. Mais pourquoi des éditeurs de Paris, tels que Gervais Clouzier et Billaine auraient-ils choisi cet imprimeur préférablement à tant d'autres, s'il n'avait eu à son service que des caractères à tête de clou et des bois grossièrement gravés ? Nicolas II Oudot n'agissait ainsi que pour satisfaire aux exigences de ses clients qui voulaient voir briller leur propre nom en gros caractères et dans l'endroit le plus apparent du frontispice des volumes, comme il est facile de s'en convaincre en ouvrant le Fidèle conducteur pour le voyage de France par le sieur Coulon.
A Troyes chez Nicolas Oudot et se vendent
A Paris chez Gervais Clouzier. M. DC. LIV.
A Paris chez Gervais Clouzier. M. DC. LIV.
Dès 1672 nous voyons même un Nicolas Oudot, rue de la vieille-boucherie, près le pont Saint-Michel, qui met en vente le nouveau testament de Nostre-Seigneur. Quel était ce libraire ? Le frère ainé de Jacques Oudot. Il est probable que les productions troyennes lui procurèrent d'assez beaux bénéfices, car sa veuve publie un catalogue sur lequel nous voyons figurer la plupart des volumes de la bibliothèque bleue. Longtemps auparavant le libraire Lesclapart débitait des Almanachs imprimés par Jean Adenet à l'Orange d'or, au coin de la petite Tannerie, dans la maison même autrefois habitée par les Lecoq.
Beaucoup de philologues se sont demandé pourquoi le nom de Bibliothèque bleue fut donné aux productions des Oudot et des Garnier. Les uns prétendent que cette dénomination vient de la couleur du papier sur lequel sont imprimés les romans, les légendes et les facéties ; les autres soutiennent au contraire qu'elle vient de la couleur de la couverture des principaux ouvrages. Quoi qu'il en soit, il est certain que dès le XVIIe siècle, ces romans et ces autres productions portaient déjà la dénomination de contes bleus, contes borgnes, contes de loup et que la première de ces expressions a prévalu.
D'où venaient la plupart de ces livres, de ces légendes et de ces romans ? Des productions les plus populaires du moyen-âge que les Jean Treperel, les Antoine Vérard, les Claude Noury de Lyon, les Jean Lecoq et les Nicolas Lerouge de Troyes s'étaient hâtés d'imprimer dès la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe.
Nos éditeurs finirent même par adopter dans leurs collections des livres qu'ils n'imprimaient pas, mais qu'ils recevaient probablement en dépôt de leurs correspondants de Lyon, de Rouen et d'autres villes, comme le prouvent plusieurs vies de saint imprimées à Lyon et d'autres opuscules imprimés à Rouen. Nous laissons à M. Alexis Socard de Troyes auquel nous devons déjà tant de savantes recherches le soin de dresser le catalogue le plus complet de la bibliothèque bleue. Nous nous contenterons d'en citer les principaux éditeurs depuis Nicolas I Oudot jusqu'à M. Baudot dont le fonds a complètement disparu en 1863."
Gravure sur bois de médiocre qualité
Vie de Sainte-Reine, Troyes, Garniers, s.d. (milieu XVIIIe siècle)
Vie de Sainte-Reine, Troyes, Garniers, s.d. (milieu XVIIIe siècle)
Voilà pour les origines de la bibliothèque bleue. Nicolas Oudot eut probablement trois fils, Nicolas (rue de la Vieille-Boucherie à Paris), Jean III et Jacques (mort en 1711). La veuve de Jean III, Anne Havard continua l'affaire familiale jusqu'en 1742. Les Oudot eurent de sévères concurrents, notamment les Garnier. Depuis Claude Garnier, installé depuis 1582 jusqu'à Etienne Garnier dit le jeune qui imprimait encore en l'an IV (1795). Après la veuve et le fils d'Etienne Garnier le jeune, l'établissement passa aux mains de MM. Baudot père et fils. Elle disparut complètement en 1863.
Page de titre de la vie et légende de Sainte Marguerite,
s.d., Troyes, Veuve Garnier (vers 1780 d'après le fleuron de titre)
s.d., Troyes, Veuve Garnier (vers 1780 d'après le fleuron de titre)
Nous en resterons là pour cet article qui ne se veut qu'une évocation de l'histoire de la bibliothèque bleue.
Nous vous invitons à vister le site de la bibliothèque de Troyes qui détient aujourd'hui la plus riche collection d'ouvrages de ce genre.
Bibliothèque de Troyes - bibliothèque bleue (base de données).
Quelques dossiers pédagogiques pour aller plus loin :
La bibliothèque bleue, littérature populaire de l'époque moderne (XVIIe - XIXe)
L'Encyclopédie et la bibliothèque bleue
Bonne visite,
Amitiés bibliophiles,
Bertrand