Le 2 avril 1791 s'éteignait "l'orateur du peuple". On l'avait aussi surnommé "la torche de provence". De son vrai nom Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau. Un grand nom de la Révolution française ! Sa mort semble-t-il reste un mystère. Certains l'attribuèrent aux suites d'une maladie liée à un empoisonnement, d'autres n'hésitèrent pas à écrire que c'est sa vie de débauché qui lui valut de passer si promptement de vie à trépas. Il avait tout juste 42 ans.
Selon Victor Hugo, Mirabeau était d'une « laideur grandiose et fulgurante ». Il est né avec un pied tordu, deux grandes dents et surtout une tête énorme (ce qui a fait dire qu’il était hydrocéphale). Il avait également la langue enchaînée par le filet. Avant de présenter l'enfant à son père, la nourrice le prévint : « Ne vous effrayez pas ». Et l'accoucheur d'ajouter : « Il aura beaucoup de peine à s'exprimer ». À l'âge de trois ans, il fut défiguré par une petite vérole mal soignée ; son visage en garda de profondes cicatrices.
Sans être pessimiste, ça partait plutôt mal dans la vie pour le petit Mirabeau !
Son père, le grand physiocrate, Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, n'aimait guère son fils. Le jeune Mirabeau suit d'abord la voie de l'armée, touche de près au libertinage et contracte des dettes. C'est son père même qui le fera enfermer plusieurs fois au château de Vincennes pour se soustraire à ses nombreux créanciers. Finalement exilé au château de Joux, en Franche-Comté, il s’enfuit ensuite aux Provinces-Unies (Pays-Bas) avec sa maîtresse, Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey, rencontrée lors de ses sorties autorisées, qui est l'épouse du marquis de Monnier, président de la chambre des comptes de Dole. En 1776, dans sa fuite, il publie son Essai sur le despotisme qui dénonce l’arbitraire du pouvoir royal : « le despotisme n’est pas une forme de gouvernement (...) s’il en était ainsi, ce serait un brigandage criminel et contre lequel tous les hommes doivent se liguer. » Mirabeau fut condamné à mort par contumace, puis extradé et emprisonné au château de Vincennes de 1777 à 1780. Il y écrivit des lettres, publiées après sa mort sous le titre de Lettres à Sophie, chef d’œuvre de la littérature passionnée ainsi qu’un virulent libelle contre l’arbitraire de la justice de son temps : "Des Lettres de cachet et des prisons d'État."
Mais le temps était à l'orage... la révolution commençait à gronder au loin... mais pas si loin ...
Mirabeau sort de la prison de Vincennes quelques mois avant la prise de la Bastille. Tout va aller ensuite très vite. En quelques mois il s'impose comme l'un des meneurs de 1789. Il se présenta en Provence aux élections des États généraux de cette même année. Repoussé par la noblesse, il publia un discours véhément adressé aux nobles provençaux. Il est alors nommé par le Tiers état, à Aix et à Marseille. Il ne tarda pas à devenir l’un des plus énergiques orateurs de l’Assemblée nationale. Seize mois plus tard, en octobre 1790, il prononce un vibrant discours où il propose que la couleur blanche soit remplacée par les couleurs bleu, blanc, rouge sur les bâtiments de la marine royale. Les matelots devant maintenant crier "vive la nation, la loi et le roi" au lieu de "vive le roi". Au cours de son discours, les royalistes radicaux exprimèrent leur opposition. La dégradation de la monarchie détermina son revirement politique, il était devenu le plus solide appui de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il devint notamment le conseiller privé de Louis XVI, fonction pour laquelle il se fit rémunérer.
Mirabeau ne connut pas la suite de cette Révolution ... la mort du roi Louis XVI le 21 janvier 1793, celle de la reine Marie-Antoinette le 16 octobre de la même année ... les suites sanglantes de la terreur et autres joyeusetés inhérentes à la libération d'un peuple (on connait encore ceci aujourd'hui sans avoir à chercher bien loin).
Mais au fond, qui était vraiment Mirabeau ? Quel genre d'homme était-il ? Un sage ? Un déraisonnable ? Un exalté ?
Après sa mort, ses connivences avec la cour furent étalées au grand jour. Son image ne fut plus aussi brillante aux yeux du peuple.
Les trois meilleurs amis de Mirabeau étaient Cabanis (**), Frochot et de La Marck, et c'est ce dernier qui fut choisit pour être son exécuteur testamentaire. Nous allons nous attarder sur Cabanis.
Qui était ce Cabanis proche ami du tribun Mirabeau ?
Cabanis était un de ses amis parmi les plus proches mais également son médecin personnel.
"L'amitié nouée entre Cabanis et Mirabeau fut d'une essence si rare qu'elle rappelle celle qui unit Montaigne à La Boétie. Pourtant, Dieu sait si les hommes étaient différents : Cabanis d'une douceur et d'une pureté de moeurs qui l'a fait qualifié d'angélique et l'autre véritable faune avide de plaisirs faisandés, et vénal au point que Rivarol a pu dire de lui "qu'il était capable de tout, même d'une bonne action, pour de l'argent !" (*)
On sait que Cabanis a influencé Mirabeau dans la rédaction de plusieurs de ses discours. Notamment la création d'un lycée national, la réorganisation des études médicales, etc. Cabanis tenta de sauver "son malade" plusieurs fois, en vain.
Lorsque dans la nuit du 27 au 28 mars 1791, Mirabeau fut pris de violentes douleurs thoraciques à la suite d'une longue séance à l'Assemblée où il avait prononcé cinq discours consécutifs d'une voix passionnée, malgré le malaise qu'il avait éprouvé la veille, il n'accepta pas que l'on allât chercher Cabanis, qui se trouvait à Auteuil, disant : "Le dimanche est le seul jour où Cabanis puisse donner plusieurs heures de suite à ses amis d'Auteuil : cet arrangement lui est cher, je ne veux pas absolument qu'on le trouble." (*)
Juste avant de mourir et d'après les dires de Cabanis qui était présent dans ses derniers instants, le tribun aurait dit : "Mon ami, je mourrai aujourd'hui. Quand on en est là, il ne reste plus qu'une chose à faire : c'est de se parfumer, se couronner de fleurs et s'environner de musique afin d'entrer agréablement dans ce somme dont on ne se réveille plus."
Il existe de fortes présomptions sur le fait que Cabanis aurait peut-être hâté le trépas de Mirabeau pour abréger ses souffrances comme il lui aurait expressément demandé peu de temps avant de mourir. On ne sait pas. Quoi qu'il en soit, plus tard, dans ses "Rapports du physique et du moral de l'homme" il s'avèrera un chaud partisan de l'euthanasie (la bonne mort).
Quel rapport avec la bibliophilie me direz-vous ? Nous sommes ici dans l'histoire... la petite et la grande ... mais point question de livres ... mais j'y viens !
Il y a de cela quelques mois, une jeune amie libraire a eu la gentillesse de me prévenir qu'elle venait de rentrer un document qui m'intéresserait certainement (et qu'elle en soit ce soir présentement chaleureusement mais sagement remerciée). Elle m'envoya quelques photos d'un document de 2 pages manuscrites de format petit in-4, bien écrites, très propre (voir photos). Le document est écrit sur un papier vergé ancien filigrané G. LEROY 1783. Il porte en haut, un titre : "Pour Monsieur Cabanis, - // acheté à la vente de feu M. Mirabeau." . S'ensuit une liste de 21 numéros. Il s'agit de 21 numéros décrits des livres de la bibliothèque de Mirabeau, avec le numéro d'ordre dans le catalogue de la vente, le titre et le prix d'adjudication.
Quel document ! Quelle belle découverte !
Pour moi, ce document, soigneusement calligraphié, sur beau papier, l'a sans doute été par le secrétaire même de Cabanis, dont je n'ai pas recherché l'identité mais qui doit être assez facilement identifiable. Il s'agirait donc d'une "copie" ou "minute" à la manière des notaires, copie destinée à être soigneusement conservée dans les papiers de M. Cabanis, comme archive. A noter que ce document pourrait très bien aussi avoir été rédigé par le libraire-expert de la vente (à savoir Rozet ou Belin), pour le remettre ensuite à M. Cabanis. Nous ne le saurons sans doute jamais.
Analysons rapidement ce document. 21 ouvrages achetés donc. La totalité des ouvrages achetés s'avère être des ouvrages de médecine, la presque totalité sont des ouvrages en latin. Il s'agit comme vous pouvez le constater de numéros faisant partie de la section médecine du catalogue de la bibliothèque de Mirabeau. Je vous laisse lire le document (voir photos).
Cabanis achète donc un total de 21 numéros pour un total de 161 livres et 18 sols. Parmi ces achats il y a de beaux livres payés assez chers comme ce Lucina sine concubitu, adjugé 37 livres et les Boerhaave institutiones rei medicae 5 vol. in-4 pour 36 livres.
Émouvant non ? Je vous ai parlé de Mirabeau et de ses liens particuliers qu'il entretenait avec Cabanis. Mirabeau n'a-t-il jamais pensé légué ses livres de médecine à son ami et médecin personnel ? Il aura fallut que Cabanis les achètent au prix de l'encan. Sans doute Cabanis voulut-il un souvenir de son ami disparu. La vente des livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau eut lieu dans l'une des salles de l'hôtel de Bullion, rue J.-J. Rousseau, le lundi 9 janvier 1792 et les jours suivants. Le catalogue en fut fait et il compte pas moins de 2.854 numéros ! Mirabeau avait une belle bibliothèque, très variée. Vous pouvez parcourir ce catalogue ICI. Vous y retrouverez les numéros achetés par le docteur Cabanis.
Voilà, c'était juste cela que je voulais partager avec vous, et encore une fois remercier une libraire qui sachant ce que je cherche n'oublie jamais de me proposer ses pièces les plus curieuses.
PS : Le hasard a fait que j'ai rentré presque au même moment un ouvrage publié en 1803 traitant de l'épilepsie et ayant appartenu à la bibliothèque de Cabanis, avec son numéro de classement et son nom inscrit à la plume sur la fragile couverture rose de ce broché (voir photo ci-dessous).
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne
(**) Pierre Jean Georges Cabanis est un médecin, physiologiste et philosophe français, né au manoir de Salagnac, à Cosnac (Corrèze) le 5 juin 1757 et mort à Seraincourt le 5 mai 1808 (hameau de Rueil). Cité généralement sous le nom de Cabanis, on le voit parfois nommé avec l'un de ses prénoms mais, curieusement, pas toujours le même. Les ouvrages essentiels de Cabanis peuvent être classés en trois catégories : les uns à propos de l'histoire de la médecine ; d'autres sur l'organisation de l'enseignement médical et des hôpitaux ; d'autres enfin, et ce sont les plus importants, sur la philosophie de la médecine et particulièrement sur les rapports du physique et du moral, de la physiologie avec la psychologie. Admis dans la société de Mme Helvétius à Auteuil, il y connut Turgot, d'Holbach, Condorcet et d'autres hommes marquants de l'époque. Il embrassa chaudement les principes de la Révolution, se lia étroitement avec Mirabeau et lui donna ses soins comme médecin dans la maladie qui l'emporta. Défenseur farouche du matérialisme au sein des Idéologues, notamment avec Destutt de Tracy, il prendra tardivement une attitude plus spiritualiste en accordant à la nature une finalité. Cabanis est fortement inspiré par Locke, dont il lut les écrits pendant ses études, et qui le mit sur la voie de la philosophie classique et de la philosophie de son temps, et notamment du sensualisme de Condillac. Son apport original à la postérité de ces deux penseurs sera l'introduction de la physiologie dans la psychologie.
(*) Georges Cabanis : le médecin de Brumaire, par André Role et Luc Boulet. cf. page 126-134. Editions F. Sorlot et F. Lanore.
Selon Victor Hugo, Mirabeau était d'une « laideur grandiose et fulgurante ». Il est né avec un pied tordu, deux grandes dents et surtout une tête énorme (ce qui a fait dire qu’il était hydrocéphale). Il avait également la langue enchaînée par le filet. Avant de présenter l'enfant à son père, la nourrice le prévint : « Ne vous effrayez pas ». Et l'accoucheur d'ajouter : « Il aura beaucoup de peine à s'exprimer ». À l'âge de trois ans, il fut défiguré par une petite vérole mal soignée ; son visage en garda de profondes cicatrices.
Sans être pessimiste, ça partait plutôt mal dans la vie pour le petit Mirabeau !
Son père, le grand physiocrate, Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, n'aimait guère son fils. Le jeune Mirabeau suit d'abord la voie de l'armée, touche de près au libertinage et contracte des dettes. C'est son père même qui le fera enfermer plusieurs fois au château de Vincennes pour se soustraire à ses nombreux créanciers. Finalement exilé au château de Joux, en Franche-Comté, il s’enfuit ensuite aux Provinces-Unies (Pays-Bas) avec sa maîtresse, Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey, rencontrée lors de ses sorties autorisées, qui est l'épouse du marquis de Monnier, président de la chambre des comptes de Dole. En 1776, dans sa fuite, il publie son Essai sur le despotisme qui dénonce l’arbitraire du pouvoir royal : « le despotisme n’est pas une forme de gouvernement (...) s’il en était ainsi, ce serait un brigandage criminel et contre lequel tous les hommes doivent se liguer. » Mirabeau fut condamné à mort par contumace, puis extradé et emprisonné au château de Vincennes de 1777 à 1780. Il y écrivit des lettres, publiées après sa mort sous le titre de Lettres à Sophie, chef d’œuvre de la littérature passionnée ainsi qu’un virulent libelle contre l’arbitraire de la justice de son temps : "Des Lettres de cachet et des prisons d'État."
Mais le temps était à l'orage... la révolution commençait à gronder au loin... mais pas si loin ...
Mirabeau sort de la prison de Vincennes quelques mois avant la prise de la Bastille. Tout va aller ensuite très vite. En quelques mois il s'impose comme l'un des meneurs de 1789. Il se présenta en Provence aux élections des États généraux de cette même année. Repoussé par la noblesse, il publia un discours véhément adressé aux nobles provençaux. Il est alors nommé par le Tiers état, à Aix et à Marseille. Il ne tarda pas à devenir l’un des plus énergiques orateurs de l’Assemblée nationale. Seize mois plus tard, en octobre 1790, il prononce un vibrant discours où il propose que la couleur blanche soit remplacée par les couleurs bleu, blanc, rouge sur les bâtiments de la marine royale. Les matelots devant maintenant crier "vive la nation, la loi et le roi" au lieu de "vive le roi". Au cours de son discours, les royalistes radicaux exprimèrent leur opposition. La dégradation de la monarchie détermina son revirement politique, il était devenu le plus solide appui de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il devint notamment le conseiller privé de Louis XVI, fonction pour laquelle il se fit rémunérer.
Mirabeau ne connut pas la suite de cette Révolution ... la mort du roi Louis XVI le 21 janvier 1793, celle de la reine Marie-Antoinette le 16 octobre de la même année ... les suites sanglantes de la terreur et autres joyeusetés inhérentes à la libération d'un peuple (on connait encore ceci aujourd'hui sans avoir à chercher bien loin).
Mais au fond, qui était vraiment Mirabeau ? Quel genre d'homme était-il ? Un sage ? Un déraisonnable ? Un exalté ?
Après sa mort, ses connivences avec la cour furent étalées au grand jour. Son image ne fut plus aussi brillante aux yeux du peuple.
Les trois meilleurs amis de Mirabeau étaient Cabanis (**), Frochot et de La Marck, et c'est ce dernier qui fut choisit pour être son exécuteur testamentaire. Nous allons nous attarder sur Cabanis.
Qui était ce Cabanis proche ami du tribun Mirabeau ?
Cabanis était un de ses amis parmi les plus proches mais également son médecin personnel.
"L'amitié nouée entre Cabanis et Mirabeau fut d'une essence si rare qu'elle rappelle celle qui unit Montaigne à La Boétie. Pourtant, Dieu sait si les hommes étaient différents : Cabanis d'une douceur et d'une pureté de moeurs qui l'a fait qualifié d'angélique et l'autre véritable faune avide de plaisirs faisandés, et vénal au point que Rivarol a pu dire de lui "qu'il était capable de tout, même d'une bonne action, pour de l'argent !" (*)
On sait que Cabanis a influencé Mirabeau dans la rédaction de plusieurs de ses discours. Notamment la création d'un lycée national, la réorganisation des études médicales, etc. Cabanis tenta de sauver "son malade" plusieurs fois, en vain.
Lorsque dans la nuit du 27 au 28 mars 1791, Mirabeau fut pris de violentes douleurs thoraciques à la suite d'une longue séance à l'Assemblée où il avait prononcé cinq discours consécutifs d'une voix passionnée, malgré le malaise qu'il avait éprouvé la veille, il n'accepta pas que l'on allât chercher Cabanis, qui se trouvait à Auteuil, disant : "Le dimanche est le seul jour où Cabanis puisse donner plusieurs heures de suite à ses amis d'Auteuil : cet arrangement lui est cher, je ne veux pas absolument qu'on le trouble." (*)
Juste avant de mourir et d'après les dires de Cabanis qui était présent dans ses derniers instants, le tribun aurait dit : "Mon ami, je mourrai aujourd'hui. Quand on en est là, il ne reste plus qu'une chose à faire : c'est de se parfumer, se couronner de fleurs et s'environner de musique afin d'entrer agréablement dans ce somme dont on ne se réveille plus."
Il existe de fortes présomptions sur le fait que Cabanis aurait peut-être hâté le trépas de Mirabeau pour abréger ses souffrances comme il lui aurait expressément demandé peu de temps avant de mourir. On ne sait pas. Quoi qu'il en soit, plus tard, dans ses "Rapports du physique et du moral de l'homme" il s'avèrera un chaud partisan de l'euthanasie (la bonne mort).
Quel rapport avec la bibliophilie me direz-vous ? Nous sommes ici dans l'histoire... la petite et la grande ... mais point question de livres ... mais j'y viens !
Il y a de cela quelques mois, une jeune amie libraire a eu la gentillesse de me prévenir qu'elle venait de rentrer un document qui m'intéresserait certainement (et qu'elle en soit ce soir présentement chaleureusement mais sagement remerciée). Elle m'envoya quelques photos d'un document de 2 pages manuscrites de format petit in-4, bien écrites, très propre (voir photos). Le document est écrit sur un papier vergé ancien filigrané G. LEROY 1783. Il porte en haut, un titre : "Pour Monsieur Cabanis, - // acheté à la vente de feu M. Mirabeau." . S'ensuit une liste de 21 numéros. Il s'agit de 21 numéros décrits des livres de la bibliothèque de Mirabeau, avec le numéro d'ordre dans le catalogue de la vente, le titre et le prix d'adjudication.
Quel document ! Quelle belle découverte !
Pour moi, ce document, soigneusement calligraphié, sur beau papier, l'a sans doute été par le secrétaire même de Cabanis, dont je n'ai pas recherché l'identité mais qui doit être assez facilement identifiable. Il s'agirait donc d'une "copie" ou "minute" à la manière des notaires, copie destinée à être soigneusement conservée dans les papiers de M. Cabanis, comme archive. A noter que ce document pourrait très bien aussi avoir été rédigé par le libraire-expert de la vente (à savoir Rozet ou Belin), pour le remettre ensuite à M. Cabanis. Nous ne le saurons sans doute jamais.
Analysons rapidement ce document. 21 ouvrages achetés donc. La totalité des ouvrages achetés s'avère être des ouvrages de médecine, la presque totalité sont des ouvrages en latin. Il s'agit comme vous pouvez le constater de numéros faisant partie de la section médecine du catalogue de la bibliothèque de Mirabeau. Je vous laisse lire le document (voir photos).
Cabanis achète donc un total de 21 numéros pour un total de 161 livres et 18 sols. Parmi ces achats il y a de beaux livres payés assez chers comme ce Lucina sine concubitu, adjugé 37 livres et les Boerhaave institutiones rei medicae 5 vol. in-4 pour 36 livres.
Émouvant non ? Je vous ai parlé de Mirabeau et de ses liens particuliers qu'il entretenait avec Cabanis. Mirabeau n'a-t-il jamais pensé légué ses livres de médecine à son ami et médecin personnel ? Il aura fallut que Cabanis les achètent au prix de l'encan. Sans doute Cabanis voulut-il un souvenir de son ami disparu. La vente des livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau eut lieu dans l'une des salles de l'hôtel de Bullion, rue J.-J. Rousseau, le lundi 9 janvier 1792 et les jours suivants. Le catalogue en fut fait et il compte pas moins de 2.854 numéros ! Mirabeau avait une belle bibliothèque, très variée. Vous pouvez parcourir ce catalogue ICI. Vous y retrouverez les numéros achetés par le docteur Cabanis.
Voilà, c'était juste cela que je voulais partager avec vous, et encore une fois remercier une libraire qui sachant ce que je cherche n'oublie jamais de me proposer ses pièces les plus curieuses.
PS : Le hasard a fait que j'ai rentré presque au même moment un ouvrage publié en 1803 traitant de l'épilepsie et ayant appartenu à la bibliothèque de Cabanis, avec son numéro de classement et son nom inscrit à la plume sur la fragile couverture rose de ce broché (voir photo ci-dessous).
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne
(**) Pierre Jean Georges Cabanis est un médecin, physiologiste et philosophe français, né au manoir de Salagnac, à Cosnac (Corrèze) le 5 juin 1757 et mort à Seraincourt le 5 mai 1808 (hameau de Rueil). Cité généralement sous le nom de Cabanis, on le voit parfois nommé avec l'un de ses prénoms mais, curieusement, pas toujours le même. Les ouvrages essentiels de Cabanis peuvent être classés en trois catégories : les uns à propos de l'histoire de la médecine ; d'autres sur l'organisation de l'enseignement médical et des hôpitaux ; d'autres enfin, et ce sont les plus importants, sur la philosophie de la médecine et particulièrement sur les rapports du physique et du moral, de la physiologie avec la psychologie. Admis dans la société de Mme Helvétius à Auteuil, il y connut Turgot, d'Holbach, Condorcet et d'autres hommes marquants de l'époque. Il embrassa chaudement les principes de la Révolution, se lia étroitement avec Mirabeau et lui donna ses soins comme médecin dans la maladie qui l'emporta. Défenseur farouche du matérialisme au sein des Idéologues, notamment avec Destutt de Tracy, il prendra tardivement une attitude plus spiritualiste en accordant à la nature une finalité. Cabanis est fortement inspiré par Locke, dont il lut les écrits pendant ses études, et qui le mit sur la voie de la philosophie classique et de la philosophie de son temps, et notamment du sensualisme de Condillac. Son apport original à la postérité de ces deux penseurs sera l'introduction de la physiologie dans la psychologie.
(*) Georges Cabanis : le médecin de Brumaire, par André Role et Luc Boulet. cf. page 126-134. Editions F. Sorlot et F. Lanore.