jeudi 8 septembre 2011

Le catalogue du jardinier savoyard (1787)


Vous faites votre shopping sur ebay ? Vous pensez sans doute que l’ancêtre de la vente par correspondance est le catalogue de la Redoute ou celui d’Yves Rocher. Que nenni ! Voici un catalogue de vente par correspondance qui date de 1787 !



Fig 1 Page de titre du catalogue raisonné des arbres fruitiers.


Il est l’œuvre d’un jardinier savoyard, Martin Burdin (1740-1820), né à Saint-Eusèbe en Rumilly près d’Annecy, passionné par l’agronomie et l’horticulture, il est considéré comme un pionnier dans la culture des arbres fruitiers. Il reçut le soutien de François-Joseph de Conzié (1707-1789), un propriétaire foncier éclairé (suffisamment éclairé pour héberger Jean Jacques Rousseau et Mme de Warrens dans son domaine des Charmettes) qui l’envoya étudier auprès de l'abbé Rozier et de Jean Baptiste François (1734-1793), peut-être, à l'époque, le plus célèbre des agronomes français.

Martin Burdin s’installe d’abord à Paris près des Chartreux, puis à Montreuil, ensuite aux Pays-Bas. En 1765, il rentre sur sa terre natale et choisit la colline bien ensoleillée du faubourg Nézin, proche de l’église du Lémenc à Chambéry, pour créer une pépinière (on dirait une start-up aujourd’hui). Ses affaires prospèrent et, en 1779, il sort son premier catalogue de vente par correspondance, publié à Annecy, qui sera suivi par deux éditions plus complètes, dont celle ici présentée, de 1787.

La seconde édition du « Catalogue raisonné des arbres fruitiers et autres plantes particulières, que cultive & vend le Sieur Martin Burdin, Jardinier, demeurant a Chambéry, proche le Couvent des RR.PP. Feuillans de Lemens. Nouvelle édition » est un document assez rare à trouver et que je n’avais jamais rencontré auparavant. Il sort des presses de Jean Lullin (1729-1789) qui avait appris la typographie à Lyon avant de s'installer comme libraire et imprimeur à Chambéry. Jean Lullin et son fils, affirment Dufour et Rabut, firent mieux que leurs contemporains ; les produits de leur atelier sont composés avec soin, bon goût dans l'arrangement des titres, une grand correction et l'emploi de bon papier. Voyez plutôt :


Fig 2 Une page aux dessins typographiques si caractéristiques de cette fin de 18ème siècle.


Plus qu’un catalogue destiné aux emplettes, c’est l’occasion pour le Sieur Burdin de donner une identification précise des espèces et variétés proposées à la vente par correspondance. C’est à cette époque que les botanistes européens commencent à réaliser que l'imprécision des termes agronomiques était un obstacle fondamental au progrès scientifique. Il décrit donc les espèces fruitières avec précision en donnant des indications utiles sur leur floraison, la qualité gustative des fruits, le temps de la récolte, le choix des meilleurs terrains et de la bonne l'exposition, les travaux préparatoires qui doivent précéder la plantation des arbres et les techniques de l'élagage. Bref, tout pour constituer un beau verger.

Ce qui frappe en tournant les pages de ce catalogue c’est de voir l’extraordinaire diversité des espèces fruitières de l’époque : L'auteur énumère des dizaines de variétés de cerisiers, pruniers, abricotiers, pêchers, pommiers, figuiers, amandiers, cognassiers et autres arbustes à baies; Pas moins de 120 variétés de poires sont ainsi décrites : "La poire de Naples est de moyenne grosseur, en forme de calebasse; sa peau lisse, verdâtre, devient jaune, lorsque le fruit est mur, & se teint quelquefois de brun du côté du soleil; sa chair demi-cassante, sans pierres, donne une eau douce & agréable; on la mange en Février."

Notre jardinier aimait l’art poétique.

Voilà qui nous rappelle que la biodiversité n’était pas un vain mot avant que la normalisation des produits alimentaires et la mondialisation du goût viennent détruire cette belle variété. De nos jours qui peut citer plus de quatre ou cinq espèces de chaque fruit ? Où est passée la Cent-Pistoles ? La Chat Brulé ? Quelqu’un se souvient-il d’avoir gouté la poire Ah-Mon-Dieu ou la Virgouleuse ? La Besy de Chaumontel ? La Franc-Réal ? la Cuisse-Madame ? (la petite préférée de Bertrand). Savez-vous que l’Aurate est au moins quatre fois plus grosse que la Sept-en-Gueule ? Chez les prunes, on trouve la Perdrigon, la Grosse Luisante, la Dame Aubert…. Pour sur, une bonne partie des ces espèces vendues par correspondance ne devaient pas supporter le voyage !

Quel prix pour ces raretés ? Il y en a pour toutes les bourses. Comptez 15 sols pièce, monnaie de Savoie, pour une haute tige, port en sus, paypal non accepté. Ce catalogue servit à un client qui a marqué sa commande sur le répertoire final : deux Mirabelles, une Petite-Mignonne, une Magdeleine Blanche, deux Grosse-Mignonne, une Grosse-Violette hâtive, une Bourdine, deux Têtons de Venus (NDLR : pas mal non plus les Tétons de Vénus hein...), une Royale….

Fig 3 les annotations d’un client pour sa commande.


Fig 4 le catalogue des prix.


En longeant la rue qui fut ouverte bien plus tard sur les terrains de la pépinière et qui porte aujourd’hui le nom de notre jardinier, on a du mal à imaginer le domaine qui devait être bien organisé et où « chaque espèce de fruit est marquée par un pieu peint d’une couleur blanche, sur lequel est gravé le nom du fruit, fiché en terre au pied de la plante. ». Pour s’en faire une idée, il faut aller aux Charmettes, sur la colline voisine admirer le verger de M Conzié.

Martin Burdin n’avait pas que des amis, la réussite fait toujours des envieux et les malfaisants copièrent sa méthode de vente. Surtout un certain « Jardinier de Villeneuve » qui trouva le moyen d’acheter les exemplaires invendus du catalogue de 1779 pour les détourner en arrachant la page de titre et en ajoutant son adresse à la plume. Quel pleutre ! Pour se protéger Martin Burdin dut imaginer un logo (Et oui, déjà! Ce n’était pas une pomme arc-en-ciel mais un MB entrelacé).Il posa son logo sur chaque colis et le reproduisit à la fin de l’avant-propos du catalogue afin d’en bien avertir ses concurrents.


Fig 5 Le logo du pépiniériste.


Fig 6 Le scélérat jardinier de Villeneuve.


Fig 7 Recommandations finales. L’ouvrage est un in-12 de IX + 61pages.


En Septembre de 1818, Martin Burdin cède la direction de son entreprise à ses fils Charles et François qui développeront une multinationale : la Martin Burdin frères et Compagnie. Il meurt à Turin le 25 Février 1820. Son héritage est impressionnant: plus d'un million de plantes cultivées au Nézin, un réseau de correspondants à Turin, Gênes, Milan, Livourne, Genève, Lausanne, Strasbourg, Grenoble, Lyon, Marseille rend possible la commercialisation dans toute l’Europe. La route d’ebay était tracée...

Bonne Journée
Textor

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