mardi 6 septembre 2011

Un rare envoi de Victor Hugo à Charles Baudelaire sur un exemplaire de « Les chansons des rues et des bois » (1865)



Hier soir je relisais le catalogue de la deuxième vente du fonds de la librairie Pierre Berès (des incunables à nos jours 1ère partie – Drouot Richelieu, Paris, le vendredi 28 octobre 2005. J’y étais à cette vente ! En spectateur-bibliomane impécunieux certes, mais j’y étais ! Les livres d’exception étaient légions dans ce copieux catalogue, mais mon affection toute particulière pour Victor Hugo m’a fait m’arrêter sur le n°174 (p. 262 du catalogue).

Quel est ce livre ? Il s’agit d’un exemplaire de l’édition originale de « Les chansons des rues et des bois » par Victor Hugo. Edition originale imprimée à Bruxelles, comme l’indique la fiche bibliographique, et n’ayant précédé la mise en vente à Paris que d’un ou deux jours sans doute. L’exemplaire est relié en demi-maroquin rouge à coins (Lemardeley). C’est un seul volume de format in-8 (224 x 149 mm). D’après Clouzot, dans son Guide du bibliophile français (p. 150), il a été imprimé 25 exemplaires sur Hollande et 25 exemplaires sur papier de couleur, évidemment rares comme il le souligne. Le catalogue de la vente Pierre Berès ne signale pas de grand papier, donc on supposera qu’il s’agissait d’un exemplaire du tirage ordinaire (papier vélin mécanique comme toujours à cette époque pour les œuvres de Victor Hugo). Le prix actuel de cette édition originale de Victor Hugo sur le marché est de l’ordre de 400 à 600 euros pour un exemplaire modeste en demi-chagrin de l’époque, à quelques 1.500 à 2.000 euros pour un exemplaire avec un envoi de l’auteur sur le titre. Résultats somme toute assez modestes mais qui reflètent assez bien la cote actuelle des éditions originales de Victor Hugo (sur papier ordinaire, avec ou sans envoi).

Avec ou sans envoi oui ! Peut-être ! Mais pas n’importe quel envoi…

L’exemplaire Pierre Berès n’était pas n’importe quel exemplaire ! il s’agit de l’exemplaire offert par Victor Hugo (le maître) à Charles Baudelaire (le poète maudit des Fleurs du Mal) … Forcément là, le silence se fait …

Mais lisons plutôt la notice du catalogue Berès : « Le 6 octobre 1865, Victor Hugo et Charles Baudelaire se rencontrent à Bruxelles et dînent ensemble. Le 24, Hugo retourne à Guernesey. Vers cette date, Baudelaire demande à Charles Hugo : « Si les Chansons des rues et des bois sont prêtes, rappelez mon nom au souvenir de votre père ». Alors que Baudelaire gagne 50 francs par conférence, Hugo touche une avance de 200.000 francs de son éditeur. Le 4 novembre, Baudelaire écrit à sa mère : « Victor Hugo qui a résidé pendant quelques temps à Bruxelles et qui veut que j’aille passer quelque temps dans son île, m’a bien ennuyé, bien fatigué. Je n’accepterais ni sa gloire, ni sa fortune, s’il me fallait en même temps posséder ses énormes ridicules. Mme Hugo est à moitié idiote, et ses deux fils sont de grands sots. » Puis, ayant reçu un exemplaire des Chansons des rues et des bois avec pour envoi « A Charles Baudelaire, jungamus dextras, il écrit à Manet : « Cela, je crois, ne veut pas dire seulement : donnons-nous une mutuelle poignée de main. Je connais les sous-entendus du latin de V. Hugo. Cela veut dire aussi : unissons nos mains, pour sauver le genre humain. Mais je me fous du genre humain, et il ne s’en est pas aperçu. » Le dandy ne répondra pas à l’envoi que lui a adressé le partisan du peuple et du progrès social.

La notice du catalogue précise : Les envois de Victor Hugo à Charles Baudelaire sont très rares. Outre celui-ci, on n’en a recensé qu’un autre, sur une feuille volante insérée dans un exemplaire des Travailleurs de la mer. L’exemplaire décrit ici a appartenu à Poulet-Malassis (1878, n°271) puis à Le Barbier de Tinan (Paris, 1885, n°357), qui fit exécuter la reliure. Il a ensuite appartenu à la comtesse Greffulhe. Cet exemplaire était estimé 30.000 à 50.000 euros à la vente Berès. Il a été finalement vendu … eh bien mystère ! Parce que je n’ai pas noté le prix d’adjudication ce jour là… sans doute pris par l’émotion…. Et aussi tout simplement parce que tous les résultats des ventes Pierre Berès ont été purement et simplement « effacés » de tous les sites internet (introuvable sur auction.fr par exemple…) Si quelqu’un sait le prix d’adjudication… il sera remercié ici même de nous le faire savoir.

Où se trouve désormais cet exemplaire mythique ?

Voyez comme d’un exemplaire on passe à un autre, l’émotion en plus. Quelques mots qui changent tout ! Certains s’étonneront de voir le prix passer de quelques centaines d’euros à plusieurs dizaines de milliers. Pour ma part, l’émotion n’a pas de prix, ou seulement le prix qu’on veut bien lui donner. Reste à pouvoir se l’offrir ou à se contenter de la regarder, de loin… C’est sans doute ce qui fait de la bibliophilie un des plus passionnants terrains de chasse qui soit pour émotif exalté ! (sourire).

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

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