Une petite cité de pêcheurs sur le golfe de Naples goûte la douceur de l’été. Les vacances romaines de Pline tirent à leur fin : On flâne au bord de mer pour admirer les filles sur la plage en négligé à la mode Osque, on déguste des glaces au miel et à la graisse d’ursus, on joue aux dés sous les portiques, on « feuillette » les rouleaux anciens dans les boites des bouquinistes. (« Tiens, t’as vu, Cicéron sort encore un best seller, il va bientôt battre Amelia Nothombus !»)…. Mais voilà, nous sommes le 24 Aout 79, et la terre se met soudain à gronder, le ciel s’obscurcit, le Vésuve entre en éruption et la petite cité est ensevelie très rapidement sous une couche de lave et de boue de plus de quinze mètres...
Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que la ville sorte de l’oubli. En 1709, le Comte d’Elbeuf fait forer un puits dans sa villa à Resina et tombe par hasard sur un mur et des vestiges antiques, qu'il identifie à tort comme un temple d'Hercule, en réalité le théâtre antique. Il en extrait quelques statues qu’il offre au Prince de Savoie.
Des fouilles mieux organisées reprennent à partir de 1738 sous la coordination de l'ingénieur-arpenteur espagnol Rocco Gioacchino de Alcubierre. Les fouilles livrent un matériel archéologique exceptionnel, en particulier en bois, ainsi que des œuvres littéraires inconnues jusqu’alors contenues dans la bibliothèque d'une vaste villa suburbaine. Le théâtre, la basilique sont identifiés, on exhume les restes d'un quadrige de bronze, la statue équestre de Nonius Balbus, une peinture représentant Thésée et le Minotaure.
Dès 1748, l'humaniste toscan Marcello Venuti publie la « Descrizione delle prime scoperte della antica città d'Ercolano » (Description des premières découvertes de l'antique cité d'Herculanum), ouvrage présenté par Charles de Brosse en 1749 à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce livre (sans gravure) recueille un certain écho auprès des jeunes artistes passionnés d’antiquités classiques Parmi ceux-là, le graveur Charles-Nicolas Cochin fils, rêve, lui aussi, de partir faire le voyage d’Italie.
Charles-Nicolas, né à Paris en 1715, avait de qui tenir puisque son père Charles-Nicolas (également !) était déjà un graveur réputé. Le rejeton de la famille taillait déjà le cuivre dès l’âge de 12 ans et il acheva sa formation chez Le Bas. Remarqué de bonne heure, du reste fort adroit à profiter des occasions et servi par une chance exceptionnelle, Cochin fut nommé, à 24 ans, dessinateur et graveur des Menus Plaisirs (1739)
Pour son voyage, Cochin se joint à la suite d’un personnage influent, très en vue à la Cour, le jeune Poisson de Vandières, Conseiller du Roi (Futur Marquis de Marigny), qui n’est autre que le frère de la marquise de Pompadour (elle-aussi, assez bien vue à la Cour …). Le sieur Poisson était pressenti pour le poste de surintendant des Beaux-arts et il allait donc étudier l’art antique en Italie. Ce groupe comprenait aussi les architectes Bellicard et Jacques-Germain Soufflot, et l'abbé Le Blanc, historiographe des Bâtiments du Roi.
A leur retour, en 1754, Cochin et Bellicard font un coup de librairie en publiant clandestinement le livre présenté aujourd’hui, que Cohen décrit ainsi : "Observations sur les antiquités d'Herculaneum, avec quelques réflexions sur la peinture et la sculpture des anciens, par MM. Cochin et Bellicard." Paris, Jombert, 1754. In-12, Jolie vignette par Cochin, gravée par lui-même; le Vésuve, par Cochin, gravé par Gallimard, et 40 planches d'antiquités, gravées par Bellicard (plusieurs non signées). (De 6 à 8fr.). 2ème édition en 1757. Le Vésuve gravé en grand et plié. Je ne sais pas pourquoi cette précision est donnée pour la seconde édition car la gravure est aussi gravée en grand et pliée dans la première édition !
Les circonstances dans lesquelles cette édition a vu le jour sont encore bien mystérieuses. Les carnets de notes de Bellicard, conservés au Metropolitan Museum de New-York, prouvent que le projet de livre était prémédité et que celui-ci a pris des notes sur place, mais on se demande encore comment nos compères ont pu établir des plans et des dessins aussi précis, qui n’ont pas pu être établis simplement de mémoire, même en faisant plusieurs visites sur le site, alors même qu’ils n’étaient pas les maitres d’œuvre des fouilles. Il est probable que le groupe ait eu un contact sur place avec un responsable des excavations et que celui-ci leur ait communiqué secrètement ses relevés et ses plans.(1) Ce qui fait de cet ouvrage non seulement le premier livre à gravures sur Herculanum, et le second paru, mais encore, peut-être, le premier livre d’espionnage !!
La réception de cet ouvrage clandestin fut pourtant très bonne et le succès immédiat. Bellicard nous livre des plans détaillés des principaux bâtiments découverts à l’époque – le théâtre, la basilique et le forum - ainsi qu’un ensemble de relevés très précis de fresques, mosaïques et sculptures, conservé dans la collection exposée par le roi Don Carlos de Naples dans sa villa de Portici.
On imagine aisément la rage de Francesco Valleta qui fera finalement publier, en 1757 seulement, sous le patronage officiel de Charles III, Le Antichità di Ercolano (Les Antiquités d’Herculanum) avec des gravures et la représentation des peintures. Année où Cochin sort une seconde édition de ses Observations, histoire de casser un peu plus la diffusion de l’ouvrage de Valleta.
La mode d’Herculanum est alors totale, les pensionnaires de l’Académie de France à Rome font le voyage à Naples. L’Encyclopédie produit en 1758 un article enthousiaste de quatre pages sur Herculanum. L’inspiration néoclassique se diffuse en Europe. Puis la ville d’Hercule retombe une nouvelle fois dans l’oubli, au profit de sa grande rivale Pompéi, qui ne fut véritablement découverte qu’un peu plus tard, vers 1763. Aujourd’hui encore, Herculanum est peu visitée, dix fois moins de touristes qu’à Pompéi. Trop encaissée dans la ville moderne, et en grande partie non dégagée, elle n’a certainement pas livré tous ses secrets. Cochin et Bellicard non plus !
Bonne soirée,
Textor
(1) Voir Alden Gordon, Trinity College, Hartford "Archaeological Espionage and the Urgency to Publish Images of the Early Discoveries of Herculaneum and the Bay of Naples.
Fig 1 Page de Titre de l’édition originale de 1754 des Observations sur les antiquités d'Herculaneum
Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que la ville sorte de l’oubli. En 1709, le Comte d’Elbeuf fait forer un puits dans sa villa à Resina et tombe par hasard sur un mur et des vestiges antiques, qu'il identifie à tort comme un temple d'Hercule, en réalité le théâtre antique. Il en extrait quelques statues qu’il offre au Prince de Savoie.
Des fouilles mieux organisées reprennent à partir de 1738 sous la coordination de l'ingénieur-arpenteur espagnol Rocco Gioacchino de Alcubierre. Les fouilles livrent un matériel archéologique exceptionnel, en particulier en bois, ainsi que des œuvres littéraires inconnues jusqu’alors contenues dans la bibliothèque d'une vaste villa suburbaine. Le théâtre, la basilique sont identifiés, on exhume les restes d'un quadrige de bronze, la statue équestre de Nonius Balbus, une peinture représentant Thésée et le Minotaure.
Dès 1748, l'humaniste toscan Marcello Venuti publie la « Descrizione delle prime scoperte della antica città d'Ercolano » (Description des premières découvertes de l'antique cité d'Herculanum), ouvrage présenté par Charles de Brosse en 1749 à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce livre (sans gravure) recueille un certain écho auprès des jeunes artistes passionnés d’antiquités classiques Parmi ceux-là, le graveur Charles-Nicolas Cochin fils, rêve, lui aussi, de partir faire le voyage d’Italie.
Charles-Nicolas, né à Paris en 1715, avait de qui tenir puisque son père Charles-Nicolas (également !) était déjà un graveur réputé. Le rejeton de la famille taillait déjà le cuivre dès l’âge de 12 ans et il acheva sa formation chez Le Bas. Remarqué de bonne heure, du reste fort adroit à profiter des occasions et servi par une chance exceptionnelle, Cochin fut nommé, à 24 ans, dessinateur et graveur des Menus Plaisirs (1739)
Pour son voyage, Cochin se joint à la suite d’un personnage influent, très en vue à la Cour, le jeune Poisson de Vandières, Conseiller du Roi (Futur Marquis de Marigny), qui n’est autre que le frère de la marquise de Pompadour (elle-aussi, assez bien vue à la Cour …). Le sieur Poisson était pressenti pour le poste de surintendant des Beaux-arts et il allait donc étudier l’art antique en Italie. Ce groupe comprenait aussi les architectes Bellicard et Jacques-Germain Soufflot, et l'abbé Le Blanc, historiographe des Bâtiments du Roi.
Fig 5 Hommage des auteurs à leur bienfaiteur aux armes piscicoles. Cette vignette est signée et datée : C. Cochin Filius fecit 1754.
A leur retour, en 1754, Cochin et Bellicard font un coup de librairie en publiant clandestinement le livre présenté aujourd’hui, que Cohen décrit ainsi : "Observations sur les antiquités d'Herculaneum, avec quelques réflexions sur la peinture et la sculpture des anciens, par MM. Cochin et Bellicard." Paris, Jombert, 1754. In-12, Jolie vignette par Cochin, gravée par lui-même; le Vésuve, par Cochin, gravé par Gallimard, et 40 planches d'antiquités, gravées par Bellicard (plusieurs non signées). (De 6 à 8fr.). 2ème édition en 1757. Le Vésuve gravé en grand et plié. Je ne sais pas pourquoi cette précision est donnée pour la seconde édition car la gravure est aussi gravée en grand et pliée dans la première édition !
Les circonstances dans lesquelles cette édition a vu le jour sont encore bien mystérieuses. Les carnets de notes de Bellicard, conservés au Metropolitan Museum de New-York, prouvent que le projet de livre était prémédité et que celui-ci a pris des notes sur place, mais on se demande encore comment nos compères ont pu établir des plans et des dessins aussi précis, qui n’ont pas pu être établis simplement de mémoire, même en faisant plusieurs visites sur le site, alors même qu’ils n’étaient pas les maitres d’œuvre des fouilles. Il est probable que le groupe ait eu un contact sur place avec un responsable des excavations et que celui-ci leur ait communiqué secrètement ses relevés et ses plans.(1) Ce qui fait de cet ouvrage non seulement le premier livre à gravures sur Herculanum, et le second paru, mais encore, peut-être, le premier livre d’espionnage !!
La réception de cet ouvrage clandestin fut pourtant très bonne et le succès immédiat. Bellicard nous livre des plans détaillés des principaux bâtiments découverts à l’époque – le théâtre, la basilique et le forum - ainsi qu’un ensemble de relevés très précis de fresques, mosaïques et sculptures, conservé dans la collection exposée par le roi Don Carlos de Naples dans sa villa de Portici.
On imagine aisément la rage de Francesco Valleta qui fera finalement publier, en 1757 seulement, sous le patronage officiel de Charles III, Le Antichità di Ercolano (Les Antiquités d’Herculanum) avec des gravures et la représentation des peintures. Année où Cochin sort une seconde édition de ses Observations, histoire de casser un peu plus la diffusion de l’ouvrage de Valleta.
La mode d’Herculanum est alors totale, les pensionnaires de l’Académie de France à Rome font le voyage à Naples. L’Encyclopédie produit en 1758 un article enthousiaste de quatre pages sur Herculanum. L’inspiration néoclassique se diffuse en Europe. Puis la ville d’Hercule retombe une nouvelle fois dans l’oubli, au profit de sa grande rivale Pompéi, qui ne fut véritablement découverte qu’un peu plus tard, vers 1763. Aujourd’hui encore, Herculanum est peu visitée, dix fois moins de touristes qu’à Pompéi. Trop encaissée dans la ville moderne, et en grande partie non dégagée, elle n’a certainement pas livré tous ses secrets. Cochin et Bellicard non plus !
Bonne soirée,
Textor
(1) Voir Alden Gordon, Trinity College, Hartford "Archaeological Espionage and the Urgency to Publish Images of the Early Discoveries of Herculaneum and the Bay of Naples.