vendredi 24 septembre 2010

Une traduction de L'Âne d’Or d’Apulée (1553).


Bertrand
a récemment publié quelques témoignages émouvants sous forme de lettres rédigées par nos ainés-bibliophiles, comme une façon de se rapprocher d’eux. Cela m’a incité à ressortir un exemplaire de l’Âne d’Or d’Apulée, imprimé à Lyon par Jean de Tournes et Guillaume Gazeau (1), contenant des notes manuscrites sur les recherches faites au XVIIIe siècle par un bibliophile anonyme. (Enfin, anonyme jusqu’à ce que vous me donniez son nom !).

Fig 1 L’Asne d’or


Fig 2 Page de titre


Fig 3 Notes d’un bibliophile du 18ème siècle.


Je retranscris : «Observations sur cette édition de 1553. La Croix du Maine et du Verdier, Bibliothèque Française, ont annoncé que cette version de l’Asne d’Or d’Apulée était la première qui avait paru puisque celle de Jean Louveau n'a été imprimé qu'en 1558. Ce livre dit M. debayle, dictionnaire, au nom Apulée est une satire continuelle des désordres, dont les magiciens, les prêtres, les impudiques et les voleurs remplissaient alors le Monde.(2) Les chercheurs de la pierre philosophale prétendent y trouver les mystères du grand œuvre. L’épisode de Psyché qui commence à la page 178 et finit à la page 338 a fournit la matière d’une excellente pièce de théâtre à molière et d’un joli roman à M. de la fontaine. Cette version est très rare. Voyez au surplus la note R (?) de du bayle et marchand, tome 2 page 68 Voyez encore la Bibliothèque des romans de linguet dufrenoy tome 2 page 17. »

Si notre bibliophile s’est quelque peu trompé - nous savons aujourd’hui que la première traduction française est de Guillaume Michel de Tours, datée de 1522 - il est exact que la version de Georges de La Bouthière (1553) précède celle de Jean Louveau, laquelle précède celle de Jean de Montlyard (« préférée malgré la rudesse de son style » Brunet).


Fig 4 1 volume in-16 (11,5 x 7 cm), qui se donne des airs d’in-folio !



Fig 5 La Fuite des brigands


Fig 6 la Ruade


Composé au début du IIe siècle par Apulée de Madaure (125-170), les Métamorphoses ou l'Âne d'Or relate les aventures à rebondissements de Lucius, un jeune homme qui, trop curieux des mystères de la magie, voulait devenir oiseau et se retrouve métamorphosé en âne. Il devient le compagnon d'infortune d'une bande de brigands pour finir, après moult péripéties, par retrouver sa forme humaine grâce à l’initiation aux mystères d’Isis.

Comme le dit la fiche du bibliophile anonyme, le récit renferme la fable mythologique des amours de Psyché et Cupidon, dont c'est la plus ancienne occurrence écrite. Ce mythe évoque l'union surnaturelle d'une femme et d'un monstre, contrariée par la transgression d'un interdit qui conduit à la perte de l'époux puis à sa recherche à travers de nombreuses épreuves. Il a fourni la matrice de très nombreuses versions dont Le Serpentin vert (Mme d'Aulnoy) ou La Belle et la Bête (Mme Leprince de Beaumont).

Fig 7 Cupidon et Psyché


"Ce livre est un chef-d'œuvre. II me donne à moi des vertiges et des éblouissements; la nature pour elle-même, le paysage, le côté purement pittoresque des choses sont traités là, à la moderne, et avec un souffle antique et chrétien tout ensemble qui passe au milieu. Ça sent l'encens et l'urine, la bestialité s'y marie au mysticisme, nous sommes bien loin encore de ça nous autres comme faisandage moral." (Gustave Flaubert, 1852).

Aujourd’hui, c’est l’image du monde antique qu’il nous livre qui retient l’attention ; on y voit l'audace des brigands, la fourberie des prêtres d'Isis, l'insolence des soldats sous un gouvernement violent et despotique, la cruauté des maîtres, la misère des esclaves….

Fig 8 La Métamorphose de Pamphile en chat huant.


Fig 9 Le banquet


Il faut cependant dire que les interprètes modernes ne sont pas parvenus à s'entendre sur la signification profonde de l’œuvre. Si Apulée a voulu transmettre à ses lecteurs un «message», nous ne sommes pas certains de l'avoir découvert !! Récit initiatique, éminemment poétique, mais aussi symbolique et mystique pour les uns, grosse farce sans prétention, imitée de Lucius de Patras, pour les autres, chacun son interprétation…

Pour pimenter l’ouvrage (et par voie de conséquence cet article) Jean de Tournes a eu l’idée de demander à son illustrateur préféré de graver sur bois une soixantaine de vignettes. Bernard Salomon, la figure emblématique de la gravure sur bois lyonnaise entre 1540 et 1560, a exécuté la série sans trop de soin, mais l’effet reste plaisant pour l’œil.

Jean de Tournes tenait Bernard Salomon en grande estime et, fait rare à l’époque, l’imprimeur le cite dans une épitre introductive aux « Hymnes du Temps », en le qualifiant de Peintre, et non de simple tailleur d’image, et en le plaçant à égalité avec l’auteur, Guillaume Guéroult : « J’espère (lecteur) que tu prendras quelque délectation, pour estre le tout sorti de bonne main, car l’invention est de M Bernard Salomon, Peintre autant excellent qu’il y en ait point en cet hémisphère… ».

Cet artiste remarquable, peut-être élève de Jean Cousin, a été influencé par le maniérisme italien de l’école de Fontainebleau. Il a eu plusieurs disciples, dont Pierre Eskrich.

Je termine sur ces petits morceaux de bravoure qui ne font pas plus de 40x48 mm !

Fig 10 La bataille


Fig 11 L'attaque des paysans


Fig 12

Bonne journée !
Textor

Post scriptum :

Pour ne pas choquer Bertrand, j’ai du soustraire de cet article quelques âneries érotico-salaces mais je précise que Lucius doit à sa nature d’âne d’être passablement porté sur la culbute et je vous invite à aller le vérifier par vous-même dans la version intégrale de l’ouvrage !

Notes :

(1) In-16 de 646 (2) pp. Titre orné de la marque gravée (avec la devise "Rien par Trop") marque au v°, avec la devise de l'imprimeur : "Nescit Labi Virtus". mq 2 ff. Illustré de 64 jolies figures in-texte, à mi-page, gravées sur bois. Ex libris manuscrit de Lagombaude sur la dernière garde daté 1678.
(2) La version du dictionnaire de Du Bayle que j’ai trouvé en ligne, est la 5ème de 1715, donne p 300 : « Plusieurs critiques ont publié des notes sur Apulée. Je ne sache point qu'on ait d'autres traductions Françaises de l'Ane d'or qu'en vieux Gaulois. On a raison de prendre ce livre pour une satire continuelle des désordres dont les Magiciens, les Prêtres, les impudiques, les voleurs, &c. remplissaient alors le Monde » Notre bibliophile a donc du consulter une autre édition puisqu’il cite la page 68 du tome 2 et non la page 300.

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