mardi 18 octobre 2011

Grand de marges !

S’il est un sujet sur lequel libraires et bibliophiles s’accordent volontiers, c’est bien celui de la marge : il faut qu’elle soit importante pour l’un comme pour l’autre !

Bertrand m’a fait souvent remarquer que certains des ouvrages que je présente à vos yeux ébahis ont de grandes marges, au point qu’il n’y a souvent plus beaucoup de place pour le texte au milieu. C’est vrai, j’aime bien ! Et peu importe si le texte semble un peu perdu sur une page trop grande pour lui ! Le facétieux propriétaire de l’Amour qui Bouquine avait même conclu que si je pouvais trouver un ouvrage dont toutes les pages seraient entièrement blanches, j’aurais atteint le Nirvana de la bibliophilie ! Je pense qu’il avait raison.

Fig 1. Impression de Leipsig, Jacob Thanner, 1507. Ici la marge a une fonction, celle de cahier d’écolier.


Serais-je un marginal ? un marginal obsessionnel, j’entends. Peut-être ... Pourtant ce goût pour la partie non imprimée de la page ne date pas d’hier. J’ai trouvé chez Richard de Bury un tropisme similaire : « Il y a aussi des jeunes gens impudents auxquels on devrait défendre spécialement de toucher aux livres, et qui, lorsqu’ils ont appris à faire des lettres ornées, commencent vite à devenir les glossateurs des magnifiques volumes que l’on veut bien leur communiquer, et où se voyait autrefois une grande marge autour du texte on aperçoit un monstrueux alphabet ou tout autre frivolité qui se présente à leur imagination et que leur pinceau cynique a la hardiesse de reproduire... » (Philobiblon. Tractatus pulcherrimus de amore librorum, vers 1345)

C’est vrai qu’un livre aux marges peintes n’est pas très zen, et d’ailleurs, j’ai tout simplement refusé d’enchérir sur ce livre d’heures à l’usage de Limoges, de l’école de Fouquet : marges trop encombrées ...

Mais, au fait, c’est quoi une grande marge ?

Fig 2. Domenget. Faits et observations sur les eaux de Challes en Savoie, Puthod,1845 ; Un in-octavo de 29x23 cm !


Un éditeur du XVIIIe siècle, Jean-Michel Briolo, avait semble-t-il une idée sur la question et il s’en est ouvert à ses lecteurs : « Des personnes m’ont fait des reproches d’avoir employé pour le premier volume un papier trop long. Je conviens que ce volume relié en carton ne se présente pas si bien à la vue ... »

A peine quelques années plus tard Massicot et Guillotin allaient devenir à la mode.

J.M. Briolo ajoute : « C’est le relieur qui doit régler la marge avec une équitable proportion et enlever ce pouce de marge qu’il y a en trop au pied de la page. »

Et notre éditeur de trancher une bonne fois la question en donnant la dimension de la marge idéale : « Elévation au dessus de la première ligne : ______ Marge du devant ______ Abaissement au dessous de la dernière ligne ______. » Mais, malheureusement pour moi, dans une suprême coquetterie, cet éditeur n’a pas imprimé la réponse. J’imagine qu’il réservait son secret à quelques initiés et mon exemplaire n’est pas passé par ce client-là ...

Fig 3. Guichenon, Histoire généalogique de la royale Maison de Savoie, 1780. Avis de l'éditeur.


Il ne me reste plus qu’à lancer le grand sondage de l’Automne : à partir de quelle largeur en pouce attribuez-vous le qualificatif « Grand de marges » à vos ouvrages.
Vous avez quatre heures !

Bonne journée,
Textor

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