Je me suis dit qu’il y avait déjà un moment que je ne vous avais pas présenté une petite chronique de la désormais célèbre série : « il n’est pas blême, mon livre d’emblème ».
Voici donc le dernier opus : une édition italienne imprimée par Guillaume Rouille en 1574, qui regroupe le Dialoguo de l'impresse militari et amorose, de Paolo Giovio (Dialogues des devises d’armes et d’amours) auquel ont été ajoutés les Imprese Heroiche e Morali ritrovate da M. Gabrielli Symeoni, fiorentino (les Devises héroïques et morales du seigneur Gabriel Symeon, florentin).
Paolo Giovio, évêque de Nocera, natif de Come (1483 – 1552) est une figure intéressante de l’humanisme italien. Il était à la fois médecin, historien et biographe, un peu comme le Bibliophile Rhémus. Il commença à exercer à Come mais l’arrivée de la peste, qui pourtant aurait pu lui donner du travail, le fait fuir vers Rome. Il devint alors le médecin personnel du Cardinal Jules de Médicis (le futur pape Clement VII). Histoire de ne pas être pris en défaut si son protecteur venait à passer l’arme à gauche, il écrivit un traité, le De optima victus ratione, dans lequel il met en doute l’efficacité de la pharmacopée de son époque. (Finalement, il avait raison, la meilleure stratégie pour combattre la maladie restait la fuite !)
Après quoi, il écrivit quelques traités historiques tout à la gloire de son mentor, Clément VII, notamment une chronique des guerres d'Italie et d'Allemagne sur lesquelles il nous livre ses réflexions sous forme de dialogues fictifs entre Arioviste, chef des Suèves et César. (De Bello Germanico). Giovio se vantait d’avoir deux plumes pour les princes, l’une d’or et l’autre de fer, suivant qu’il en recevait ou non des faveurs. Au moins, il ne pratiquait pas la langue de bois !
Giovio a plus d’une corde à son arc. Il aimait les peoples, et fréquenta ou entretint une correspondance avec les intellectuels, comme Léonard de Vinci, l’Arétin ou Pietro Bembo, mais aussi les puissants, François 1er, Charles Quint. Saviez-vous que c’est lui le véritable inventeur de Facebook ? En 1536 il se fit bâtir une villa à Borgo Vico, au bord du lac de Côme, probablement sur l’emplacement de l’antique villa de Pline le Jeune, qu’il appela le Musée, pour le seul plaisir de pouvoir y placer ses antiques, et tous les portraits des peoples, ses amis. Cette collection, « la plus célèbre d’entre toutes » lentement amassée avec le concours de son frère Benedetto, contenait plus de quatre cents portraits des figures marquantes de l’Histoire, véritable ancêtre de nos musées modernes. Ces tableaux, parmi lesquels figurait un portrait réputé authentique de Christophe Colomb (grande fierté de Giovio), étaient accompagnés de poèmes « éloges » notés sur des parchemins suspendus au cadre, rapportant brièvement la vie du personnage portraituré.
Une édition de cette galerie de portraits, intitulée « Le inscrittioni poste sotto le vere imagini de gli huomini famosi, le quali a Como nel museo del Giovio si veggiono » Torrentino 1552 était en vente au Grand Palais l’année dernière mais le marchand américain en demandait un prix prohibitif, donc vous ne les verrez pas !!
J’ai choisi pour illustrer l’œuvre de Giovio, son livre le plus … emblématique, un ensemble de harangues militaires d’éminents hommes de guerre de la Renaissance, arrangé autour du triptyque image – devise – commentaire, comme le veut le genre. La particularité de celui-ci réside dans le fait que la devise en latin est à chaque fois dans un bandeau intégré à la scène, et que l’image est toujours inscrite dans un ovale. (sans les encadrements d’arabesques, à la différence des éditions précédentes).
D’abord publié au format in-12 sans illustration, à Rome en 1555, les dialogues ont été ensuite imprimés par Guillaume Rouille sous ce format en 1559, puis, joint aux emblèmes de Syméoni dans une version française en 1561 sous le titre: « Dialogue des devises d’armes et d’amours, avec un discours de M. Loys Dominique sur le mesme subjet, traduit de l’italien par le S. Vasquin Philieul. Auquel avons adjousté les Devises héroiques & morales du seigneur Gabriel Symeon ».
Cette édition de 1574 contient 102 emblèmes pour le Dialogo dell impressa et 35 pour les Deviso heroico. Les figures gravées sur bois, et le portrait de l’auteur sont dessinés par le Maître à la Capeline ; Baudrier préfère s’extasier sur les seuls encadrement, absents ici : "Les encadrements de ces vignettes sont d’une remarquable exécution et sont, à notre connaissance, une des premières œuvres de cet artiste." (Baudrier IX-255 & 277). Il faut espérer que le Maitre de la Capeline ne s’est pas contenté de réaliser les encadrements mais qu’il a aussi dessiné les emblèmes ! Benezit identifie le Maitre à la Capeline avec ''Thomas'' Maitre Peintre qui dirigea le travail des artistes pour l'Entrée de Charles IX à Lyon en 1564 (Dictionnaire critique, 1948, p. 222). Ce ''Thomas'' pourrait être Thomas Arande, artiste actif à Lyon de 1552 à 1561.
Pourquoi regroupa-t-on les devises de Giovio avec celles de Gariel Syméoni ? Je l’ignore. Ses devises n’ont rien de comparables à celles de Giovio, mais le style des vignettes est identique puisque c’est également le Maitre à la Capeline qui en serait l’auteur.
Symeoni est un humaniste florentin (1509-1575), ingénieur et poète à ses heures, Il voyagea un peu partout en Europe pour s’attirer les faveurs d’un Prince, mais de tempérament orgueilleux et inconstant, il ne parvint à se fixer nulle part.. Il nous laisse des vers et des petites monographies historiques. C’est lui qui le premier identifia le site de Gergovie dans la plaine de Limagne (dommage qu’il ne soit pas allé chercher Alésia … !). Un temps à Lyon, il fréquenta le cercle littéraire et érudit de Maurice Scève et de Guillaume Du Choul. (Cf Chatelain, Livres d’emblèmes et de devises, p. 106).
On sait par une mention figurant sur un manuscrit d'un livre d'emblèmes de Symeoni que le graveur de Guillaume Rouille, en l'occurrence le Maître à la Capeline, devait se rendre chez Du Choul pour y copier des représentations d'animaux. Les vignettes de ce livre nous donnent donc une idée d'un autre ouvrage perdu à ce jour, Des animaux féroces et estranges, qui semble avoir été conservé par la famille de l’imprimeur jusqu’au XVIIIe siècle.
Sur le fond, les devises de Syméoni sont des enseignements moraux plutôt convenus, qui tranchent avec l’image laissée par ce personnage turbulent, mais pas très inspiré.
Bonne Journée
Textor