jeudi 3 juin 2010

Histoire d'un libraire de haute bibliophilie : Nicolas Rauch, Suisse.





Vous le savez déjà depuis longtemps si vous suivez les billets du Bibliomane moderne depuis le début, une de mes grandes passions consiste à lire, relire et relire encore, voire admirer tout simplement, les très beaux catalogues des librairies anciennes depuis que les libraires ont à leur disposition des moyens techniques et une science bibliographique performante pour leur permettre de produire de très savants et très jolis catalogues. Oublions le XVIIe et le XVIIIe siècle qui ne donne que de rares catalogues, non illustrés, la plupart du temps avec des descriptifs des livres présentés des plus sommaires. Il n'y a qu'à lire les catalogues de la vente des livres de la bibliothèque du Duc de La Vallière faite par le libraire De Bure (on peut ainsi presque considérer qu'il s'agit d'un catalogue de libraire) ! C'est assez affligeant de concision et d'approximation. Est-ce pour cela que finalement, compte tenu de la rareté de beaucoup de livres de cette prestigieuse bibliothèque, les livres s'y sont mal vendus ? Il doit y avoir de ça. Nous passons ensuite au XIXe siècle, les catalogues de libraires sont rares voire inexistants jusque vers le milieu du XIXe siècle. De mémoire je cite ceux que je fréquente assidûment, à savoir le libraire Auguste Aubry (année 1857 et ultérieures), le libraire Auguste Fontaine (années 1870-1880, repris ensuite par le libraire Rondeau), il y a bien sur les libraires associés Morgand et Fatout (fin des années 1870 jusque vers les années 1890, repris ensuite par Edouard Rahir jusque dans les années 1920). Il y en a évidemment d'autres que j'oublie pour cette période. Le début du XXe siècle voit quelques libraires apparaitre puis disparaitre, je n'ai pas de nom en tête à cette période si ce n'est dès les années 1930 le célébrissime Prince des libraires, Pierre Berès dont nous avons déjà parlé ici. Les moyens techniques se modernisant, la photographie remplace peu à peu la gravure de reproduction dans les plus beaux catalogues, la couleur vient rapidement remplacer le noir et blanc dès la fin des années 1950 et puis viennent alors de riches catalogues tout en couleurs et très bien imprimés dès les années 1970-1980. La librairie Sourget notamment passe, dès le milieu des années 1980, du catalogue broché tout en noir et blanc, à de beaux catalogues de grand format, reliés pleine toile, illustrés tout en couleurs. Cette librairie peut se targuer aujourd'hui encore de produire les catalogues de librairie à prix marqués les plus luxueux proposés à ses clients bibliophiles. La série des près de 40 catalogues de la librairie Sourget, restera à mon sens, dans les annales de la librairie ancienne, comme la plus belle collection documentaire sur la bibliophilie illustrée par la photographie. C'est une collection qu'il convient de faire si ce n'est déjà fait. L'ensemble représente tout de même plusieurs mètres de rayonnages et nécessite des étagères très solides ! Vous aurez compris que je suis littéralement envahi par les beaux catalogues de librairie que je conserve précieusement tout autour de moi, un peu dans chaque pièce de la maison (je conviens qu'il faut une grande maison ou de grandes dépendances saines...)


Parfois il m'arrive encore de découvrir un libraire qui m'était inconnu. C'est alors le vrai plaisir d'une découverte. Retracer un historique de la création de la librairie en question, voir et comprendre le fil conducteur qui pousse tel ou tel à présenter plutôt certains ouvrages que d'autres. C'est passionnant.

Voici la découverte que j'ai faite il y a maintenant quelques mois avec l'acquisition d'un premier catalogue, puis d'un deuxième, puis très récemment (reçu hier), d'un troisième très beau catalogue (le plus beau des trois), que je vais essayer de vous présenter maintenant.


CHOIX DE LIVRES DU XVe au XIXe SIECLE. Catalogue N°3.

NICOLAS RAUCH S.A. - LIVRES PRECIEUX.
Nicolas Rauch E. ENGELBERTS
MIES (VAUD) SUISSE

Il s'agit d'un catalogue de format 24,5 x 17 cm de 224 pages. Il présente 435 numéros. Il est illustré en noir et blanc exclusivement à l'exception de la couverture qui est illustrée en couleurs avec une reproduction d'un joli bois gravé du XVIe siècle (voir photo). On peut lire au dos du catalogue, en pied, la date de 1949. L'exemplaire que j'ai sous les yeux est à l'état neuf (il a été miraculeusement épargné par le temps grâce à une couverture de papier cristal protectrice). Visiblement jamais lu car le papier du dos est intact, ne présentant aucune trace de pli. Je sais, cela fait un peu maniaque mais j'aime ce genre de virginité, on ne se refait pas.


On trouve à la fin du catalogue quelques éléments intéressants que je reproduit ici :

"Ce catalogue, tiré à 1.500 exemplaires, fut achevé d'imprimer en novembre 1949, sur les presses de Benno Schwabe & Co., successeurs de Johannes Petri, imprimeur bâlois du XVe siècle. Les clichés ont été gravés par Maurice Reymond S.A. à Lausanne."

Nous en savons donc un peu plus. En troisième de couverture on trouve pleine page un plan pour accéder à la librairie qui se trouve visiblement être une belle et cossue maison bourgeoise du XVIIIe ou du XIXe siècle (avec photo). Elle se situe à mi-chemin entre Versoix et Mies, au lieu dit "Prémyes", non loin donc de la frontière française et de Ferney-Voltaire, au bord du lac Léman.

On lit au début, sous la table des matières que le catalogue N°1 (Très beaux livres du XVe au XIXe siècle, même format, 288 pages, 362 numéros, illustré de 11 planches en couleurs, 9 reproductions en rouge et noir et 350 clichés en noir, tirage limité à 1.350 exemplaires, se vendait 15 francs suisses. Le catalogue N°2, Livres Précieux et Autographes des XVe et XVIe siècles. Même format, 189 pages, 175 numéros, orné de 4 reproductions en couleurs, 18 illustrations en rouge et noir et 231 clichés en noir, tirage limité à 1.350 exemplaires, se vendait 12.50 francs suisses.

Les livres proposés sont à la hauteur de la qualité du catalogue proposé aux clients bibliophiles. Il n'y a que de l'exceptionnel ou presque. Quelques titres prix au hasard, on trouve ainsi : L'avantnaissance de Claude Dolet, "pièce introuvable' imprimée par Estienne Dolet en 1539, in-4 de 16 ff. (250 francs suisses) ; Les Chroniques de France dites Chroniques de Saint-Denis, édition princeps, 1476/1477, petit in-folio, maroquin de Chambolle-Duru (25.000 francs suisses) ; La Vénerie de Du Fouilloux dans l'édition de 1621 en vélin souple de l'époque (750 francs suisses) ; etc. Il y a à vrai dire trop de beaux livres pour en citer plus. C'est étourdissant !

Qui était Nicolas Rauch ? A partir de quelle année exerça-t-il le métier de libraire en livres précieux ? Quand son activité s'arrêta-t-elle ? Que sait-on sur lui et sa librairie ?


Autant de questions pour lesquelles il m'a été difficile voire impossible de trouver une réponse. Je ne possède pas le catalogue N°1 ce qui ne permet pas de savoir la première année de publication de ce luxueux catalogue. On peut imaginer un seul catalogue par an ce qui indiquerait une date approximative vers 1946 ou 1947 ? Je n'ai rien trouvé qui me permette de connaitre la date de fin d'activité de cette librairie prestigieuse (on cite ici ou là encore des ventes de livres par Nicolas Rauch dans les années 1960 ??).

Quelques éléments glanés dans les notes de bas de page de Ma Bibliothèque poétique de M. Barbier-Mueller (vol. 2, p. 258), M. Jean-Paul Barbier écrit : "Pour la petite histoire, il faut savoir que je fus approché en 1973 par le libraire Edwin Engelberts, que j'avais connu au début des années cinquante, alors qu'il était le jeune associé du truculent Nicolas Rauch, lui-même successeur de William Kunding, chez lequel j'avais fais mes premières armes de bibliophilie à la fin de la seconde guerre mondiale. (...)"

Nicolas Rauch était donc truculent ! Intéressant.

Le catalogue N°3 que nous présentons ici est publié en collaboration avec Edwin Engelberts comme l'indique la couverture. Livres, stock partagés ? Je ne sais pas. Il arrive aujourd'hui encore assez souvent que deux libraires s'associent pour publier un catalogue (Librairie Coulet et Librairie Yvinec pour les premiers qui me viennent à l'esprit et qui le font régulièrement actuellement).

Parfois Nicolas Rauch est dénommé "Antiquaire" ?? Est-ce une appellation pour les libraires de livres précieux en Suisse ? Ou avait-il aussi une activité d'antiquaire tel qu'on l'entend à la française ? Je ne sais pas. Apparemment il avait des liens avec le libaire Alain Brieux (librairie ancienne spécialisée dans les sciences médicales).

Je trouve un catalogue N°4 publié en 1952. On trouve une vente organisée à Genève par Nicolas Rauch en 1961 (conjointement avec André Jammes). Une autre encore à Genève le 18 juin 1962. J'ai trouvé que son associé pour un temps, Edwin Engelberts était décédé en 1998 (né en 1918), on le disait alors Galeriste... il avait des relation avec le peintre Georges Braque (1957). Une fondation porte son nom.

Je trouve enfin un paragraphe intéressant au sujet de Claire Lise Mercier (1923-2003) qui nous éclaire sur la demeure du libraire et son activité :
"Claire Lise Mercier a favorisé le rayonnement artistique - Née en 1923, Claire Lise Mercier a passé sa jeunesse à Lausanne où l’un des membres de sa famille a construit le funiculaire Lausanne-Ouchy. Son mariage avec Edwin Engelberts eut lieu en 1944 et de leur union naquit Patrice, l’actuel syndic de Mies. Son arrivée à Mies remonte en 1947 avec l’acquisition de la propriété Prémyes. Cette demeure du XIXème siècle s’ouvrit alors à l’art. Ce fut le siège de la Société Nicolas Rauch et Edwin Engelberts, spécialisée dans les anciens livres. Plusieurs artistes ont été accueillis et soutenus dans les années 50. Ce fut le cas pour deux musiciens hongrois réfugiés, devenus par la suite de brillants violonistes. Jean-Marie Auberson, Karl Engel et Jean Piat ont également été reçus à Prémyes. La générosité de Claire Lise Mercier a été empreinte de tact et de discrétion. Atteinte dans sa santé lors de la dernière étape de sa vie, elle s’est alors tenue en retrait. Malvoyante et passionnée de littérature, elle a eu recours à des lectrices et à un lecteur. Après quelques hospitalisations, elle a fait un court séjour à La Clairière avant son décès, le 17 mai dernier dans sa 80ème année." (article paru dans La Côte en 2003).

Je n'ai pas réussi à trouver si Nicolas Rauch était décédé ou non, si oui sa date de décès et l'histoire de la librairie Rauch depuis la fin des années 1950 ??


Je vous laisse farfouiller les limbes du net ou de votre mémoire. Peut-être même avez-vous connu et fréquenté cette prestigieuse enseigne ? En connaissez-vous l'histoire ? Pourquoi ne pas nous dire ici, à tous, ce que vous savez de tout ça. Ces histoires sont parfois (toujours) plus passionnantes que bien des histoires de livres.

Au plaisir de vous lire,

Bonne journée,
Bertrand

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