lundi 17 mai 2010

Les casse-têtes d’André Alciat (1549).


Je me suis fixé aujourd’hui un objectif ardu, vous présenter les livres d’emblèmes du XVIe siècle. (Emblematus Libellus).

Vaste sujet qui supposerait que Bertrand me loue un espace exclusif sur son blog pendant un mois et demi pour traiter la chose avec un peu de sérieux. Imaginez qu’il y aurait environ 7.000 éditions et titres différents qui pourraient être rattachés à ce genre. Mais, fi des difficultés, commençons donc par le premier d’entre eux, j’ai nommé Maistre André Alciat, jurisconsulte milanais, « très-éloquent entre les savans en droict ; tres-savant en droit entre les éloquens » et, accessoirement, l’inventeur d’un genre qui aura un succès incroyable pendant au moins cent cinquante ans (1). Sa devise était justement, « Ne pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même », alors je me lance !!

Fig 1 Reliure en veau blond, composée d’un encadrement brun entouré d'un double filet doré, riche composition de listels sertis de filets dorés formant entrelacs peints à la cire blanche, bleue, brune et verte, et volutes à projection sur les bords, réservant un médaillon central en forme de cuir enroulé.



Fig 2 Alciat himself représenté dans une lettrine.



Fig 3 La devise des Alciat, le wapiti. En grec le mot ἀλκή (Elk en anglais) signifie non seulement le wapiti mais aussi la force.


Comme le rappelle la page de titre de cet exemplaire agréablement habillé, les livres d’emblèmes se rattachent à la collection des lieux communs (2) mais ils sont beaucoup plus distrayants. Chaque emblème consiste en un titre, une image, et un texte en vers, ou épigramme. Les éditeurs successifs ont toujours maintenu cette formule, qui est devenue une caractéristique du genre. Il est douteux qu’Alciat ait voulu d’emblée associer ces 3 éléments. Il est très probable que ce soit une idée de l’imprimeur Heinrich Steyner (chez qui paru la première édition des Emblemata en 1531) d’ajouter une gravure à chacun des poèmes moraux imaginés par Alciat.

Cette première impression d’Augsbourg fut suivie d’une autre en 1534 chez Chrétien Wechsel puis, avec le succès, l’œuvre fut vite traduite en plusieurs langues. La première traduction en langue vulgaire fut l’adaptation française, en huitains, réalisée par Jean Le Fèvre, publiée à Paris en 1536 ; suivront des traductions allemande, puis italienne chez Guillaume Rouille à Lyon, toutes plus ou moins complètes. La traduction de Barthelemy Aneau en 1549 chez Mace Bonhomme et Guillaume Rouille, plus précise, est meilleure que l’adaptation incomplète de Le Fevre. C’est celle qui est présentée dans ce billet.(3)


Fig 4 Page de titre de cette édition donnée à Lyon, comprenant 201 emblèmes, partagée entre Guillaume Rouille et Macé Bonhomme, dont la traduction française et le commentaire sont dû à Barthélémy Aneau, Ex-libris manuscrit en haut du titre du Collège des jésuites de Besançon, daté de 1602.


Ces livres illustrent l’obsession de la Renaissance pour les symboles, les allégories et les énigmes. Leur part d’irrationnel et de subjectivité, l’imagination des artistes, graveurs ou poètes, en font encore aujourd’hui tout l’attrait. A l’époque, les humanistes utilisaient les symboles comme moyens d’explorer la nature des choses, le sens de la vie, ou l’idée de Dieu. Ils croyaient que chaque facette des choses naturelles existant sur terre ou dans le ciel, tels que les étoiles, les animaux, les plantes, les pierres, les couleurs, les nombres, avait une signification symbolique qu’il fallait percer. C’est pourquoi les symboles pouvaient être appliqués à la médecine, comme à l’architecture, à la conduite morale comme au déchiffrement des hiéroglyphes !

Le travail d’Alciat est généralement classé en 3 catégories, les descriptions détaillées (ekphrasis) d’œuvres d’art, les épigrammes funéraires à vocation symbolique, les courts récits, ou les dialogues, à interprétation ingénieuse (hermeneias epideixin)

Qu’a voulu exactement faire Alciat ? La nature précise des emblèmes ainsi que leur mode de lecture sont problématiques : Est-ce que l'emblème se définit comme un texte, une image ou une combinaison des deux ? Et selon quelle hiérarchie ? Alciat lui-même s’en est expliqué : « Les mots signifient, les choses sont signifiées.( verba signifiant, res significantur) Pourtant les choses aussi parfois peuvent signifier comme les Hiéroglyphiques d’Horapollon et de Chaeremon. Nous aussi, à titre d’épreuve, en avons composé en vers un livre qui a pour titre Emblèmes » (4)

Autrement dit, dans la combinaison du texte et de l'image, la signification est autre que celle qui résulterait de l’allusion au référent direct.

Prenons un exemple simple : Tantale subissant son dernier supplice est présenté par Alciat dans un emblème où il apparait mourant de soif près de la fontaine, cherchant à atteindre en vain les fruits placés hors de sa portée. Dans la mythologie grecque, l’épisode de Tantale aux enfers signifie seulement qu’il a été puni par les dieux pour ses multiples crimes, alors qu’Alciat lui donne une autre dimension morale. Il figure l’image de la faim et de la soif éternelle qui ronge les hommes cupides qui « ont grands biens et n’en prens pas les fruicts » et il intitule donc son emblème « Avaritia » ou l’Avarice. (p108, sans figure). Elémentaire, non ?

En voici un autre :

Fig 5 Sobrement vivre.


Une main ouverte un œil regardant, Alciat titre « Sobrement vivre et non follement croire », qui est une traduction un peu rapide d’Aneau pour le vers « Ecce oculata manus credens id quod videt ». Deux leçons en une seule image. C’est une invitation à la tempérance. Tempérance pour le corps (il faut éviter les excès) et tempérance pour l’esprit (il faut résister à la crédulité). L’œil en la main est certitude des choses vues et touchées. Il faut toujours vérifier par soi-même. Certains risquent une autre interprétation : la main pourrait évoquer la justice (la main de Justice) et l’œil la vigilance et la perspicacité des juges. Pierus Valerian écrira de son coté « Justice signifiée par les yeux ».
Je sens que Bertrand va se prendre une petite poire …
A vous de jouer maintenant, je propose des emblèmes et vous me cherchez la clef !


Fig 6 Sur Occasion. Pourquoy derrière est chaufve et chevelure has au devant ?



Fig 7 Envie. Quel rapport entre la vipère et l’envie ? Le moins qu’on puisse dire c’est que la dame ne donne pas envie !!


Fig 8 Bonté des enfants ?


Fig 9 La mariée au contagieux. Là si vous trouvez, chapeau, car j’ai rien compris !



Fig 10 Entrelacs.


Bonne Journée
Textor


(1) Collation de l’exemplaire présenté : (2) bl, 267 pp, y compris le titre, (5) pp (table) (2) bl. L'illustration comprend un grand encadrement sur le titre, bordures variées à toutes les pages et 173 bois, dont 14 au trait représentant diverses essences d'arbres, gravés sur bois d'après les dessins de Pierre Vase, en grande partie provenant de l'édition de 1548 des mêmes imprimeurs. Brun, p. 107 - Landwher, n° 43 - Baudrier, IX, p. 158 - Havard College Library, n° 15.
(2) Sur les lieux communs, voir, par exemple, les productions de Textor Ravisius présentés sur ce site. ICI http://le-bibliomane.blogspot.com/2009/10/ravisius-textor-thubal-holoferne.html )
(3) Des études savantes ont montré que les livres d’emblèmes trouvent leur origine antérieurement à la publication d’Alciat. Voir notamment L’invention de l’emblème par André Alciat de Pierre Laurens
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065- 0536_2005_num_149_2_22901
(4) Sur Horapollon et son Hieroglyphica qui se rattache aux livres d’emblèmes voir ICI http://le-bibliomane.blogspot.com/2009/12/mort-de-rire-sur-le-nil-ou.html


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