mercredi 26 mai 2010

De quelques éditions de Pétrarque, poète et humaniste du Trecento.


Francesco Pétrarque est né à Arezzo en 1304, fils d’un notaire qui exerça à Florence Ce sont les démêlées avec la faction des Guelfes qui pousse la famille de Pétrarque à fuir Florence pour la Provence. Ces mêmes démêlés entre Guelfes et Gibelins qui contrarièrent les amours de Roméo et Juliette favorisèrent ceux de Pétrarque et de Laure !!

Le 6 avril de l’an de grâce 1327, Pétrarque aperçoit pour la première fois une jeune fille, dans l’église de Sainte Claire d’Avignon. Instantanément, il en devient follement amoureux. Il a vingt-trois ans, elle en a dix-neuf. Cette créature d’une beauté et d’une douceur infinie, c’est Laure de Noves, épouse d’Hugues de Sade.

Évidemment quand on s’appelle Sade, c’est tout de suite plus facile …

Pétrarque va donc se languir une bonne vingtaine d’années pour Laure qui meurt de la peste noire en 1348, et nous laisser entre temps les plus beaux poèmes d’amour de la langue toscane, qu’il faut bien entendu lire dans le texte original.

Fig 1 Les Sonnets, les Canzonières, et les triomphes, édition originale du commentaire de Bernardino Daniello da Lucca, 1541.



Fig 2 Le Poème “Benedetto sia ‘l giorno…”


Béni soit le jour, bénis le mois, l'année
Et la saison, et le moment et l'heure, et la minute
Béni soit le pays, et la place où j'ai fait rencontre
De ces deux yeux si beaux qu'ils m'ont ensorcelé.
Et béni soit le premier doux tourment
Que je sentis pour être captif d'Amour
Et bénis soient l'arc, le trait dont il me transperça
Et bénie soit la plaie que je porte en mon cœur


Fig 3 Reliure en vélin sur cette édition de Venise, Nicolini de Sabio, 1541.



Fig 4 Le poème “Ivo Piangendo”


Je m’en vais en pleurant sur mon passé
Et je me repose sur l’amour des choses mortelles,
Sans m’élever à toute volée, ayant moi-même des ailes,
Pour peut-être ne pas donner de moi mauvais exemple.
…….

Pour le peu qu’il me reste à vivre
Et à mourir, je désire être prêt dans ta main:
Tu sais bien qu’en personne d’autre est mon espérance.

Le Canzonière relève de la poésie courtoise. Composé en deux parties, opposant en miroir la vie et la mort de Laure, le recueil passe de l'évocation de l'aimée à son idéalisation, des tensions du désir à la souffrance, de l'amour terrestre à l'amour mystique. C'est l'itinéraire à la fois d'un amant et celui d'un poète qui dépasse la mort et la mélancolie par la rédemption de l'œuvre vouée à lui assurer l'immortalité.

Mais Pétrarque n’était pas qu’un amoureux transi, c’était aussi un amoureux des livres, digne d’être admis au cercle du Bibliomane Moderne. Voyageur infatigable, il parcourut toute l’Europe et entretint, 150 ans avant Érasme, une correspondance avec l’élite intellectuelle de son temps. Il créa ainsi un réseau de relations qui partageaient le même idéal humaniste que lui et à qui il demandait de l'aider à retrouver les textes latins des anciens que pouvaient posséder les bibliothèques des abbayes et des collèges. Ses voyages lui permirent ainsi de retrouver quelques textes majeurs tombés dans l'oubli. C'est à Liège qu'il découvrit le Pro Archia de Cicéron et à Vérone, le Ad Atticum, Ad Quintum et Ad Brutum. Un séjour à Paris lui permit de retrouver les poèmes élégiaques de Properce.

Dans un souci constant de restituer le texte le plus authentique, il soumit ces manuscrits à un véritable travail philologique. C'est ainsi qu'il recomposa la première et la quatrième décade de l'Histoire Romaine de Tite-Live à partir de fragments et qu'il restaura certains textes de Virgile.


Fig 5 L’Africa de Petrarque, première édition séparée, Venise, Domenico Farri, 1570.


Son premier ouvrage, écrit en latin, illustre son goût du monde antique, qu’il voudrait faire redécouvrir et donner en exemple. C’est l’Africa, une épopée restée inachevée sur les exploits de Scipion l’Africain contre Carthage lors de la seconde guerre punique. Il choisit cette œuvre pour concourir aux joutes poétiques et il obtint ainsi la couronne de lauriers des poètes. Par la suite, dans sa Lettre à la Postérité, sorte de testament littéraire où Pétrarque esquisse l’image qu’il voudrait laisser de lui à ses contemporains et à ses lecteurs à venir, il citera par trois fois l’Africa, comme une œuvre chère à son cœur. Ce poème est un curieux mélange entre les épopées médiévales des chansons de geste et le retour aux sources latines où histoire et poésie mais aussi religion chrétienne et religion antique se confondent, chose que ses contemporains lui reprochèrent. Ainsi, au livre VII (heureusement non publié du vivant de Pétrarque), Jupiter, se prenant pour John Lennon, n’hésite pas à annoncer sa venue prochaine incarné en Jésus-Christ ... !!

Fig 6 Livre premier de l’Africa, en italien, traduit du latin.


Les poèmes de Pétrarque alimentèrent très tôt une vague de critiques contre lesquelles il va batailler ferme.. Alors que le Canzoniere se clôt avec une invocation au nom de la Vierge Marie, les Triomphes se terminent sur celui de Laure. Bref, Pétrarque sentait le souffre et voici, pour illustrer ce courant anti-pétrarquiste, un petit ouvrage amusant : le Pétrarque Retourné


Fig 7 Le Petrarque Retourné, seconde édition, Venise Francesco Marcolini de Furli, 1538.



Fig 8 Premier sonnet du Petrarque Retourné


Dans sa Bibliographie Instructive, de Bure nous dit : « Édition singulière et recherchée des curieux ; elle est connue dans le commerce sous le nom du Pétrarque Retourné parce que l'auteur qui la publia, ayant entrepris de faire servir à la louange de la Majesté divine des poésies profanes qui n'avaient été faites qu'en l'honneur d'une de ses créatures, fut obligé de retourner une partie des vers de Pétrarque, ce qu'il ne put exécuter qu'avec beaucoup de peine. »

On se doute que cela n’a pas du être simple ! C’est le premier cas dans l’histoire du livre, où la censure n’a pas expurgé le texte mais a cherché à lui donner une tournure catholiquement correcte… au détriment de la beauté des vers. L’auteur de cet ouvrage, Girolamo Malpiero, eut un certain succès puisqu’ au moins 5 éditions furent publiées après celle-ci qui contient une lettre de Pierus Valerian félicitant Malpiero « poi ch’eternalmente di Cyrrha hai restaurato il sacro honore. ».

Sa mort en 1374 empêcha Pétrarque d'achever ce qui aurait dû constituer sa troisième œuvre majeure, après les Canzonières et les Sonnets : les Triomphes. Ève Dupperay commente ainsi cette œuvre :
« Ce poème en langue italienne, en tercets d'hendécasyllabes à la manière dantesque, participe à l'œuvre la plus expérimentale de Pétrarque. Il s'inscrit dans une structure emboîtante de six Triomphes distribués en douze chapitres selon le schéma combatif et homicide du vaincu-vainqueur-vaincu où les abstractions personnifiées terrestres Amour, Chasteté, Mort, Renommée et célestes Temps, Éternité s'affrontent et s'efforcent crescendo sous un pouvoir plus irréductible dans un mécanisme qui s'accélère en degrés ascendants avec une unique triomphatrice : Laure ».


Fig 9 Je trouve que le vélin et le parchemin vont bien à Petrarque


Bonne Journée
Textor

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