N'allez pas me demander pourquoi mais je cherchais l'autre jour une belle image avec des livres anciens... des reliures... des hommes... Tout ça pour vous donner en pâture une des ces belles gravures que seul souvent le hasard permet de nous mettre sous les yeux.
Et puis j'ai trouvé ! Au hasard des in-12, des in-8 et autres in-4 posés sur mes rayons, j'ai finalement trouvé ! Une belle bataille à coups de livres ! Et pas n'importe lesquels, de bons gros lourds et imposants in-folio ! Pauvres livres ! Pauvres hommes ! Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font...
Je vous la livre avec à la suite un extrait du texte qui s'y rapporte et le descriptif de l'ouvrage dans lequel la gravure se trouve.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir et profiter des détails.
Estampe extraite de l'édition des Oeuvres de Boileau Despréaux, Paris, Esprit Billiot, 1713. In-4.
Dessinée par Gillot(**) et gravée par Duflos(***).
(...)Dessinée par Gillot(**) et gravée par Duflos(***).
Par les détours étroits d'une barrière oblique,
Ils gagnent les degrés, et le perron antique
Où sans cesse, étalant bons et méchants écrits,
Barbin vend aux passants les auteurs à tout prix. (...)
Chez le libraire absent tout entre, tout se mêle :
Les livres sur Evrard fondent comme la grêle
Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux,
Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux.
Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre :
L'un tient l'Edit d'amour, l'autre en saisit la Montre ;
L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié ;
L'autre un Tasse français, en naissant oublié.
L'élève de Barbin, commis à la boutique,
veut en vain s'opposer à leur fureur gothique :
Les volumes, sans choix à la tête jetés,
Sur le perron poudreux volent de tous côtés :
Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre ;
Là, Xénophon dans l'air heurte contre un la Serre,
Oh ! que d'écrits obscurs, de livres ignorés,
Furent en ce grand jour de la poudre tirés !
Vous en fûtes tirés, Almerinde et Simandre :
Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre,
Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois,
Tu vis le jour alors pour la première fois.
Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure :
Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure.
D'un le Vayer épais Giraut est renversé :
Marineau, d'un Brébeuf à l'épaule blessé,
En sent par tout le bras une douleur amère,
Et maudit le Pharsale aux provinces si chère.
D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi
A longtemps le teint pâle et le coeur affadi.
Au plus fort du combat le chapelain Garagne,
Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne,
(Des vers de ce poème effet prodigieux)!
Tout prêt à s'endormir, bâille, et ferme les yeux.
A plus d'un combattant la Clélie est fatale :
Girou dix fois par elle éclate et se signale.
Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri.
Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri,
Est robuste de corps, terrible de visage,
Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage.
Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset,
Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset,
Et Gerbais l'agréable, et Guerin l'insipide. (...)
Extrait du Chant V du Lutrin de Boileau (*)
Vous pourrez lire ou relire, avec plaisir j'espère, un vieux billet du Bibliomane moderne sur le libraire Claude Barbin, que je ne me lasse pas de retrouver sur mon chemin, comme un signe des dieux bibliophiles...
"Sur ces marches se trouvait la boutique de Barbin, où eut lieu la célèbre bataille du Lutrin de Boileau. Claude Brossette raconte qu’à cause de cette bataille on appela ensuite le perron « la plaine de Barbin". (voir l'article du Bibliomane moderne évoqué ci-dessus).
D'ailleurs, pendant l'été (vous n'avez que ça à faire...) je vous invite à replonger dans les entrailles du Bibliomane moderne et à explorer en détails les archives du blog qui compte déjà plus de 300 billets ! Bonne lecture estivale.
(*) Le Lutrin est une célèbre parodie épique de Nicolas Boileau, sous-titrée « poème héroï-comique ». Tandis que les quatre premiers chants en sont antérieurs à l'Art poétique, puisque publiés entre 1672 et 1674, les deux derniers chants en virent le jour en 1683. Tout d’abord intitulé « poème héroïque » (épopée), Boileau y substitua le sous-titre de « poème héroï-comique » en 1698, sur les conseils de ses amis. Son élaboration semble due à une gageure : Boileau aurait cherché à démontrer la possibilité de faire une épopée sur des sujets aussi minces soient-ils (en l’occurrence une dispute entre un trésorier et un chantre du chapitre). Le caractère parodique de l’œuvre est à entendre dans un tout autre sens que pour le Virgile travesti par exemple. Au contraire de Scarron, Boileau ne cherche en effet pas à détourner un sujet sérieux, mais au contraire à bâtir une œuvre sérieuse sur un sujet insignifiant. S’il n’en détourne pas moins quelques canons épiques, en donnant par exemple à son poème un titre évoquant un meuble, en parodiant le fameux cano de l'Énéide de Virgile, en mettant en scène des personnages sans noblesse et des allégories pour le moins originales, comme la Mollesse, il ne sombre jamais dans le grotesque baroque. Critique, le Lutrin l’est aussi : Boileau n’y cache pas sa volonté de moquer quelques œuvres ennuyeuses de son temps, comme le Cyrus et la Clélie de Madeleine de Scudéry et d’attaquer « l’abus de l’allégorie, de la mythologie », « le goût du siècle pour l’emphase et le ton ampoulé ». (source Wikipedia).
(**) Claude Gillot né le 28 avril 1673 à Langres et mort le 4 mai 1722 à Paris, est un peintre français. Il fut peintre, graveur, illustrateur, décorateur de théâtre. Agréé à l'Académie en 1710 pour son tableau Don Quichotte, il y fut reçu en 1715 avec un tableau d'un style complètement différent, Jésus devant sa croix. Créateur de tapisseries et de panneaux décoratifs en bois qu'il ornait d'arabesques, motifs végétaux et autres figures mythologiques, il fit aussi des toiles aux thèmes anecdotiques (Les deux carrosses), ainsi qu'une série de dessins (Arlequin empereur dans la lune, Embarquement pour Cythère, inspiré de la pièce de théâtre Les trois cousines de Dancourt). Il eut Watteau pour élève entre 1703 et 1708. (Source Wikipedia).
(***) Claude Duflos, graveur en taille-douce, renommé, était né en 1665 et mort en 1727. Il travailla beaucoup pour l'édition et composa notamment de très jolis fleurons et ornements que l'on retrouve dans diverses éditions de cette époque.
Bonne journée,
Bertrand